Soliton et magnon
ย ย Le soliton est prรฉcisรฉment lโexcitation รฉlรฉmentaire du systรจme anisotrope qui autorise le passage dโun รฉtat de Nรฉel ร lโautre. Il prend la forme dโune paroi magnรฉtique ร lโintรฉrieur de laquelle les spins subissent une rotation de ฯ.ย Il existe donc deux types de solitons รฉlรฉmentaires (L โ 1 solitons par type) qui acquiรจrent un moment magnรฉtique total (donc en valeur absolue) de 1/2 par rapport aux รฉtats de Nรฉel globalement amagnรฉtique (seulement pour la chaรฎne infinie ou avec un nombre pair de site rigoureusement parlant). Ils sont donc plus facilement visibles expรฉrimentalement que lโรฉtat fondamental amagnรฉtique, et on peut diffรฉrencier les deux types avec un champ magnรฉtique(selon z). La diffรฉrence dโรฉnergie entre ces excitations et le fondamental est J/2 ce qui en fait une phase gappรฉe, on parlera ici de phase de Nรฉel, ou parfois, par abus de langage, dโordre de Nรฉel, mรชme si, ร 1(+1) dimension, lโordre nโest quโร courte portรฉe. On nโest pas ici en contradiction avec le thรฉorรจme de Mermin-Wagner qui interdit la brisure spontanรฉe dโune symรฉtrie continue car seule la symรฉtrie des translations discrรจtes dโun site ร lโautre est brisรฉe pour ne conserver que les translations tous les deux sites. En effet, parmi les excitations ร plus hautes รฉnergies, il existe des รฉtats ร 2, 3 ou plus de solitons. On peut dรจs lors dรฉfinir une longueur de corrรฉlation ฮพ comme รฉtant le nombre moyen de sites entre deux solitons, et donc obtenue par ฮพ = 1/ns oรน ns est la densitรฉ de soliton, soit le nombre total de soliton divisรฉ par le nombre de site L. Naรฏvement, si le gap est suffisamment faible, les fluctuations quantiques (voire thermique ร T > 0) vont rendre cette longueur de corrรฉlation finie. Un ordre ร longue portรฉe, i.e. une phase ordonnรฉe usuelle ร plus haute dimension, est alors impossible. On parle quand mรชme dโordre ร courte portรฉe, sinon seulement de phase dรฉsordonnรฉe, car les solitons sont sources de dรฉsordre ici statiques. Mais pour ce modรจle, les fluctuations ne permettent pas ร elles seules dโexpliquer lโapparition dโun de ces solitons statiques en partant dโun รฉtat de Nรฉel, car celui-ci sโobtient par rotation de ฯ de toute une moitiรฉ de la chaรฎne, ce qui rend la transition directe impossible (mรชme avec nโimporte quelle lรฉgรจre variation du hamiltonien dโIsing pour des interactions ร courtes portรฉes, exception faite des solitons crรฉรฉs aux bords ou au niveau dโune impuretรฉ exclus de la prรฉsente discussion).
Gรฉnรฉralisation ร tous N
ย Les gรฉnรฉralisations de la conjecture de Haldane peuvent porter sur plusieurs aspects, et parmi elles, les plus souvent citรฉes sont le thรฉorรจme de Lieb-Schultz-Mattis [97] et quelques unes de ses gรฉnรฉralisations [98, 99, 100, 101] ร plus grandes dimensions qui peuvent รชtre rรฉsumรฉes comme suit [102] : Si un systรจme de spin quantique dรฉfini sur un rรฉseau a un nombre impair de spin 1/2 par maille รฉlรฉmentaire, alors nโimporte quel hamiltonien local de spin qui prรฉserve la symรฉtrie de spin (souvent SU(2), parfois seulement U(1)รD2) et de translation ne peut engendrer une phase ยซย sans traits marquantsย ยป 13 cโest-ร -dire gappรฉe et non dรฉgรฉnรฉrรฉe 14 (lโexemple paradigmatique pour un modรจle dโรฉchelle serait une phase rung singlet). La conjecture de Haldane (qui ne porte que sur le modรจle de Heisenberg) est toutร -fait compatible car si le spin en chaque site est demi-entier, on a un cas semblable ร un nombre impair de spin 1/2 qui donne lieu ร une phase sans gap. Cela implique trois possibles scรฉnarios pour les modรจles concernรฉs par le thรฉorรจme :
โข Son รฉtat fondamental brise spontanรฉment la symรฉtrie de spin ou de translation du rรฉseau. Lโรฉtat fondamental devient alors dรฉgรฉnรฉrรฉ avec potentiellement des modes de Goldstone. A 1D, la brisure ne peut quโรชtre celle dโune symรฉtrie discrรจte et ne donne jamais lieu ร des modes de Goldstone. Le devenir typique est une dimรฉrisation ou la phase de Nรฉel.
โข La phase est gappรฉe et lโรฉtat fondamental est dรฉgรฉnรฉrรฉ 15 sans briser de symรฉtrie, cโestร -dire quโil dรฉveloppe un ordre topologique. Cette possibilitรฉ nโapparaรฎt que pour des systรจmes 2D ou plus car la conjecture de Haldane lโinterdit directement dans le cas de Heisenberg ร 1D.
โข Les fonctions de corrรฉlations des quantitรฉs physiques (telles que les corrรฉlations spinspin) du fondamental sont ร dรฉcroissance algรฉbrique (i.e. sont des lois de puissances). Le spectre est alors sans gap. Cโest le scรฉnario typique des chaรฎnes 1D dรฉcrit par la conjecture. Pour les cas unidimensionnels, lโextension de Lieb et Affleck [98], alors nommรฉe thรฉorรจme de Lieb-Schultz-Mattis-Affleck, est particuliรจrement importante, car leur rรฉsultat sโapplique ร un hamiltonien ayant la symรฉtrie SU(N). Si, en chaque site, se trouve un ยซย spinย ยป ou ยซย saveurย ยป, i.e. une reprรฉsentation irrรฉductible de SU(N) (discussion Sec. 4.1.1), qui est aussi une reprรฉsentation du groupe projectif de SU(N), aussi appelรฉe ยซย vraie reprรฉsentationย ยป, ou alternativement dont le diagramme dโYoung contient un nombre de boรฎte multiple de N, alors, on ne peut rien dire. Sinon, dans le cas dโune chaรฎne infinie (au bords ouverts), soit la phase est sans gap, et lโรฉtat fondamental est non dรฉgรฉnรฉrรฉ, soit lโรฉtat fondamental est dรฉgรฉnรฉrรฉ (avec ou sans gap ; typiquement une polymรฉrisation). Ce dernier cas nโest jamais une phase topologique. En effet, Lieb et Affleck montrent que la chaรฎne finie correspondante a un รฉtat fondamental unique sรฉparรฉ dโun รฉtat excitรฉ par un gap en O(L โ1) contrairement aux phases topologiques oรน le gap est soit en e โฮพ (en unitรฉ du pas du rรฉseau) soit tend vers une valeur finie non nulle ร la limite thermodynamique. Ainsi, ces derniรจres ne sont possibles que dans le cas des vraies reprรฉsentations. Et cโest exactement ce qui a รฉtรฉ montrรฉ par la suite pour SU(3) [103] dans le cas des reprรฉsentations totalement symรฉtriques 16 : dans le cas dโune vraie reprรฉsentation, la phase est gappรฉe, et peut รชtre topologique [104, 60], et est sans gap pour les autres reprรฉsentations. La preuve utilise, en partie, un raisonnement similaire ร la Sec.
Pour les modรจles sans interaction
ย Une phase de la matiรจre peut รชtre vue comme une classe dโรฉquivalence des รฉtats physiques qui partagent un certain ensemble de propriรฉtรฉs. Dans le cas des phases topologiques (toujours gappรฉes), la quantitรฉ caratรฉristique est lโinvariant topologique 17 qui prend des valeurs bien spรฉcifiques pour chaque classe dโรฉquivalence. Plus prรฉcisement, perturber un systรจme dans une phase topologique laissera lโinvariant topologique inchangรฉ tant que le gap reste fini. Le systรจme initial et le systรจme perturbรฉ, ou, plus exactement leur hamiltonien et รฉtat(s) fondamental(-aux) sont alors dans la mรชme classe dโรฉquivalence, ils sont connectรฉs adiabatiquement. Ainsi, le changement de phase ne se fait que par transition de phase quantique [18], cโest-ร -dire effondrement du gap. La protection topologique complรจte ne peut apparaรฎtre que pour des systรจmes avec interactions et nรฉcรฉssite la possibilitรฉ dโintrication ร longue portรฉe, alors ร lโorigine dโun ordre topologique intrinsรจque, robuste ร tout type de perturbation. Sans interaction, ou au moins ร une dimension et avec seulement des interactions ร courtes portรฉes, il est impossible dโavoir cette intrication ร longue portรฉe et donc un ordre topologique. Les phases topologiques protรฉgรฉes par la symรฉtrie (phase SPT) sont, elles, toujours possibles et peuvent souvent รชtre dรฉcrites (ร basse รฉnergie) par la thรฉorie des bandes. Cโest pour cela quโon les appelent parfois des isolants topologiques : un sous-ensemble de lโensemble des phases isolantes sans interaction, ce dernier ensemble รฉtant la classe dโรฉquivalence des รฉtatsย quantiques fermioniques ร plusieurs particules caractรฉrisรฉs par un bulk avec un gap dโรฉnergie. On dรฉfinit alors la classe ยซย trivialeย ยป comme la classe dโรฉquivalence ร laquelle appartient lโisolant atomique, qui a essentiellement le mรชme spectre รฉlectronique quโun atome isolรฉ. Il sโagitย de la mรชme classe qui contient le vide (pour lequel les trous de la bande de valence seraient les positrons, tandis que les excitations de la bandes de conductions sont les รฉlectrons). Dans le cas des isolants, on peut alors reformuler lโรฉquivalence en disant que le systรจme A et B de hamiltonien HA et HB respectivement sont dans la mรชme classe dโรฉquivalence si et seulement si, en rรฉglant HA, on peut interpoler de maniรจre continue lโรฉtat fondamental (รฉventuellement au pluriel) de A vers celui de B, ร un nombre de bandes triviales prรจs, sans fermer le gap. Si tous les rรฉglages sont permis, toutes les bandes sont triviales et donc tous les isolants (sans interaction) sont รฉquivalents. Si par contre seules les dรฉformations qui prรฉservent certaines symรฉtries รฉgalement vรฉrifiรฉes par le hamiltonien et son (ses) รฉtat(s) fondamental(-aux) sont considรฉrรฉes, dโautres classes peuvent apparaรฎtre. Cโest ainsi que lโinvariance par renversement du temps empรชche lโinterpolation entre la classe triviale et la phase isolante de spin Hallquantique (une phase SPT sans interaction) sans fermeture du gap. La symรฉtrie protรจge la phase alors non topologiquement รฉquivalente ร la phase triviale. Si une dรฉformation qui brise la symรฉtrie explicitement (ou implicitement) est autorisรฉe, les deux phases sont ร nouveau connectรฉes. Ainsi, la classification sโรฉtablit รฉtant donnรฉe une dimension et un ensemble de symรฉtries (du hamiltonien et de son รฉtat fondamental). Elle donne le nombre de classe SPT (pour lโinstant, sans interaction). Celle-ci se fait donc en deux temps : dโabord la sรฉlection du hamiltonien (ร une particule) en fonction de ses symรฉtries, puis ensuite seulement la subdivision en classe topologique distincte. Cette derniรจre peut รชtre rรฉalisรฉe de deux maniรจres : soit en considรฉrant le bulk, soit, de maniรจre รฉquivalente par holographie, aux bords. Une classification complรจte requiert dโexaminer tous les ensembles possibles de symรฉtrie.
Les chaรฎnes de Haldane existantes
ย ย Dรจs 1982 [24], lโobervation du composรฉ NENP, ou Nickel EthadiamineNitrito Perchlorate N i (C2H8N2)2 NO2C lO4 pouvant รชtre modรฉlisรฉ par une chaรฎne de spins 1 quasi-unidimensionnelle rรฉvรฉla que sa susceptibilitรฉ magnรฉtique (mesurรฉe ร lโaide dโun magnรฉtomรจtre, donc ne rรฉsolvant que le bulk) sโannulait dans les trois directions pour tempรฉrature tendant vers 0K. Plus particuliรจrement, la chute de susceptibilitรฉ mesurรฉe en deรงa de 10K รฉtait alors inexplicable sans intervention de la conjecture de Haldane (sans brisure spontanรฉe de symรฉtrie, on sโattendait ร la prรฉsence dโexcitations potentiellement magnรฉtiques grรขce aux seules fluctuations quantiques). Par la suite, une mesure du gap a รฉtรฉ obtenue par diffusion inรฉlastique de neutron [140] et mesurรฉ ร โ = 0.42J (donc proche des simulations), puis les premiรจres excitations, le triplet magnรฉtiques de la Fig. 1.6, ont aussi รฉtรฉ รฉtudiรฉes par mesure du taux de relaxation du proton, rรฉsonance รฉlectron-spin ร haute frรฉquence et diffusion inรฉlastique de neutron (pour le gap entre chaque รฉtat du triplet) et trouvรฉes conformes ร la thรฉorie [141, 142, 143]. Par la suite, dโautres systรจmes, variantes du NENP, ont รฉtรฉ examinรฉs et se sont avรฉrรฉs possรฉder eux-aussi ce gap de Haldane. Cโest le cas du NINO [144],du NI-NAZ ou du TMNIN [145], du Y2B aN iO5 [146] ou du C sN iC l3 [147] Quelque soit le composรฉ รฉvoquรฉ jusquโร prรฉsent, tous sont dรฉcrits par des chaรฎnes de spin 1. Pour des spins plus grands, le gap de Haldane nโa jusquโร prรฉsent jamais รฉtรฉ observรฉ (exceptรฉ le cas de spin 2 [148]). Afin de pouvoir observer plus prรฉcisรฉment la phase de Haldane et les phases SPT qui peuvent apparaรฎtre dans des conditions plus gรฉnรฉrales (plus grand spin, ou utilisant des reprรฉsentations de SU(N) plutรดt que SU(2) seulement), des systรจmes appropriรฉs (et jusquโร prรฉsent inexistants) sont nรฉcessaires. Les systรจmes de matiรจre condensรฉe รฉtant relativement rigides une fois synthรฉtisรฉs, il est intรฉressant, dans un premier temps, de sโintรฉresser ร des systรจmes plus flexibles tels que les atomes froids [149, 150, 151].
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Table des matiรจres
Remerciements
Liste des figures
Liste des tableaux
Introduction
1 Le cas N = 2 et la phase de Haldaneย
1.1 La chaรฎne de spins 1/2ย
1.1.1 Les รฉtats fondamentaux de la chaรฎne dโIsing : รฉtats de Nรฉel
1.1.2 Soliton et magnon
1.1.3 Phase critique
1.1.4 Mot sur lโintรฉgrabilitรฉ
1.2 La chaรฎne de spins 1
1.2.1 Phase gappรฉe
1.2.2 Construction AKLT, phase SPT
1.3 La conjecture de Haldane
1.3.1 Approche semi-classique
1.3.2 Entier pair et impair
1.3.3 Gรฉnรฉralisation ร tous N
1.4 Classification des phases topologiques
1.4.1 Pour les modรจles sans interaction
1.4.2 Pour les modรจles avec interactions
1.5 Rรฉalisations et expรฉriences
1.5.1 Les chaรฎnes de Haldane existantes
1.5.2 Implรฉmentations par lโintermรฉdiaire dโatomes froids
1.6 Rรฉsumรฉ du chapitre
2 Le modรจle du double-puitsย
2.1 Rรฉalisation de la symรฉtrie SU(N)ย
2.1.1 Par des alcalins
2.1.2 Par des alcalino-terreux
2.2 Dรฉrivation du modรจle discret du double-puits
2.2.1 Fonctions de Wannier
2.2.2 Modรจle de Hubbard gรฉnรฉralisรฉ
2.2.3 Symรฉtries du hamiltonien
2.3 Les implรฉmentations alternatives avec les alcalino-terreux
2.3.1 Le modรจle g-e
2.3.2 Le modรจle p-band
2.3.3 Comparaisons
2.4 Rรฉsumรฉ du chapitre
3 Lโapproche de couplage faibleย
3.1 Thรฉorie des champs conformes
3.1.1 Limite continue de la thรฉorie libre
3.1.2 Champs conformes
3.1.3 Renormalisation
3.2 Interprรฉtations des diagrammes de phase
3.2.1 Lโasymptote intรฉgrable : le modรจle de Gross-Neveu
3.2.2 Dualitรฉ
3.2.3 Non-intรฉgrabilitรฉ : bosonisation
3.2.4 Synthรจse des diagrammes
3.3 Sโรฉloigner du couplage faible : le DMRG
3.3.1 Courte prรฉsentation du DMRG
3.3.2 Les rรฉsultats du DMRG
3.3.3 Les phases SPT dโaprรจs le DMRG
3.4 Rรฉsumรฉ du chapitreย
4 Lโapproche de couplage fortย
4.1 La limite atomiqueย
4.1.1 Tableaux dโYoung, considรฉrations sur les symรฉtries
4.1.2 La diagonalisation du hamiltonien de la limite atomique
4.1.3 Diagrammes de la limite atomique
4.2 La perturbation par le terme de hopping
4.2.1 Approche gรฉnรฉrale
4.2.2 Cas de lโadjointe de SU(3)
4.2.3 Approche heuristique
4.3 Caractรฉrisation des phases SPTs
4.3.1 Construction ยซย ร la AKLTย ยป
4.3.2 Interprรฉtations supplรฉmentaires des rรฉsultats du DMRG
4.3.3 Les cas N > 4 et les autres classes de SPT
4.4 Rรฉsumรฉ du chapitreย
5 Le modรจle de la chaรฎne de spin 3โ3ยฏย
Conclusion
A Notions pratiques sur SU(N)
A.1 Gรฉnรฉralitรฉs
A.2 Conventions
B Matรฉriel additionnel pour le couplage faible
B.1 Courants de Wess-Zumino-Witten
B.2 Opรฉrateurs dโinteractions
B.3 Calcul de la limite continue du hamiltonien dโinteraction
B.3.1 OPEs sur les courants
B.3.2 Calculs des termes dโinteractions
B.4 Calcul des OPEs des opรฉrateurs dโinteractions
B.5 Equations de renormalisation
C Approche de couplage faible ; cas incommensurable du modรจle g-e et p-band
D Articles rรฉalisรฉs dans le cadre de cette thรจse
Appendices
Bibliographie
Rรฉsumรฉ (English/Franรงais)
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