La transition énergétique mondiale
Depuis les années 1950 nous sommes entrés dans l’ « anthropocène », ère dans laquelle notre planète est façonnée par l’activité humaine, par opposition à l’ « holocène », ère de stabilité climatique qui a permis le développement de la civilisation humaine. Cette tendance est clairement marquée par une inflexion sur des courbes temporelles telles que le taux de CO2 dans l’atmosphère, le pourcentage de perte de forêts tropicales humides et de régions boisées dans les pays en voie de développement, le volume annuel d’eau douce utilisé mondialement, le pourcentage des ressources piscicoles exploitées dans les océans, ou encore le nombre d’espèces animales disparues [1].
Le point d’inflexion observé sur tous les paramètres évoqués précédemment se retrouve bien entendu sur la courbe de l’accroissement de la population humaine en Figure 0.1 à gauche (courbe bleue). En parallèle, le développement technologique actuel quel que soit le domaine (transport, habitat, alimentation, santé…) fait croître les besoins énergétiques et l’émergence progressive des pays en voie de développement amplifie ce phénomène. Ces besoins ont majoritairement été fournis jusqu’à présent par des ressources fossiles (par combustion de substances ayant mis des millions d’années à se former telles que le pétrole, le charbon ou le gaz) ou par des ressources nucléaires. Cependant, d’une part, la Figure 0.1 à droite qui représente le scénario typique d’extraction des ressources fossiles montre que la consommation de ces ressources non renouvelables ne constitue qu’une période infime à l’échelle des temps géologiques et de l’humanité (quelques siècles seulement, le pic se situant vers 2018). D’autre part, les accidents de centrales nucléaires plus ou moins récents (Tchernobyl en Ukraine, Fukushima au Japon) induisent une baisse de confiance en la sécurité de ce type de production énergétique.
Puisque le modèle énergétique occidental actuel n’est pas applicable à toute l’humanité sur une planète aux dimensions finies, une transition énergétique est donc inéluctable. Mieux vaut alors qu’elle soit contrôlée plutôt que subie. Il est donc primordial pour l’humanité actuelle de développer un altruisme envers les générations futures [5]. En pratique, cela consiste à tendre vers une sobriété énergétique d’une part, et à développer l’utilisation d’énergies basées sur des ressources renouvelables issues du sol (biomasse, géothermie), du vent (éolien), de l’eau (hydraulique, énergies marines), et du soleil (photovoltaïque, solaire thermique) d’autre part.
Ressource solaire et importance du photovoltaïque
Le soleil, sphère gazeuse d’environ 1,5 millions de kilomètres de diamètre située à une distance d’environ 150 millions de kilomètres de la Terre, émet un rayonnement électromagnétique de très forte puissance généré par les réactions thermonucléaires qui s’y produisent. Sur Terre au niveau de la mer, ce rayonnement (754 millions de térawatt-heure par an) représente plus de 5 200 fois l’énergie que nous consommons annuellement (environ 143 mille térawatt-heure ou 12,3 milliards de tonnes équivalent pétrole en 2011) [6]. Notons que cette énergie engendre aussi le déplacement des masses d’air et la photosynthèse qui peuvent être utilisés pour produire de l’énergie électrique ou thermique.
En 1839, le physicien français Edmond Becquerel découvre l’effet photovoltaïque qui correspond à l’apparition d’une tension aux bornes d’un matériau semi-conducteur exposé à la lumière [7]. Par la suite Charles Fritts, un inventeur américain, fut le premier à décrire une cellule photovoltaïque basée sur du sélénium [8], et la première cellule basée sur du silicium fut mise au point par les laboratoires Bell en 1954 [9]. Depuis les technologies n’ont cessé de se développer notamment grâce aux programmes spatiaux des années 1960 et aux chocs pétroliers des années 1970. En 2012, les cellules au silicium constituent environ 83% du marché mondial et la barre des 100 gigawatt d’installation solaire photovoltaïque dans le monde, toutes technologies confondues, a été dépassée (contre 2,1 gigawatt en 2002) [10].
Les recherches sur les technologies photovoltaïques visent actuellement par ordre de priorité à :
• maximiser la production d’énergie électrique (notamment par la réduction des coûts de transformation des matériaux de base, par l’augmentation des rendements des cellules, par la fiabilisation des panneaux, par l’adaptation des systèmes et du réseau électrique…),
• favoriser l’intégration dans nos modes de vie (« Building & Product Integrated PhotoVoltaics », autoconsommation, aspects éducatifs…),
• minimiser le coût énergétique de la chaîne de production (choix de matériaux abondants et nontoxiques, recyclage et analyse de cycle de vie des panneaux…).
Les cellules bifaces au silicium qui ont la particularité de capter le rayonnement par leurs deux faces s’inscrivent bien dans cette dynamique. En effet, la contribution de la face arrière (opaque dans une cellule monoface classique) permet d’augmenter l’énergie électrique produite sur l’année et ouvre la voie sur de nouvelles applications urbaines.
Architecture des modules photovoltaïques à cellules bifaces cristallines
A l’échelle de la cellule
Généralités sur les cellules solaires
En 2011, année où a débuté cette thèse, la majorité des cellules solaires commercialisées dans le monde avaient une structure dite monoface . La cellule est constituée d’une couche de silicium de type N (silicium dopé de manière à avoir un excès d’électrons) sur un substrat de silicium de type P (dopage conduisant à un excès de trous, les porteurs de charge qui décrivent l’absence d’un électron), pour former une jonction PN. La présence de cette jonction permet à l’excès d’électrons de diffuser vers le substrat P et à l’excès de trous de diffuser vers la couche N, créant ainsi un champ électrique à l’interface qui maintient globalement les porteurs de charge dans la couche où ils sont majoritaires.
Suivant leur longueur d’onde les photons incidents sur toute la surface de la cellule pénètrent par la face avant et sont absorbés dans la couche N puis dans le substrat P. Les photons proche ultraviolet (UV) plus énergétiques le sont dans le premier micromètre, alors que les moins énergétiques infrarouges (IR) le sont dans le substrat et peuvent atteindre la face arrière de la cellule après quelques centaines de µm . Les photons sont absorbés dans le silicium en libérant des porteurs minoritaires (électrons dans le type P, trous dans le type N) qui peuvent ainsi diffuser dans le matériau sur une certaine distance moyenne (la longueur de diffusion) avant d’être recombinés. Notons que les substrats de type P ont été les premiers à être utilisés car plus simples à mettre en œuvre, en revanche les porteurs de charge ont une meilleure capacité à diffuser dans les substrats de type N .
Sur la face avant se trouve une grille métallique (un alliage argent / aluminium en général) qui laisse entrer les photons dans la structure, et sur la face arrière se trouve une plaque métallique (aluminium) opaque aux photons mais réflectrice. En circuit fermé, les porteurs de charge minoritaires générés par l’absorption des photons diffusent vers la jonction PN où ils subissent l’action du champ électrique qui leur donne l’impulsion nécessaire pour atteindre le collecteur métallique opposé (grille face avant pour les électrons, et plaque face arrière pour les trous). Au même moment les porteurs majoritaires participent à un courant électrique dans le circuit externe. Notons que les épaisseurs et dopages des différentes couches sont optimisés pour maximiser l’efficacité de la cellule (rapport entre puissance électrique fournie et puissance optique incidente). Par exemple, la couche N est fine et fortement dopée (fort excès d’électrons), elle est notée N+.
Bref historique des cellules bifaces
Une cellule peut être qualifiée de biface dès lors qu’un rayonnement lumineux peut entrer des deux côtés du substrat et y libérer des charges. Dans le cas d’une cellule cristalline biface, la plaque d’aluminium opaque de la face arrière est donc remplacée par une grille métallique comme sur la face avant. Par conséquent, l’efficacité de collection par la face arrière est forcément réduite et sa répartition spectrale est différente par rapport à celle de la face avant. En effet, la majorité des photons incidents par la face arrière sont absorbés relativement loin de la jonction PN et l’effet répulsif survenant sur les porteurs minoritaires est moins intense avec une grille qu’avec une pleine plaque .
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Table des matières
Introduction générale
1.1. La transition énergétique mondiale
1.2. Ressource solaire et importance du photovoltaïque
1.3. Motivation de cette thèse
Chapitre 1 : Etat de l’art sur les modules photovoltaïques bifaces
Introduction
1.1. Architecture des modules photovoltaïques à cellules bifaces cristallines
1.1.1. A l’échelle de la cellule
1.1.1.1. Généralités sur les cellules solaires
1.1.1.2. Bref historique des cellules bifaces
1.1.1.3. Cellules bifaces à substrat de type N
1.1.2. A l’échelle du module
1.1.2.1. Généralités sur les modules solaires
1.1.2.2. Historique des architectures bifaces
1.2. Caractérisation électrique des modules bifaces
1.2.1. Généralités sur la caractérisation des modules solaires
1.2.1.1. Courbes intensité – tension et modèle électrique des cellules
1.2.1.2. Courbes intensité – tension des modules
1.2.1.3. Simulateurs solaires et effets capacitifs
1.2.1.4. Suivi des modules en conditions réelles
1.2.2. Vers une caractérisation STC des technologies bifaces
1.2.2.1. Influence de la face arrière des cellules lors d’une mesure STC
1.2.2.2. Caractérisation des cellules en double éclairement
1.2.2.3. Caractérisation des modules avec albédo en face arrière
1.3. Performance des applications utilisant des modules bifaces
1.3.1. Généralités sur la simulation des performances électriques annuelles des panneaux
1.3.2. Etudes passées sur les applications bifaces montées au sol ou sur toiture plate
1.3.2.1. Applications standards inclinées
1.3.2.2. Applications nouvelles verticales
1.3.3. Cas d’étude choisi : modules bifaces intégrés sur une façade verticale de bâtiment
1.3.3.1. Description de l’application
1.3.3.2. Simulation des performances électriques annuelles de systèmes BIPV
1.4. Objectif de notre étude
1.4.1. Synthèse de l’état de l’art
1.4.2. Logique de l’étude
Conclusion
Chapitre 2 : Moyens de caractérisation et de simulation mis en œuvre pour notre étude
Introduction
2.1. Etude en simulateur solaire
2.1.1. Dispositif expérimental de double éclairement
2.1.2. Protocole d’utilisation
2.1.3. Etude de reproductibilité
2.1.4. Influence des effets capacitifs
2.2. Etude en conditions réelles
2.2.1. Banc de test de l’application façade verticale biface
2.2.1.1. Description du banc de test
2.2.1.2. Données annuelles pour le module monoface de référence
2.2.2. Modèle optique du banc de test
2.2.2.1. Description de la méthodologie appliquée
2.2.2.2. Simulations pour le module monoface de référence
Conclusion
Chapitre 3 : Influence de l’environnement optique du module
Introduction
3.1. Comportement des paramètres IV en double éclairement
3.2. Performances du module biface en conditions réelles
3.2.1. Remarques préliminaires
3.2.2. Considérations optiques
3.2.3. Considérations thermiques
3.3. Extrapolation des résultats expérimentaux avec le modèle optique
3.3.1. Validation expérimentale du modèle
3.3.1.1. Comparaison entre simulation et expérience
3.3.1.2. Intérêts de la simulation
3.3.2. Influence de la période de l’année
3.4. Tentative d’évaluation des performances photovoltaïques annuelles
Conclusion
Chapitre 4 : Influence de l’architecture du module
Conclusion générale
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