Étude des paramètres temporels de la parole après laryngectomie totale

La laryngectomie totale (LT) est une chirurgie qui prive le patient de ses plis vocaux et donc de sa voix naturelle. Lors de la respiration, l’air inspiratoire et expiratoire ne traverse plus le pharynx ni les cavités buccale et nasale. Il est acheminé entre les poumons et le trachéostome, à la base du cou. Afin que les patients puissent continuer à s’exprimer, deux voix de substitution sont possibles. La « voix oro œsophagienne » (VO), utilise l’air buccal, « injecté » par pressions sous le sphincter supérieur de l’œsophage (SSO) qui joue le rôle de vibrateur pour permettre l’émission de la voix (Giovanni et Robert, 2010). La « voix trachéo-œsophagienne » (VTO) est produite à partir de l’air expiratoire, grâce à un implant reliant la trachée à l’œsophage, en regard du trachéostome. La structure vibrante est identique à celle de la VO (le SSO). Le timbre de voix pour ces deux types de réhabilitation est donc analogue. La perte du vibrateur laryngé perturbe la prosodie. L’effet est plus important pour les patients VO que les VTO avec une grande différence entre les deux (Van Rossum, 2008). La prosodie des LT présente une intonation réduite (Giovanni et Robert, 2010), une intensité faible (Štajner-Katušic et al., 2006) ainsi qu’un débit de parole perturbé, en particulier pour la VO (Le Huche, Allali et Hilgers, 2015 ; Crevier-Buchman, Vaissière, Maeda et Brasnu, 2002). La littérature s’accorde pour affirmer l’influence considérable de la LT sur le rythme de la parole et la différence notable entre la VO (plus impactée) et la VTO (moins impactée grâce à la conservation du lien pneumo-phonique). En français, le rythme joue un rôle primordial dans la compréhension de la parole (Caelen-Haumont, 2016 ; Duez, Legou et Viallet, 2009) : (1) au niveau de la phrase, par ses contraintes syntaxiques et grammaticales (Canault, 2017) ; (2) au niveau syllabique, avec une régularité temporelle caractéristique (Fitch, 2019 ; Pillot-Loiseau et Xie, 2018) ; (3) au niveau du phonème, où les notions de durée et de variabilité contribuent à formuler des unités de sens (Pillot-Loiseau et Xie, 2018 ; Mairano et Romano, 2011). Le manque d’intelligibilité des patients LT utilisant la VO est donc directement lié à un trouble de la fluidité du discours et de ses aspects rythmiques (Motta, 2001). Dans ce contexte, nous nous interrogeons sur les conséquences de la LT sur le rythme de la parole. Un protocole comprenant des épreuves innovantes nous permettra : d’identifier des paramètres rythmiques locaux – jamais encore soumis à une population LT – et locaux, impactés chez ces patients, de caractériser l’impact de la LT en s’attachant au lien avec la qualité de vie et plus particulièrement à l’impact d’une perturbation de la parole sur le handicap vocal ressenti.

Matériel et Méthodes 

Nous avons recruté des patients ayant subi une LT selon des critères d’inclusion et d’exclusion prédéfinis. L’âge des sujets devait être compris entre 25 et 85 ans. Tous les patients devaient avoir subi une laryngectomie totale et utiliser la VTO ou la VO. Nous demandions que le sujet ait bénéficié d’une rééducation orthophonique après son opération. Un délai de 6 mois post-opératoire et post traitement radio/chimio thérapeutique a été fixé. Le dernier critère d’inclusion consistait à savoir correctement lire le français. Nous avons ensuite choisi les critères d’exclusion suivants pour les deux groupes de patients : l’analphabétisme ou l’illettrisme, toute pathologie neurologique ou langagière et la surdité. Les critères d’inclusion du groupe témoin (T) concernent aussi l’âge (25 à 85 ans) ainsi qu’une bonne maîtrise de la lecture en français. Les critères d’exclusion du groupe témoin sont les mêmes que pour les patients soient l’analphabétisme ou l’illettrisme, et toute surdité ou pathologie neurologique ou langagière. L’acquisition des données s’est effectuée grâce à la contribution d’orthophonistes des secteurs hospitaliers ORL (Centre Hospitalier Intercommunal de Créteil, Institut Gustave Roussy, Institut Universitaire du Cancer de Toulouse et les Hôpitaux René-Dubos, Pitié Salpêtrière, George Pompidou et Tenon) qui nous ont permis de rencontrer les sujets soit à l’hôpital, soit à leur domicile. Nous avons aussi bénéficié de la participation de membres actifs de l’AFLMV (Association Française des Laryngectomisés et Mutilés de la voix) d’Ile de France et d’Occitanie. Les sujets que nous avons pu effectivement rencontrer sont au nombre de 41. Deux sujets des groupes de patients ont dû annuler l’entretien de passation pour cause de récidive de leur cancer. Deux sujets n’ont pas pu être inclus à cause d’un accent étranger très prononcé. Un sujet n’a pas pu participer pour cause d’analphabétisme et un autre pour cause de dyslexie. Deux patients ont refusé de participer. Les femmes étant peu nombreuses dans la population LT, nous avons recruté une grande majorité d’hommes pour les groupes de patients. Pour les groupes témoins, nous avons décidé le plus possible de ne pas recruter de sujet de moins de 50 ans, de sorte que l’âge ne soit pas un facteur de confusion trop important lors du traitement de nos données. Ainsi, de nombreux participants potentiels (surtout des hommes) ont été écartés car ayant déjà eu un ou plusieurs AVC. Pour les enregistrements, nous avons utilisé un micro-casque AKG, situé à deux doigts de la bouche du sujet, une carte son Roland et le logiciel Audacity (version 2.1.0.0). Une version papier du protocole est mise en possession du patient lors de la passation ainsi que les grilles des questionnaires et la fiche de consentement qu’il doit remplir. Pour le traitement des données, nous avons utilisé les logiciels Praat (version 6.0.33) et Correlatore (Mairano et Romano, 2011). Pour le traitement statistique, nous avons utilisé JMP (version 14.1.0) et Excel. Notre protocole de passation dure trente minutes. Il s’organise comme suit : une partie orale (enregistrement) de vingt minutes puis une partie écrite de dix minutes. L’enregistrement du patient a été réalisé à partir d’un corpus qui regroupe différents types d’épreuves (voyelle tenue, phrases sur plusieurs intonations et avec différents rythmes, voir plus bas), nécessaires à une récolte la plus exhaustive possible d’échantillons de parole, à analyser d’un point de vue rythmique. Une fois l’enregistrement terminé, le patient a rempli à l’écrit les questionnaires de qualité de vie et de handicap vocal. Le corpus débutait par un Temps maximal de Phonation (TMP) sur la voyelle /a/. Puis, une première partie a réuni différentes épreuves de lecture ; en premier lieu, celle de la phrase « Mélanie vend du lilas », issue du protocole MonPage (Pernon et al., 2020), dans laquelle chaque phonème est voisé. Nous avons ensuite proposé la lecture de cette phrase avec trois intonations différentes imposées (affirmation, interrogation puis exclamation), puis celle de six couples de phrases ambiguës (un couple comporte deux phrases dont on distingue le sens uniquement par une modification prosodique), proposées par Vaissière (2015) avec :
– 1 : Elle manque à mon amie / Elle manqua mon amie
– 2 : Cet homme est énormément bête / Cet homme est énorme et m’embête
– 3 : Il aime à en mourir / Il aima en mourir,
– 4 : Je suis inquiet de la varice de ma mère / Je suis inquiet de l’avarice de ma mère
– 5 : Jean mène un journal / J’emmène un journal
– 6 : Le rapace la noie / Le rat passe la noix
Cette partie du corpus, orientée sur la lecture, s’est achevée par une lecture de récit. Elle permet de tester la parole du patient avec la contrainte de la longueur ajoutée. Nous avons proposé la lecture du texte La bise et le soleil, récit fréquemment retrouvé dans les études en phonétique française, et qui comporte tous les phonèmes de la langue. La deuxième partie du corpus comportait une épreuve de diadococinésies. Une série de diadococinésies a donc été proposée sur des syllabes ciblées ayant volontairement un contexte consonnevoyelle (CV) rapproché, comme proposé dans le protocole Monpage (Pernon et al., 2020). Nous avons donc obtenu six séries de trois syllabes identiques de différents niveaux de complexité, avec 3 syllabes de type consonne-voyelle (CV) : « ba ba ba », « de de de », « go go go », et trois syllabes de type consonne-consonne-voyelle (CCV) : « cla cla cla », « tra tra tra », « cla tra ». Le patient devait répéter le plus rapidement et le plus vite possible chaque série de trois syllabes pendant cinq secondes (que nous avons chronométrées). Pour finir, nous avons demandé au patient de nous raconter ce qu’il avait fait avant de venir nous rencontrer. Cela nous a permis de récolter un discours spontané semi-dirigé.

Une fois ce corpus d’épreuves orales enregistré, nous avons demandé au sujet de remplir les deux grilles de questionnaires que nous avons choisies. L’EORCT QLQ H&N35 (European Organisation for Research and Treatment of Cancer Quality of Life Questionnaire Head and Neck Module) évalue la qualité de vie après un cancer ORL. Le sujet devait cocher la fréquence à laquelle les faits décrits par chaque item lui sont arrivés au cours de la semaine passée, reflétant l’état du patient au moment de l’enregistrement (van Sluis et al., 2018). La cotation était ordinale avec 1 pour Pas du tout, 2 pour Un peu, 3 pour Beaucoup et 4 pour Toujours. Cinq items ont une réponse binaire avec 1 pour Oui et 2 pour Non. Ce test comporte plusieurs dimensions thématiques : la douleur (5 items), la déglutition (5 items), l’altération des sens (2 items), la difficulté de parole (4 items), la mâchoire (5 items), l’alimentation en public (3 items), la toux (1 item), le contact social (4 items), l’altération de la sexualité (2 items) et le mal-être (2 items). Le VHI (Voice Handicap Index) permet de connaître le handicap ressenti par les patients de l’étude et le mesure à trois niveaux : fonctionnel, physiologique et émotionnel (Jacobson et al., 1997). Les scores obtenus permettent d’attribuer des grades (mild, moderate, severe) à chaque catégorie du test selon des écarts-types étalonnés (Jacobson et al., 1997).

Résultats

Notre population effectivement étudiée a regroupé pour le groupe VO de 9 hommes et 3 femmes, pour le groupe VTO de 15 hommes et 2 femmes, et pour le groupe T de 4 hommes et 8 femmes. Nos deux groupes de patients VO et VTO présentaient une répartition assez similaire en âge et en sexe. Nous notons que la proportion de femmes du groupe T était nettement supérieure aux deux autres (67% vs. 25% et 12%) et comportait une plus grande hétérogénéité de l’âge avec des sujets de 42 à 87 ans vs. 55 à 84 pour la VO et 57 à 83 pour la VTO. Un test de Mann & Whitney, réalisé pour évaluer la différence d’âge et de sexe entre les groupes, a donné les résultats suivants : une différence de sexe significative entre les groupes VTO et T (Z = -2,98439, p = 0,0029), suggestive entre les groupes VO et T (Z = -1,97, p = 0,048) et non-significative entre les deux groupes de patients (Z = -0,87, p = 0,379). Les différences d’âges entre les groupes sont toutes nonsignificatives (Z = – 1,50 et p = 0,132 pour VO vs. T, Z = -1,22 et p = 0,222 pour VTO vs. T, et Z = 0,63 et p = 0,525 pour VTO vs VO). Nous avons mesuré le temps de parole (en secondes) de la lecture du texte La bise et le soleil. Pour le groupe de patients utilisant la VO, les résultats sont très disparates, allant de 48,5 secondes pour le plus rapide à 139 secondes pour le plus lent. Les sujets des deux autres groupes sont moins variables avec des résultats dans un intervalle plus petit : de 41,4 s à 70 s pour le groupe VTO et de 34,88 s à 58,18 s pour le groupe T. La médiane du groupe T (46,76s) est nettement inférieure à celle du groupe VO (73,94s) et inférieure à celle du groupe VTO (52,07s). Cela nous montre que les VTO lisent un peu moins vite que les T mais que les VO lisent beaucoup moins vite que les T (et que les VTO a fortiori). Les temps de parole des discours spontanés semi-dirigés varient de 3,06s à 39,07s et ce grand écart rend les calculs de vitesse délicats à interpréter. Les diadococinésies utilisées ici pour le calcul de la vitesse de parole durent chacune 5 secondes, le temps de parole de cette composante a donc été le même pour chacun des groupes. A partir de tous ces temps de parole chronométrés, nous avons calculé la vitesse de parole qui se mesure en nombre de syllabes par seconde (s/s). Les résultats de la figure 1 (vitesses de parole des patients VO et VTO, comparées au groupe témoin T) montrent une différence entre chaque diade de séries comparées (rejet de l’hypothèse nulle selon laquelle les séries sont identiques). La vitesse est effectivement plus lente pour les deux groupes de patients que pour les témoins en lecture (teintes claires du diagramme), un résultat nettement plus lent pour les patients en moyenne (2,53 s/s pour la VO, 3,40 s/s pour la VTO et 4,08 s/s pour les témoins) et en particulier pour le groupe VO (différence significative avec le groupe T avec (Z = -3,72 ; p =0,0002). La vitesse de parole en spontané (teinte medium du diagramme) est également ralentie pour les patients VO avec une moyenne de 2,69 s/s vs. 3,39 s/s pour le groupe T même si la différence entre ces deux groupes n’est pas significative (différence non-significative entre le groupe VO et le groupe T (Z = -1,58 ; p = 0.112). En revanche, la moyenne de la vitesse de parole en spontané est légèrement plus élevée pour le groupe VTO avec une moyenne de 3,84 s/s. Le discours spontané a donné des résultats très différents. Un test de Mann Whitney a été réalisé pour comparer les différentes vitesses mesurées. La comparaison entre les groupes VO et T donne une valeur de p significative en lecture (Z = -3,72 ; p = 0,0002) et en diadococinésies (Z = -3,58; p = 0,0003) et une valeur de p non significative en spontané (Z = -1,58 ; p = 0,112). Le même test est réalisé entre les groupes VTO et T avec une valeur  de p suggestive pour la lecture (Z = – 2,76 ; p = 0,005) et les diadococinésies (Z = 2,27 ; p = 0,014) et une valeur de p non significative en spontané (Z = 0,04 ; p = 0,296).

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Table des matières

I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION  
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME

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