Les bactéries et les levures qui cohabitent dans de multiples environnements (tels que le fromage, et les sols forestiers, etc…), interagissent au niveau physique et fonctionnel. Mieux connaître ces interactions et les maîtriser permettraient de répondre aux préoccupations actuelles de notre société en matière de procédés de fabrication des aliments qui préservent la santé humaine, ainsi qu’en matière de production végétale à faibles intrants, qui soit respectueuse de l’environnement. Pourtant jusqu’à récemment, que ce soit dans les procédés de transformation des aliments ou dans les processus de pathogénie des plantes ou des animaux, seul le rôle dominant d’une seule espèce, levure ou bactérie, était appréhendé ; l’existence d’interactions positives ou négatives avec des bactéries ou levures n’était que très rarement pris en compte. En conséquence, pouvoir élucider le déterminisme et la dynamique des associations bactéries-levures, levures-levures et améliorer notre connaissance de l’impact de ces associations sur le fonctionnement biologique des écosystèmes tels que les sols et le fromage et les processus d’intérêt biotechnologique, demeure un enjeu majeur des recherches des dix prochaines années.
LES INTERACTIONS MICROBIENNES AU SEIN D’UN ECOSYSTEME
Un écosystème microbien est composé d’une grande diversité de micro-organismes (levures, bactéries, moisissures et champignons), dans lequel des interactions se mettent en place en fonction des populations présentes mais aussi du milieu dans lequel ces populations se développent. Les écosystèmes apparaissent être des acteurs de première importance dans des domaines extrêmement variés, depuis l’agriculture (rhizosphère, sols, etc) jusqu’aux procédés de transformation des aliments (saucisson, bière, fromage, etc…). Cependant, ils sont encore empiriquement utilisés et surtout très mal compris. Leur compréhension et leur maîtrise représentent un enjeu scientifique, sanitaire et économique et passent par l’identification et la compréhension des interactions qui régissent le fonctionnement de ces écosystèmes.
Définition d’une interaction
Une interaction biologique désigne un processus impliquant des échanges ou relations réciproques entre deux ou plusieurs éléments biologiques (espèces, populations, groupes) dans un écosystème. Les interactions constituent un ensemble complexe de phénomènes biologiques hétérogènes dont la classification s’avère être nécessaire. Si une interaction biologique a lieu entre deux individus issus d’espèces différentes, alors nous parlons d’interaction interspécifique. Si une interaction concerne des individus d’une même espèce, alors elle est dite intra spécifique. Historiquement, les interactions ont été caractérisées par les effets qu’elles produisent, avant même de comprendre le mécanisme biologique impliqué. Six catégories peuvent exister (Figure 1) : Le neutralisme, le mutualisme ou la symbiose, l’inhibition, le commensalisme, le parasitisme ou la prédation et l’amensalisme.
Les différentes interactions microbiennes
Interactions trophiques ou nutritionnelles
Les substances nutritionnelles jouent un rôle important dans l’établissement des interactions entre les différents micro-organismes (Frey-Klett et al., 2011). Une compétition pour les nutriments tels que les sources de carbone (Elad et al., 1985; Sivan et al., 1989), les sources d’azote et le fer (Elad et al., 1985;Whipps et al., 2001; Sieuwerts et al., 2008; Irlinger et al., 2009), est observée dans la rhizosphère où les bactéries entrent en compétition pour ces nutriments avec des champignons qui peuvent être pathogènes pour la plante. De même une telle compétition est observée également dans les écosystèmes fromagers (paragraphe I.C).
Dans d’autres cas, les bactéries et les champignons peuvent profiter mutuellement l’un de l’autre, et ceci par la production de certains composés par l’un des partenaires qui ne peuvent pas être synthétisés par l’autre ou qui sont produits en quantités trop faibles (Frey-Klett et al., 2011). A titre d’exemple, les bactéries de la mycorrhize produisent de l’acide citrique et de l’acide malique qui sont métabolisés par Laccaria bicolor, favorisant ainsi sa croissance (Duponnois et al., 1990). De même, la thiamine (vitamine B1) produite par les bactéries favorise la croissance de Debaryomyces vanriji en interaction avec Bacillus sp. TB-1 (Rikhvanov et al., 1999), et la croissance de L. biocolor S238N en interaction avec Pseudomonas fluorescens BBc6R8 (Deveau et al., 2010). De leur côté, les champignons ectomycorrhiziens peuvent produire des acides organiques ou des sucres comme le tréhalose, qui peuvent influencer la composition et la croissance des bactéries associées (Frey et al., 1997; Olsson and Wallander, 1998). Similairement, grâce à la présence de Geotrichum candidum et à son activité désacidifiante, Salmonella peut pousser et croître sur la surface des tomates (Wade et al., 2003). De plus, la présence de S. cerevisiae dans le jus de raisin ou dans un milieu synthétique riche en glucose permet la croissance et la viabilité de Pseudomonas putida, et ceci en diminuant la concentration en acides gluconiques produits par cette bactérie (Romano and Kolter, 2005). Chez les plantes, S. cerevisiae permet à Lactobacillus plantarum d’utiliser le L-arabinose formant la fraction ligno-cellulosique (Sieuwerts et al., 2008).
Un autre exemple de commensalisme est celui de Klebsiella aerogenes et de Cryptococcus neoformans. C. neoformans est capable d’utiliser l’acide homogentésique, produit par K. aerogenes, comme un précurseur pour la biosynthèse des pigments de mélanine. Cette synthèse augmente la virulence de la levure et lui permet de se protéger contre les rayons UV et contre les différentes sources de stress (Frases et al., 2006; Frases et al., 2007) .
Interaction par antibiose
L’antibiose est une communication qui se fait par diffusion de molécules chimiques d’un micro-organisme vers un autre. La connaissance de ce domaine a permis le développement de nombreux antibiotiques qui sont utilisés pour la défense contre les infections microbiennes. Un exemple courant est la « pénicilline » qui est produite lors de l’antibiose entre Penicillium et Staphylococcus. Cette catégorie d’interaction existe dans le domaine clinique ainsi que dans les sols forestiers (Frey-Klett et al. 2011).
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Table des matières
INTRODUCTION
SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
I. LES INTERACTIONS MICROBIENNES AU SEIN D’UN ECOSYSTEME
I.A. Définition d’une interaction
I.B. Les différentes interactions microbiennes
I.B.1. Interactions trophiques ou nutritionnelles
I.B.2. Interaction par antibiose
I.B.3. Interaction par chimiotaxie et par contact physique
I.B.4. Les biofilms
I.B.5. Le « Quorum sensing »
a. Le « Quorum sensing » chez les bactéries
b. Le « Quorum sensing » chez les levures
c. Les communications bactéries-levures
I.C. Exemple d’un écosystème microbien: le fromage
I.C.1. Le fromage: un écosystème complexe
I.C.2. La fabrication du fromage
I.C.3. Les acteurs de l’écosystème fromager
I.C.3.1. Les levures
a. Genre Yarrowia
b. Genre Debaryomyces
I.C.3.2. Les bactéries
a. Genre Brevibacterium
b. Genre Arthrobacter
c. Genre Pseudomonas
I.C.4. Les différents types d’interaction: exemples des produits laitiers
a. Amensalisme
b. Compétition
c. Parasitisme
d. Commensalisme
e. Mutualisme
II. LE DIMORPHISME
II.A. Le dimorphisme chez Saccharomyces cerevisiae
II.A.1. Les facteurs responsables du dimorphisme
II.A.2. Les voies de signalisation impliquées dans le contrôle du dimorphisme
II.B. Le dimorphisme chez Candida albicans
II.B.1. Les facteurs responsables du dimorphisme
II.B.2. Les voies de signalisations qui contrôlent le dimorphisme
II.C. Le dimorphisme chez Yarrowia lipolytica
II.C.1. Les facteurs responsables du dimorphisme
II.C.2. Les voies de signalisation qui contrôlent le dimorphisme
II.C.3. Le « mating » et son rôle dans le dimorphisme
RESULTATS-DISCUSSION
I. Etude de l’interaction entre deux levures fromagères Yarrowia lipolytica et Debaryomyces hansenii sur un milieu chimiquement défini (MCD)
A. Introduction
B. Publication n°1: Adaptive response of Debaryomyces hansenii in co-culture with Yarrowia lipolytica: switch from respiratory to fermentative metabolism
C. Conclusions
II. Effet de la thiamine sur la morphologie et la croissance de la levure Yarrowia lipolytica 1E07
A. Introduction
B. Publication n°2: Transcriptomic study revealing the effect of thiamin on the morphology of Yarrowia lipolytica
C. Conclusions
III. Effet des bactéries sur la croissance et la morphologie de la levure Yarrowia lipolytica 1E07
A. Introduction
B. Confrontations de la levure Yarrowia lipolytica 1E07 avec différentes bactéries sélectionnées
C. Dosage de la thiamine
D. Etude transcriptomique de Yarrowia lipolytica 1E07
a. Conditions expérimentales pour l’étude transcriptomique
b. Résultats transcriptomiques
E. Validation des données transcriptomiques par RT qPCR
F. Conclusions
CONCLUSION
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