Les différentes catégories d’enveloppes bactériennes
Il existe plusieurs façons de classifier les bactéries. Les plus anciennes classifications se basent sur des caractères phénotypiques, tels que la morphologie des cellules et leur vitesse de croissance. Avec l’amélioration des techniques, de nouvelles classifications ont été développées, basées sur la comparaison des séquences des sous-unités 16S de l’acide ribonucléique (ARN) ribosomal, ou plus récemment le séquençage des génomes entiers (Schleifer, 2009). Une ancienne méthode reste cependant très utilisée en microbiologie : la coloration de Gram. Développée à la fin du XIXème siècle par Hans Christian Gram, elle permet de différencier les bactéries selon la structure de leur paroi (Moyes et al., 2009). Cette technique repose sur l’incubation des bactéries avec du violet de Gentiane suivie d’une décoloration avec un alcool. Les bactéries capables de conserver la coloration dans leur enveloppe apparaissent violettes et sont dites Gram-positives (Figure 1). A l’inverse, les bactéries décolorées par l’action de l’alcool sont dites Gram-négatives. Cette différence traduit une architecture d’enveloppe fondamentalement différente. Les bactéries Grampositives sont dotées d’une membrane plasmique entourée d’un peptidoglycane très épais tandis que les bactéries Gram-négatives possèdent une membrane plasmique et une membrane externe, séparées par un peptidoglycane de faible épaisseur (Figure 1) (Silhavy et al., 2010). Pour cette raison, elles sont souvent désignées sous le nom de bactéries monodermes et didermes, respectivement. Il y a cependant quelques exceptions à ce classement bipartite. Les bactéries de la famille des Corynebacteriales dont font partie les mycobactéries, sont classées parmi les Gram-positives en raison de l’homologie des séquences de leurs sous-unités 16S de l’ARN ribosomal avec celles des bactéries Gram-positives (Olsen and Woese, 1993). Cependant, elles ne retiennent que très peu la coloration de Gram. Structuralement, leur enveloppe ne contient qu’une mince couche de peptidoglycane et ne contient pas d’acides téichoïques, contrairement à l’enveloppe des bactéries Gram-positives (Figure 1). Une analyse phylogénétique réalisée sur la mycobactérie pathogène Mycobacterium tuberculosis et sur une dizaine d’espèces bactériennes différentes classe le génome de cette mycobactérie comme étant plus proche du génome des bactéries Gram-négatives que Grampositives, par comparaison de paires de gènes conservés (Fu and Fu-Liu, 2002). Cette proximité avec les bactéries Gram-négatives est également observable au niveau de la structure de leurs enveloppes, détaillées ci-après. En revanche, les constituants de ces enveloppes diffèrent drastiquement. L’enveloppe mycobactérienne constitue donc un troisième type d’enveloppe bactérienne (Figure 1). Plutôt que l’utilisation de la coloration de Gram, les mycobactéries et les corynebactéries sont mises en évidence par la coloration de Ziehl-Neelsen, qui consiste à colorer les cellules à la fuchsine puis à les décolorer avec un acide suivi d’un alcool fort (Bishop and Neumann, 1970). Ces bactéries sont appelées acido-alcoolo résistantes car leur décoloration est impossible du fait de la structure spécifique de leur paroi, très riche en lipides.
Le peptidoglycane
La membrane plasmique est entourée par le peptidoglycane, un polymère formé d’unités répétées du disaccharide N-acétylglucosamine-acide N-acétylmuramique liées en β1,4 (Figure 1). Ces chaines polysaccharidiques sont reliées entre elles via des chaines peptidiques fixées sur l’acide N-acétylmuramique. Ces peptides forment une liaison covalente, le plus souvent entre l’acide aminé en position 4 d’un premier peptide et l’acide aminé en position 3 d’un peptide adjacent (liaison « 4-3 ») (Vollmer et al., 2008). Le peptidoglycane confère sa rigidité à la paroi et contrecarre la pression de turgescence générée par le cytoplasme. Il détermine donc la forme de la bactérie, qui peut fortement varier selon les espèces. De nombreuses bactéries ont une forme de bâtonnet, appelée bacille. C’est le cas notamment de la bactérie Gram-négative Escherichia coli et de la bactérie Gram-positive Bacillus subtilis. D’autres sont des coques (bactéries des genres Neisseria et Staphylococcus) ou encore des bâtonnets incurvés (Vibrio et Caulobacter). Une des différences fondamentales entre les bactéries Gram-négatives et Grampositives est l’épaisseur du peptidoglycane : chez les premières, il mesure environ 10 nm, contre 30 à 100 nm pour les secondes (Silhavy et al., 2010). Chez les bactéries Gram-positives, le peptidoglycane sert d’ancrage à des glycopolymères spécifiques : les acides téichoïques (AT) (Figure 1). Les acides lipotéichoïques (lipo-AT) sont ancrés à la membrane plasmique par des acides gras tandis que les AT pariétaux sont covalemment liés au peptidoglycane au niveau de l’acide N-acétylmuramique et plus ou moins exposés en surface de la bactérie. Ces derniers représentent jusqu’à 60% de la masse de l’enveloppe. Il existe cinq types de lipo-AT, mais les mieux caractérisés sont les lipo-AT de type I et de type IV (Rohde, 2019). Les lipo-AT de type I sont les plus abondants, constitués d’unités répétées de polyglycérolphosphate et d’une ancre glycolipidique. Les lipot-AT de type IV sont plus complexes et sont constitués, en plus de l’ancre glycolipidique, d’unités répétées d’un pseudopentasaccharide contenant du galactose modifié, du glucose, du polyribitolphosphate et deux unités de N-acétylgalactosamine (Percy and Gründling, 2014). La présence des lipo-AT et des AT pariétaux n’est pas strictement requise pour la croissance bactérienne mais la délétion commune des deux groupes est létale. Ces molécules semblent avoir un rôle dans la division cellulaire. En effet, la délétion de la protéine LtaS, impliquée dans la biosynthèse des lipo-AT, génère la filamentation de B.subtilis, un phénotype typiquement observé lorsque les cellules ne parviennent pas à se diviser (Percy and Gründling, 2014). La perte des AT pariétaux génère de nombreuses anomalies morphologiques comme un arrondissement des bacilles B. subtilis et Listeria monocytogenes, soulignant le rôle important de ces molécules pour la localisation et/ou le bon fonctionnement des machineries d’élongation et de division cellulaires (Brown et al., 2013). Chez les bactéries Gram-négatives, le peptidoglycane est localisé au sein du périplasme, un compartiment hydrophile dense en protéines, délimité par la membrane plasmique d’une part et par la membrane externe d’autre part. Contrairement au cytoplasme, le périplasme est un milieu oxydant qui permet la formation de ponts disulfures au sein des protéines. Il permet de séquestrer les enzymes toxiques pour le cytoplasme. Il contient également les machineries de sécrétion des constituants de la membrane externe (Miller and Salama, 2018). Les bactéries Gram-positives ne possèdent pas à proprement parler de périplasme car elles sont dépourvues de membrane externe qui délimite et isole ce compartiment de l’extérieur de la cellule. En revanche, des observations par microscopie électronique ont montré, comme chez les bactéries Gram-négatives, l’existence d’un espace entre la membrane plasmique et le peptidoglycane (Zuber et al., 2006).
Généralités sur les mycobactéries
Les mycobactéries sont des bacilles aérobies strictes, asporulés et non mobiles, appartenant à la classe des actinobactéries, dans l’ordre des Corynebacteriales et plus précisément dans la famille des Mycobacteriaceae. Récemment, une analyse phylogénétique d’environ 2000 protéines centrales de 150 espèces mycobactériennes a permis de diviser cette famille en cinq genres distincts : Mycobacterium (clade Tuberculosis-Simiae), Mycobacteroides (clade Abscessus-Chelonae), Mycolicibacillus (clade Triviale), Mycolicibacter (clade Terrae) et Mycolicibacterium (clade Fortuitum-Vaccae) (Figure 4) (Gupta et al., 2018). Chaque genre comporte des marqueurs moléculaires (protéines et indels) spécifiques, en plus des marqueurs moléculaires conservés chez toutes les espèces mycobactériennes. Les espèces marquées en gras ont été analysée dans l’étude. La lettre T suivant un nom d’espèce identifie l’espèce-type de chaque genre. Le classement des autres espèces dont les génomes n’ont pas été séquencés a été effectué par analyse de la séquence 16S de l’ARN ribosomal. Les espèces dont les noms ne sont pas en italique et sont entre guillemets n’ont pas été validées par publication. Adapté de Gupta et al., 2018. Les 188 espèces de mycobactéries répertoriées à ce jour sont divisées en deux groupes en fonction de leur caractère pathogène. Les pathogènes stricts incluent les bactéries du complexe M. tuberculosis (MTBC), un ensemble d’espèces responsables de la tuberculose chez l’Homme et l’animal, ainsi que Mycobacterium leprae, responsable de la lèpre. Les mycobactéries restantes sont regroupées au sein des mycobactéries non tuberculeuses (MNT) un large groupe comprenant des mycobactéries pour la plupart saprophytes mais également des pathogènes opportunistes. Les MNT sont divisées en deux groupes en fonction de leur vitesse de croissance. Les mycobactéries à croissance lente forment des colonies sur boite en plus de sept jours, tandis que les mycobactéries à croissance rapide forment des colonies en moins de sept jours. En 1959, Ernest Runyon est le premier à avoir proposé une classification des MNT en quatre catégories basées sur leur production de pigments, où les trois premières catégories regroupent les bactéries à croissance lente et la quatrième, les mycobactéries à croissance rapide (Runyon, 1959). Trente ans plus tard, une nouvelle méthode de classification a été proposée, basée non plus sur des critères phénotypiques mais sur la comparaison des séquences de l’ARN ribosomique 16S (Olsen and Woese, 1993). Cette méthode a permis la classification de la plupart des MNT. Certaines espèces ne pouvant cependant pas être clairement classées par cette méthode, l’utilisation d’autres gènes de ménages comme marqueurs a également été proposée, comme la comparaison des séquences codantes pour les protéines Hsp65 ou RpoB (Kim et al., 2005). Enfin, l’amélioration des techniques de séquençage a permis l’entrée dans une nouvelle ère, avec l’analyse des variations d’un seul nucléotide au sein d’un même gène, le séquençage multi-locus et le séquençage sur génome entier. Ces avancées précisent encore d’avantage la classification des MNT (Fedrizzi et al., 2017).
Le peptidoglycane
Le peptidoglycane des mycobactéries, comme celui des bactéries Gram-négatives et Gram-positives, est composé d’unités répétées de N-acétylglucosamine et d’acide Nacétylmuramique liées en β-1,4, reliées par des chaines latérales peptidiques de nature proches de celles retrouvées chez E. coli, avec quelques modifications selon les espèces (Figure 7A) (Pavelka Jr. et al., 2014). En revanche, l’acide muramique peut être N-acétylé ou N-glycolylé, cette dernière modification semblant uniquement retrouvée chez les mycobactéries. Elle semble notamment participer à la résistance des mycobactéries au lysozyme (Raymond et al., 2005). Une autre caractéristique du peptidoglycane mycobactérien est le taux de liaisons covalentes qui relient les chaines polysaccharidiques via les peptides, qui est d’environ 70-80% contre 50% pour E. coli (Daffé and Marrakchi, 2019). Ces liaisons covalentes sont établies entre l’acide aminé en position 4 d’un premier peptide et l’acide aminé en position 3 d’un peptide adjacent (liaison « 4-3 »), classiquement retrouvée chez les bactéries. Chez les mycobactéries, un autre type de liaison (« 3-3 ») est prédominant, à hauteur de plus de 60% du taux de liaison total. Ces liaisons sont catalysées par les L-D transpeptidases, qui sont résistantes à l’action de la plupart des antibiotiques β-lactames (Mainardi et al., 2005).
Les triacylglycérols et dérivés
Les triacylglycérols (TAG) sont des molécules contenant un glycérol acylé par trois acides gras simples. Comme pour les eucaryotes, les TAG servent au stockage de l’énergie de la cellule, une propriété particulièrement importante pour la survie des bacilles en condition d’infection (Maurya et al., 2019). Bien qu’en grande partie présents sous forme de corps d’inclusions dans le cytoplasme, ces lipides sont également retrouvés en quantité non négligeable dans l’enveloppe (Bansal-Mutalik and Nikaido, 2014). Leur rôle précis dans ce compartiment reste encore à élucider. Le monomeromycoloyl-diacylglycérol (mmDAG), également appelé monomycobacteroyl diacylglycérol, est un triacylglycérol particulier dont un des acides gras simple est remplacé par la chaine principale d’un acide mycolique (la chaine méromycolique) (Kremer et al., 2005). Ce lipide est présent en faibles quantités dans l’enveloppe de certaines mycobactéries parmi lesquelles le pathogène Mycobacterium kansasii et l’espèce environnementale M. smegmatis et pourrait avoir des rôles similaires au triacylglycérol dans le stockage d’énergie. Il est également évoqué que ce lipide pourrait servir de donneur de chaine méromycolique pour la synthèse des acides mycoliques (Kremer et al., 2005).
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Table des matières
Introduction
I. Les différentes catégories d’enveloppes bactériennes
II. Les enveloppes Gram-négative et Gram-positive
II.1) Structure des enveloppes Gram-négative et Gram-positive
II.1.1) La membrane plasmique
II.1.2) Le peptidoglycane
II.1.3) Spécificité de l’enveloppe Gram-négative : la membrane externe
II.1.4) La capsule
II.2) Assemblage des enveloppes Gram-négative et Gram-positive
II.2.1) Transport des constituants spécifiques de l’enveloppe Gram-négative
II.2.2) Transport des constituants spécifiques de l’enveloppe Gram-positive
III. Les mycobactéries et leur enveloppe
III.1) Généralités sur les mycobactéries
III.1.1) Les mycobactéries pathogènes strictes
III.1.2) Les mycobactéries non tuberculeuses
III.2) L’enveloppe des mycobactéries
III.2.1) La membrane plasmique
III.2.2) La paroi mycobactérienne : le complexe mAGP
III.2.3) Les lipides extractibles de la mycomembrane
III.2.4) La capsule
IV. Biosynthèse des lipides de la mycomembrane
IV.1) Les loci chromosomiques dédiés à la biosynthèse des lipides de la mycomembrane
IV.2) Les protéines impliquées dans la biosynthèse des lipides de la mycomembrane
IV.2.1) Les systèmes FAS
IV.2.2) Les polykétides synthases
IV.2.3) Les peptides synthétases non ribosomiques
IV.2.4) Les protéines FadD
IV.2.5) Les protéines Pap
IV.2.6) Les acyltransférases (hors Pap)
V. Le transport des lipides de la mycomembrane
V.1) Les transporteurs MmpL
V.1.1) Les MmpL impliqués dans le transport des lipides extractibles
V.1.2) Structure et mécanisme d’action des MmpL
V.2) Les autres protéines associées au transport des lipides de la mycomembrane
V.2.1) Les protéines MmpS
V.2.2) Les protéines Gap-like
V.2.3) Les lipoprotéines
V.2.4) Les protéines partenaires de MmpL3
VI. Assemblage de l’enveloppe mycobactérienne au cours du cycle cellulaire
VI.1) Le cycle cellulaire atypique des mycobactéries
VI.1.1) Polarité et asymétrie
VI.1.2) Mécanismes et acteurs de la division cellulaire chez les mycobactéries
VI.1.3) Mécanismes et acteurs de l’élongation cellulaire chez les mycobactéries
VI.2) Assemblage de la mycomembrane lors du cycle cellulaire
VI.2.1) Localisation des protéines impliquées dans la biosynthèse et le transport des constituants de la mycomembrane
VI.2.2) Dynamique de synthèse et d’export des constituants de la mycomembrane
VI.3) Les problématiques liées à l’assemblage de la mycomembrane
Projet de recherche : Le modèle TPP pour l’étude de l’export des lipides de la mycomembrane
Etude topologique de la protéine PE, impliquée dans la synthèse finale des TPP
I. Contexte de l’étude et objectifs
II. Résultats
III. Discussion et perspectives
Localisation de l’export des TPP lors du cycle cellulaire chez M.smegmatis
I. Contexte de l’étude et objectifs
II. Résultats
II.1) Localisation du transporteur MmpL10 dans la membrane plasmique de M. smegmatis au cours du cycle cellulaire
II.2) Coordination entre la localisation de MmpL10 et certaines protéines impliquées dans le cycle cellulaire
II.3) Comparaison des localisations de MmpL10 et MmpL3 dans M. smegmatis
III. Discussion et perspectives
Conclusion générale
Annexe
Références bibliographiques
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