Etude des mécanismes de transfert de molécules organiques en osmose inverse

Généralités 

Principe 

L’osmose inverse est un procédé de filtration tangentielle qui permet l’extraction d’un solvant, le plus souvent l’eau, par perméation sélective à travers une membrane dense sous l’action d’un gradient de pression (Fell 1995). Elle s’oppose au phénomène naturel d’osmose qui tend à transférer le solvant d’une solution diluée vers une solution concentrée mises en contact par une membrane sélective sous l’action du gradient de concentration (Figure I-1). Lorsqu’une pression est appliquée sur le compartiment le plus concentré, le flux de solvant diminue jusqu’à s’annuler pour une pression égale à la pression osmotique de la solution. Lorsque la pression appliquée est supérieure à cette pression osmotique, le flux s’inverse : c’est le phénomène d’osmose inverse. La pression efficace correspond donc à la pression de part et d’autre de la membrane (pression transmembranaire, Ptm) diminuée de la différence de pression osmotique (∆Π) de part et d’autre de la membrane.

Pour les solutions diluées, considérées comme thermodynamiquement idéales, la pression osmotique est calculée à partir de l’équation de Van’t Hoff (Maurel 1998) :

Π = CRT I-1

Π : pression osmotique de la solution, Pa
C : concentration de la solution, mol.m-3
R : constante des gaz parfait, 8,31 J.mol-1.K-1
T : température, K

Au cours du procédé, sous l’action de la pression transmembranaire, la solution à traiter, l’alimentation de concentration CA et de volume VA, se sépare en deux flux au niveau de la membrane de surface Smb (Figure I-2) : l’un, de concentration CP, de débit DP, de volume VP et de pression relative PP, passe à travers celle-ci et constitue le perméat ; l’autre, de concentration CRs, de débit DRs, de volume VRs et de pression relative PRs est retenu et devient le rétentat. Par convention, de manière à rester clair selon les modes de fonctionnement, nous appellerons alimentation ce qui est dans la cuve, rétentat-entrée (concentration CRe, débit DRe, pression relative PRe) ce qui arrive réellement sur la membrane et rétentat-sortie ce qui est retenu et récupéré à la sortie du module membranaire.

Membranes et Modules 

L’osmose inverse n’a pu se développer que grâce à la mise au point de techniques permettant de préparer des films polymères d’épaisseur très faible, sans quoi les surfaces membranaires à mettre en œuvre pour avoir un rendement suffisant auraient été gigantesques. Les membranes utilisées sont donc asymétriques (plusieurs couches d’épaisseur différente) et composites (plusieurs matériaux différents). Les premières membranes d’osmose inverse étaient constituées d’acétate de cellulose asymétrique. Aujourd’hui, la majorité des membranes d’osmose inverse ont une couche active constituée de polyamide aromatique déposé sur un support polysulfone sur polyester, présentant une meilleure tenue mécanique, chimique et thermique et générant des densités de flux plus élevées. Elles sont donc en général composées de 3 couches (Figure I-3) :
– La base (~100 µm), formée d’un matériau inerte type textile tissé ou non (ex : polyester téréphtalique), assure la résistance physique du film. Elle est trop grossière pour permettre le dépôt en couche mince de la partie active.
– Le support (~50 µm) est une membrane d’ultrafiltration aux pores plus fins, calibrés (ex : polysulfone). Il assure la résistance mécanique de l’ensemble.
– La couche active superficielle (~0,1 à 0,2 µm) permet la séparation des espèces. Elle est déposée sur le support. Le polymère le plus employé est le polyamide aromatique. Il est traité différemment selon les fabricants et les modèles employés.

La première étape de la synthèse des membranes consiste à déposer la couche de polysulfone sur la base en polyester. La couche de polyamide est ensuite obtenue par polymérisation interfaciale entre une diamine en solution aqueuse et un chlorure d’acyle dans un solvant organique comme l’hexane (Figure I-4) (Kwak et al. 2001). Cette technique permet d’obtenir une couche à la fois très fine et rugueuse (Tang et al. 2007).

Du fait de leur nature organique, les membranes doivent être utilisées dans des conditions assez restreintes. Leur résistance chimique est limitée en fonctionnement à une gamme de pH généralement comprise entre 2 et 11 sous peine d’hydrolyser les liaisons amides. De plus, les températures maximales de fonctionnement sont de l’ordre de 50°C (Chaufer et al. 1998). Le chlore, utilisé comme agent de désinfection doit être limité car il conduit à une halogénation des noyaux aromatiques porteurs de fonctions amines. Cette réaction provoque une augmentation du flux et une diminution de la rétention en sels (Chaufer et al. 1998). En revanche, le polyamide présente une bonne tenue bactérienne (Maurel 1998).

L’ajout dans la phase aqueuse d’un agent de polarité intermédiaire entre l’eau et le solvant (DMSO, alcools) permet d’obtenir des membranes dont la rugosité est plus importante. Ainsi, la densité de flux est plus élevée, tout en maintenant un bon taux de rétention (Hirose et al. 1996 ; Kwak et al. 2001). Les membranes sont intégrées dans des modules qui leur tiennent lieu de support mécanique. Ils doivent tenir aux fortes pressions mises en jeu dans le procédé et être conçus de manière à minimiser la perte de charge, la polarisation de concentration et l’encrassement. Ils doivent de plus être compacts, faciles à installer et avoir un coût le moins élevé possible. Les modules utilisés dans les procédés membranaires sont de type plans, tubulaires, spiralés ou à fibres creuses. Cependant en OI, les modules spiralés sont majoritairement employés, ainsi que les fibres creuses. Ces deux types de modules ont l’avantage d’être compacts et peu chers, ils présentent de faibles volumes morts et nécessitent une faible consommation énergétique (Liou 1998).

Les modules spiralés sont des cylindres multicouches constitués d’une superposition de feuillets de membranes enroulés autour d’un tube percé qui collecte le perméat (Figure I-6). Ce dernier s’écoule selon un chemin spiralé vers le tube central tandis que le rétentat circule le long de l’axe dans les canaux formés par les feuillets de membranes.

Mode de fonctionnement

Dans le cas du traitement de l’eau, le mode continu est largement utilisé, sans recirculation du rétentat. Les modules spiralés sont agencés en série dans des carters de pression pouvant accueillir jusqu’à 7 modules. Ces carters sont positionnés en parallèle pour former un train. Plusieurs trains forment alors un étage. Selon les applications et les membranes utilisées, la disposition des modules peut être étagée par rapport au rétentat ou au perméat (Figure I-7, étages par rapport au rétentat) pour former une cascade. Dans les deux cas, comme la quantité de liquide à traiter diminue, la surface membranaire diminue d’un étage à l’autre de manière à maintenir un débit suffisamment élevé dans chaque module (Fell 1995).

Le cas présenté ici (Figure I-7) est étagé par rapport au rétentat. Le premier étage est formé de quatre trains et le second de deux trains. Les perméats sont collectés ensemble pour leur utilisation ultérieure. Lorsque le volume est faible ou pour des études prospectives, il est possible de travailler en mode discontinu avec recirculation du rétentat-sortie et extraction du perméat (Figure I-2). Le FRV représente alors l’avancée du traitement. En mode continu, chaque étage travaille à un FRV donné qui dépend du taux de conversion de l’étage précédent. Par exemple, le premier étage voit arriver l’alimentation (FRV = 1). Avec un taux de conversion de 75% (débit de perméat de 75 L.h-1 pour un débit de rétentat-entrée de 100 L.h-1), le rétentat-sortie a atteint un FRV de 4 et son débit est de 25 L .h-1. Il alimente le deuxième étage, dont la surface membranaire doit être plus faible que celle du premier. Si son taux de conversion est de 50%, le FRV de sortie sera de 8. Les installations sont par ailleurs toujours précédées d’une unité de filtration (filtre à sable par exemple) pour éliminer toute particule susceptible d’endommager les pompes « haute pression » et les membranes.

La concentration en soluté étant supérieure près de la membrane, la pression osmotique l’est aussi. La pression efficace du système s’en trouve diminuée, ainsi que la densité de flux de perméat (Sridhar et al. 2002 ; Madaeni et Mansourpanah 2003). Cela peut également conduire à un passage plus important des solutés dont le taux de rétention diminue. De plus, si l’on atteint la limite de solubilité des sels, ces derniers peuvent précipiter sur la membrane et en modifier les performances. Les sels les plus courants dans les solutions traitées par osmose inverse sont le sulfate de calcium et de baryum, la silice active ainsi que le carbonate et le phosphate de calcium (Wilf 2005). La polarisation de concentration favorise également le colmatage par formation d’une couche de gel ou par adsorption de composés organiques (Sablani et al. 2001 ; Al-Wazzan et al. 2003). La propension d’un liquide à colmater les membranes est évaluée par une mesure empirique de l’indice de colmatage ou Silt Density Index (SDI, annexe I.1). Le principe consiste à mesurer le temps de passage d’un volume d’eau à traiter connu à travers une membrane filtrante de porosité calibrée à 0,45 µm, neuve et après 15 min de filtration. Une formule établie convertit ce temps en indice. Le mode opératoire est simple et rapide, l’appareillage léger et adapté à des mesures sur site. Cependant, cette mesure ne réagit pas de manière linéaire d’un colmatant à l’autre (Abdel-Jawad et al. 2002). Le colmatage peut parfois avoir un effet positif sur la rétention (Madaeni et Mansourpanah 2003). En effet, il peut se former une membrane dynamique qui régule la perméabilité et la sélectivité de la membrane, de telle sorte que ses propriétés intrinsèques n’ont plus aucune influence. Dans la pratique, le taux de rétention du chlorure de sodium (NaCl) peut être vérifié avant et après chaque essai pour s’assurer de l’absence de colmatage et de la bonne intégrité structurale de la membrane (Kosutic et al. 2000). Cependant, il est en général suffisant de contrôler la densité de flux à l’eau dans des conditions standard. Lorsque les performances standard ne sont pas conformes aux performances initiales de la membrane ou lorsque la valeur de la densité de flux de perméat en fonctionnement atteint 80% de sa valeur initiale (Wilf 2005), la membrane subit un nettoyage chimique. Ce nettoyage peut être effectué avec des solutions acides (acide chlorhydrique, citrique, nitrique), basiques (soude, potasse) ou contenant un pourcentage de solvant (méthanol) selon les espèces à éliminer. Le colmatage peut être accentué aux fortes pressions et/ou fortes densités de flux, l’accumulation d’espèces près de la membrane étant alors plus importante. C’est pourquoi pour le traitement d’effluents colmatants, les densités de flux maximales conseillées par les fournisseurs sont de l’ordre de 25-30 L.h-1 .m -2. De plus, à des pressions élevées, la couche colmatante est susceptible d’être compactée (Li et al. 2007), entraînant des modifications de la densité de flux de perméat et des taux de rétention.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE
I.1. GENERALITES
I.1.1. PRINCIPE
I.1.2. MEMBRANES ET MODULES
I.1.3. MODE DE FONCTIONNEMENT
I.1.4. POLARISATION DE CONCENTRATION ET COLMATAGE
I.1.5. INFLUENCE DES PARAMETRES OPERATOIRES
I.2. APPLICATIONS DE L’OSMOSE INVERSE
I.2.1. DIVERSITE D’APPLICATIONS
I.2.2. DIVERSITE DE MOLECULES A SEPARER
I.2.3. COUPLAGE AVEC D’AUTRES PROCEDES
I.2.4. CONDITIONS DE FONCTIONNEMENT
I.2.5. CONCLUSION
I.3. INTERACTIONS ET PROPRIETES DE SEPARATION
I.3.1. EFFETS STERIQUES
I.3.2. INTERACTIONS ELECTROSTATIQUES
I.3.3. ADSORPTION
I.3.4. INFLUENCE DES SOLUTES ENTRE EUX
I.3.5. CONCLUSION
I.4. MODELES DE TRANSFERT DE MATIERE
I.4.1. THERMODYNAMIQUE IRREVERSIBLE
I.4.2. MODELES DE SOLUBILISATION-DIFFUSION
I.4.3. MODELES DE PORES
I.4.4. PRISE EN COMPTE DES CHARGES DU SOLUTE ET DE LA MEMBRANE
I.5. PROBLEMATIQUE ET OBJECTIFS
CHAPITRE II MATERIELS ET METHODES
II.1. METHODES DE QUANTIFICATION DES SOLUTES
II.1.1. CRITERES D’EVALUATION DES METHODES D’ANALYSE
II.1.2. METHODE D’ANALYSE PAR CPG
II.1.3. METHODE D’ANALYSE PAR HPLC.
II.1.4. COMPARAISON DES METHODES
II.2. INHIBITION ET TEST DE FERMENTATION
II.2.1. INHIBITION DE LA FERMENTATION
II.2.2. DESCRIPTION ET AMELIORATION DU TEST DE FERMENTATION
II.3. SELECTION DES MEMBRANES
II.3.1. DESCRIPTION DES ESSAIS
II.3.2. RESULTATS ET DISCUSSION
II.3.3. CRITERES DE SELECTION ET CONCLUSION
II.4. ESSAIS D’OSMOSE INVERSE
II.4.1. DESCRIPTION DU PILOTE D’OSMOSE INVERSE
II.4.2. CONDUITE DES ESSAIS
II.4.3. TRAITEMENT DES RESULTATS
II.5. CONCLUSION DU CHAPITRE II
CHAPITRE III COMPREHENSION DES MECANISMES D’INTERACTIONS
III.1. CARACTERISTIQUES DES MOLECULES CIBLES
III.2. DETERMINATION DE LA CHARGE DES MEMBRANES : MESURES DE POTENTIEL ZETA
III.2.1. THEORIE
III.2.2. MODE OPERATOIRE
III.2.3. RESULTATS ET DISCUSSION
III.3. MESURES D’ANGLES DE CONTACT
III.3.1. PRINCIPE
III.3.2. MODE OPERATOIRE
III.3.3. RESULTATS ET DISCUSSION
III.3.4. BILAN DE LA CARACTERISATION DES MEMBRANES
III.4. CARACTERISATION DES INTERACTIONS PAR MESURE DE L’ADSORPTION
III.4.1. CONSIDERATIONS THEORIQUES
III.4.2. MODE OPERATOIRE
III.4.3. RESULTATS DES ISOTHERMES D’ADSORPTION ET DISCUSSION
III.4.4. RESULTATS DES CINETIQUES D’ADSORPTION ET DISCUSSION
III.5. CONCLUSION DU CHAPITRE III
CHAPITRE IV ETUDE DU PROCEDE
IV.1. DESCRIPTION DES ESSAIS
IV.2. INFLUENCE DES CONDITIONS OPERATOIRES SUR LES PERFORMANCES DU PROCEDE
IV.2.1. DENSITES DE FLUX DE PERMEAT
IV.2.2. TAUX DE RETENTION
IV.2.3. PERFORMANCES ET INTERACTIONS
IV.3. TRAITEMENT DU CONDENSAT INDUSTRIEL
IV.3.1. INFLUENCE DE LA PRESSION TRANSMEMBRANAIRE
IV.3.2. INFLUENCE DU PH
IV.3.3. INFLUENCE DU FRV
IV.3.4. CONCLUSION DU TRAITEMENT DU CONDENSAT INDUSTRIEL
IV.4. MODELISATION DES TRANSFERTS DE MATIERE
IV.4.1. DESCRIPTION DU MODELE
IV.4.2. VALIDITE DU MODELE
IV.4.3. SIMULATION DU PROCEDE
IV.5. CONCLUSION DU CHAPITRE IV
CONCLUSION GENERALE

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