Le renfort : fibres de carbone
Largement utilisées dans le secteur aérospatial en raison de ses hautes performances mécaniques, les fibres de carbone sont obtenues à partir de polycrylonitrile (PAN) ou de brais mésophases [Dupupet2008]. Cependant, il est industriellement plus intéressant d’élaborer la fibre de carbone à partir du précurseur PAN en raison d’une meilleure maîtrise du procédé de fabrication. Suivant les critères de performance choisis pour la fibre (ex. Haute résistance à la rupture (HR) – Haut module d’élasticité (HM)), la fibre de carbone peut être produite suivant deux méthodes [Figure 1.2]. Le précurseur PAN, disponible sous la forme d’un monofilament obtenu par filage et étirage, subit une oxydation sous ambiance air dans un four à une température comprise entre 200◦C et 300◦C. Le précurseur change physiquement et chimiquement pour atteindre un état infusible thermiquement stable. Une étape de carbonisation sous azote à une température comprise entre 1200◦C et 1500◦C permet d’obtenir un filament orienté axialement en raison du réarrangement de sa microstructure. De plus, le sous-produit perd environ 50% de sa masse. À l’issue de cette étape, les fibres classées (HR) ont une teneur en carbone comprise entre 90% et 97%. Les fibres de carbone sont classées suivant leurs propriétés mécaniques en traction : HM pour haut module d’élasticité, IM pour module d’élasticité intermédiaire et HR pour haute résistance à la rupture. Une comparaison des propriétés mécaniques en traction des trois classes de fibres de carbone est proposée en [Figure 1.3]. Les fibres sont disponibles en plusieurs tailles : les fibres courtes (3, 0 à 4, 5 mm), les fibres longues (de longueur généralement supérieure à 6, 0 mm) et les fibres continues (CLFT) dont la longueur est de l’ordre de grandeur de la dimension d’une pièce composite afin de préserver la continuité du renfort [Lucas+2007b]. Dans le cadre de la thèse, on s’intéressera uniquement aux fibres continues et longues ainsi qu’aux procédés associés. Les filaments de renfort sont rassemblés pour former un fil ou une mèche. La structure de la mèche varie suivant les types de fibres utilisés, mais aussi du degré de mélange de ces fibres au sein d’une mèche. Cette dernière peut s’intégrer dans une structure constituant un « roving » [Figure 1.4].
Les architectures fibreuses tissées
Le renfort tissé est défini par l’entrelacement de mèches dans le sens chaîne (direction parallèle au sens d’avancement du renfort textile lors de sa fabrication) et le sens trame [Bourban+2004 ; Dridi2010]. Ce mode d’entrecroisement des mèches sens chaîne et trame, appelé armure, se décline en quatre configurations principales [Figure 1.10] :
➢ Structure unidirectionnelle (UD) (d) : Les mèches sont alignées selon une seule direction. Elles sont maintenues en position par un fil de liage à 90◦.
➢ Toile ou taffetas (a) : Chaque mèche dans la direction chaîne passe successivement au-dessus et en dessous d’une mèche orientée dans la direction trame.
➢ Sergé (b) : L’ordre d’enchevêtrement des mèches sens chaîne par rapport aux mèches sens trame induit un effet oblique obtenu par décochement d’un fil sens chaîne à chaque trame. Dans le cas d’un renfort sergé 1/3, la mèche trame passe sous une mèche puis au-dessus de trois mèches sens chaîne avec un décalage à chaque passage.
➢ Satin (c) : Cette armure est caractérisée par une dominance des mèches sens chaîne ou trame donnant un aspect lustré ou mat suivant que l’on observe le renfort textile à l’endroit ou à l’envers. (À l’endroit du tissu, on retrouve plus de flottés des trames que des chaînes. À l’envers, c’est l’inverse). Pour le satin 5, la mèche chaîne passe en dessous d’une mèche trame puis au-dessus de quatre mèches trames. Le chiffre cinq correspond au nombre de laissées trame entre deux pris (deux mèches chaîne) retranché de un. Cette armure donne des tissus relativement souples par rapport aux autres configurations, particulièrement adaptés pour de la mise en forme de pièces à géométries complexes.
Vers la prise en compte du comportement mécanique du renfort
Une approche « classique » pour modéliser le comportement mécanique d’un renfort est de le considérer comme un matériau anisotrope continu. Pour le cas des renforts tissés, cela revient à considérer le comportement de ce tissu continu et anisotrope plan suivant les directions chaîne et trame [King+2005]. Baesu et Steigmann ont proposé des modèles continus concernant des réseaux composés de fibres parfaitement flexibles. Les propriétés globales du tissu sont directement issues de celles des fibres constituant la méso structure [Baesu2003]. D’autres travaux se sont orientés dans l’établissement d’un modèle continu avec un tissu anisotrope et un comportement global élasto-plastique [Reese2003] pour des applications de renforts tissés [Xue+2003] et des structures « tricots » [Ruan+1996]. Cependant, ces modèles ne tiennent pas compte des interactions entres les familles de mèches telles que les phénomènes de blocage liés à la résistance en déformation au niveau des interfaces inter mèches, la résistance à la rotation relative des mèches ou encore les phénomènes d’étirement et d’ondulation subis par les mèches lors de la compression du renfort. D’autres modèles établissent le comportement mécanique à l’échelle mésoscopique d’un tissu et de ses mèches pour des modes spécifiques de déformation (comportement en tension bi axial, cisaillement plan…). Le modèle développé par Pierce [DSc+1937] établit les propriétés d’un tissu en considérant les mèches de renfort circulaires. Ce modèle, permettant de lier le comportement macroscopique du tissu avec celui des mèches, a été une source d’inspiration pour d’autres travaux en proposant des versions modifiées. Warren [Warren1992] utilise une géométrie non-circulaire des mèches pour simuler le comportement en tension uniaxial et biaxial d’un renfort tissé à partir de la théorie des poutres couplée aux effets de courbure et d’allongement des fibres. Comme d’autres modèles similaires, l’un des inconvénients majeurs vient de leurs spécificités à considérer un seul mode de chargement. Le modèle de Warren ne prend pas en compte l’orientation des réseaux de renfort chaîne et trame négligeant ainsi les déformations en cisaillement du tissu. Le couplage de plusieurs modes de comportement constitue une problématique à approfondir en raison de la complexité et de la diversité des renforts possibles. Au lieu de s’intéresser à une structure au comportement anisotrope continu et obtenir une réponse mécanique à partir des propriétés « globales/moyennées » une approche propose au contraire d’utiliser un modèle numérique pour prendre en compte directement la structure du tissu à l’échelle mésoscopique. Ainsi, Boisse [Boisse+2001 ; Boisse+2000] s’est intéressé aux non-linéarités géométriques de la structure à l’échelle mésoscopique avec les différentes interactions se produisant entres les mèches pour établir leurs modèles. Finalement, beaucoup d’aspects doivent être considérés dans l’élaboration d’un modèle analytique ou numérique permettant d’appréhender le comportement mécanique d’une préforme textile. La mise en forme de ces semi-produits implique, plus particulièrement pour des pièces à géométrie complexe, des transformations en déformation de grandes amplitudes. De plus, le système étudié peut être difficilement considéré comme un matériau continu étant donné qu’il est constitué d’un ou plusieurs réseaux de fibres aux orientations différentes et de matrice dans le cas de préimprégnés textiles. Finalement, pour répondre à la problématique, il est nécessaire de s’interroger sur le type de modélisation à employer, les lois de comportement à utiliser selon les finalités recherchées. Dans le cadre de cette thèse, seule l’approche cinématique pour simuler l’emboutissage de la préforme textile sera considérée.
Le principe de la mise en œuvre par autoclave
La mise en œuvre de pièces composites par moulage en autoclave consiste à compacter le renfort et la résine sur un moule rigide par l’intermédiaire d’une membrane flexible. L’ensemble membrane/outillage forme un sac étanche où un vide partiel est appliqué. L’application du vide au niveau du laminé permet la compaction de chaque couche de préimprégné et contribue à l’élimination de l’air et des produits volatils présents dans le sac étanche responsables de la formation de micro bulles et de micro défauts de structure [Berbain+1997 ; Bessard2012 ; Gay2005]. Cela permet également à la résine excédentaire de fluer hors du stratifié. Le dispositif de la « poche sous vide » est placé dans une enceinte fermée générant, par l’intermédiaire d’un gaz (air, azote), une pression réglable comprise entre 1 et 20 bars. La poche étanche est soumise à une pression hydrostatique assurant la compaction des différents plis. La répartition de la pression externe, en début de cycle, est uniforme entre le réseau fibreux et la matrice. Avec le passage à l’état liquide de la matrice, la pression appliquée sur le renfort augmente au détriment de celle s’exercant sur la résine, augmentant ainsi le taux de fibre de la pièce. L’application de cette pression au niveau de la membrane déformable contribue à la disparition des porosités résiduelles piégées dans la pièce composite [Park+2010]. L’ensemble est chauffé à une température supérieure à la température de fusion du thermoplastique. La matrice tend vers sa viscosité minimale (état fluide) et imprègne les fibres du semi-produit dans un environnement sous vide. La consolidation de la pièce composite se déroule au cours de la phase de refroidissement du cycle, étape pendant laquelle le thermoplastique va cristalliser. Une baisse graduelle de la température du stratifié diminue les risques de tension d’ordre thermique, limite son endommagement, et assure un contrôle de la cinétique de cristallisation de la matrice. Ce procédé sous autoclave est adapté à la consolidation de préimprégnés textiles («film stacking», tissus poudrés, comélés, cotissés. . . ) et permet d’obtenir des pièces composites structurales pour des applications aéronautiques et aérospatiales. Il permet d’obtenir des pièces complexes de grandes dimensions avec une épaisseur relativement faible [2, 0 mm − 10, 0 mm] et un taux volumique en fibre supérieur à 50%. Finalement, la maîtrise de l’orientation du renfort et du rapport fibre/matrice par consolidation autoclave garantit un haut niveau de qualité du matériau composite [Almer2012]. Ce procédé dont le temps du cycle de consolidation varie entre 20 min et plusieurs heures est majoritairement employé pour des petites séries. La température de consolidation, la pression externe appliquée, le temps de maintien de cette pression, le niveau de vide, les rampes de chauffage et de refroidissement constituent les paramètres clés du cycle de ce procédé [Figure 1.43].
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Table des matières
Introduction générale
1 État de l’art
1.1 Généralités sur les matériaux composites de la famille des thermoplastiques
1.1.1 Le choix du renfort et de la matrice
1.1.1.1 Le renfort : fibres de carbone
1.1.1.2 Les matrices thermoplastiques
1.1.1.3 Le cas du polysulfure de phénylène
1.1.2 Les semi-produits composites à matrice thermoplastique
1.1.2.1 Les architectures fibreuses tissées
1.1.2.2 Typologie des semi-produits thermoplastiques renforcés carbone
1.2 Effet de la mise en forme du semi-produit sur les propriétés de la pièce composite
1.2.1 Les problématiques liées à la mise en forme des préformes textiles
1.2.2 Les modes de déformation des préformes textiles
1.2.3 Les méthodes de caractérisation de la déformation en cisaillement des renforts textiles
1.2.3.1 Le « Bias Extension Test »
1.2.3.2 « Le Picture Frame »
1.2.3.3 Comparaison Bias extension Test – Picture Frame
1.2.4 Modélisation de la déformation d’une préforme textile
1.2.4.1 Approche cinématique
1.2.4.2 Vers la prise en compte du comportement mécanique du renfort
1.3 Caractérisation des structures composites par mesure sans contact
1.3.1 Mesure de champs par corrélation/stéréo-corrélation d’images
1.3.1.1 Principe de la corrélation d’image
1.3.1.2 Application aux renforts textiles
1.3.2 Contrôle non destructif de la santé matière du composite
1.3.2.1 Contrôle qualité d’une plaque composite par ultrason
1.3.2.2 Vers une analyse plus approfondie de la structure interne du matériau par tomographie à rayons X
1.4 Les procédés « classiques » de mise en œuvre par moulage de pièces composites
1.4.1 Généralités
1.4.2 Procédé retenu : la consolidation en autoclave
1.4.2.1 Présentation du dispositif
1.4.2.2 Le principe de la mise en œuvre par autoclave
1.4.2.3 Le choix des produits d’environnement
1.4.2.4 Définition du moule pour la consolidation de pièces à géométries complexes
1.5 La mise en œuvre des composites à matrice thermoplastique
1.5.1 Effet du procédé de consolidation par autoclave sur le matériau
1.5.2 Relation microstructure/propriétés mécaniques d’une pièce composite
1.6 Bilan intermédiaire
2 Mise en forme de préformes textiles sur des géométries à double courbures
2.1 Caractérisation en cisaillement plan par l’essai « Bias Extension Test »
2.1.1 Mise en place de l’essai « Bias Extension Test »
2.1.2 Comportement en déformation non-linéaire de la préforme textile
2.2 Étude de la drapabilité du semi-produit sur une géométrie complexe
2.2.1 Pilote d’emboutissage de préformes textiles et instrumentation
2.2.1.1 Présentation du pilote
2.2.1.2 Présentation du banc multi-caméras
2.2.1.3 Présentation du serre-flan
2.2.1.4 Présentation des poinçons d’emboutissage
2.2.1.5 Mise en place du renfort sur le dispositif de drapage
2.2.2 Mesure des champs de déformation du renfort textile
2.2.2.1 Validation du mouchetis artificielle pour mesurer les champs de déformation par stéréocorrélation d’images
2.2.2.2 Application de la technique de stéréocorrélation afin d’obtenir le champs de déformation
2.2.2.3 Calcul de l’angle de cisaillement
2.2.2.4 Validation du calcul de l’angle de cisaillement à travers l’essai « bias extension test »
2.2.3 Influence de la géométrie dans la déformation des préformes textiles
2.2.3.1 L’hémisphère
2.2.3.2 Tétraèdre
2.2.3.3 Poinçon parallélépipédique avec congés d’arête
2.2.4 Évaluation de la mesure du champ de déformation
2.3 Simulation du drapage à partir de la méthode du filet
2.3.1 Méthode
2.3.2 Hémisphère
2.3.3 Parallélépipède à congés d’arête
2.3.4 Tétraèdre
2.4 Bilan intermédiaire
3 Relations microstructure / propriétés mécaniques des plaques composites C/PPS
3.1 Les matériaux de l’étude
3.2 Mise en œuvre de plaques composites par consolidation autoclave
3.2.1 Description de la méthode de mise en oeuvre des plaques composites
3.2.2 Définition des cycles de consolidation
3.2.3 Les problématiques liées à la bâche à vide
3.2.3.1 Étanchéité de la bâche à vide
3.2.3.2 Incapacité du tissu drainant à remplir son rôle d’évacuation de l’air dans la poche à vide
3.2.4 Bilan des essais de consolidation
3.3 Les méthodes de caractérisation appliquées à l’analyse des plaques composites
3.3.1 Caractérisation mécanique des plaques composites
3.3.1.1 Traction sens chaîne et trame
3.3.1.2 Compression
3.3.1.3 Flexion 3 points
3.3.1.4 Cisaillement interlaminaire – CIL
3.3.2 Analyse microstructurale des stratifiés composites
3.3.2.1 Dissolution chimique
3.3.2.2 Analyse morphologie des porosités par CT-scan
3.4 Microstructure et propriétés mécaniques
3.4.1 Analyse de la microstructure
3.4.1.1 Plaque poudrée PORCHER
3.4.1.2 Plaque comélé SCHAPPE
3.4.1.3 Écart dans l’estimation du taux de porosité par dissolution chimique et par CT-scan 5
3.4.1.4 Comparaison des deux typologies de plaques
3.4.2 Résultats des essais mécaniques
3.5 Influence du cycle de consolidation sur les porosités et les propriétés mécaniques
3.5.1 Influence du cycle de consolidation sur la santé matière du composite
3.5.1.1 Effet de la pression externe
3.5.1.2 Effet du niveau de vide
3.5.1.3 Effet du temps de consolidation
3.5.1.4 Stratégie dans la définition du cycle autoclave
3.5.2 Sensibilité des propriétés mécaniques au taux volumique de porosité dans le stratifié
3.5.3 Prise en compte de la morphologie des porosités dans l’évolution des performances mécaniques
3.6 Bilan intermédiaire
4 Faisabilité de mise en œuvre de pièces composites à géométries complexes
4.1 Impact du cisaillement sur les propriétés mécaniques du matériau composite
4.1.1 Consolidation des plaques C/PPS avec déformation initiale en cisaillement plan
4.1.2 Effet du niveau de cisaillement plan sur les propriétés du matériau composite
4.1.2.1 Analyse microstructurale des plaques composites
4.1.2.2 Propriétés mécaniques des plaques composites
4.1.3 Confrontation avec une approche « théorie classique des stratifiés »
4.1.3.1 Détermination des propriétés élastiques du renfort textile
4.1.3.2 Détermination des propriétés élastiques du pli UD par méthode inverse
4.1.3.3 Modélisation du comportement mécaniques des plaques cisaillées
4.1.3.4 Prédiction de la rupture à partir du critère de Tsai-Hill
4.2 Application aux géométries complexes : consolidation de pièces à doublecourbures
4.2.1 Présentation des géométries
4.2.2 Mise en œuvre des pièces composites par consolidation autoclave
4.2.3 Évaluation de la santé matière des pièces complexes consolidées
4.2.3.1 Pièce de faisabilité : parallélépipède à congés d’arête
4.2.3.2 Pièce d’étude de la déformation textile : le tétraèdre
4.3 Bilan intermédiaire
Conclusion générale et perspectives
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