A l’heure actuelle, il existe de nombreux procédés de mise en forme des matières plastiques ; le plus répandu d’entre eux est l’extrusion. Ce procédé de fabrication consiste à convoyer un polymère fondu à l’aide d’une vis et à le forcer, de manière continue, à travers une filière de forme donnée. Les propriétés de l’objet alors fabriqué, incluant la morphologie développée durant la phase de refroidissement et de solidification, dépendent en partie des contraintes et de l’orientation induite durant la mise en forme [1]. La plupart des polymères utilisés commercialement possèdent une masse moléculaire suffisamment élevée pour que leurs chaînes soient fortement enchevêtrées et pour que leur comportement soit macroscopiquement très différent des fluides à faible masse moléculaire. De nombreuses manifestations comportementales distinguent en effet les polymères viscoélastiques des fluides classiques à comportement newtonien : une forte dépendance de la viscosité au cisaillement, un rapport entre la viscosité élongationnelle et la viscosité en cisaillement largement supérieur à trois, une dépendance conséquente en temps à l’établissement ou à la relaxation de contraintes, des pertes de charge élevées à l’entrée d’un convergent, des phénomènes de gonflement de l’extrudat en sortie de filière ou encore l’apparition de défauts d’extrusion pour des débits d’écoulement élevés.
Présentation générale des instabilités d’extrusion
Lors de l’extrusion de polymères fondus, divers défauts et instabilités d’écoulement peuvent apparaître pour de très faibles nombres de Reynolds. Ces instabilités ont des enjeux commerciaux très importants car elles limitent la productivité des procédés d’extrusion. Au cours des trente dernières années, elles ont fait l’objet de nombreuses revues [1-4].[1, 2, 3, 4]. Toute filière d’extrusion possède une région d’entrée appelée «réservoir» suivie d’une contraction, d’un canal d’écoulement et d’une sortie. Elle combine ainsi deux singularités géométriques avec une longueur variable d’écoulement plus ou moins totalement développé. D’importants niveaux de contraintes sont appliqués à l’écoulement, notamment au niveau du convergent, des parois et des singularités géométriques de la filière. Nous verrons que ces entités géométriques à hauts niveaux de contraintes coïncident avec les sites d’initiation de la plupart des instabilités.
Classification des instabilités d’extrusion
La terminologie rencontrée dans la littérature anglo-saxonne pour désigner les défauts d’extrusion en général est « melt fracture » . A l’introduction de ce terme, on pensait que toutes les instabilités étaient le résultat de ruptures locales du matériau. A l’heure actuelle, rien ne prouve que ces phénomènes soient étroitement liés à la rupture de polymères fondus. Une classification de ces défauts s’est donc avérée nécessaire et a été, au début des années 1960, mise en place à partir de l’observation de la morphologie des extrudats. Elle ne fut pas toujours précise puisqu’elle dépendait directement de la nature et de la précision de la méthode d’observation du défaut. Plusieurs années ont notamment été indispensables, grâce à l’avancée des techniques d’observation, pour distinguer, par exemple, un défaut « peau de requin » prononcé d’une instabilité volumique présentant des phénomènes de vagues régulières. Cette « première » littérature est donc sujette à de nombreuses confusions et doit en conséquence être interprétée avec précaution. Dès les années 1970, Den Otter [6] classe les instabilités d’extrusion d’après des études comparatives effectuées entre des polyéthylènes haute densité (PEHD) et basse densité (PEBD). En effet, il existe des différences de comportements entre les deux types de polyéthylènes. Le PEHD présente un défaut de « peau de requin », suivi du développement du défaut oscillant. Pour des débits d’écoulement supérieurs, les défauts de volume viennent affecter l’extrudat de façon d’abord organisée (défaut hélicoïdal) puis totalement désordonnée (défaut chaotique). A l’opposé, le PEBD ne présente ni défaut surfacique, ni défaut oscillant : seuls les défauts hélicoïdaux et chaotiques se développent pour des débits d’écoulement suffisamment importants. De telles divergences de comportement ont alors été interprétées de façon très simplificatrice : les polymères linéaires présentent le premier enchaînement de défauts (PEHD) alors que les polymères branchés obéissent au deuxième (PEBD). Les deux enchaînements de défauts n’obéissent cependant pas aussi simplement au caractère « branché » ou « linéaire » du polymère. A titre d’exemple, le polystyrène et le polypropylène sont des polymères linéaires et présentent néanmoins l’enchaînement que décrit le PEBD. De plus, le comportement de chaque polymère dépend fortement de ses caractéristiques moléculaires (masse moléculaire et polydispersité) ainsi que des géométries d’écoulement. A titre d’exemple, le défaut oscillant n’existe pas dans le cas de filière orifice. Malgré tout, la littérature a conservé cette classification : les deux enchaînements de défauts présentés sont toujours attribués respectivement aux polymères de type « linéaire » et « branché ». A l’avenir, lorsque nous utiliserons la terminologie « abusive » de « polymères linéaires » ou « polymères branchés », nous ferons référence à cette classification .
Visualisations de l’écoulement dans la région d’entrée de la filière
La visualisation d’un écoulement à l’entrée d’un capillaire a été mise en place il y a plus de quarante ans par l’utilisation de réservoirs et de convergents transparents [20, 21, 22]. Très vite, des perturbations de l’écoulement amont ont pu être clairement identifiées et se sont imposées comme à l’origine des défauts de volume. Aujourd’hui, de nombreuses études sont venues confirmer ces conclusions. Il est admis que les instabilités volumiques sont initiées à l’entrée de la filière d’extrusion [1-3]. L’observation de l’écoulement en amont de la contraction s’est donc imposée pour tenter de comprendre les mécanismes liés à l’initiation et au développement des instabilités volumiques. On s’est attaché, au cours des cinquante dernières années, à caractériser deux grandeurs essentielles à la description d’un écoulement: la répartition des contraintes d’une part et le champs des vitesses d’autre part. Des méthodes optiques de plus en plus précises ont pu être développées à cet escient. Notons cependant qu’une visualisation de l’écoulement amont est à distinguer des observations d’extrudats en sortie de filière puisque ces derniers sont tributaires des conditions d’écoulement en aval de la contraction.
Visualisation de lignes de courant dans l’écoulement amont : utilisation de traceurs
✠ Caractéristiques de l’écoulement amont en régime stable
L’utilisation de traceurs fluorescents ou opaques (suspension de particules de noir de carbone [22], carbure de silicium [23]) permet l’observation de lignes de courant en amont de la contraction. White [24] déclare que les écoulements dans la région d’entrée de la filière sont tributaires des propriétés viscoélastiques du polymère fondu. Néanmoins, pour de faibles débits d’écoulement, le polymère se comporte comme un fluide newtonien. L’espace entier du réservoir est occupé par un même écoulement. Pour des débits plus importants, le comportement du fluide viscoélastique dépend très fortement de la nature du polymère fondu. En effet, dès les années 1960, on montre que l’écoulement en amont d’une contraction est très différent suivant que le polymère extrudé est de type linéaire ou branché. De nombreuses visualisations de la région d’entrée de la filière [20, 21, 22] révèlent que, pour les polymères linéaires, l’écoulement dans un convergent à fond plat occupe tout l’espace disponible.
✠ Interprétations rhéologiques et mécaniques du phénomène de recirculations Bagley et Birks [21] associent le phénomène de vortex à l’élasticité du matériau.
Par ailleurs, White [24] montre que l’angle α décroît fortement en fonction du rapport entre la perte de charge dans le convergent d’entrée et la contrainte de cisaillement à la paroi du capillaire. Rappelons que la perte de charge due à l’élongation est prédominante par rapport à celle due au cisaillement. Le rapport entre la pression d’entrée et la contrainte de cisaillement est directement proportionnel au rapport entre contraintes normales et contraintes de cisaillement. Ce rapport est l’expression du nombre de Weissenberg. Ainsi, White note que des vortex de taille importante supposent des nombres de Weissenberg importants. En outre, Nakamura et al. [27] ont montré sur des solutions de polyacrylamide et d’hydroxyméthylcellulose de viscosité proche mais d’élasticité différente que la taille des recirculations augmente avec l’élasticité du matériau. De plus, la taille et la forme des vortex sont souvent interprétées en terme de propriétés élongationnelles du fluide. White [24] déclare que, pour des débits d’écoulement suffisamment élevés, le caractère non-newtonien et viscoélastique du fluide devient plus prononcé. Il se traduit en l’occurrence par une viscosité élongationnelle non-linéaire et par des contraintes normales : le champs de contraintes se développe différemment. Une étude relative à des solutions diluées de polymères de fortes masses moléculaires, communément appelées « fluide de Boger » [28], conforte ces idées. Il apparaît que les fluides présentent une taille de vortex d’autant plus importante qu’ils possèdent un écart de la viscosité élongationelle à la viscosité troutonnienne élevé.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
I. 1. Présentation générale des instabilités d’extrusion
I. 1. 1. Classification des instabilités d’extrusion
I. 1. 2. Les défauts d’extrusion de type « polymères linéaires »
I. 1. 3. Les défauts d’extrusion de type « polymères ramifiés »
I. 1. 4. Le défaut de « peau de requin »
I. 1. 5. Le défaut « oscillant »
I. 1. 6. Le défaut « hélicoïdal »
I. 1. 7. Le défaut « chaotique »
I. 2. Visualisations de l’écoulement dans la région d’entrée de la filière
I. 2. 1. Visualisation de lignes de courant dans l’écoulement amont : utilisation de traceurs
I. 2. 2. Répartition des contraintes dans l’écoulement amont : la biréfringence d’écoulement
I. 2. 3. Répartition du champs de vitesse dans l’écoulement amont : la vélocimétrie
I. 3. Caractérisations de l’instabilité volumique : courbes d’écoulement et fréquences associées à l’instabilité
I. 3. 1. Courbes d’écoulement associées à l’instabilité
I. 3. 2. Fréquences de l’instabilité
I. 4. Influence des conditions d’écoulement sur l’instabilité volumique
I. 4. 1. Température d’écoulement
I. 4. 2. Ecoulement axisymétrique ou écoulement en filière plate
I. 4. 3. La longueur de filière
I. 4. 4. L’angle d’entrée de la filière
I. 4. 5. Utilisation de filtres d’entrée
I. 5. Influence des propriétés moléculaires et rhéologiques du polymère
I. 5. 1. La masse moléculaire et la polydispersité
I. 5. 2. L’enchevêtrement et le caractère branché
I. 5. 3. L’élasticité
I. 6. Mécanismes d’initiation de l’instabilité volumique
I. 6. 1. L’inertie
I. 6. 2. Les effets thermiques
I. 6. 3. Le glissement
I. 6. 4. L’élongation de l’écoulement amont
I. 7. Le rôle des recirculations dans la déstabilisation de l’écoulement principal
I. 8. Caractérisation de l’écoulement au déclenchement de l’instabilité
I. 8. 1. Critères de déclenchement de l’instabilité volumique
I. 8. 2. Caractérisation macroscopique de l’écoulement d’entrée
I. 8. 3. Caractérisation de l’écoulement d’entrée à l’échelle macromoléculaire
II. MATERIELS ET DISPOSITIF EXPERIMENTAL
II. 1. Caractéristiques moléculaires et rhéologiques des polymères étudiés
II. 1. 1. Caractéristiques moléculaires
II. 1. 2. Caractérisation rhéologique
II. 2. Le rhéomètre capillaire
II. 2. 1. Principe de fonctionnement
II. 2. 2. Les filières d’extrusion utilisées
II. 2. 3. Principe et dépouillement des mesures
II. 3. Extrusion en filière plate transparente
II. 3. 1. Description du montage expérimental d’extrusion
II. 3. 2. Principe et méthodes de mesures associés à la biréfringence d’écoulement
II. 3. 3. Principe et méthodes de mesures associés à la vélocimétrie laser-Doppler
III. ETUDE DU DEFAUT VOLUMIQUE EN ECOULEMENT AXISYMETRIQUE
III. 1. Courbes d’écoulement apparentes et aspect des extrudats
III. 1. 1. Courbes d’écoulement apparentes pour différents rapports de longueur L/D
III. 1. 2. Déclenchement du défaut hélicoïdal
III. 1. 3. Courbes d’écoulement apparentes pour différents diamètres D
III. 2. Courbes d’écoulement en contrainte réelle
III. 3. Etude et quantification du défaut hélicoïdal
III. 3. 1. Méthode de quantification du défaut hélicoïdal
III. 3. 2. Influence de la longueur d’écoulement sur la morphologie du défaut
III. 3. 3. Influence du diamètre de filière sur la morphologie du défaut
III. 4. Influence de la température
III. 4. 1. Déclenchement du défaut hélicoïdal
III. 4. 2. Quantification du défaut hélicoïdal
III. 5. Influence de l’angle d’entrée de la filière
III. 5. 1. Déclenchement du défaut hélicoïdal
III. 5. 2. Quantification du défaut hélicoïdal
III. 6. Critères de déclenchement de l’instabilité hélicoïdale
III. 6. 1. Pression critique
III. 6. 2. Contrainte de cisaillement critique
III. 6. 3. Contrainte élongationnelle critique
III. 6. 4. Taux de déformation élongationnel critique
III. 6. 5. Nombre de Weissenberg critique
III. 7. Etude comparative des différents polymères utilisés
III. 7. 1. Comparaison du PS 1 et du PS 2
III. 7. 2. Comparaison du PS 1 et du PP
III. 8. Conclusion
CONCLUSION
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