Adaptations posologiques
Pour chaque AOD, des critères précis déterminent la posologie adaptée. Ces critères sont fonction de l’âge, du poids, de la créatininémie ou de la clairance de la créatinine selon Cockcroft et Gault et parfois de certaines interactions médicamenteuses (Annexes 1, 2 et 3). Il est fréquent d’observer que ces critères ne sont pas toujours bien respectés, ce qui aboutit à de mauvaises adaptations posologiques avec en conséquence des sous-dosages ou des surdosages. Différentes études ont cherché à évaluer les risques liés à ces posologies inadéquates. Par exemple, Yao et al. ont montré que les situations de surdosages en AOD étaient, par rapport à un dosage approprié, associées à une augmentation significative du risque de saignement avec un risque thromboembolique identique et que les situations de sous-dosages étaient liées à une majoration du risque thromboembolique sans modification du risque hémorragique[24]. Steinberg et Al. ont quant à eux montré que le surdosage était associé à un risque augmenté de mortalité toute cause et que le sous-dosage était associé à une augmentation du risque d’hospitalisation. Les mésusages concernaient dans cette étude principalement les patients plus âgés, les femmes, les patients avec un score CHA2DS2VASc élevé et avec un score de risque hémorragique élevé[25]. Avec cette étude observationnelle, nous avons cherché à évaluer la proportion de patients recevant un mauvais dosage d’AOD, puis à analyser les facteurs pouvant expliquer la persistance du mésusage des AOD à plus de 5 ans de leur commercialisation.
Patients L’étude s’est déroulée au Centre Hospitalier de Laval (Mayenne, France) entre mai 2018 et juillet 2019. Chaque dossier de patient majeur traité par AOD arrivant aux urgences, quel que soit le motif d’admission et quelle que soit l’indication du traitement anticoagulant, était recueilli prospectivement par les urgentistes. Il s’agissait d’une étude non interventionnelle sur la prise en charge en routine des patients. Les traitements des patients étaient poursuivis pendant la durée de l’étude et pouvaient être modifiés par les médecins référents du patient sans remettre en cause sa participation à l’étude. Les données recueillies étaient : le sexe, l’âge, le poids, la créatininémie, la clairance selon Cockcroft, les antécédents d’accident vasculaire cérébral (AVC), d’hypertension artérielle (HTA), de diabète, de pathologie artérielle périphérique, d’insuffisance cardiaque, d’insuffisance hépatocellulaire, les antécédents hémorragiques, les taux d’hémoglobine et de leucocytes, le nom de l’AOD prescrit et sa posologie, la prise associée ou non de traitements contre-indiqués ou non recommandés (antiagrégant plaquettaire, inhibiteurs de la P-gp comme le Vérapamil), la présence ou non d’une contre-indication au traitement par AOD (ulcération gastro-intestinale en cours ou récente, présence de néoplasies malignes à haut risque de saignement, lésion cérébrale ou rachidienne récente, intervention chirurgicale cérébrale, rachidienne ou ophtalmique récente, hémorragie intracrânienne récente, varices oesophagiennes connues ou suspectées, malformations artérioveineuses, anévrisme vasculaire ou anomalie vasculaire majeure intrarachidienne ou intracérébrale). Ces données étaient recueillies rétrospectivement à partir du dossier médical des patients du Centre Hospitalier de Laval sur le logiciel DxCare. Les scores de risque thromboembolique CHADS et CHA2DS2VASc et les scores de risque hémorragique HAS-BLED et PRECISE-DAPT ont ainsi pu être calculés. En fonction des données obtenues, il a été analysé si le patient recevait une dose appropriée, une dose trop faible ou trop importante d’anticoagulant. Les critères utilisés afin de déterminer si la posologie était adaptée ou non étaient ceux définis par la Haute Autorité de Santé (HAS), détaillés dans les annexes 1,2 et 3.
Surdosages Notre étude montre que la fonction rénale est moins bonne dans le groupe surdosage avec une significativité sur les quatre paramètres testés que sont la créatininémie, la créatininémie ≥ 133 μmol/L, la clairance selon Cockcroft et la clairance selon Cockcroft ≤ 50 mL/mn. On peut supposer que la surveillance de la fonction rénale est insuffisante, ne permettant pas d’ajuster les posologies en fonction, ou alors que les critères devant faire modifier les posologies d’AOD sont insuffisamment maîtrisés. Plus de la moitié des médecins interrogés dans notre étude se disaient insuffisamment ou pas du tout à l’aise pour manier les posologies des AOD. 34,62% n’ont jamais modifié le dosage prescrit à leurs patients. Près d’un quart ne faisaient pas de surveillance clinico-biologique systématique. Les AOD étant en partie à élimination rénale , l’absence de surveillance biologique peut être responsable d’un surdosage en cas de dégradation de la fonction rénale, qui peut lui-même entraîner des conséquences graves voire mortelles[26], [27].
Andreu Cayuelas et Al. ont montré dans leur étude que la fonction rénale n’était surveillée selon les recommandations que dans 61% des cas. Les patients chez qui elle était le moins bien surveillée étaient plus âgés et avaient une moins bonne fonction rénale de base. Après un an de suivi, il était remarqué qu’une surveillance de la fonction rénale appropriée était associée à de meilleures adaptations posologiques de l’AOD[31]. Parmi les patients étudiés dans ce travail, nombreux sont ceux à avoir une fonction rénale altérée. En effet, la créatininémie moyenne est de 96,12 μmol/L et la clairance selon Cockcroft moyenne est de 56,97 mL/mn. La méthode de calcul de la clairance de la créatinine validée par la HAS pour les adaptations de dose des AOD est la méthode de Cockcroft et Gault. Il a été notifié dans d’autres études qu’il existe une forte prévalence de patients présentant une altération de la fonction rénale au sein des patients atteints de FANV, ce qui semblerait être associé à une majoration du risque ischémique et du risque hémorragique[32], [33]. L’utilisation du score PRECISE-DAPT confirme, par son lien important avec la fonction rénale, que le risque hémorragique est plus important si la fonction rénale est altérée. Parmi les patients surdosés, ce score est significativement plus élevé. Comparons désormais à la qualité de l’anticoagulation chez les patients traités par AVK. Pour étudier la gestion des AVK, un outil a été créé par Rosendaal et Al. : le Time in Therapeutic Range (TTR), ou temps passé dans la fenêtre thérapeutique de l’INR[34]. Il est convenu qu’un TTR supérieur à 70% est assimilé à une bonne qualité d’anticoagulation. On constate que dans la plupart des études, le TTR est inférieur à 65%[35]–[37]. Par ailleurs, Kartas et Al. ont montré dans leur étude que 50% des patients avaient un INR dans l’objectif cible et que 75% des patients sous AOD recevaient le bon dosage[28]. Bien qu’il persiste des mésusages avec les AOD, leur utilisation semble donc de meilleure qualité que celle des AVK, qui restent bien souvent difficiles à manier pour que l’INR se stabilise dans les normes.
Sous-dosages
Contrairement aux AVK, il n’existe pour le moment pas d’antidote pour les AOD anti-Xa, alors que 90% des patients de notre étude sont traités par Apixaban ou Rivaroxaban. Ceci peut conduire les praticiens à sous-doser volontairement leurs patients par crainte du risque hémorragique. Par ailleurs, notre étude montre que les patients sont significativement plus âgés dans le groupe sous dosage, avec une moyenne d’âge de 86,33 ans. Notons que la population de l’étude est relativement âgée avec une moyenne d’âge de 80,64 ans. Selon le dernier rapport de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), en 2013, la moyenne d’âge des patients Français sous AOD était de 71,3 ans avec 30,3% de patients ayant 80 ans ou plus[15]. Ceci s’explique en partie en raison de l’augmentation de la prévalence de la FA et de la MTEV avec l’âge.
En effet, près de 70% des patients atteints de FA ont plus de 75 ans et sa prévalence est supérieure à 10% chez les plus de 80 ans[38]. L’incidence annuelle de la MTEV serait quant à elle de 1/10 000 avant 40 ans contre 1/100 après 75 ans[39]. Dans cette étude, l’analyse des cas de sous-dosages mettait en évidence que 41,2% des patients sous-dosés étaient fragilisés par des troubles cognitifs et/ou par des chutes à répétition. Il est fréquent de constater qu’au sein des populations âgées et fragiles les anticoagulants sont sous-utilisés ou utilisés à des doses plus faibles, par crainte du risque hémorragique. Parmi les médecins généralistes interrogés via notre questionnaire, 25,64% d’entre eux disaient avoir déjà mais rarement prescrit une dose inférieure à la dose recommandée par crainte du risque hémorragique et 2,56% disaient le faire souvent. Il est vrai que les complications hémorragiques des traitements anticoagulants pris au long cours peuvent être graves voire létales, notamment chez les patients les plus âgés en raison de leur plus grand nombre de comorbidités, des éventuels antécédents et/ou facteurs de risque hémorragiques et du risque de chutes.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Historique des anti-vitamine K
2. Apparition des anticoagulants oraux directs
3. Adaptations posologiques
MATERIEL ET METHODES
1. Patients
2. Evaluation des pratiques
3. Critères d’évaluation
4. Statistiques
5. Ethique
RESULTATS
1. Données de patients
1.1. Généralités
1.2. Tests de comparaison
1.3. Analyse en sous-groupes par type d‘AOD
1.4. Etude des cas de sous-dosages
1.5. Etude des cas de surdosages
2. Questionnaire auprès de médecins généralistes
2.1. Participation à l’étude
2.2. Caractéristiques des participants
2.3. Information sur les AOD
2.4. Initiation d’un AOD en cabinet de médecine générale
2.5. Craintes
2.6. Surveillance
2.7. Ajustement de dose
2.8. Effets indésirables
DISCUSSION
1. Mésusages
2. Surdosages
3. Sous-dosages
4. Limites
5. Forces
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
TABLE DES MATIERES
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