Généralités
Définition de la catégorisation
On peut définir la catégorisation comme l’opération mentale qui permet de classer les objets et les évènements.
Ces trois dessins ont une forme très différente, mais nous pouvons les catégoriser comme étant des animaux domestiques. En les catégorisant ainsi, nous pouvons en extraire les propriétés communes : ces sont des animaux vertébrés qui peuvent cohabiter avec l’homme et lui tenir compagnie. La catégorisation est la capacité à grouper des stimuli qui sont physiquement distincts sur la base de caractéristiques communes. Le processus de catégorisation constitue une transition entre une analyse sensorielle et un niveau cognitif plus élevé (Freedman et al. 2001). C’est un processus mental adaptatif qui permet le stockage organisé de l’information en mémoire et la récupération efficace de cette information. La catégorisation permet de répondre avec familiarité à une infinité d’exemplaires d’une catégorie, sans les avoir jamais rencontrés (Murphy 2002). Cela constitue une économie cognitive pour la perception, l’action et la mémoire. Cette opération est à la base de la construction de notre connaissance sur le monde (Cohen and Lefebvre 2005). On peut classifier les objets de notre environnement principalement de trois manières :
– Sur la base de la ressemblance physique des objets, telles que la forme ou la couleur: il s’agit de la catégorisation perceptuelle.
– Sur la base d’un contexte commun, tel qu’un chien et une niche, ou une scie et un tronc d’arbre. Le lien entre les items peut être d’ordre contextuel : c’est-à-dire qu’on les trouve souvent ensembles, ou d’ordre fonctionnel : on a besoin de l’un pour utiliser l’autre. On parle de la catégorisation thématique ou associative (Sass et al. 2009).
– Sur la base de propriétés communes : il s’agit de la catégorisation taxonomique ou conceptuelle. Au sein des catégories taxonomiques, on distingue différents niveaux hiérarchiques : le niveau de base (ex : chat/chien/cochon d’inde), le niveau superordiné (ex : animaux ou mammifères) et le niveau infra-ordiné (ex : chat persan/ chat de gouttière etc…) (Cf. Figure 1). La définition de ce niveau dépend de l’expertise du sujet. Ainsi, pour quelqu’un qui a une connaissance très développée des chats, la race peut passer d’un niveau infra-ordiné à niveau de base. Par conséquent, il est difficile de généraliser à tous les individus le niveau hiérarchique de catégorisation et fournir une hiérarchie universelle.
Importance de la catégorisation
La catégorisation est un processus crucial dans de nombreuses situations et opérations cognitives, telle que la survie dans le monde animal. Pour reconnaitre une situation comme dangereuse, les animaux doivent associer cette situation à une autre situation dangereuse rencontrée précédemment. Cette généralisation de deux situations en apparence différentes nécessite une catégorisation. Cela leur permettra de fournir la réaction comportementale adaptée telle que la fuite par exemple. Chez l’homme, la catégorisation est également indispensable pour l’apprentissage. Les enfants apprennent de nouveaux concepts en catégorisant les objets qui se ressemblent ou qui ont des propriétés identiques (Gelman and Meyer 2011). Ainsi , dès l’âge de 2 mois, les bébés ont la capacité à former des catégories perceptuelles, basées sur les ressemblances physiques des objets, telles que la forme ou la couleur (Quinn et al. 1993; Behl-Chadha 1996). Ils peuvent ainsi former des catégories à un niveau basique (ex : chat, chien, chaise, fauteuil), ou à un niveau plus global (ex ; animaux, véhicules). A partir de l’âge de 12 à 18 mois, ils associent des items ayant un ou plusieurs liens sur la base de relations contextuelles (catégories thématiques), comme un chien et un os, ou sur la base de propriétés communes (catégories taxonomiques) comme un chat et un chien (Bonthoux and Blaye 2007). Cette catégorisation s’enrichit progressivement. Elle est étroitement liée à l’apprentissage du langage (Westermann and Mareschal 2014). Il s’agit aussi d’un objectif pédagogique fondamental de l’école maternelle (Cèbe et al. 2004), afin de permettre aux enfants d’avoir une pensée structurée. En effet, la catégorisation est à la base de toute forme de pensée structurée et de raisonnement. La catégorisation est nécessaire pour le raisonnement abstrait et la résolution de problèmes. Par exemple, le raisonnement par analogie, qui est défini comme la capacité à trouver des similitudes entre des représentations mentales différentes, dépend de la capacité à détecter une régularité, une similitude, entre des éléments dissimilaires. Le raisonnement par analogie est indispensable pour nos capacités de raisonnement, de résolution de problème et de pensée abstraite (Kotovsky and Gentner 1996; French 2002). Les capacités de catégorisation sont également corrélées au quotient intellectuel, et des tests de catégorisation sont inclus dans l’évaluation du quotient intellectuel chez l’enfant et l’adulte (WISC-IV Administration and Scoring Manual 2003; Wechsler 2008). Dans le cadre de cette thèse, nous étudierons les bases cérébrales de la catégorisation thématique et taxonomique, qui peuvent être groupées selon le terme de catégorisation sémantique. Nous discuterons également des bases cérébrales de la catégorisation perceptuelle. Nous n’aborderons pas les bases cérébrales des apprentissages de catégories (category learning en anglais).
Bases cérébrales de la catégorisation – la théorie
La catégorisation implique plusieurs opérations cognitives distinctes(Hugdahl et al. 1999; Seger and Peterson 2013). On peut distinguer trois types de processus cognitifs. Tout d’abord, pour catégoriser, il faut percevoir les items à catégoriser. Cela implique des processus ascendants dits “bottom-up”. Il s’agit de l’utilisation des informations provenant des organes sensoriels et l’analyse de l’environnement sur la base de ces informations. Il faut ensuite identifier les items à catégoriser, en accédant aux connaissances sémantiques. Les connaissances sémantiques, ou mémoire sémantique, c’est l’ensemble des représentations conceptuelles dont nous disposons sur le monde et sur nous-même (Tulving 1972). Nous verrons donc quels sont les mécanismes cérébraux permettant l’accès au sens et à la connaissance. Enfin, il faut des exercer un contrôle permettant de sélectionner et manipuler les informations, ce qui repose sur des processus de type “top-down”, c’est-à-dire des processus qui utilisent les connaissances sur l’environnement et influencent la perception. Dans ce chapitre, nous allons décrire les connaissances actuelles et théories sur les bases cérébrales de ces trois opérations cognitives (c’est-à-dire perception, connaissance sémantique et contrôle cognitif).
Bases cérébrales de la perception sensorielle
Les bases cérébrales de la perception sensorielle sont assez bien connues. Ainsi, si nous reprenons l’exemple du chat, nous connaissons les régions cérébrales qui sont impliquées dans la perception d’un chat (Cf. Figure 2). Tout d’abord, il y a le système visuel, qui nous permet de traiter l’information visuelle, comme par exemple la forme du chat, sa couleur, sa position, ses mouvements… les régions cérébrales qui permettent le traitement de ces informations sont occipito-temporales postérieures (on parle de la voie ventrale) pour la forme et la couleur et occipito-pariétales (on parle de la voie dorsale) pour la position dans l’espace et les mouvements. C’est notamment la région occipitale V5 qui est recrutée pour la détection du mouvement (Mishkin et al. 1983; Milner and Goodale 1993). Il y a également le système sensitif: le chat est doux, mais peut griffer, cela implique le cortex sensitif primaire. Un chat évoque des émotions positives ou négatives, (par exemple : « je n’aime pas les chats »), ce qui implique l’amygdale, le striatum ventral et le cortex orbitofrontal (Davidson et al. 1999; Sander and Scherer 2009).
On peut l’entendre, il miaule, et cela passe par le cortex auditif primaire ou gyrus de Heschl. Il y a des éléments verbaux en rapport avec le mot « chat »: la perception auditive implique le gyrus de Heschl, mais la compréhension du mot chat implique l’aire de Wernicke. La lecture du mot chat implique également le gyrus fusiforme au niveau de la région de la forme visuelle du mot (Dehaene and Cohen 2011). Enfin, lorsque nous voyons un chat, nous pouvons l’attraper ou le caresser, cela implique le cortex moteur et prémoteur. Nous pouvons aussi l’appeler, cela implique l’aire de Broca (Broca 1861) .
Les différentes régions impliquées dans la perception et l’interaction avec un chat sont les mêmes pour les autres animaux, objets, et pour le traitement sensori-moteur et émotionnel de notre environnement en général .
Accès aux représentations sémantiques ou concepts
Les bases cérébrales de la connaissance sémantique sont moins bien connues. Il s’agit pourtant d’une question fondamentale : comment la connaissance dont nous disposons sur le monde est-elle codée dans le cerveau ? Plusieurs modèles sont proposés actuellement. Nous allons décrire les plus influents de ces modèles.
Modèles de la cognition incarnée
De nombreux travaux montrent que le codage de la connaissance repose sur un réseau distribué, impliquant les régions sensorielles, émotionnelles et motrices. Lorsque ces régions sont lésées, il y a une perte de la capacité à identifier les objets de l’environnement à travers la modalité sensorielle concernée, on parle d’agnosie. Par exemple, un patient ayant une agnosie visuelle suite à des lésions bilatérales occipito-temporales ne peut pas reconnaitre un chat par la vision, mais il peut l’identifier par le toucher ou le miaulement (Denise et al. 2008). Cependant, l’argument principal pour dire que les régions sensorimotrices codent la connaissance ne vient pas des patients agnosiques mais de l’imagerie fonctionnelle, démontrant l’activation des régions sensorimotrices primaires et des régions associatives unimodales pendant le traitement conceptuel de mots concrets. Par exemple, Simmons et collaborateurs (Simmons et al. 2007) ont montré en imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle (IRMf), que les régions cérébrales activées lors de l’évocation lexicale des couleurs (ex : lecture du mot « bleu ») se superposent aux régions cérébrales activées lors de la perception des couleurs (ex : visualisation de la couleur bleue), et ce au sein du gyrus fusiforme gauche. De la même manière, Hauk et collaborateurs (Hauk et al. 2004) ont montré en IRMf que les régions cérébrales activées pour la lecture de mots en rapport avec un mouvement des pieds (ex: « sauter »), des mains (« écrire »), ou du visage (« mâcher ») activent le cortex moteur et prémoteur selon l’organisation somatotopique de l’homunculus. Ces activations cérébrales se superposent à celles observées lors des mouvements de ces mêmes régions du corps. Cette étude suggère que les régions motrices sont impliquées pour le traitement conceptuel des mots en rapport avec le mouvement. Pour une revue sur les activations cérébrales spécifiques des régions sensori motrices pendant la lecture de mots, on peut consulter la revue de (Binder and Desai 2011) .
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Table des matières
Introduction
1. Généralités
1.1. Définition de la catégorisation
1.2. Importance de la catégorisation
2. Bases cérébrales de la catégorisation – la théorie
2.1. Bases cérébrales de la perception sensorielle
2.2. Accès aux représentations sémantiques ou concepts
2.3. Les processus contrôlés
2.4. Résumé des bases cérébrales de la catégorisation
3. Revue des études scientifiques évaluant les bases cérébrales de la catégorisation
3.1. Imagerie fonctionnelle chez le sujet sain
3.2. Etudes chez l’animal
3.3. Apport de la neuropsychologie
4. Objectifs et plan général de la thèse
PARTIE 1: Difficultés de catégorisation des patients frontaux
1. Introduction
2. Etude de la catégorisation chez les patients
2.1. Article 1
2.2. Méthodes et Résultats complémentaires
3. Discussion
PARTIE 2 : Bases cérébrales de la catégorisation
1. Etude d’IRM fonctionnelle
1.1. Introduction
1.2. Article 2
1.3. Discussion
2. Etude avec stimulation magnétique transcranienne (non publiée)
2.1. Méthode
2.2. Résultats
2.3. Discussion
3. Etude VBM
3.1. Introduction
3.2. Article 3
3.3. Discussion et résultats complémentaires non publiés
PARTIE 3 : Bases neurales des processus automatiques
1. Introduction
2. Objectifs
3. Matériel et méthode
3.1. Participants
3.2. Paradigme d’amorçage sémantique
3.3. Déroulement du protocole
3.4. Conception du paradigme
3.5. Analyses
4. Résultats
4.1. Résultats condition Implicite
4.2. Résultats condition Explicite
5. Discussion et Perspectives
Résumé des résultats principaux de la thèse
Partie 1. Difficultés de catégorisation des patients frontaux
Partie 2. Bases cérébrales de la catégorisation
Partie 3. Bases neurales des processus automatiques
Discussion Générale
1. Cortex Préfrontal et catégorisation
1.1. Bases cérébrales de l’abstraction
1.2. Bases cérébrales de la détection de similitudes
2. Régions temporales antérieures et catégorisation
2.1. RTA et sémantique
2.2. Gradient d’abstraction dans les RTA
2.3. Latéralisation des RTA
2.4. RTA et Catégorisation automatique
3. Synthèse
Conclusions
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