LE CONCEPT DE ยซ NICHE ECOLOGIQUE ยป ET LES STRATEGIES DE DISPERSION
Hutchinson a dรฉfini ce quโรฉtait la ยซ niche fondamentale ยป dโune espรจce (ou ยซ niche grinnellienne ยป) comme รฉtant ยซ un hypervolume ร n-dimensions ยป dans lequel chaque point correspond ร un รฉtat de lโenvironnement qui permettrait ร lโespรจce de vivre indรฉfiniment (Hutchinson, 1957 in Pulliam, 2000). En clair, la niche fondamentale reprรฉsente un espace oรน toutes les conditions environnementales conviennent ร lโespรจce considรฉrรฉe et oรน donc, le taux de croissance de la population de lโespรจce est supรฉrieur ou รฉgal ร 1 (Guisan & Thuiller, 2005).
Cependant, une espรจce nโoccupe que rarement toute sa niche fondamentale puisquโelle peut se faire exclure par la compรฉtition, la prรฉdation, ou les perturbations (anthropiques, gรฉomorphologiques etc.). La ยซ niche rรฉelle ยป de Hutchinson correspond donc aux espaces de la niche fondamentale oรน lโespรจce est compรฉtitivement dominante (Pulliam, 2000 ; Guisan & Thuiller, 2005). Puisque certaines espรจces sont prรฉsentes en grand nombre dans des espaces dans lesquels les conditions de vie leur sont dรฉfavorables (les ยซ zones puits ยป, i.e. des secteurs oรน la mortalitรฉ est supรฉrieure ร la reproduction) grรขce ร une immigration rรฉguliรจre dโindividus (depuis les ยซ zones sources ยป), on peut considรฉrer que bien souvent, la niche rรฉelle est plus grande que la niche fondamentale (Pulliam, 2000). Cependant, la situation inverse existe oรน une espรจce est frรฉquemment absente dโun habitat favorable ร cause dโextinctions rรฉcurrentes et dโune capacitรฉ de dispersion limitรฉe qui empรชche sa colonisation (Guisan & Thuiller, 2005)
SUCCESSIONS VEGETALES ET INTERACTIONS SPECIFIQUES
Lorsquโun nouvel espace devient disponible pour la vรฉgรฉtation (retrait glaciaire, dรฉforestation, incendie, dรฉprise agricole etc.), il survient une sรฉrie de sรฉquences de colonisations appelรฉes ยซ successions vรฉgรฉtales ยป (Connell & Slatyer, 1977). Ces successions peuvent รชtre ยซ primaires ยป (lorsque le sol est vierge de toute prรฉsence vรฉgรฉtale) ouย ยซ secondaires ยป (lorsquโun terrain dรฉjร vรฉgรฉtalisรฉ devient disponible pour la colonisation).
En thรฉorie, ces successions conduisent lโรฉcosystรจme ร un stade dโรฉquilibre optimal que lโon appelle ยซ climax ยป (Lacoste & Salanon, 1999 ; Pinson ; 2013).
Par exemple, le retrait des glaciers en rรฉponse ร lโรฉlรฉvation des tempรฉratures a permis de libรฉrer de nouveaux espaces colonisables oรน peuvent sโรฉtablir des dynamiques de successions primaires (Carlson, 2013). Toutefois, dans les Alpes, le changement climatique et le changement dโutilisation des terres induisent plutรดt des dynamiques de successions secondaires (FIGURE 5).
En thรฉorie, il nโy a que trois rรฉponses possibles pour les plantes de montagne face aux changements environnementaux : (i) persistance dans le nouvel environnement modifiรฉ, (ii) migration vers des habitats plus favorables, (iii) extinction. De mรชme, trois types de persistance sont possibles : lโadaptation gรฉnรฉtique graduelle de la population, la plasticitรฉ phรฉnotypique (i.e. les variations individuelles des propriรฉtรฉs produites par un caractรจre gรฉnรฉtique donnรฉ en conjonction avec lโenvironnement), ou lโattรฉnuation รฉcologique (ecological buffering โ i.e. si le caractรจre de succession vรฉgรฉtale le plus dรฉterminant nโest pas le climat mais le sol par exemple, ce qui peut attรฉnuer les effets du changement environnemental) (Theurillat & Guisan, 2001). Ces processus de succession sont souvent interrompus par des perturbations naturelles ou anthropiques, conduisant ร lโhรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉ spatiale et structurelle des milieux (Connell & Slatyer, 1977 ; Holtmeier & Broll, 2005). Cette hรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉ modifie ร son tour les conditions stationnelles et donc, les dynamiques de colonisation et de migration des espรจces qui sโy dรฉroulent (Pinson, 2013).
En gรฉnรฉral, en cas de migration, les espรจces ยซ opportunistes ยป sont les premiรจres ร sโimplanter. Ce sont des espรจces ร croissance rapide et ร fort potentiel de dispersion que lโon appelle aussi ยซ espรจces pionniรจres ยป (e.g. le mรฉlรจze, Larix decidua). Ce sont gรฉnรฉralement des espรจces hรฉliophiles qui ne tolรจrent pas lโombre que leur apportent les individus de plus haute stature (Connell & Slatyer, 1977 ; Albert et al., 2008).
Paradoxalement, il apparaรฎt que le mรฉlรจze entretient une relation inverse entre la lumiรจre disponible et son taux de germination. En effet, les graines de mรฉlรจze germent bien mieux si elles sont ร lโombre que si elles sont au soleil. Cependant, les plantules ont trรจs vite besoin de lumiรจre pour se dรฉvelopper et supplanter le reste de la vรฉgรฉtation (Albert et al., 2008).
Cโest le phรฉnomรจne dit de la ยซ facilitation ยป, oรน la croissance dโune espรจce est favorisรฉe par la prรฉsence dโune autre (Connell & Slatyer, 1977). Pour le cas du mรฉlรจze dans les Alpes (succession secondaire), ce sont surtout les espรจces herbacรฉes ou buissonnantes qui facilitent son dรฉveloppement.
Dans le mรชme temps, on retrouve souvent des espรจces qui sโaccommodent des faibles ressources que leur laissent les espรจces pionniรจres dominantes et qui donc parviennent ร cohabiter avec ces derniรจres (Connell & Slatyer, 1977).
Dans la plupart des cas cependant, lโinteraction spรฉcifique dominante dans les รฉcosystรจmes nโest pas la ยซ cohabitation ยป mais la ยซ compรฉtition ยป. Le modรจle de lโ ยซ inhibition ยป suggรจre que toutes les espรจces tolรจrent lโinvasion de compรฉtiteurs et que la lutte pour les ressources se base sur la dominance. Les espรจces pionniรจres empรชchent les espรจces suivantes de sโinstaller en sโaccaparant les ressources jusquโร ce quโelles finissent par disparaรฎtre ou quโune perturbation laisse de la place pour les espรจces suivantes, et ainsi de suite jusquโร lโarrivรฉe dโespรจces qui cohabitent et qui รฉventuellement facilitent lโimmigration dโautres espรจces (Connell & Slatyer, 1977).
Les sites abandonnรฉs par lโHomme voient donc souvent disparaรฎtre des espรจces nonadaptรฉes ร la compรฉtition face aux espรจces hรฉliophiles qui dโailleurs se reproduisent gรฉnรฉralement de maniรจre vรฉgรฉtative et donc, plus rapidement (Tasser & Tappeiner, 2002 ; Haugo et al., 2011). En outre, avec le changement climatique, la quantitรฉ de litiรจre va certainement augmenter dans les รฉtages subalpins et alpins (voir plus bas). Or, lorsque les sols sโenrichissent, les plantes apprรฉciant les sols pauvres pรฉriclitent : soit parce quโelles ne peuvent pas supporter le surplus de nutriments, soit parce quโelles ne peuvent tolรฉrer la compรฉtition des nouvelles espรจces qui se dรฉveloppent de pair avec lโeutrophisation du sol (Tasser & Tappeiner, 2002).
LES FACTEURS ENVIRONNEMENTAUX
Si la rรฉponse des plantes et de la treeline face aux perturbations climatiques ou anthropiques est si difficile ร prรฉvoir, cโest parce que de nombreux facteurs stationnels influencent les dynamiques naturelles dโadaptation ou de migration. Ces facteurs, dont lโinfluence varie selon lโรฉchelle considรฉrรฉe, peuvent donc fortement modifier lโeffet du climat sur la vรฉgรฉtation (FIGURE 6).
LE SOL
Le sol influe รฉnormรฉment sur la capacitรฉ des arbres ร se dรฉvelopper. Certains auteurs pensent mรชme que la position de la treeline serait en partie dรฉterminรฉe par lโaccessibilitรฉ aux nutriments du sol, notamment de lโazote. Dโailleurs, il apparaรฎt que les arbres se dรฉveloppent plus aisรฉment sur des terrains qui ont รฉtรฉ amandรฉs (Case & Duncan, 2014). En outre, la dรฉcomposition et la minรฉralisation de la matiรจre organique au sol รฉtant grandement dรฉpendante de la tempรฉrature, de lโhumiditรฉ et de la microtopographie, une รฉlรฉvation des tempรฉratures pourrait entraรฎner une augmentation de la quantitรฉ de litiรจre disponible aux hautes altitudes/latitudes, favorisant ainsi une expansion de la forรชt (Grace et al., 2002 ; Holtmeier & Broll, 2005).
En outre, les arbres eux-mรชmes modifient certaines caractรฉristiques du sol. Ils crรฉent de lโombre, ils tempรจrent les tempรฉratures du sol, ils ont un impact sur lโaccumulation de neige et les prรฉcipitations qui touchent le sol, ils effectuent une compรฉtition pour les ressources et ils influencent lโaccumulation de matiรจre organique et le cycle des nutriments (Haugo et al., 2011). Par consรฉquent, cela influe sur le dรฉveloppement des autres vรฉgรฉtaux mais รฉgalement sur dโautres facteurs limitant, comme lโhumiditรฉ.
LES FACTEURS CLIMATIQUES
En montagne, le vent peut agir indirectement sur le dรฉveloppement des vรฉgรฉtaux.
Les brises de pentes par exemple permettent une singularisation du microclimat et jouent un rรดle important de brassage et de dissipation des polluants atmosphรฉriques dans les vallรฉes urbanisรฉes et industrialisรฉes. Or, il se trouve quโil est possible de trouver dans les Alpes de fortes concentrations dโozone (O3, gaz corrosif responsable de dรฉgรขts importants sur les arbres), ou encore dโobserver des ยซ pluies acides ยป (issues dโune dissolution du dioxyde de souffre dans lโeau atmosphรฉrique conduisant ร la formation dโacide sulfurique : H2SO4) libรฉrant des mรฉtaux lourds dans lโenvironnement comme le cuivre, lโaluminium ou le mercure (Beniston, 2006).
A contrario, les vents violents peuvent induire une dessiccation de lโappareil foliaire par transpiration (e.g. par un effet dโabrasion), notamment en hiver si lโhumiditรฉ nโest pas suffisante. Les vents violents et les fortes tempรฉratures peuvent รฉgalement amincir le couvert neigeux et ainsi rรฉduire les rรฉserves dโeau du sol au printemps et diminuer la protection contre lโinsolation quโoffre la neige aux plantules (Camarero & Gutiรฉrrez , 2004 ; Holtmeier & Broll, 2005 ; Van Bogaert et al., 2011).
Par ailleurs, le dรฉveloppement dโรฎlots boisรฉs peut augmenter la quantitรฉ de neige accumulรฉe, notamment pour les espaces ยซ sous le vent ยป, conduisant ainsi ร une diminution de la pรฉriode vรฉgรฉtative, ร une augmentation de la pression sur les plantules (pouvant mener ร des blessures, des dรฉformations etc.), et ร une augmentation du risque dโinfections fongiques hivernales (Holtmeier & Broll, 2005).
Une faible humiditรฉ atmosphรฉrique et รฉdaphique peut donc limiter la germination et le dรฉveloppement des jeunes arbres (Vittoz et al., 2008). Mais les prรฉcipitations prรฉsentent dโautres intรฉrรชts indirects quโun simple apport en eau. Kรถrner (1995) a en effet suggรฉrรฉ que les phases de sรฉcheresse diminueraient lโactivitรฉ biologique des sols et donc la disponibilitรฉ en nutriments (in Vittoz et al., 2008).
Lโeffet de la variabilitรฉ climatique sur la treeline, bien que peu รฉtudiรฉe, semble รฉgalement รชtre un facteur important pouvant limiter lโexpansion de la forรชt. En effet, de longues pรฉriodes dโรฉlรฉvation de la treeline ont semble-tโil รฉtรฉ interrompues lorsque lโinstabilitรฉ du climat sโest accentuรฉe et que des vagues de tempรฉratures extrรชmes sont survenues (Camarero & Gutiรฉrrez, 2004 ; Harsch et al., 2009). On sait par exemple quโil existe une relation entre le gel et la survie des graines et des plantules au printemps et en automne.
Un rรฉchauffement durant ces pรฉriodes favorisent ainsi la colonisation et la densification forestiรจre (Camarero & Gutiรฉrrez, 2004).
La variabilitรฉ interannuelle des prรฉcipitations quant ร elle, dรฉjร extrรชmement importante dans les Alpes, risque dโaugmenter grandement dans le futur avec les consรฉquences que cela aurait pour la vรฉgรฉtation (Beniston et al., 1997 ; Rebetez & Dobbertin, 2004). Ainsi, certains auteurs pensent quโune รฉlรฉvation des tempรฉratures nโest pas susceptible de provoquer une รฉlรฉvation de la treeline si elle sโaccompagne dโune augmentation de la variabilitรฉ climatique (Camarero & Gutiรฉrrez, 2004). Or, dans les Alpes, il devrait y avoir ร lโavenir de plus en plus dโhivers trรจs rigoureux ou anormalement doux (Beniston et al., 1997), ainsi que des vagues de chaleur plus frรฉquentes, plus intenses et plus longues (Meehl & Tebaldi, 2004)
LA TOPOGRAPHIE
De nombreux paramรจtres topographiques influencent la prรฉsence des vรฉgรฉtaux. Par exemple, les trous et autres cuvettes vont avoir tendance ร maintenir lโenneigement, influant ainsi sur la durรฉe de la pรฉriode vรฉgรฉtative, lโhumiditรฉ du sol, les ressources en eaux ou en nutriments (Lassueur et al., 2006). Les effets de versant importent รฉgalement. En fonction de lโexposition des versants, ร altitude รฉgale, la quantitรฉ dโรฉnergie solaire reรงue au sol nโest pas identique. Cela induit des diffรฉrences de tempรฉratures entre les diffรฉrents versants et donc des positions variables de la treeline (Case & Duncan, 2014). Un autre facteur clรฉ ร prendre en compte est la perte de surface avec lโaltitude qui induit une baisse de la richesse spรฉcifique. En effet, en montant en altitude, la quantitรฉ de terres disponibles diminue et sa fragmentation augmente (Kรถrner, 2007a). Avec lโรฉlรฉvation des รฉtages de vรฉgรฉtation infรฉrieurs, certaines espรจces des รฉtages supรฉrieurs vont donc รชtre condamnรฉes ร disparaรฎtre ร mesure que leur propre habitat se rรฉduira (Carlson et al., 2013).
Lโeffet de masse joue lui aussi un rรดle dans le positionnement de la treeline. Les grosses montagnes ont tendances ร modifier lโenvironnement thermique en agissant comme des remparts contre les vents dominants. Par ailleurs, les massifs important prรฉsentent une amplitude thermique annuelle plus รฉlevรฉe, de mรชme que les milieux ร forte continentalitรฉ.
On trouve donc gรฉnรฉralement des treelines plus รฉlevรฉes dans les massifs ร fort effet de masse ou ร forte continentalitรฉ (Leonelli et al., 2011 ; Case & Duncan, 2014). Sโil peut arriver que la microtopographie favorise lโapparition de ยซ refuges ยป pour certaines espรจces face au changement climatique (Carlson et al., 2013), de maniรจre gรฉnรฉrale, la topographie risque plutรดt dโagir comme un obstacle ร lโimmigration des espรจces que comme une protection (Randin et al., 2013).
Les facteurs gรฉomorphologiques jouent รฉgalement un rรดle important dans la dynamique des communautรฉs vรฉgรฉtales de montagne. Les phรฉnomรจnes glaciaires et pรฉriglaciaires par exemple (pergรฉlisols, gรฉlifluxion, cryoturbation etc.) ont une influence sur la distribution des espรจces vรฉgรฉtales, sur lโhumiditรฉ du sol, de lโair ou encore sur la tempรฉratureย (Holtmeier & Broll, 2005 ; Virtanen et al., 2010). De plus, les perturbations gรฉomorphologiques favorisent gรฉnรฉralement lโhรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉ du paysage ainsi que lโimmigration en maintenant les milieux ouverts ou en gรฉnรฉrant de nouvelles surfaces ร conquรฉrir (Virtanen et al., 2010).
Cependant, en milieu de haute-montagne, il est trรจs important de prendre en compte lโeffet de lโรฉlรฉvation des tempรฉratures sur les processus gรฉomorphologiques. Les effets dโun tel rรฉchauffement sur les milieux glaciaires et pรฉriglaciaires peuvent รชtre nombreux : retrait et dรฉsagrรฉgation des glaciers, augmentation des รฉcroulements rocheux ร cause du rรฉchauffement du pergรฉlisol, modification de la durรฉe dโenneigement etc. (Leonelli et al., 2011). En outre, le changement climatique risque dโimpacter la magnitude et la frรฉquence des glissements de terrain, des laves torrentielles, ou encore des taux dโรฉrosion et de sรฉdimentation via une augmentation de la frรฉquence et de lโintensitรฉ des inondations (Beniston, 2006).
Au final, dans les zones oรน la forรชt est limitรฉe par des facteurs gรฉomorphologiques ou orographiques, le changement climatique ne devrait pas visiblement modifier la localisation de la forรชt. Toutefois, si les dynamiques de migration de la treeline sโintensifient, la forรชt devrait se rapprocher de plus en plus des pics et aiguilles alpines et donc, des contraintes gรฉomorphologiques. Cela pourrait, ร terme, entrainer la disparition (au moins locale) de nombreuses espรจces ร cause de la diminution et de la fragmentation des habitats ouverts (Leonelli et al., 2011).
Il est donc clair que de nombreux facteurs peuvent moduler voire annuler lโinfluence du climat sur la position et la structure de lโรฉcotone de la treeline. Ainsi, il est attendu que, malgrรฉ des รฉlรฉvations importantes des tempรฉratures moyennes, dans la plupart des sites, la position de la treeline ne montre pas de tendance significative ร lโรฉlรฉvation ร cause de lโinfluence dโautres facteurs (Kullman & รberg, 2009).
ANALYSE DE LโEVOLUTION DE LA TREELINE
Sโil est possible dโobserver lโรฉvolution de la treeline rรฉelle du massif uniquement grรขce ร la couche dโรฉvolution forestiรจre, ce nโest pas le cas pour la treeline thรฉorique/potentielle. Une maniรจre dโรฉtudier son รฉvolution serait de calculer lโaltitude exacte oรน lโon trouve une pรฉriode vรฉgรฉtative dโau moins 94 jours ayant pour moyenne thermique 6,7ยฐC ยฑ0,8ยฐC (Kรถrner, 2007b) pour 1952 et pour 2006. Seulement, puisque le modรจle SAFRAN offre une faible prรฉcision spatiale et ne remonte pas jusquโen 1952, cette mรฉthode nโest peut-รชtre pas la plus indiquรฉe pour cette รฉtude.
Une autre technique, privilรฉgiรฉe ici, est celle utilisรฉe par Gehrig-Fasel et al. (2007) pour รฉtudier lโinfluence du climat et de lโabandon des terres agricoles sur la treeline des Alpes suisses. Elle sโintitule ยซ mรฉthode dโanalyse focale ยป (focalmax analysis).
Cette mรฉthode fonctionne un peu comme une moyenne mobile. On fait passer une fenรชtre mobile (moving window) sur la zone dโรฉtude afin de lisser lโaltitude du pixel central (focal) grรขce aux valeurs de ses voisins contenus dans le cadre de la fenรชtre. En clair, on considรจreย que lโaltitude des pixels de forรชt les plus รฉlevรฉs dans la fenรชtre focale reprรฉsente lโaltitude de la treeline potentielle rรฉgionale. Bien sรปr, cette technique nโest efficace que si par endroit, la forรชt monte effectivement jusquโร sa treeline climatique (Gehrig-Fasel et al., 2007). Cependant, pour des zones dโรฉtudes trรจs รฉtendues, comme cโest le cas ici, la probabilitรฉ que plusieurs avancรฉes de forรชt non-perturbรฉes atteignent leur treeline climatique est assez รฉlevรฉ, notamment sur les crรชtes (Holtmeier & Broll, 2005).
Pour appliquer cette mรฉthode, il a dโabord fallu multiplier chaque couche de forรชt (1952 et 2006) avec le MNE afin dโattribuer une valeur dโaltitude ร chaque pixel tout en restant au format raster (donc sans transformer les couches en vecteurs de points).
Ensuite, il a รฉtรฉ nรฉcessaire de choisir la taille appropriรฉe de fenรชtre. Il apparaรฎtrait quโune ยซ fenรชtre de 10km de cรดtรฉ est assez restreinte pour capturer les diffรฉrences rรฉgionales dans lโรฉlรฉvation de la treeline climatique et suffisamment grande pour รฉviter les biais dus ร des micro-conditions climatiques locales (Paulsen & Kรถrner, 2001 in Gehrig-Fasel et al., 2007) ยป. Comme cette recommandation sโapplique pour des รฉtudes ร petite รฉchelle, deux tailles de fenรชtres ont รฉtรฉ retenues : 5000 et 10 000m.
Ainsi, grรขce ร lโoption ยซ MAXIMUM ยป de lโoutil de Statistiques Focales dโArcGIS, deux fenรชtres mobiles circulaires de 5 et 10km de rayon ont รฉtรฉ appliquรฉes sur les deux couches de forรชt. Cela a permis dโobtenir pour chaque date, deux couches prรฉsentant lโaltitude maximum de la forรชt dans un rayon รฉquivalent au rayon de la fenรชtre. En utilisant une nouvelle fenรชtre focale avec cette fois-ci lโoption ยซ MEAN ยป (moyenne) quโon a appliquรฉ sur les couches dโaltitude maximum de la treeline, il a รฉtรฉ possible de lisser les valeurs maximums et ainsi de reprรฉsenter graphiquement la treeline potentielle rรฉgionale moyenne pour chaque taille de fenรชtre et pour chaque date (FIGURE 10).
Maintenant, on peut supposer quโen thรฉorie, le changement climatique en tant que facteur de la rรฉgรฉnรฉration des forรชts serait principalement responsable des modifications de la treeline au-dessus de la treeline climatique ยซ historique ยป (ici celle de 1952), alors que lโabandon des terres serait plutรดt responsable de ce qui se passe en-dessous de la treeline historique (Gehrig-Fasel et al., 2007 ; Amรฉztegui et al., 2010). En effet, sโil nโy a pas dโinfluence du changement climatique, alors lโutilisation du sol ne devrait pas modifier la structure ou la position de la treeline au-dessus de la limite supรฉrieure ยซ historiqueยป de la forรชt (Gehrig-Fasel et al., 2007).
Par consรฉquent, tous les pixels de forรชt en 2006 situรฉs au-dessus de la treeline climatique de 1952 peuvent รชtre considรฉrรฉs comme ayant profitรฉ dโune รฉlรฉvation des tempรฉratures (ou รฉventuellement de lโattรฉnuation dโun autre facteur limitant : gรฉomorphologie, humiditรฉ du sol etc.).
Pour repรฉrer ces รฉventuels pixels de forรชt dont lโรฉlรฉvation serait due au climat, il a suffi de soustraire aux deux couches reprรฉsentant la treeline climatique potentielle de 1952 la couche de forรชt de 2006 ร lโaide de la Calculatrice Raster dโArcGIS.
DESCRIPTION GENERALE DE LโEVOLUTION FORESTIERE
Le pรฉrimรจtre total de la zone dโรฉtude mesure 139,4km pour une superficie ยซ plane ยป de 635km2soit 63 560 hectares environ. Rappelons que puisque chaque pixel des couches de forรชt mesure 15m de cรดtรฉ, un pixel couvre une surface de 225m2.
En 1952, la forรชt recouvrait une surface plane de 8942,5 hectares soit environ 14% de la surface totale du massif (FIGURE 11). En 2006 en revanche, la forรชt recouvrait une surface plane de 14 316,1 hectares, soit 22,5% de la surface totale du massif du Mont-Blanc. On peut donc observer une augmentation relative de la surface forestiรจre de 60,1% avec 5373,6 hectares de couvert boisรฉ supplรฉmentaire en 2006 par rapport ร 1952.
Comme attendu, les estimations de surface rรฉelle donnent des superficies beaucoup plus importantes que les superficies virtuelles planes et horizontales. En effet, la surface totale de la zone dโรฉtude en tenant compte du relief passe de 635 ร 744 km2 environ, et les surfaces forestiรจres de 1952 et de 2006 passent respectivement de 89,42 ร 100,93km2et de 143,16 ร 161,28 km2.
Cependant, bien que ces รฉcarts soient assez importants, ils ne changent pas rรฉellement les tendances observรฉes.
En superficie rรฉelle estimรฉe, la forรชt recouvrait 13,55% de la surface du massif en 1952 et environ 21,65% en 2006, ce qui est trรจs proche des surfaces planes calculรฉes.
Pour ce qui est de lโรฉvolution dรฉtaillรฉe de lโoccupation forestiรจre du sol, les diffรฉrences entre surface thรฉorique plane et surface rรฉelle sont รฉgalement importantes bien quโencore une fois, les tendances ne sโen trouvent pas profondรฉment modifiรฉes. Les zones oรน la forรชt sโest maintenue entre 1952 et 2006 occupent 12,44% de la superficie totale du massif (soit 7901,8 ha), et le gain net de forรชt est de lโordre de 6400,7 ha, soit 10,07% de la surface totale. En revanche, le massif a tout de mรชme perdu 1035,6 ha de forรชt depuis 1952, soit 1,63% de sa surface totale.
Au vu de la FIGURE 12, on peut observer que dans lโensemble, la distribution de la forรชt en fonction de lโaltitude en 1952 et en 2006 est plutรดt rรฉguliรจre. On note cependant une trรจs lรฉgรจre dissymรฉtrie vers le haut, plus marquรฉe pour 1952, indiquant une forte concentration de forรชt au-dessus de 1500m environ, les distributions de la forรชt en dessous des altitudes mรฉdianes รฉtant plus รฉtalรฉes. La dispersion des deux distributions est cependant comparable, avec un coefficient interquartile de 0,301 pour 1952 et de 0,299 pour 2006.
Quoiquโil en soit, il est clair au vu de ce graphique que la forรชt sโest nettement รฉlevรฉe entre 1952 et 2006. En effet, lโaltitude mรฉdiane de la forรชt est passรฉe de 1454m en 1952 ร 1542m en 2006, et le 9รจme dรฉcile de forรชt sโest รฉlevรฉ de prรจs de 120 mรจtres durant la mรชme pรฉriode, passant de 1803 ร 1920m dโaltitude (alors que le 1er dรฉcile ne sโest รฉlevรฉ que de 48m). Cela confirme que la surface forestiรจre a grandement augmentรฉe depuis le siรจcle dernier et ce, principalement dans les altitudes hautes (>1500m), ce qui suggรจre une remontรฉe de la treeline. De fait, lโaltitude des arbres les plus รฉlevรฉs a augmentรฉ de prรจs de 50m en seulement 54 ans.
DESCRIPTION DE LโEVOLUTION PAR ยซ REGION ยป
Tout dโabord, il est intรฉressant dโobserver la rรฉpartition des terres du massif en fonction de la ยซ rรฉgion ยป. On peut donc voir que, sans surprise, la Haute-Savoie reprรฉsente la plus grande part du massif puisque 52,97% de la superficie de ce dernier est en territoire haut-savoyard (soit 33 647 ha environ). Soulignons cependant que prรจs de 64% de la surface dโรฉvolution (surface de gains, pertes et maintien de la forรชt) du massif se trouve en Haute-Savoie, ce qui veut dire que cette rรฉgion reprรฉsente prรจs des 2/3 des contributions de lโรฉvolution des surfaces forestiรจres du massif du Mont-Blanc. Le Valais vient en seconde position puisque son territoire reprรฉsente 22,33% du massif et que sa contribution pour lโรฉvolution de lโoccupation du sol est dโenviron 29%. Ensuite, malgrรฉ une surface ร peu prรจs รฉquivalente ร celle du Valais (avec 20,06% du massif), le Val dโAoste ne reprรฉsente que 6,5% de la surface dโรฉvolution. Enfin la Savoie, qui ne reprรฉsente que 4,64% de la superficie du massif, offre une modeste contribution de 0,6% des surfaces dโรฉvolution (TABLEAU 2).
ETUDES DES HABITATS VEGETALISES EN FONCTION DES PARAMETRES TOPOGRAPHIQUES
La FIGURE 22 permet dโapprรฉcier dโun seul coup dโลil la part importante que reprรฉsente la forรชt dans le massif du Mont-Blanc par rapport aux autres types dโhabitats accueillant des communautรฉs vรฉgรฉtales. De fait, en-dessous de 1800m, les espaces vรฉgรฉtalisรฉs sont pratiquement entiรจrement dominรฉs par la forรชt (qui couvre prรจs de 11 500 hectares), ne laissant que quelques 1600 hectares de pelouses montagnardes (ou รฉventuellement subalpines) et environ 750 hectares de landes. Entre 1800 et 2400 mรจtres en revanche, on peut constater que les espaces ouverts dominent encore le paysage. La forรชt y reprรฉsente prรจs de 3000 hectares, mais cโest bien la lande et la pelouse subalpine qui occupent la plus grande surface. La pelouse alpine et les sols nus vรฉgรฉtalisรฉs commencent รฉgalement ร couvrir une grande surface ร cette altitude. Au-dessus de 2400m, la forรชt ne reprรฉsente plus que 0,8 ha et cโest cette fois la pelouse alpine et les sols nus qui composent la plus grande part du paysage. Leur part est dโautant plus importante que la surface terrestre diminue avec lโaltitude. Ainsi, au-delร de 3000m, seuls restent quelques sols nus vรฉgรฉtalisรฉs qui ne reprรฉsentent toutefois que 6 ha, les terres restantes appartenant au monde minรฉral ou glaciaire.
DISCUSSION
De maniรจre gรฉnรฉrale, il est clair que la forรชt du massif du Mont-Blanc a connu de nombreux changements au cours de ces derniรจres dรฉcennies. Le couvert forestier a par exemple gagnรฉ plus de 6400 hectares en lโespace de 54 ans. Et mรชme si de nombreuses ยซ pertes ยป de forรชt sont ร dรฉnombrer, celles-ci restent largement minoritaires.
Si la tranche altitudinale situรฉe entre 300 et 600m dโaltitude est la seule ร prรฉsenter plus de pertes de forรชt que de gains sur lโensemble de la zone dโรฉtude, cโest car ce secteur, trรจs rรฉduit, est localisรฉ sur la zone artisanale de la commune de Passy, qui a donc certainement connu de nombreux dรฉboisements ร des fins de construction (ateliers, entrepรดts, autoroute, incinรฉrateur etc.) entre 1952 et 2006 (Martin, 2013).
Maintenant, plus des trois-quarts des pertes ont รฉtรฉ observรฉs entre 900 et 1800m dโaltitude. Or, cโest justement dans cette tranche altitudinale que se trouve la quasi-totalitรฉ des villages du massif : Chamonix, St Gervais, les Contamines, Entrรจves, Orsiรจres, Champex, Vallorcine etc. La plus grande partie des pertes observรฉes ร cette altitude est donc certainement due ร lโurbanisation trรจs importante quโon connu les vallรฉes du massif, principalement sur leurs parties basses et relativement plates, dโoรน la faible superficie des habitats naturels dans ces configurations (FIGURE 22). En outre, une bonne part des pistes de ski des stations de la rรฉgion se trouve aux alentours de 1800m, cโest notamment le cas de la station des Houches ร lโemplacement de laquelle des traces de dรฉboisement sont visibles sur la FIGURE 10.
La limite de 1800m coรฏncide รฉgalement ร peu prรจs avec la limite supรฉrieure de lโexploitation forestiรจre dans le massif du Mont-Blanc. En effet, les pentes du massif รฉtant particuliรจrement abruptes, surtout sur les versants haut-savoyards et valdotains, les dessertes forestiรจres sont par consรฉquent peu nombreuses. Par ailleurs, les cรขbles-mรขts utilisรฉs pour le dรฉbardage des grumes de bois ne peuvent atteindre que des longueurs relativement restreintes : environ 800 mรจtres pour les cรขbles courts, et environ 1400m pour les cรขbles longs9. Ainsi, lโexploitation forestiรจre dans le massif du Mont-Blanc ne dรฉpasse que rarement les 1800 โ 2000m dโaltitude.
Une autre partie des pertes peut certainement aussi รชtre imputรฉe aux processus gรฉomorphologiques, รฉvidemment nombreux dans le massif. En effet, sur la FIGURE 10, on peut observer que de nombreuses pertes sont situรฉes le long de talwegs ou sur des cรดnes de dรฉjections, notamment dans le Val dโAoste ou dans la partie sud du secteur valaisan. Le versant valdotain รฉtant particuliรจrement escarpรฉ (FIGURE 26), il est possible que des processus de versant comme des coulรฉes de boue, des avalanches ou des รฉcroulements rocheux soient ร lโorigine de ces pertes.
Enfin, il ne faut pas oublier que mรชme si la classification par photo-interprรฉtation est une mรฉthode assez fiable, il existe toujours un risque dโerreur. Ainsi, on distingue gรฉnรฉralement les erreurs de ยซ commission ยป, quand on prรฉdit la prรฉsence dโun individu (ici un arbre ou un groupe dโarbre) alors quโil nโest pas lร , et les erreurs dโ ยซ omission ยป, quand on passe ร cรดtรฉ dโun individu pourtant bien prรฉsent (Guisan & Thuiller, 2005). Par consรฉquent, il est รฉvidemment possible quโune petite partie des pertes, des gains ou du maintien observรฉs, rรฉsulte en rรฉalitรฉ dโune erreur de classification.
Cโest probablement le cas en Savoie, oรน les pertes se sont avรฉrรฉs proportionnellement รฉlevรฉes (induisant รฉgalement un maintien plus faible et donc des gains plus forts). Une analyse a posteriori a permis de constater quโune bonne partie des pertes observรฉes rรฉsultaient en fait dโune erreur de commission : de fait, sur le bords de la mosaรฏque dโorthophotographies, le grain de lโimage peut รชtre particuliรจrement mauvais (Aplin, 2001).
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Table des matiรจres
RESUMEย
ABSTRACTย
REMERCIEMENTSย
LISTE DES ACRONYMES ET DES ABREVIATIONSย
SOMMAIREย
AVANT-PROPOS
INTRODUCTIONย
1. METHODOLOGIE
2. RESULTATS
3. DISCUSSION
4. PERSPECTIVES
CONCLUSIONย
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUESย
WEBOGRAPHIEย
TABLE DES FIGURESย
TABLE DES TABLEAUXย
TABLE DES ANNEXESย
TABLE DES MATIERESย
ANNEXES
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