Etude d’effets relativistes en champ gravitationnel fort

Géodésiques de genre temps

       Concentrons nous sur les trajectoires de particules massives suivant des orbites liées (c’est-à-dire ne s’échappant pas à l’infini). En négligeant leur physique interne ainsi que les effets de marées, ce seront des trajectoires possibles pour les étoiles se trouvant aux abords du trou noir. Un effet bien connu des orbites relativistes est la précession du périastre qui a constitué la première vérification de la théorie d’Einstein sur le cas de Mercure. La Fig. 1.2 illustre cet effet pour une orbite équatoriale en métrique de Schwarzschild. Au vu des axes, on constate que l’on est ici en champ faible : la valeur de la coordonnée r au périastre 10. Lorsqu’il s’agit d’un trou noir, l’appellation périastre peut se discuter, mais elle sera utilisée dans ce manuscrit. On rencontre dans la littérature :
– périapse, du Grec peri, autour de, et hapsis, désignant un objet de forme courbe ou circulaire ;
– péribothron, du Grec bothros, le trou ;
– périnegricon, du Latin niger, noir, la terminaison en on étant “à la grecque” ;
– périmélanophrear, du Grec melas, au génitif melanos, signifiant noir, obscur, et phrear qui veut dire puits ; l’utilisation de phrear est d’autant plus convaincante qu’on en trouve une occurrence chez Platon (Théétète, 174 c) pour désigner un lieu où la pensée s’égare… On pourrait proposer aussi bien périmélandinè , du Grec dinè signifiant gouffre, tourbillon, c’est-à-dire quelque chose qui aspire en tournoyant. Cela conviendrait parfaitement pour un trou noir de Kerr. Cependant, dès que la particule se rapproche de l’objet compact, l’aspect des orbites se diversifie énormément par rapport au cas newtonien. Même si l’on se restreint aux orbites liées et confinées au plan équatorial du trou noir de Kerr, le paysage est très varié. Les orbites ne sont plus elliptiques, et plus forcément périodiques. Cependant, et c’est ce qui confère une certaine simplicité aux orbites équatoriales, elles resteront confinées dans ce plan au cours de leur évolution. Au contraire, les orbites non équatoriales ne seront même plus planes lorsque le paramètre de spin est non nul. Une intéressante taxonomie des orbites équatoriales en métrique de Kerr a été établie récemment dans une étude menée par Levin & Perez-Giz (2008) à laquelle le lecteur est renvoyé pour plus de détails, et plus d’exemples d’orbites relativistes en champ fort. La Fig. 1.3 représente une orbite confinée au plan équatorial. On constate que cette orbite n’est pas fermée et précesse comme celle de la Fig. 1.2. Ici pourtant, l’orbite n’a plus  Toutes les orbites de particules massives autour d’un trou noir de Kerr ne sont pas aussi complexes que les Figs. 1.3 et 1.4 le laissent supposer. Une particule peut suivre, dans le plan équatorial d’un trou noir de Kerr, une orbite circulaire de n’importe quel rayon supérieur à un rayon critique, rISCO, correspondant à la dernière orbite circulaire stable (souvent appelée ISCO, de l’acronyme anglais innermost stable circular orbit). Le rayon de l’ISCO varie en fonction du spin du trou noir, mais le relation n’est pas immédiate. On la trouvera, ainsi qu’une discussion approfondie des orbites en métriques de Kerr, dans Bardeen et al. (1972). On peut retenir qu’il s’agit d’une fonction décroissante du spin. Sa valeur varie entre rISCO(a = 1) = M et rISCO(a = 0) = 6 M. On verra dans la suite le rôle particulier que joue l’ISCO dans l’étude des trous noirs : elle peut permettre d’avoir accès au spin a.

Difficultés liées à la mesure de la phase

     Les sections précédentes, assez théoriques, ne se sont pas du tout intéressées à la mesure effective des observables interférométriques que sont le module de la fonction de visibilité V (u, v) et la phase ϕ(u, v). Il n’est pas question ici d’aborder ces sujets qui demanderaient de trop longs développements. On ne va décrire, très succinctement, que les effets de l’atmosphère terrestre sur la mesure de la phase (quantité cruciale, comme on l’a vu plus haut, pour obtenir des images à partir des données interférométriques, et pour parvenir à une haute précision astrométrique). On a vu dans la section 2.1.1 que la résolution angulaire d’un télescope de diamètre D était de λ/D. Cependant, ceci ne tient aucun compte de la turbulence atmosphérique. Celle-ci a pour effet de rendre complètement décorrélés en phase deux points de l’ouverture distants de moins d’une certaine longueur appelée paramètre de Fried, r0, qui est typiquement égal à quelques dizaines de centimètres en infrarouge. Si r0 < D (ce qui est toujours le cas !), c’est la turbulence atmosphérique qui dicte les performances du télescope, limitant la résolution à la valeur du seeing : λ/r0. L’optique adaptative est une technique qui permet de corriger les effets de la turbulence pour s’approcher de la limite de diffraction. L’idée est de corriger les distorsions du front d’onde en réfléchissant la lumière sur un miroir pouvant se déformer à une cadence suffisamment élevée pour suivre les variations de la turbulence (typiquement de l’ordre de la dizaine de millisecondes en infrarouge). On obtient alors des fronts d’onde plans au niveau de chaque télescope, mais décalés d’une certaine valeur de chemin optique, appelée piston atmosphérique. Cet effet est illustré Fig. 2.6. On constate que ce piston atmosphérique décale les franges d’interférence par rapport au zéro de différence de marche où les franges se trouveraient en l’absence d’effet atmosphérique. Ceci se traduit par une variation rapide de la valeur de la phase ϕ au même rythme que la turbulence. Il faut donc corriger ce piston atmosphérique en ramenant les franges d’interférence à leur position de référence (c’est-à-dire à la position de différence de marche nulle pour la Fig. 2.6). Une boucle d’asservissement permet de réaliser cette opération : on l’appelle suiveur de frange. Cette correction est absolument nécessaire pour obtenir des observables interférométriques exploitables, puisqu’elle permet d’intégrer suffisamment longtemps sur la source observée, sans être limité par le temps caractéristique de variation de la turbulence. Une difficulté supplémentaire intervient lorsque la source d’intérêt scientifique est trop faible pour que des franges soient observables en intégrant seulement pendant un temps inférieur à la variation de la turbulence. Dans ce cas, il est nécessaire d’opérer la correction de piston sur une autre source plus brillante, affectée par la turbulence de façon analogue à la source d’intérêt (donc située suffisamment proche d’elle sur le ciel). On parle alors d’interférométrie à référence de phase. Ces différentes techniques (optique adaptative, suivi de frange, référence de phase), nécessaires pour obtenir une bonne mesure de phase, vont permettre de pousser à son maximum la précision astrométrique de l’instrument (voir section 2.2.3) et vont permettre d’envisager de construire des images 3 à partir des données interférométrique à condition que l’échantillonnage du plan (u, v) soit suffisant (voir section 2.2.1). On verra dans le chapitre 4 que la réalisation de ces performances permet d’envisager d’utiliser l’interférométrie pour mettre à l’épreuve certaines prédictions de la relativité générale.

Un amas sombre d’étoiles faibles ou de résidus stellaires

       On peut imaginer que le centre galactique ne contienne pas de trou noir supermassif mais soit constitué d’un amas sombre très dense d’étoiles faibles et de résidus stellaires (étoiles à neutrons, trous noirs stellaires). En étudiant l’orbite de l’étoile S2, Schödel et al. (2002) ont montré, en supposant un profil de Plummer 2 pour la densité, que la densité centrale de l’amas devrait alors atteindre 1017M⊙ pc−3. Un tel amas ne sera stable que si ses constituants ne s’évaporent pas (c’est-à-dire, ne s’échappent pas de l’amas sous l’effet de déflexion gravitationnelle des autres constituants de l’amas) et si l’amas n’est pas détruit par les collisions entre ses constituants. Maoz (1998) montre que le temps caractéristique de stabilité d’un amas soumis à ces deux seuls effets (qui sont les effets dominants à prendre en compte pour l’étude de la stabilité de l’amas) avec la densité centrale établie plus haut n’est que de quelques 105 ans, durée bien trop courte pour être envisageable, les étoiles S ayant une durée de vie supérieure.

Performances visées pour l’instrument

       Pour les cas scientifiques qui nous intéresseront dans la suite, la principale performance de GRAVITY est sa précision astrométrique de 10 µas sur une source scientifique de magnitude en bande K mK = 15 pour un temps d’intégration de 5 minutes, cette précision devant rester stable pendant plusieurs heures. Il faut s’attarder un instant sur cette valeur : 10 µas représente la taille angulaire d’une pièce de 1e sur la Lune observée depuis la Terre… Plus scientifiquement, c’est précisément la taille angulaire de l’horizon des événements du trou noir central de la Galaxie, Sgr A*. Ainsi, GRAVITY permettra de suivre des phénomènes dynamiques d’une taille comparable à l’horizon du trou noir central, avec un temps d’intégration de quelques minutes seulement.

Le centre galactique

      L’analyse de la population stellaire du centre galactique (Genzel et al. 2003b; Paumard et al. 2006), extrapolée au 60 mas centrales (correspondant au diamètre du champ de vue gaussien de GRAVITY), permet de prédire le nombre d’étoiles que l’instrument pourra observer. La Fig. 7 de Genzel et al. (2003b) permet d’extrapoler une densité numérique d’environ 80 étoiles vérifiant 10 < mK < 17 par seconde d’angle au carré ayant une distance au centre inférieure à 30 mas (c’est-à-dire, dans le champ de vue de GRAVITY). Il y a donc 80 × π × 0.032 ≈ 0.2 étoile dans le champ de vue de l’instrument, soit moins d’une étoile continûment détectable. Cependant, comme la densité numérique augmente lorsque le rayon diminue, on pourra détecter davantage d’étoiles moins brillantes, soit à mK > 17, mais ceci demandera un plus long temps d’intégration. On a vu dans la section 3.2 que l’étoile S2, très proche du trou noir (125 UA au périastre), a une période d’une quinzaine d’années. Les nouvelles étoiles faibles qui seront très probablement détectées par GRAVITY auront une période de l’ordre de l’année, permettant de mettre en lumière la précession relativiste de Schwarzschild du périastre de leurs orbites (Paumard et al. 2008; Gillessen et al. 2010). Par ailleurs, la meilleure précision que permettra GRAVITY sur les mouvements propres et les accélérations des étoiles du centre galactique, et de ce fait sur leurs éléments orbitaux, permettra probablement de faire progresser le débat sur la formation des étoiles aux abords du trou noir central qui a été présenté dans la section 3.1. De plus, la source Sgr A* présente des sursauts intenses de rayonnement en submillimétrique, infrarouge et en rayons X. Dans l’infrarouge proche, ces événements sont observables statistiquement une à deux fois par jour (voir la section 10.1), durent une à deux heures, et présentent une pseudo-période de l’ordre de la vingtaine de minutes. La physique sous-jacente à ces événements, et l’existence même d’une pseudo-période, sont très débattues et aucun consensus n’a encore émergé, comme on le verra dans la section 10.1. Il est possible que ces phénomènes soient dus à une boule d’électrons chauffés par reconnexion magnétique dans un disque d’accrétion entourant le trou noir, et qui orbiterait sur une orbite proche de l’ISCO : c’est le cadre proposé par le modèle dit du point chaud. Avec sa précision astrométrique de l’ordre de la taille angulaire du rayon de Schwarzschild du trou noir, GRAVITY est l’instrument idéal pour mettre à l’épreuve ce modèle : on verra dans le chapitre 10 que l’instrument pourra être utilisé pour contraindre le mouvement d’un éventuel point chaud.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
I Contexte 
1 Mouvement géodésique à proximité d’un trou noir 
1.1 Trou noir
1.1.1 Gravitation et géométrie
1.1.2 Solution de Schwarzschild
1.1.3 L’espacetemps de Kerr
1.1.4 Théorème d’absence de chevelure
1.2 Orbites en métrique de Kerr
1.2.1 Équation des géodésiques
1.2.2 Quelques aspects des orbites relativistes
2 Notions d’interférométrie 
2.1 Imagerie et interférométrie
2.1.1 Composantes de Fourier d’une image
2.1.2 Imagerie, diffraction et interférométrie
2.2 Interférométrie à plusieurs télescopes
2.2.1 Fonction de cohérence, fonction de visibilité
2.2.2 Fonction de transfert et PSF
2.2.3 Résolution et précision astrométrique
2.2.4 Difficultés liées à la mesure de la phase
3 Le trou noir au centre de la Galaxie 
3.1 Un bref aperçu du parsec central de la Galaxie
3.1.1 Les principales structures
3.1.2 L’amas nucléaire
3.2 Sagittarius A*
3.2.1 Un trou noir au centre de la Galaxie ?
3.2.2 Alternatives au trou noir
3.3 Spectre d’émission, disque d’accrétion
3.3.1 Spectre d’émission
3.3.2 Structure d’accrétion
4 L’instrument GRAVITY 
4.1 Description succincte de l’instrument
4.1.1 Concept instrumental
4.1.2 Performances visées pour l’instrument
4.2 Les cas scientifiques de GRAVITY
4.2.1 Le centre galactique
4.2.2 Autres cas scientifiques de l’instrument
II Performance astrométrique de l’instrument GRAVITY 
5 Astrométrie en mode imageur 
5.1 Mesure astrométrique en interférométrie
5.1.1 Méthode classique
5.1.2 Intérêt du mode imageur
5.2 Simulation du bruit instrumental induit par GRAVITY
5.2.1 Bruit de détection
5.2.2 Fluctuations du rapport de Strehl
5.2.3 Bruits sur la visibilité complexe
5.3 Simulation des données observationnelles
6 Précision astrométrique de GRAVITY 
6.1 Observation de sources ponctuelles fixes
6.1.1 Commentaires généraux sur les résultats astrométriques
6.1.2 Résultats pour une étoile
6.1.3 Résultats pour deux étoiles
6.1.4 Résultats pour trois étoiles
6.2 Observation d’une source ponctuelle variable
6.2.1 Simulations réalisées
6.2.2 Mise en évidence du mouvement du point chaud
III GYOTO, un code de calcul d’orbite en relativité générale 
7 GYOTO en métrique de Kerr 
7.1 Méthode d’intégration des géodésiques
7.1.1 Équation des géodésiques utilisée
7.1.2 Déroulement de l’intégration
7.2 Transfert radiatif
7.3 Calcul de spectres
7.3.1 Spectre d’objets optiquement épais
7.3.2 Spectre d’objets optiquement minces
7.4 Objets astrophysiques implémentés
7.4.1 Étoile en orbite
7.4.2 Disque mince
7.4.3 Disque avec instabilité de Rossby
7.4.4 Tore d’accrétion (polish doughnut)
8 Calcul d’orbite dans des métriques numériques 
8.1 Le formalisme 3+1
8.1.1 Le formalisme et son application à GYOTO
8.1.2 Aperçu des fondements théoriques
8.2 Équation des géodésiques en formalisme 3+1
8.2.1 Intérêt d’une équation des géodésiques en 3+1
8.2.2 Dérivation
8.3 Étoile relativiste en rotation
8.3.1 Étoile relativiste en rotation
8.3.2 Équation des géodésiques pour un espacetemps axisymétrique stationnaire
8.3.3 Application à la métrique d’une étoile relativiste en rotation
IV Simulations d’observations pour contraindre l’objet compact au centre de la Galaxie 
9 Tore d’accrétion autour de Sgr A* 
9.1 Le modèle du polish doughnut
9.1.1 Motivations physiques
9.1.2 Le polish doughnut : développements théoriques
9.1.3 Processus radiatifs au sein du tore ionisé
9.2 Simulations d’observation
9.2.1 Modélisation de l’image d’un tore ionisé
9.2.2 Modélisation du spectre émis par un tore ionisé
10 Sursaut de rayonnement aux abords de Sgr A* 
10.1 Un trou noir qui sursaute
10.1.1 Les sursauts de rayonnement de Sgr A*
10.1.2 Origine des sursauts
10.2 Le modèle du point chaud
10.2.1 La physique sous-jacente
10.2.2 Des périodes mesurées au spin du trou noir
10.3 Simulations d’un point chaud en orbite autour de Sgr A*
10.3.1 Modélisation d’un point chaud par GYOTO
10.3.2 Simulations de courbes de lumière et de trajectoires de centroïde
10.3.3 Allure de la courbe de lumière et de la trajectoire du centroïde en fonction des paramètres du point chaud
10.4 Simulations d’observations par GRAVITY
10.4.1 Cadre de l’analyse
10.4.2 Observations simulées
10.4.3 Mise en évidence du mouvement du point chaud en fonction de l’inclinaison
V Perspectives d’application de GYOTO dans des métriques non analytiques 
11 Le gravastar 
11.1 Le gravastar dans la littérature
11.1.1 Une approche intuitive du gravastar
11.1.2 Les modèles de gravastar
11.1.3 Vers des contraintes observationnelles ?
11.2 Implémentation du gravastar dans LORENE
11.2.1 L’objet gravastar dans LORENE
11.2.2 Difficultés rencontrées et orientations de travail futur
12 Effondrement d’une étoile à neutrons 
12.1 Espacetemps dynamique
12.2 Calculs d’effondrement : le code CoCoNuT
12.3 Visualisation GYOTO
12.3.1 Déroulement de l’intégration des photons
12.3.2 Visualisation de l’étoile en effondrement
Conclusion et perspectives
Annexe

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *