Le nématode Trichinella spp. est un parasite zoonotique des viandes à l’origine de la trichinellose. Les larves de Trichinella spp. sont présentes dans les fibres musculaires et infectent l’hôte lorsque la viande est consommée crue ou peu cuite (Dorny et al., 2009). Ce nématode a la particularité de pouvoir envahir son hôte tout en développant des stratégies complexes pour détourner la cellule hôte en cellule nourricière, dans laquelle il est capable de vivre pendant des années à l’abri du système immunitaire. Trichinella spp. a également la caractéristique de pouvoir s’adapter à une grande diversité d’hôtes (mammifères monogastriques, oiseaux, reptiles). De fait, ce parasite est présent à l’échelle mondiale et engendre un problème majeur de santé publique. La trichinellose humaine est une maladie émergente ou ré-émergente dans de nombreuses parties du monde en fonction, notamment, des habitudes culinaires, du contexte épidémiologique et socio économique des pays, mais également par sa présence dans la faune sauvage et au niveau des élevages porcins.
Malgré le manque d’informations récentes sur cette maladie à l’échelle mondiale, on considère que 11 millions de personnes seraient séropositives (Dupouy-Camet, 2000) ; il n’y a pas eu d’autre recensement publié depuis 2000. A l’échelle européenne, en 2012, il a été recensé 6 cas de trichinellose humaine pour 10 millions d’habitants dans les pays de l’Union Européenne ; les taux de déclaration les plus élevés ont été signalés en Lettonie (201 cas pour 10 millions d’habitants), suivie de la Lituanie, la Roumanie et la Bulgarie (930, 700 et 410 cas pour 10 millions d’habitants) (European Food Safety Authority, and European Centre for Disease Prevention and Control, 2014). Il est à savoir que nombre d’infections ne sont pas signalées dans de nombreux pays en raison de l’absence de tests sérologiques appropriés et de la faible connaissance de cette maladie de la part des médecins. Au niveau français, aucun cas de trichinellose humaine due à de la viande contrôlée et/ou commercialisée n’a été relevé depuis 1998, et notamment en raison d’un renforcement des méthodes de contrôle (Vallée et al., 2007; Vallée I et al., 2016). Une réglementation européenne imposant le contrôle en abattoir des viandes porcines et autres espèces sensibles (sanglier, cheval), a fait régresser cette maladie en Europe (2015, Règlement d’exécution (UE) 2015/1375). Ce règlement stipule que tout animal de boucherie ou tout gibier sensible à Trichinella doit être soumis à la recherche de larves de trichine. Le laboratoire assurant le dépistage doit être agréé par le Ministère en charge de l’Agriculture et soumis à une accréditation délivrée par le Comité Français d’Accréditation (COFRAC). Des cas autochtones ont été répertoriés en France mais depuis 1999, ils sont dus à la consommation de viande non contrôlée par les services vétérinaires. En 2015, 3 cas de trichinellose humaine ont été déclarés suite à la consommation de figatelles crues provenant d’un porc plein air Corse non contrôlé par les services vétérinaires (Ruetsch et al., 2016). D’autres cas humains ont été déclarés importés, comme les récentes contaminations de voyageurs au Groenland ayant consommé de la viande d’ours (Dupouy-Camet et al., 2016).
Développer des stratégies de lutte efficaces contre le parasite Trichinella spp. chez l’animal est une nécessité afin d’empêcher la contamination humaine à l’échelle mondiale. La première approche consiste à protéger les élevages porcins de tout contact avec la faune sauvage extérieure et à maitriser leur alimentation, et ainsi à disposer d’élevages en conditions d’hébergement contrôlé. Ce type d’élevage est reconnu par la règlementation européenne (EU 2015/1375) et pourra permettre de déroger au dépistage individuel systématique des carcasses avec le test direct lorsqu’un test sérologique sera validé pour une surveillance épidémiologique. Il n’existe malheureusement pas encore de test sérologique suffisamment fiable pour que cette mesure s’applique. Ainsi la vaccination se présenterait comme une autre alternative au test direct lorsque ce test n’est pas envisageable pour des raisons de coût élevé (principalement dans les pays en voie de développement et de forte endémie de trichinellose). Une vaccination anti-Trichinella des porcs protégerait les porcs plein-air ou les porcs d’élevages intensifs dans les pays (ou régions) où le contrôle vétérinaire par test direct est trop difficile à mettre en place ou reste peu fiable. Une telle stratégie est envisageable pour lutter contre un parasite en élevage porcin comme en témoigne la mise en place d’une stratégie d’éradication de Taenia solium au Pérou. L’utilisation d’un vaccin constitué d’un antigène recombinant d’oncosphère (ensemble d’une larve de cestode qui a 3 paires de crochets fixateurs ou d’épines) nommée TSOL18 permet d’obtenir l’interruption du cycle parasitaire de Taenia solium dans une région de forte endémicité en alliant vaccination animale et traitement humain en cas de contamination humaine (Garcia et al., 2016). Aucun vaccin préventif n’existe à l’heure actuelle sur le marché pour protéger les porcs contre le parasite Trichinella. En revanche, des études de vaccination précédemment conduites au laboratoire ont montré que la protéine nommée NBL1 induit une diminution de 72% de la charge parasitaire chez les porcs vaccinés (Vallée I et al., 2012). Cette protéine NBL1 est une sérine protéase spécifique du stade L1 nouveau né (L1NN) ; ce stade L1NN infeste la fibre musculaire de l’hôte.
La stratégie de l’équipe au sein de laquelle je travaille consiste à développer des outils innovants de lutte contre Trichinella chez les porcins, en proposant de développer des tests sérologiques spécifiques et sensibles, et une vaccination efficace.
En 1835, au cours d’une séance de dissection à l’hôpital de Londres, James Paget, jeune étudiant en médecine, découvre de petits grains blancs dans la chair d’un cadavre. Il décide de les étudier au microscope et observe des vers. Lors d’une réunion du club des étudiants de l’hôpital, il rend compte de ses résultats. Richard Owen, biologiste à l’hôpital Saint Bartholomew, décrit alors le parasite comme une nouvelle espèce qu’il nomme Trichina spiralis. En 1895, Louis-Joseph Alcide Railliet, zoologiste à l’école vétérinaire d’Alfort, constatant que le nom de Trichina était déjà attribué à un genre d’insecte depuis 1830, propose le nom de Trichinella. La découverte de la plus ancienne capsule de Trichinella remonte à 1200 ans avant J.C., et a été faite rétrospectivement en 1974 au niveau des muscles intercostaux d’une momie égyptienne (Millet, N.B. et al., 1980).
C’est en 1860 que des expérimentations menées par Zenker ont mis en évidence la pathogénicité et le pouvoir létal du parasite, ainsi que la transmission du parasite à l’Homme par l’ingestion de viande porcine contaminée (Zenker, 1860). Les signes cliniques de la trichinellose sont alors connus et de nombreux cas sont ainsi décrits aux États-Unis, en Irlande, en Grande Bretagne et en Allemagne où les premiers contrôles des viandes de porcs ont eu lieu en 1963.
Depuis le 19ème siècle, ces parasites ont été considérés comme un problème majeur chez le porc. Pendant la période 1879-1888, plusieurs pays ont interdit l’importation de viande de porc des États-Unis car il n’y avait pas de contrôle systématique des carcasses. Depuis la seconde guerre mondiale, les changements dans les pratiques d’élevages de porcs ont fortement réduit la transmission de Trichinella spp. au niveau mondial. Ainsi cette maladie est aujourd’hui confinée à des zones pauvres, défavorisées et /ou déstabilisées par des conflits où les contrôles sanitaires des viandes sont difficiles à mettre en place voire inexistants (Pozio, 2014). De façon inattendue c’est en 1975, que la viande de cheval a été identifiée comme source de contamination humaine en France et en Italie ; ces deux pays sont les principaux pays à consommer la viande chevaline crue (Boireau et al., 2000). De 1975 à 2005, 8 épisodes ont été déclarés en France provenant de la consommation de viande chevaline importée des pays de l’Est ou de l’Amérique du Nord. Le plus important épisode survenu en France a eu lieu en 1985 et a engendré 2296 cas humains dont 5 cas mortels (Pozio, 2015) .
Suite à ces crises sanitaires en France, un dispositif renforcé de contrôle des viandes a été mis en place depuis 1999. Celui-ci se décline en plusieurs points : i) la formation des techniciens des services vétérinaires qui effectuent le dépistage direct quotidien dans les viandes, ii) la standardisation de la méthode d’analyse et l’harmonisation au plan national, et iii) l’agrément des laboratoires par le ministère en charge de l’agriculture et leur accréditation par le Cofrac (Vallée et al., 2007; Vallée I et al., 2016). Grâce à ce dispositif, en France, il n’y a plus de trichinellose humaine due à la consommation de viande contrôlée.
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Table des matières
I. INTRODUCTION
1. Avant-propos
2. Trichinella et la trichinellose
2.1 Le contexte historique
2.2 Le parasite : Trichinella
2.3 Le cycle parasitaire de Trichinella spiralis
2.4 La morphologie des différents stades parasitaires
2.5 La trichinellose humaine
2.5.1 Le diagnostic clinique
2.5.2 Le diagnostic biologique
2.5.3 Le traitement
2.6 Le complexe parasite / cellule nourricière
3. Les protéines et antigènes spécifiques de Trichinella
4. Le mécanisme de l’interférence par ARN
4.1 Le principe
4.2 Etat des lieux de la machinerie du RNAi chez Trichinella spiralis
4.3 Etude bibliographique chez Trichinella spiralis
5. Objectifs et stratégie de recherche
5.1 Objectif général
5.2 Contexte du travail
5.3 Stratégie de recherche mise en œuvre
II. MATERIELS ET METHODES
1. Analyses in silico
1.1 Alignement des séquences
1.2 Détermination des oligonucléotides spécifiques
1.3 Détermination des sondes siRNA spécifiques du gène nbl1
2. Modèle souris et mode d’administration des parasites
2.1 Le modèle murin
2.2 Infestation par voie orale
2.3 Infestation des souris par intraveineuse
3. Entretien des souches de Trichinella
4. Récupération et mise en culture des différents stades parasitaires de Trichinella spiralis
4.1 Stade « Larves 1 Musculaires » (L1M)
4.2 Stade « Adultes » (Ad)
4.3 Stade « Larves 1 Nouveau-Nées » (L1NN)
5. Analyses de biologie moléculaire
5.1 Isolement d’acides nucléiques et synthèse d‘ADN complémentaires
5.2 Amplification par une réaction en chaine par polymérase (PCR)
5.3 Analyse des séquences
III. CONCLUSION
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