Plateaux classiques, plateaux quantiques
Une question naturelle est de savoir si les plateaux d’aimantation sont un phénomène uniquement quantique ou non. Le fait que l’aimantation est quantifiée pour des plages de valeurs du champ pourrait laisser croire que la réponse est oui, sur le modèle de l’effet Hall quantique par exemple. Il se trouve que ce n’est pas le cas, et de nombreux systèmes classiques sont connus pour présenter des plateaux dans leurs courbes d’aimantation. Il est néanmoins possible de faire une distinction entre des plateaux que nous qualifierons de classiques et d’autres de quantiques. En effet, il est possible de prouver que si un plateau existe dans un modèle classique, alors dans l’état qui lui correspond tous les spins sont nécessairement colinéaires au champ. Cela veut dire que la configuration classique est du type un−pdp , où la cellule unité contient n spins, dont n−p sont parallèles au champ (up) et p antiparallèles (down). L’aimantation par spin correspondante est m = S(1−2p/n). La preuve est donnée dans la référence [31] et consiste à démontrer que si une configuration n’est pas colinéaire pour une certaine aimantation, alors la dérivée de e(m) est continue pour cette aimantation. Physiquement, cela n’est pas surprenant. Pour un état où certains spins sont seulement partiellement polarisés, il est assez naturel de se dire que changer légèrement le champ fera simplement changer de l’aimantation. Cela se traduit à droite par la présence d’un plateau pour cette aimantation, pour des valeurs du champ h comprises entre les deux valeurs h1 et h2 données par la dérivée de chaque côté de la discontinuité. A droite, aimantation (normalisée par msat, i.e. m/S dans nos notations) en fonction du champ magnétique B (h) calculée d’après (I.7). Une telle situation se retrouve pour l’ordre de Néel du modèle de Heisenberg sur le réseau carré. Figure tirée de la référence [31]. l’état de manière continue, i.e. les spins seront légèrement plus polarisés, et que l’énergie variera de manière « lisse ». Au contraire, si tous les spins sont parallèles ou antiparallèles au champ, il est plus naturel de s’attendre à un comportement moins régulier de l’énergie, puisque la forme de l’état devra forcément changer de façon discontinue pour continuer le processus d’aimantation quand le champ augmente (voir dans la Section 2.2.2 l’exemple du réseau triangulaire). Cette condition de colinéarité est de plus assez générale puisque ne nécessitant que très peu d’hypothèses [31]. Il s’en suit que dans certains systèmes, un plateau sera présent pour une aimantation donnée à la fois dans le modèle classique et dans le modèle quantique. Dans ce second cas, l’état pourra normalement se comprendre à partir de l’état classique, l’effet des fluctuations quantiques étant mineur. Dans d’autres situations par contre, le plateau ne sera présent que pour le modèle quantique et ne pourra donc pas se comprendre en termes de phase classique survivant aux fluctuations quantiques, d’où le terme de plateau quantique. Nous avons jusque là seulement parlé de la physique à température nulle. Généralement, l’effet d’une température finie sera de réduire la taille du plateau, jusqu’à ce qu’il disparaisse au dessus d’une certaine température critique. Nous donnerons cependant plus loin un exemple où la température est nécessaire pour qu’un plateau (classique) apparaisse. Nous allons maintenant donner plusieurs théorèmes, dont l’un va se révéler très utile puisqu’il donne une condition sur les plateaux quantiques.
Théorème de Hastings
Les deux résultats précédents sont restreints aux systèmes unidimensionnels, bien que plusieurs arguments [38, 39, 40] suggèrent qu’ils soient également vrais pour les dimensions supérieures. En particulier, les plateaux observés en deux dimensions vérifient systématiquement le critère OYA. Reformulons le théorème LSM de la manière suivante : pour un système avec un spin demi-entier par cellule élémentaire, l’état fondamental ne peut pas être gappé et unique. En 2004, Hastings a réussi à l’étendre en dimension D > 1 [41], là encore pour un Hamiltonien respectant des conditions assez faibles. Ce résultat est notamment vrai pour une symétrie SU(2) ou U(1). Pour un système 2D respectant ces conditions, il n’est donc pas possible d’avoir un état fondamental unique. Ce résultat est extrêmement important, car pour le cas où il y a une dégénérescence et un gap, il y a maintenant deux possibilités. A la traditionnelle brisure spontanée de symétrie, comme la translation, s’ajoute la possibilité d’avoir une dégénérescence d’origine topologique, que nous avions déjà évoquée plus haut. Nous ne rentrerons pas ici plus dans le détail et renvoyons le lecteur au préambule du Chapitre II. Si le spin est entier, le théorème ne nous donne pas d’information et un état unique gappé reste possible. Comment cela se traduit-il au niveau de la condition OYA ? Si nous prenons comme avant la quantité n(S − m), où n est cette fois donné par la cellule unité du Hamiltonien, le théorème de Hastings nous dit que si le résultat n’est pas entier, alors l’état fondamental est soit gapless, soit gappé et dégénéré. En pratique, lorsque nous savons qu’un plateau d’aimantation est présent pour 2 Plateaux d’aimantation : exemples théoriques et expérimentaux une certaine aimantation m, le calcul de n(S − m) nous dira si nous sommes dans le cas d’un plateau dit fractionnaire, ou d’un plateau dit entier. S’il est entier, le plateau peut tout aussi bien être donné par un état unique. A titre d’exemple, nous pouvons appliquer ce critère au cas du réseau Kagomé, pour lequel n = 3. Dans le modèle que nous étudierons au Chapitre IV, trois plateaux sont présents dans la courbe d’aimantation, aux valeurs m = 0, 1/6, 2/6. En calculant n(S − m), nous trouvons respectivement 3/2, 1, 1/2. Nous en concluons donc que pour les deux plateaux m = 0, 2/6, il y aura nécessairement un état fondamental dégénéré, tandis que pour le plateau intermédiaire nous ne savons rien a priori.
Systèmes unidimensionnels
Il est utile de commencer par rappeler quels sont les résultats majeurs qui fondent notre compréhension des systèmes unidimensionnels. Ceux-ci peuvent être divisés en trois groupes : les chaînes, les échelles et les tubes de spins. Nous renvoyons la discussion sur les tubes de spins au chapitre suivant, et discuterons ici les deux premiers groupes. Pour plus d’informations, le lecteur pourra consulter la revue [42] ainsi que les références qu’elle contient. La chaîne de Heisenberg S = 1/2 étant intégrable, il est connu depuis longtemps qu’elle est dans une phase critique. Nous savons maintenant depuis le travail de Haldane qu’il en va de même pour tout spin demi-entier, tandis que les chaînes de spin entier sont dans une phase massive et non dégénéré [12] (ce qui est bien permis par le théorème LSM). Ces résultats, dérivés grâce à une approche semi-classique, ont été vérifiés tant numériquement qu’analytiquement. Une extension évidente des chaînes est les échelles, qui sont constituées de plusieurs chaînes couplées dans la direction transverse. Similairement à la différence entre spin entier et demi-entier, il existe un effet de parité du nombre N de chaîne de spin-1/2 qui sont couplées pour donner une échelle. Il s’avère que pour un nombre pair de chaînes, l’échelle est gappée, tandis que pour un nombre impair le système reste critique [43]. Cet effet, confirmé numériquement [44] et expérimentalement (voir la Section 2.1.4), peut se comprendre de la manière suivante. Si nous prenons une échelle de spin-1/2 dans la limite où le couplage transverse entre les chaînes est dominant, des singulets vont se former dans cette direction. Pour N pair, tous les spins pourront s’apparier, et l’état fondamental sera donc, en bonne approximation, un produit de singulets. La première excitation sera la formation d’un triplet sur un barreau, et le système est donc gappé. Par contre, pour N impair il restera un spin libre, et le système se comportera de manière effective comme une chaîne de spin-1/2. En fait, cette image de couplage fort reste valable dès que les chaînes sont couplées, le gap ne se fermant que pour des chaînes découplées.
Systèmes unidimensionnels
Il est utile de commencer par rappeler quels sont les résultats majeurs qui fondent notre compréhension des systèmes unidimensionnels. Ceux-ci peuvent être divisés en trois groupes : les chaînes, les échelles et les tubes de spins. Nous renvoyons la discussion sur les tubes de spins au chapitre suivant, et discuterons ici les deux premiers groupes. Pour plus d’informations, le lecteur pourra consulter la revue [42] ainsi que les références qu’elle contient. La chaîne de Heisenberg S = 1/2 étant intégrable, il est connu depuis longtemps qu’elle est dans une phase critique. Nous savons maintenant depuis le travail de Haldane qu’il en va de même pour tout spin demi-entier, tandis que les chaînes de spin entier sont dans une phase massive et non dégénéré [12] (ce qui est bien permis par le théorème LSM). Ces résultats, dérivés grâce à une approche semi-classique, ont été vérifiés tant numériquement qu’analytiquement. Une extension évidente des chaînes est les échelles, qui sont constituées de plusieurs chaînes couplées dans la direction transverse. Similairement à la différence entre spin entier et demi-entier, il existe un effet de parité du nombre N de chaîne de spin-1/2 qui sont couplées pour donner une échelle. Il s’avère que pour un nombre pair de chaînes, l’échelle est gappée, tandis que pour un nombre impair le système reste critique [43]. Cet effet, confirmé numériquement [44] et expérimentalement (voir la Section 2.1.4), peut se comprendre de la manière suivante. Si nous prenons une échelle de spin-1/2 dans la limite où le couplage transverse entre les chaînes est dominant, des singulets vont se former dans cette direction. Pour N pair, tous les spins pourront s’apparier, et l’état fondamental sera donc, en bonne approximation, un produit de singulets. La première excitation sera la formation d’un triplet sur un barreau, et le système est donc gappé. Par contre, pour N impair il restera un spin libre, et le système se comportera de manière effective comme une chaîne de spin-1/2. En fait, cette image de couplage fort reste valable dès que les chaînes sont couplées, le gap ne se fermant que pour des chaînes découplées.
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Table des matières
Introduction
I Cadre théorique et revue expérimentale
1 Magnétisme
1.1 Modèles pour les systèmes magnétiques
1.2 Frustration
1.3 Modèles sous champ : processus d’aimantation
1.4 Des résultats utiles
2 Plateaux d’aimantation : exemples théoriques et expérimentaux
2.1 Systèmes unidimensionnels
2.2 Systèmes bidimensionnels
3 Conclusion
II Tubes de spin triangulaires
1 Présentation des modèles
1.1 Tube triangulaire simple
1.2 Tube triangulaire déformé
1.3 Symétries et observables utiles
1.4 Triangles découplés
2 Petite revue expérimentale
3 Tube triangulaire simple
3.1 Approche par intégrale de chemin
3.2 Limite de couplage fort : modèles effectifs et chiralité
3.3 Résultats numériques pour S = 3/2
4 Tube triangulaire déformé
4.1 Approche par intégrale de chemin
4.2 Limite de couplage fort
4.3 Composé [(CuCl2tachH)3Cl]Cl2
4.4 Résultats numériques pour S = 3/2
5 Conclusion et perspectives
III Tube de spin carré
1 Ordre par le désordre
2 Présentation du modèle
2.1 Symétries
2.2 Configuration classique
3 Approche par intégrale de chemin
3.1 Action de basse énergie
3.2 Energie libre et sélection
3.3 Délocalisation et spin imbalance
4 Approche de couplage fort
4.1 Cas S = 1/2
4.2 Cas d’un spin S : dernier plateau d’aimantation
5 Résultats numériques
5.1 Cas S = 1/2
5.2 Cas d’un spin-S
6 Comparaison avec l’intégrale de chemin
7 Conclusion
IV Modèle étendu de spin-1/2 sur le réseau Kagomé dans la limite Ising
1 Motivations
1.1 Quelques concepts
1.2 A la recherche des phases topologiques
2 Présentation du modèle BFG
2.1 Des spins aux dimères : modèle effectif
2.2 Modèle en champ nul, liquide de spin Z2 et entropie topologique
2.3 Modèle avec champ et plateaux d’aimantation
3 Plateau m = 1/6 : modèle de boucles
3.1 Phase solide
3.2 Entropie de Rényi
4 Discussion et perspectives
4.1 Plateau m = 1/6
4.2 Plateau m = 1/3
4.3 Modification du modèle BFG
Conclusion
A Etats cohérents de spin
B Hamiltonien effectif au deuxième ordre au point symétrique
C Transformation non locale de Kennedy
D Monte-Carlo quantique et entropies de Rényi
1 Principe
2 Mouvements Monte-Carlo
3 Observables
4 Algorithme de plaquettes
5 Entropies de Renyi et SSE
5.1 Replica trick
5.2 Observables SSE
5.3 Ratio trick
5.4 Méthode dynamique : variante
5.5 Exemples
Bibliographie
Publications
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