Notion de stratégie de diffusion
Il est possible d’aborder la diffusion volontaire d’informations sous de multiples angles. En effet, il n’existe pas une pratique mais bien au contraire une diffusion plurielle, fonction des attributs des éléments d’information fournis et étudiés. Le support utilisé, son contenu ou encore sa temporalité constituent autant de dimensions de la diffusion volontaire, par essence multiforme. Différents volets sont à la disposition des entreprises et elles peuvent les mobiliser à loisir pour définir une certaine stratégie de diffusion. Cette dernière notion (que l’on rencontre sous le vocable « disclosure strategy » dans la recherche anglo-saxonne) est employée dans la littérature académique par de nombreux auteurs mais peu d’entre eux explicitent réellement ce qu’ils entendent par celle-ci.
Dans les recherches théoriques, la stratégie de diffusion est bien souvent définie en termes mathématiques et fait alors référence à l’une des valeurs prises par une variable discrète (Wagenhofer 1990 ; Einhorn 2005 ; Suil 2005 ; Langberg et Sivaramakrishnan 2008, par exemple). Au niveau empirique, si l’on trouve le terme dans plusieurs contextes, il n’est en général pas ou peu défini (Hasseldineet al. 2005 ; Brammer et Pavelin 2006 ; Keet al. 2008, entre autres). Lorsqu’il l’est, nous ne pouvons mettre en évidence de définition consensuelle. Michaïlesco (2000, p. 85) définit la stratégie de communication comme « […] la base schématique de l’élaboration des documents externes » et en identifie quatre étapes μ (1) formalisation, (2) mise en œuvre, (3) communication externe et (4) apprentissage généré par le retour sur communication. L’étape de communication externe n’est malheureusement pas définie plus avant dans cet article de recherche par l’auteure, ce qui ne nous permet pas de savoir dans quelle mesure la stratégie de diffusion de l’information peut éventuellement correspondre à cette étape.
En dépit du nombre d’auteurs se servant de cette notion, force est de constater que les définitions ne convergent pas. Cela laisse un interstice dans lequel nous nous insérons pour proposer une approche autour de trois grandes dimensions qui constituent autant d’espaces discrétionnaires utilisés par les managers au moment de définir la stratégie de diffusion volontaire de leur entreprise. La stratégie est abordée dans la thèse selon trois volets : (1) la décision de diffusion même, (2) la qualité de son contenu et (3) les différents canaux utilisés.
Synthèse
En définitive, nous proposons de définir et d’étudier la stratégie de diffusion d’une entreprise à partir d’un ensemble composite de caractéristiques étroitement intriquées. Cela nous permet de ne pas avoir une vision parcellaire mais plutôt unifiée du phénomène. La définition de la stratégie de diffusion construite et proposée ici n’a pas vocation à être exhaustive ou à répertorier la totalité des taxinomies existantes. D’autres possibilités sont évidemment envisageables afin d’appréhender la richesse de cette notion. Par exemple, le concept de temps pourrait également constituer un axe intéressant d’analyse tout comme les thèmes abordés par les entreprises. Néanmoins, Archambault et Archambault (2003, p. 174), au sujet des décisions relatives à la diffusion, identifient (1) la décision de diffusion puis ajoutent (2) la quantité et la qualité de l’information diffusée et (3) « la combinaison des sources de communication», dans une perspective proche de la nôtre.
Application à l’information sur lesémissions de GES
Le champ de la thèse est restreint aux données relatives aux émissions de GES. Sont en général considérés les GES couverts par le protocole de Kyoto, à savoir le CO2 , le méthane (CH4), le protoxyde d’azote (N2O) et, dans la famille des gaz fluorés, trois gaz substituts des chlorofluorocarbures (CFC) : les hydrofluorocarbures, déjà mentionnés dans l’introduction générale, les perfluorocarbures (PFC) et l’hexafluorure de soufre (SF6 ). Ces informations sont principalement perceptibles par le grand public dans le cadre de campagnes de marketing sociétal. Par exemple, pour tenter de véhiculer une image responsable, des entreprises proposent spontanément l’étiquetage écologique de certains de leurs produits. Les gouvernements sont également à la manœuvre afin de sensibiliser l’opinionà la problématique du réchauffement climatique : différents outils sont introduits autour des émissions de CO2 dans le cadre réglementaire. Par exemple, la Direction générale de l’aviation civile met à disposition un éco-calculateur d’émissions de CO2 permettant à un passager d’évaluer les émissions de CO2 générées par un voyage en avion, en application de l’article L.1431-3 du code des transports qui dispose que « toute personne qui commercialise ou organise une prestation de transport […] doit fournir au bénéficiaire de la prestation une information relative à la quantité de dioxyde de carbone émise […] pour réaliser cette prestation ».Au plan européen, les démarches d’affichage issues de la directive européenne dite « car labelling » visent également à informer de manière plus précise le consommateur.
Théorie de l’agence et approche par les parties prenantes
Théorie de l’agence
Une relation d’agence est définie comme « […] un contrat par lequel une ou plusieurs personnes (le principal) engage une autre personne (l’agent) pour accomplir certains services en son nom, ce qui implique la délégation à l’agent d’un pouvoir de décision» (Jensen et Meckling 1976, p. 308). Cette configuration ne se fait pas sans coûts : « dans la plupart des re lations d’agence, le principal et l’agent vont supporter des coûts non nuls de surveillance et de structuration […]» (Jensen et Meckling 1976, p. 308), liés à la divergence d’intérêts entre les deux parties.
La théorie de l’agence se focalise essentiellement sur la relation liant managers et actionnaires. Les intérêts de ces deux groupes ne sont pas alignés car ils ont des fonctions d’utilité différentes. La théorie postule que les actionnaires cherchent à maximiser leur richesse alors que les managers maximisent une fonction d’utilité qui inclut, par exemple, leur rémunération, la sécurité de l’emploi ou encore le pouvoir qu’ils détiennent. La littérature portant sur la théorie de l’agence postule que satisfaire les demandes des actionnaires conduit à une efficience maximale de la firme alors que satisfaire les demandes des managers entraîne principalement l’augmentation de la taille de l’entreprise; ce désir de croissance se traduisant souvent par une préférence des dirigeants pour la diversification. Un arbitrage doit être réalisé entre les envies de maximisation de la croissance et de maximisation de l’efficience.
Approche par les parties prenantes
Plutôt que le terme de « théorie », nous retenons le terme d’«approche » pour qualifier ce deuxième pan de la littérature. Cette distinction est empruntée à Mitchell et al. (1997) qui estiment que l’approche par les parties prenantes cherche à comprendre la firme dans son environnement. Elle permet d’élargir la vision que l’on a du rôle et des responsabilités de la firme, pour dépasser la seule fonction de maximisation du profit. Les intérêts et les demandes des groupes autres que les actionnaires sont alors considérés. La théorie des parties prenantes concerne, elle, plus fondamentalement la question de l’identification des parties prenanteset se demande « […] quels sont les groupes de parties prenantes qui méritent ou requièrent l’attention des dirigeants et quels sont ceux qui ne la méritent ou ne la requièrent pas ? » (Mitchell et al. 1997, p. 855). Notre recherche s’inscrit par conséquent davantage dans l’approche par les parties prenantes que dans la théorie proprement dite.
Articulation des travaux autour de trois questions de recherche
Problématique générale
Le cadre théorique de la théorie de l’agence généralisée, présenté dans la partie précédente, souligne l’élargissement des responsabilités auxquelles les entreprises doivent faire face, en lien avec l’attention accrue de diverses parties prenantes. Selon de la Broise et Lamarche (2006, p. 16), « la RSE est l’occasion d’une redéfinition des parties prenantes ; tout en élargissant dans la plupart des cas le spectre de ces parties prenantes, on trouve une volonté managériale de les piloter ».Ce pilotage peut, entre autres, être réalisé en diffusant volontairement de l’information sur les émissions carbones de l’entreprise. La stratégie mise en place à cet égard peut être déclinée à travers trois composantes différentes dont nous avons esquissé la description dans la première partie. La problématique générale de la thèses’attachant à mieux comprendre notre objet de recherche grâce au prisme de la théorie de l’agence partenariale est par conséquent formulée de la manière suivante.
Caractéristiques du CDP
Similitudes avec les agences de notation
Le CDP s’inscrit dans un champ organisationnel large regroupant de nombreux et relativement nouveaux acteurs. Harmes (2011) établit un parallèle entre la croissance des fonds ISR et le développement d’ONG environnementales et d’agences d’analyse sociétale. L’activité de ces dernières est justifiée par la demande accrue d’informationscomplémentaires émanant de diverses parties prenantes, au rang desquelles on trouve les investisseurs et gestionnaires d’actifs (Cellier et al. 2011). Ces derniers constituent les principaux utilisateurs de l’analyse sociétale(ORSE 2012a). La notation sociétale est devenue prisée car les entreprises sont jugées en fonction de certains critères éthiques (Leseur 2006) et les actionnaires prêtent davantage attention à la performance extra-financière (Cellier et al. 2011). Selon Alberola (2004), la demande croissante d’informations sur les pratiques sociales et environnementales des entreprises a favorisé l’apparition puis le développement de cette nouvelle activité professionnelle. Cependant, si cette activité est liée à la prise de conscience de l’élargissement des responsabilités des entreprises, les exigences légales jouent également un rôle. Caby et Piñeiro Chousa (2006) rapportent ainsi que, depuis 2001, une loi votée par le Bundestag oblige lesmanagers de fonds de pension privés à fournir des informations sur la façon dont les critères sociaux et environnementaux sont utilisés pour sélectionner lesinvestissements composant leurs portefeuilles. Le CDP s’inscrit dans l’ensemble de ces nouveaux acteurs externes. En particulier, les notes qu’il attribue (CDLI et CPLI) et les informations mises à disposition répondent en partie aux mêmes préoccupations en raison de l’importance prise par les risques et opportunités liés au changement climatique.
Les premiers acteurs du marché de la notation sociétale sont réellement apparus au début des années 1980 dans les pays anglo-saxons (Alberola et Giamporcaro-Saunière 2006) même si l’information sociétale était déjà intégrée au processus d’investissement dès la fin du XIXe siècle (ORSE 2012a). Il faut attendre les années 2000 pour que le marché européen connaisse une accélération (Alberola et Giamporcaro-Saunière 2006) ; cette période coïncide avec la création du CDP. Contrairement au marché des notations financières dominé par quelques acteurs au niveau mondial, ceux de la notation sociétale sont relativement dispersés même si un mouvement de concentration a eu lieu avant que le marché ne se consolide (ORSE 2012a). En 2012, on dénombre 28 organismes d’analyse sociétale dans le monde (ORSE 2012a). En France, le principal acteur opérant sur le marché de l’analyse et de la notation extra-financière à destination des investisseurs est le groupe Vigeo, issu de la fusion de Vigeo (anciennement Arese) et d’Ethibel. Interviennent également des agences de taille plus réduite : BMJ ratings, Champlain research, Ecovadis et EthiFinance (partenaire d’EIRIS (Ethical Investment Research Services)) (ORSE 2012a). Dans le domaine des diffusions carbones, le CDP constitue la « […] principale initiative de reporting pour les grandes entreprises implantées en Europe et à travers le monde […]» selon une étude récente de laCommission européenne (2010a, p. 77) (voir à ce sujet la sous-partie 1. 2. de ce chapitre).
Déterminants de la diffusion volontaire d’informations sociétales
Au sujet de la diffusion d’informations sociétales, Brammer et Pavelin (2006) (cités par Bouten et al. (2012)) identifient trois courants de recherche principaux dont l’étude des déterminants fait partie (les deux autres courants étant l’étude des conséquences et l’étude des formes ou types de diffusion). Il semble important de relever les articles qui explorent ce thème car les méthodologies et les problématiques envisagées sont souvent proches de celles employées dans le cas des émissions de GES qui nous intéresse plus particulièrement.
Informations sur les GES
Les déterminants de la diffusion de l’information sur les GES, de par la nature récente de cette dernière, n’ont pas fait l’objet de nombreuses recherches empiriques. L’objet de cette sous-section est d’établir un panorama de la dizaine d’études parues sur le sujet .Le Tableau 5 présente de façon chronologique les articles discutés ci-dessous et en recense quelques caractéristiques pour un aperçu synthétique.
Relations entre gouvernance et qualité de l’informationfinancière
Le but de cette sous-section est de prouver que la relation faisant l’objet de cette étude a d’ores et déjà été explorée un certain nombre de fois, mais dans un contexte autre que celui qui nous intéresse. Il s’agitalors de montrer dans quelle mesure la relation positive identifiée entre différents éléments de la gouvernance et la qualité de l’information financière peut être transférée au cas de l’information sur les émissions de GES.
La relation entre la gouvernance interne et la diffusion ou la qualité de l’information financière a été envisagée dans plusieurs cas par la communauté académique. Ainsi, Beasley(1996) montre qu’une meilleure gouvernance est associée à une plus faible apparition de fraudes lors de l’établissement des états financiers. Dechow et al. (1996) soulignent que les entreprises dont les CA sont principalement composés de membres de l’équipe dirigeante, de personnes qui cumulent les fonctions de président du CA et de directeur général, dont le dirigeant est aussi le fondateur de l’entreprise et qui n’ont pas de comité d’audit sont plus susceptibles de manipuler leur résultat. Chen et Jaggi (2000) examinent l’association entre la présence d’administrateurs indépendants et l’exhaustivité de l’information financière diffusée dans le cadre réglementaire et trouvent une relation positive. Klein (2002) identifie deux relations négatives μ l’une entre l’indépendance du comité d’audit et les accruals anormaux, l’autre entre l’indépendance du CA et les accruals anormaux. Xie et al. (2003) montrent, entre autres, que les CAdont les membres occupent ou ont occupé une fonction de directiondans une autre entreprise ou ont exercé dans le milieu financier sont associés à des niveaux plus faibles d’accruals discrétionnaires.
|
Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE LIMINAIRE : INTRODUCTION AUX TROIS ÉTUDES
1. Description de l’objet de recherche
1. 1. Stratégie de diffusion volontaire d’informations
1. 2. Application à l’information sur les émissions de GES
2. Cadre théorique
2. 1. Diversité des approches
2. 2. Théorie de l’agence et approche par les parties prenantes
2. 3. Théorie de l’agence généralisée
3. Articulation des travaux autour de trois questions de recherche
3. 1. Problématique générale
3. 2. Trois questions de recherche
3. 3. Synthèse
4. Démarche méthodologique
4. 1. Démarche générale
4. 2. Terrain d’étude μ le CDP.
5. Unité(s) et plan de la thèse
5. 1. Unité(s) de la thèse
5. 2. Plan de la thèse
CHAPITRE I : ÉTUDE DES DÉTERMINANTS DE LA PRODUCTION ET DE LA DIFFUSION SÉLECTIVE D’INFORMATIONS SUR LES GES
1. Revue de littérature et question de recherche .
1. 1. Recherches sur les déterminants de la diffusion volontaire d’informations
1. 2. Proposition d’une typologie de la diffusion volontaire
1. 3. Question de recherche
2. Cadre théorique et développement des hypothèses
2. 1. Cadre théorique
2. 2. Développement des hypothèses
3. Échantillon et méthodologie
3. 1. Échantillon
3. 2. Méthodologie
4. Analyses empiriques
4. 1. Statistiques descriptives et tests univariés
4. 2. Tests multivariés
4. 3. Analyses complémentaires
5. Conclusion intermédiaire
5. 1. Résumé
5. 2. Contributions et discussion
5. 3. Limites et perspectives futures de recherche
CHAPITRE II : ÉTUDE DE L’INFLUENCE DE LA GOUVERNANCE INTERNE SUR LA QUALITÉ DES INFORMATIONS SUR LES GES
1. Revue de littérature et question de recherche
1. 1. Recherches sur les relations entre gouvernance et qualité de l’information
1. 2. Reconsidération de la gouvernance
1. 3. Question de recherche
2. Cadre théorique et développement des hypothèses
2. 1. Cadre théorique
2. 2. Développement des hypothèses
3. Échantillon et méthodologie
3. 1. Échantillon
3. 2. Méthodologie
4. Analyses empiriques
4. 1. Statistiques descriptives et tests univariés
4. 2. Tests multivariés
4. 3. Analyses complémentaires
5. Conclusion intermédiaire
5. 1. Résumé
5. 2. Contributions et discussion
5. 3. Limites et perspectives futures de recherche
CHAPITRE III : ÉTUDE DE L’UTILISATION CONCOMITANTE DE PLUSIEURS CANAUX DE DIFFUSION D’INFORMATIONS SUR LES GES
1. Revue de littérature et question de recherche
1. 1. Recherches sur les canaux de diffusion volontaire d’informations sur les GES
1. 2. Utilisation simultanée de plusieurs canaux de diffusion
1. 3. Question de recherche
2. Cadre théorique et développement des hypothèses
2. 1. Cadre théorique
2. 2. Développement des hypothèses
3. Échantillon et méthodologie
3. 1. Échantillon
3. 2. Méthodologie
4. Résultats empiriques
4. 1. Test de l’hypothèse H1
4. 2. Test des hypothèses H2a et H2b
4. 3. Analyses complémentaires
5. Conclusion intermédiaire
5. 1. Résumé
5. 2. Contributions et discussion
5. 3. Limites et perspectives futures de recherche
CONCLUSION GÉNÉRALE
ANNEXES
TABLE DES MATIÈRES
TABLE DES TABLEAUX
TABLE DES FIGURES
TABLE DES ANNEXES
RÉFÉRENCES
RÉSUMÉ