Étude de l’usage et de la représentation des benzodiazépines et apparentés chez des patients présentant des troubles de l’usage d’alcool

Les benzodiazépines et l’alcool sont des substances très consommées en France. En effet, ces deux substances sont étroitement liées lors de la prise en charge du sevrage alcoolique, mais aussi en dehors de celui-ci. La littérature est importante sur les effets indésirables liés à la consommation de benzodiazépines et les risques associés à la consommation d’alcool. On sait que le mécanisme d’action de ces substances est similaire, et que les effets de l’un se répercutent sur l’autre. Les nombreux dangers liés à cette co-utilisation justifient notre étude, en effet, les conséquences d’utilisation de benzodiazépines en concomitance avec de l’alcool ne font qu’aggraver les problèmes.

Cependant la littérature comprend très peu d’études et de données consacrées à l’utilisation de benzodiazépines chez des patients présentant des troubles de l’usage d’alcool. Finalement, la connaissance de ces molécules est très présente au sein des professionnels de santé mais qu’en est-il des opinions et des représentations des patients ? Les patients ont-ils conscience des risques qu’ils prennent ? Ont-ils déjà entendu parler de potentiels effets néfastes sur leur santé et les ont-ils déjà ressentis ? C’est pour cela que nous avons fait le choix de connaître le point de vue des patients consommateurs concernant ces molécules.

La méconnaissance sur le sujet de ces représentations nous a poussé à monter une étude afin de répondre à de nombreuses questions. Il était évident qu’au sein de la population consultant dans le service d’Addictologie du CHU de Rouen, se trouvait un grand nombre de patients en lien avec l’étude menée. Après le montage du questionnaire, nous avons pu répondre à ces questions sous forme d’entretiens menés avec les patients.

Les benzodiazépines

Histoire

La première benzodiazépine (BZD) est découverte accidentellement par Léo Sternbach en 1957. Suite à une erreur de synthèse lors de recherches de nouveaux anxiolytiques, le chlordiazépoxide (Librium®) a été créé (Sternbach 1979). Pensant que c’était un échec Sternbach laisse la molécule de côté quelques temps, puis en 1958 il décide de l’utiliser et de faire les essais pharmacologiques. Comparée aux autres tranquillisants sur le marché, cette molécule montre des propriétés supérieures, Sternbach va donc déposer un brevet. En France, c’est en 1960 que la première BZD a été commercialisée avec le chlordiazépoxide puis le diazépam (Valium®) en 1963 (Wick 2013). Une BZD est un médicament psychotrope, c’est-àdire un médicament qui agit sur l’activité mentale et/ou psychique. Le diazépam devient alors la molécule de référence dans le traitement des états anxieux et phobiques, on l’appelle même « la pilule du bien-être ». Suite au succès du diazépam, le chlordiazépoxide subit de nombreuses modifications structurales (Lader 1991). Aux Etats-Unis une cinquantaine de molécules sont mises sur le marché, en France seulement vingt. La famille des BZDs est devenue au fur et à mesure la plus utilisée dans le traitement de l’anxiété et de l’insomnie. Dans les années 1980, des études commencent à montrer des effets indésirables comme la pharmacodépendance, l’enthousiasme face à ces molécules diminue avec le temps et elles font même l’objet de controverses (Rosenbaum 2005). C’est pour cette raison qu’en 1991, les règles de prescriptions évoluent et des mesures sont mises en place pour limiter les effets néfastes de ces molécules.

Mécanismes d’action, structure, propriétés pharmacologiques, pharmacocinétique

Structure
Toutes les BZDs présentent une même structure de base. La structure chimique d’une BZD est composée d’un noyau benzène couplé à un hétérocycle à 7 sommets comprenant 2 hétéroatomes d’azote présents en position 1,4, 1,5 ou 2,3 et dénommé le cycle diazépine. Les BZDs commercialisées sont des BZDs 1,4 (Teboul et Chouinard 1990). En fonction de la position des constituants sur le noyau benzène, les propriétés sont différentes.

Les apparentés aux BZDs, zolpidem (imidazopyridine) et zopiclone (cyclopyrrolone) ne présentent pas la même structure chimique.

Mécanisme d’action 

C’est en 1977 que deux groupes de chercheurs ont trouvé l’existence de récepteurs spécifiques aux BZDs dans le cerveau. Ils ont prouvé la présence de sites de liaisons spécifiques dans le cerveau du rat en marquant le diazépam au tritium (Braestrup et Squires 1977) (Mohler et Okada 1977). La cible des BZDs est le récepteur-canal chlore de l’acide gamma-aminobutyrique ou gamma-amino butyric acid (GABA), qui est le principal neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux central (SNC) et présent dans 40% des neurones. Ici l’action se fait sur le GABA de type A, qui est très présent au niveau cérébral et sous différentes unités (a, b, g, d, e, p, r et q) qui sont eux-mêmes présents sous plusieurs isoformes, a (de a1 à a6), b (de b1 à b3), g (de g1 à g3) et r (de r1 à r3). Les sous-unités entourent le canal chlore et forment le récepteur.

La stœchiométrie la plus souvent rencontrée se compose de deux sous-unités a, deux sousunités b et une sous-unité g. Si un autre sous-type est présent alors les BZDs ne peuvent pas se fixer sur ce récepteur, les isoformes a4 et a6 sont aussi les plus rencontrés. Les BZDs trouvent leur site de fixation entre les sous-unités a et g (Association nationale des enseignants de pharmacie clinique (France) 2012). On sait que le sous-type a1 est responsable de l’effet sédatif, amnésiant et anticonvulsivant tandis que a2, a3 et a5 sont responsables de l’effet anxiolytique, myorelaxant et potentialisent les effets de l’alcool.

Les Z-drugs ou BZDs apparentés, ont un mode d’action similaire que celui des BZDs malgré leur structure chimique différente. Ce sont des agonistes des récepteurs GABAA, mais leur site de liaison est différent de celui des BZDs. La molécule zopiclone est sélective des récepteurs de type 2a1,2b2,g2.

Les BZDs sont des modulateurs allostériques positifs des récepteurs-canaux GABAA. Elles potentialisent l’effet inhibiteur du GABAA dans le SNC mais n’induisent pas d’effet direct sur l’activité neuronale. Leur fixation se fait sur un site spécifique situé à l’interface entre les sousunités a et g, et voisin de celui de l’agoniste endogène GABAA, ce qui augmente la durée d’ouverture et la fréquence du canal chlore GABAA en réponse à la liaison GABA. La fixation du GABA sur le récepteur GABAA engendre l’ouverture du canal chlore et permet le passage d’ion chlorure, ce qui entraîne une hyperpolarisation cellulaire et une inhibition de la transmission neuronale post-synaptique. Les BZDs sont dépourvues d’effet en l’absence de GABA, il faut à la fois la fixation du GABA et de la BZD pour potentialiser l’action du GABA. Les BZDs n’agissent pas directement mais sensibilisent l’activité du GABA en augmentant l’ouverture du canal chlore. Plus l’ouverture du canal chlore est importante, plus les ions chlores passent, et donc plus l’hyperpolarisation et l’inhibition neuronale sont importantes. L’inhibition induite par les BZDs ne peut pas être supérieure à l’inhibition physiologique habituelle, une bonne tolérance des BZDs est essentielle (Association nationale des enseignants de pharmacie clinique (France) 2012).

Propriétés pharmacologiques 

Les BZDs ont des effets pharmacologiques différents en fonction de l’ouverture du canal chlore dans le récepteur GABAA : anxiolytique, sédatif/hypnotique, anticonvulsivant, amnésiant, myorelaxant. Alors que la fermeture du canal chlore est anxiogène, stimulant, proconvulsivant et promnésiant.

Les propriétés pharmacologiques de ces molécules sont très recherchées, notamment :
• Anxiolytique : avec une action rapidement obtenue et à des doses faibles. Cette action se fait avec des molécules ayant une affinité principale pour les récepteurs possédant une sous-unité a2 (Selloum et Faure 2015). Les anxiolytiques sont les médicaments psychotropes les plus prescrits en France.
• Hypnotique/sédatif : ils potentialisent les effets GABAergiques avec une activation du centre du sommeil. Les doses sont plus importantes que pour un effet anxiolytique. Les hypnotiques sont les médicaments psychotropes les plus prescrits en France après les anxiolytiques et les antidépresseurs. Les BZDs indiquées comme hypnotiques ont toutes les propriétés communes aux autres BZDs utilisées comme anxiolytiques, soit, sédatives, anxiolytiques, hypnotiques, amnésiantes, myorelaxantes et antiépileptiques. Leur action hypnotique se fait grâce à une affinité supérieure pour les récepteurs GABAA de type a1,b2, qui ont une action principalement sédative (Selloum et Faure 2015). Les apparentés aux BZDs tels que le zolpidem et le zopiclone, ont une meilleure sélectivité pour les récepteurs à a1 et sont donc très spécifiques de l’effet sédatif et hypnotique recherché.
• Anticonvulsivante/antiépileptique : toutes les BZDs ont montré un effet anticonvulsivant. Elles sont principalement efficaces dans les convulsions induites par des composés chimiques et moins efficaces dans les convulsions induites par une stimulation électrique (Rang et Dale 2011). Dans ce cas le diazépam est utilisé par voie rectale chez l’enfant et par voie intraveineuse chez l’adulte lors d’état d’urgence de crises d’épilepsies. Leur utilisation en chronique est limitée à cause de leur effet sédatif additionné et l’installation de la tolérance.
• Amnésiante : l’amnésie antérograde est plutôt un effet négatif dû aux BZDs, les délinquants sexuels en font un usage détourné. C’est une amnésie qui apparaît après l’administration du produit. Les BZDs peuvent parfois toucher la mémoire à long terme. La molécule détournée dans cet usage était le flunitrazépam (Rohypnol®), surnommée aussi la « drogue du viol » ou encore reconnue comme rendant invincible avec un « effet Rambo ». Elle avait des propriétés hypnotiques à demi-vie courte mais avec un effet amnésiant très important. Elle a été retirée du marché en 2013 (ANSM 2013a).
• Myorelaxante : suite à l’action sur des récepteurs GABAA sur la moelle épinière il y a une réduction du tonus musculaire. Les effets étaient bénéfiques dans les états d’hyperspasticité, dans la sclérose en plaques, ou les affections médullaires et cérébrales. L’effet myorelaxant trop important favorise les chutes.

Pharmacodynamie

Les différentes propriétés des BZDs et leur action prédominante se caractérisent par leur structure chimique, leurs propriétés pharmacocinétiques (durée et rapidité d’action) et par la nature des sous-unités des récepteurs GABAA, plus particulièrement par a et b (Selloum et Faure 2015). Il y a toujours un ou deux effets prédominants en fonction de leur affinité plus ou moins forte à certains sous types de récepteurs, même si toutes les BZDs possèdent toutes les propriétés. Le potentiel addictif dépend de l’affinité des BZDs pour les différentes sous-unités des récepteurs GABAA, en effet l’activation de la sous-unité a1 a démontré que cela enclenchait une envie d’auto-administration.

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Table des matières

INTRODUCTION
1. BIBLIOGRAPHIE
1.1. Les benzodiazépines
1.1.1. Histoire
1.1.2. Mécanismes d’action, structure, propriétés pharmacologiques, pharmacocinétique
1.1.3. Indications, contre-indications, précautions d’emploi et interactions médicamenteuses
1.1.4. Règles de prescriptions, restrictions particulières, surveillance sanitaire, déclarations de pharmacovigilance et d’addictovigilance
1.1.5. Les BZDs disponibles sur le marché français en 2020, les équivalences et état des lieux des consommations
1.1.6. Effets indésirables
1.1.7. Mésusage, abus, détournement
1.2. L’alcool
1.2.1. Généralités
1.2.2. La consommation, problème de santé publique, mésusage, facteurs de risque
1.2.3. Dépendance : troubles de l’usage d’alcool, le sevrage et ses traitements
1.2.4. Les effets aigus et au long terme
1.3 Alcool et BZD
1.3.1. Indications : prévention et traitement du syndrome de sevrage
1.3.2. Associations alcool/BZD : hors AMM
1.3.3. Alcool et BZD : points communs
2. ETUDE DE LA REPRESENTATION DES BENZODIAZEPINES SELON DES PATIENTS PRESENTANT DES TROUBLES DE L’USAGE D’ALCOOL
2.1. Objectifs de l’étude
2.2. Méthodologie
2.3. Questionnaire
2.4. Inclusion et recueil des données
2.5. Résultats
3. DISCUSSION
3.1 Discussion des résultats de l’objectif principal
3.2 Discussion des résultats des objectifs secondaires
3.3 Axes d’amélioration
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
SERMENT DE GALIEN
RESUME

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