Apport de la nanostructuration
Considérant des poudres, la diminution de la taille des particules, possible dans les années 90, a eu un double effet bénéfique sur les cinétiques de réaction : (1) l’augmentation de la surface spécifique/surface de contact entre les réactifs, et (2) la réduction des distances de diffusion entre les réactifs. C’est ainsi qu’est née, dans ces années, une nouvelle catégorie de matériau énergétique : les nanothermites, définies comme un mélange de poudres métalliques et d’oxydes de tailles nanométriques. La méthode la plus répandue pour préparer des nanothermites, et aussi la plus simple, est le mélange physique de nanopoudres sous ultrasons. Elle consiste à mélanger des nanoparticules dans un solvant inerte, comme l’hexane, et d’agiter le tout à l’aide d’ultrasons afin d’éliminer les agrégats et d’assurer l’homogénéité du mélange, comme présenté sur la Figure I.1. Les avantages majeurs de cette technique sont la simplicité et la rapidité de mise en œuvre. De nombreuses équipes essentiellement aux USA ont mis en forme des nanothermites par mixage de nanopoudres de différentes compositions et tailles afin de caractériser leurs propriétés énergétiques et leur combustion. Les travaux d’Aumann et al. dans les années 1995 [7], ont montré expérimentalement l’augmentation de la vitesse de flamme d’un facteur 1000 entre un mélange d’Al et de MoO3 de tailles nanométriques comparé à un mélange micrométrique. Il est maintenant établi expérimentalement et théoriquement que la vitesse de combustion augmente lorsque la taille des nanoparticules diminue grâce au rapprochement des réactifs entre eux. Pour le couple Al/CuO par exemple, la vitesse varie de 180 à 980 m.s-1 lorsque le mélange est de taille micrométrique et nanométrique, respectivement [37]. La réduction de la taille des réactifs a aussi un effet sur la sensibilité aux décharges électrostatiques (ESD : ‘Electrostatic discharge’) des nanothermites. Une étude menée par Kuo et al. [38] montre que le couple Al/Bi2O3 est plus sensible aux ESD lorsque la taille des particules est réduite. En effet, dans ces travaux, deux mélanges ont été préparés, l’un comprenant des particules de Bi2O3 de 40 nm et l’autre de 2,4 µm avec des nanoparticules d’Al de 80 nm de diamètre. Pour le premier mélange, l’énergie d’initiation (afin de déclencher la réaction de thermites) est de 0,075 µJ alors que pour le second elle vaut 2 µJ. La même tendance est obtenue pour d’autres couples de nanothermites tels que Al/MoO3 [39]. Cette variation lors de la diminution de la taille s’explique par la capacité accrue des zones dont le rapport surface/volume est grand, à développer des charges, qui s’accumulent et déclenchent la réaction. Ces études montrent que la diminution de la taille des particules peut être bénéfique sur les propriétés énergétiques telles que la vitesse de combustion, mais augmente aussi grandement la sensibilité des mélanges aux décharges électrostatiques ce qui doit être pris en compte lors de la manipulation des nanothermites par les opérateurs. Le mixage de nanopoudres, bien que très utilisé pour l’étude des nanothermites dans les laboratoires de recherche présente toutefois certaines limites : il est difficile d’assurer l’homogénéité du mélange, l’intimité des réactifs et l’élimination des impuretés. Ceci entraine une non reproductibilité dans les performances énergétiques. De plus, les mélanges réalisés sont très sensibles à l’impact, à l’étincelle, et aux frottements. Enfin, ce procédé, est encore difficile à intégrer dans un processus microélectronique, même si des solutions comme le jet d’encre, l’impression 3D ou l’électrodéposition sont en cours de développement [40]–[43].*** A partir des années 1900, les procédés de la microélectronique ont amené de nouvelles manières de mettre en forme les réactifs et de nouvelles structures nanothermites ont été étudiées comme les nanofils [44], [45], les nanofeuillets, [46], [47] ou les nanotubes [48]. Ces technologies, issues de la microélectronique, offrent un contrôle à l’échelle du nanomètre de la géométrie des réactifs (oxydant et réducteur) et de leur placement les uns par rapport aux autres. Notamment, les techniques de dépôt physique en phase vapeur (PVD) ont été explorées pour empiler des couches minces (< µm) de réactifs dont les épaisseurs respectives peuvent être comprises, de façon contrôlées, entre 10 nm et 1 µm. Dans les dépôts PVD, on distingue les dépôts par évaporation utilisés pour déposer du PETN (‘TétraNitrate de PentaErythritol TetraNitrate’ en anglais et TétraNitrate de PentaErythritol en français) en couche mince [49] ou par pulvérisation cathodique employée pour le dépôt de nanothermites car il est impossible d’évaporer des oxydes. Le principe du dépôt par pulvérisation est d’éjecter certains atomes provenant des couches supérieures d’un matériau appelé cible, celui que l’on souhaite déposer, par le bombardement de cette dernière à l’aide d’atomes ou d’ions provenant d’un plasma comme présenté sur la Figure I.2 (a). Sur cette dernière, le gaz ionisé est composé d’atomes d’argon, d’ions Ar+ et d’électrons. La cible, polarisée négativement est alors bombardée par des ions positif d’Ar+ provenant du plasma au centre des lignes de champs. L’énergie transmise au matériau cible lors du bombardement est suffisante pour éjecter des atomes, qui traversent le plasma pour venir se condenser sur le substrat. Ce procédé, communément utilisé en microélectronique pour déposer des métaux, permet un contrôle à la dizaine de nanomètre près des épaisseurs des couches minces ainsi réalisées. La pulvérisation cathodique a été utilisée pour mettre en forme des empilements alternant des nanocouches d’Al et de CuO (Figure I.2 (b)), d’abord par notre équipe en France [1], [23] et par l’équipe de T. Weihs de John Hopkins University [50], [51]. Plus tard, ce procédé s’est diffusé à d’autres équipes dont celle de R. Kumar [52] de l’Université de Floride, et certaines équipes Chinoises [12], [53].
Influence du type d’oxydant
Comme présenté précédemment dans le Tableau I.1, la nature de l’oxyde utilisé peut modifier grandement les propriétés de combustion des nanothermites. Considérant des particules de même taille, la vitesse de combustion a été mesurée plus grande pour le couple Al/Bi2O3 que pour Al/MoO3 [56], [57]. L’évaporation du bismuth à basse température (1564 °C), produit par la réduction du Bi2O3 entraîne une grande quantité de gaz durant la réaction, favorisant le transport thermique dans le mélange par advection (et non par conduction) augmentant la vitesse de propagation de la chaleur donc la vitesse de combustion. L’étude de Sanders et al. dont les résultats sont présentés dans le Tableau I.2 illustre les effets de la nature du type d’oxydant, ainsi que de la compaction sur les vitesses de combustion des nanopoudres. Notons, dans ce cas, que l’ensemble des compositions sont des nanoparticules, sauf le Bi2O3 car le mélange est trop réactif. Lors de ces tests, deux configurations expérimentales ont été utilisées, l’une en configuration ouverte, où les mélanges de poudres ont été déposés dans une fente ouverte. Un système d’initiation par décharge électrique placé à une extrémité initie la réaction et cette dernière est suivie par une caméra rapide. La seconde configuration, appelée confinée, est réalisée en plaçant les mélanges dans un tube en acrylique initiés d’un côté par un initiateur. Le taux de compaction est déterminé par le %TMD (‘Theoritical maximum Density’) qui est une comparaison de la densité de poudre par rapport à la densité maximale théorique.
Ingénierie des interfaces dans le cas des multicouches thermites
Plusieurs équipes ont joué sur la nature des interfaces afin de modifier les propriétés thermiques des nanothermites et notamment la chaleur de réaction générée lors de la combustion. Dans la publication de Kwon et al. [68], les auteurs ont déposé une couche d’alumine par ALD (‘Atomic Layer Deposition’) à l’interface entre les couches d’Al et de CuO. Dans un premier échantillon, un empilement Al/CuO/Al est réalisé en suivant le procédé de dépôt par PVD standard dans le bâti UNIVEX présenté précédemment. Et dans un second échantillon, une couche d’alumine de 0,5 nm d’épaisseur a été déposée par ALD après le dépôt de CuO et avant celui d’Al. L’analyse thermique des deux échantillons a ensuite été réalisée par la méthode de Calorimétrie différentielle à balayage (DSC, ‘Differential Scanning Calorimetry’ en anglais). Elle consiste à mesurer les échanges thermiques entre l’échantillon de nanothermites et un échantillon de référence suite à une rampe de chauffage lente (10 °C.min-1 en général). L’intégration de ces différents pics exothermiques donne alors la chaleur de réaction produite par les multicouches. Un pic principal exothermique de la réaction est présent dans les deux échantillons de Kwon et al.. Pour l’échantillon sans le dépôt par ALD, les réactions exothermiques apparaissent à plus basses températures, autour de 350-400 °C ce qui laisse penser que la réaction se consume avec de petites réactions au départ, dû à la diffusion des espèces, puis est suivi du pic principal de la réaction, caractéristique de l’oxydation de l’aluminium. Ce travail a montré que la nature de l’interface est déterminante dans la cinétique de réaction aux basses températures (< 400 °C). Dans le cas du dépôt d’alumine par ALD, seulement 0,5 nm suffit pour éviter les interdiffusions des éléments à basse température. De manière similaire, Marin et al. [29] ont déposé un film mince d’oxyde de Zinc (ZnO) par ALD à l’interface entre CuO et Al. Ceci améliore le rendement de la réaction, qui génère alors 98 % de la chaleur théorique contre 74 % sans cette couche à l’interface. De plus, sur les spectres DSC, un seul pic exothermique est obtenu à 900 °C et non plus en deux pics principaux à 550 et 850 °C. La formation d’un film de ZnAl2O4 lors du dépôt de ZnO à l’interface permet donc de bloquer efficacement l’oxydation de l’aluminium à basse température et la formation des intermétalliques responsables des réactions à basse température.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I ‐ Introduction sur les nanothermites et présentation des objectifs de recherche
I.1. Les nanothermites
I.1.1. Apport de la nanostructuration
I.1.2. Notion de stœchiométrie
I.1.3. Influence du type d’oxydant
I.1.4. Influence de l’interface des réactifs
I.1.5. Influence du procédé de fabrication
I.1.6. Ingénierie des interfaces dans le cas des multicouches thermites
I.1.7. Résumé
I.2. L’initiation des nanothermites
I.2.1. Initiation par impact/choc
I.2.2. Initiation par décharge électrostatique
I.2.3. Irradiation laser
I.2.4. Initiation électrique
I.2.5. Résumé
I.3. Conclusion et objectifs de ma thèse
Chapitre II ‐ Etude de l’initiation de nanothermites Al/CuO par point chaud
II.1. Définition de quelques termes clés pour l’étude
II.2. Les puces d’initiation à nanothermites : pyroMEMS
II.2.1. Le filament
II.2.2. Le substrat
II.2.3. La nanothermite
II.3. Conception des puces d’initiation relatives à l’étude
II.4. Procédé de fabrication des puces d’initiation
II.4.1. Etapes 1 à 3. Nettoyage et laminage du film Kapton
II.4.2. Etapes 4 et 5. Dépôt et mise en forme du filament et de ses contacts
II.4.3. Etape 6. Dépôt et structuration des nanothermites Al/CuO par lift‐off
II.4.4. Résumé des étapes de fabrication des pyroMEMS
II.5. Méthode de caractérisation des puces d’initiation
II.6. Résultats expérimentaux
II.6.1. Influence de la nature du substrat
II.6.2. Influence de la surface de chauffe
II.6.3. Influence du nombre de bicouches Al/CuO
II.6.4. Influence des épaisseurs des couches Al/CuO
II.6.5. Résumé
II.7. Modélisation de l’initiation des multicouches Al/CuO
II.7.1. Equation de transport de masse
II.7.2. Equation thermique
II.7.3. Notion de « temps de réaction »
II.7.4. Résultats
II.7.5. Discussion
II.8. Conclusion et règles de conception
Publication : Investigation of Al/CuO multilayered thermite ignition
Publication : A diffusion‐reaction scheme for modeling ignition and self propagating reactions in Al/CuO multilayered thin films
Chapitre III ‐ Conception et fabrication d’un inflammateur pour étoupille ou générateur de gaz
III.1. Cahier des charges
III.1.1. Caractéristiques fonctionnelles
III.1.2. Interface mécanique
III.2. Optimisation du rapport de conversion électrique/pyrotechnique
III.2.1. Conception d’un filament résistif optimisé
III.2.2. Maximisation de l’« énergie pyrotechnique »
III.3. Fabrication et caractérisation en initiation des pyroMEMS V2
III.3.1. Technologie pyrex/Kapton
III.3.2. Technologie pyrex
III.4. Intégration de l’inflammateur et tests
III.4.1. Tests des puces assemblées et connectées aux TV
III.4.2. Report des compositions pyrotechniques secondaires et tests
III.4.3. Résumé
III.5. Conception, fabrication et tests d’un prototype « pré‐industriel » de pyroMEMS
III.5.1. Conception et fabrication de plaques 50 x 50 mm² de pyroMEMS
III.5.2. Tests avant assemblage
III.5.3. Assemblage des pyroMEMS sur TV et tests
III.6. Conclusion
Chapitre IV ‐ Etude et réalisation d’un dispositif sectionneur à base de nanothermites
IV.1. Définition de quelques termes clés pour l’étude
IV.2. Principe de fonctionnement d’un sectionneur, cahier des charges et état de l’art
IV.2.1. Cahier des charges
IV.2.2. Etat de l’art des sectionneurs pyrotechniques
IV.2.3. Le micro‐actionnement pyrotechnique
IV.3. Conception d’un sectionneur à partir d’un pyroMEMS
IV.3.1. Dimensionnement de la pastille de Cu et choix technologiques
IV.3.2. Conception et dimensionnement de l’actionneur
IV.4. Réalisation et caractérisation du court‐circuit avec pastille de Cu soudée/collée
IV.4.1. Caractérisation de l’état ON en fonction de l’intensité du courant
IV.4.2. Caractérisation de la force requise pour arracher la pastille au circuit imprimé
IV.4.3. Résumé
IV.5. Dimensionnement et caractérisation de l’actionneur pyrotechnique
IV.5.1. Préparation des nanothermites en poudre
IV.1.2. Caractérisation des nanothermites élaborées
IV.1.3. Résumé
IV.2. Assemblage et caractérisation des dispositifs sectionneurs
IV.2.1. Caractérisation de l’ouverture du court‐circuit
IV.2.2. Fiabilité de l’ouverture du court‐circuit
IV.2.3. Caractérisation de l’ouverture du court‐circuit
IV.3. Conclusion
Publication : Fast circuit breaker based on integration of Al/CuO nanothermites
Conclusion générale
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