L’épuisement des ressources fossiles (pétrole, gaz naturel…) face à une consommation énergétique de plus en plus croissante et le problème de pollution dû à l’effet de serre conduisent à réduire leur consommation. La consommation de pétrole ne cesse d’augmenter depuis les années 30 avec l’accélération de l’économie mondiale tandis que le nombre de gisements à faibles coûts d’exploitation est en baisse. L’agence internationale de l’énergie (IEA) a prévu un record du bilan énergétique dans les prochaines années, avec 92,5 millions de barils par jour, contre 92,1 millions en 2013 [1]. Lorsque les négociations internationales pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ont commencé, l’émission mondiale du dioxyde de carbone due à la combustion des carburants atteignait un nouveau record avec 36 milliards de tonnes de CO2 en 2013 [2], correspondant à 165% des émissions enregistrées en 1990.
Bien que d’autres énergies (nucléaire, solaire, éolienne…) se substituent massivement au pétrole dans plusieurs secteurs d’activité (industrie, résidentiel-tertiaire…), la demande de pétrole dans le secteur des transports poursuit sa croissance, avec une contribution de 70% de la consommation globale [3]. L’intensification des émissions de gaz à effet de serre produites lors de la combustion des énergies fossiles, à l’origine de problèmes environnementaux majeurs sur notre planète, contribue au développement et à l’utilisation de l’énergie électrique (électrification des avions, hybridation des voitures…).
Le secteur automobile, qui est un des moyens de transport le plus utilisé, doit répondre aux problèmes de raréfaction des ressources et de pollution. Parmi les solutions envisageables, l’électrification des véhicules est à l’heure actuelle une alternative intéressante permettant de réduire l’usage des carburants, de limiter l’impact sur l’environnement. Le plan pour le véhicule décarboné, lancé par le gouvernement français, inclut le développement de véhicules tout électrique et hybrides. Un des objectifs rationnels de l’électrification des véhicules est d’améliorer les rendements énergétiques lors de la transformation de l’énergie source (batteries) à celle adaptée au fonctionnement du moteur. Cette nécessité met au-devant de la scène le rôle des convertisseurs électroniques de puissance, dont les éléments principaux sont les modules de puissance à base de composants semi-conducteurs.
Les convertisseurs électroniques de puissance sont amenés à fonctionner sous des conditions applicatives très sévères (haute température, fortes contraintes électriques, vibrations, humidité…). De plus, les attentes des industriels, de plus en plus exigeants en termes de taux d’intégration et de réduction des coûts, se trouvent confrontées à des impératifs de performance énergétique et de fiabilité [4]. La qualité de réalisation de l’assemblage est donc importante. Cela nécessite que les technologies d’attache utilisées pour l’intégration des composants semiconducteurs (joint d’assemblage) présentent des performances élevées. En effet, celui-ci doit permettre durant son fonctionnement la circulation de fortes densités de courant et de flux thermiques élevés. Dès lors, la technologie d’attache utilisée pour le report des puces est un élément très critique du point de vue électrothermique et thermomécanique. Or, des cavités d’air (voids) dans l’attache de puce, appelée traditionnellement brasure, peuvent se créer durant le procédé de réalisation en raison de nombreux facteurs. Une étude (analyse de Pareto) a été présentée dans la revue de Rehm Thermal Systems en 2014 [5], permettant d’identifier les facteurs à l’origine de la formation de void. Lors du processus de brasage, le void peut être formé à cause d’un mauvais état de surface du substrat, de la présence de résidu et d’une mauvaise maitrise de la phase de refusion [6]. La présence de void dans les brasures de la puce peut être préjudiciable pour la performance et la durée de vie des composants. En effet, les voids empêchent localement l’évacuation de la chaleur en provenance du composant vers le système de refroidissement. Cette situation semblerait conduire à une redistribution du courant en fonction des caractéristiques électrothermiques du composant de puissance [7]. La dépendance du comportement des composants de puissance, qui met en jeu des densités de puissances dissipées importantes, explique l’apparition de points chauds (hot spots) dans le composant à l’aplomb des voids. Cette contrainte thermique localisée peut engendrer la destruction du composant soit de façon directe, soit en initiant un processus de vieillissement et de fatigue [8].
La directive européenne RoHS (Restriction of Hazardous Substances Directive), visant à limiter l’utilisation de six substances dangereuses, y compris le plomb, a pris effet le 1er Juillet 2006. Cette directive, qui touche différents types d’équipements électriques et électroniques, a été à l’origine d’une forte évolution des technologies d’attache de puce. De nombreux alliages sans plomb ont fait l’objet de travaux de recherche afin de trouver une alternative aux alliages SnPb classiques tout en ayant des performances et une fiabilité comparables. A l’heure actuelle, la brasure SAC (SnAgCu) est la solution la plus utilisée dans l’industrie [9]. Une des limitations de cette brasure, tout comme celle des autres alternatives, est leur mouillabilité qui n’est pas comparable à celle des alliages classiques. Cette problématique favorise la formation de void dans la brasure [10]. L’élimination des voids devient alors complexe face au grand nombre de facteurs à maîtriser mais surtout face à la mauvaise mouillabilité. Certaines technologies de brasage, comme le brasage sous vide, permettent de réduire significativement le taux de void jusqu’à 1% [11]. Cependant, la mise en place de ces technologies dans une chaine de production est difficile. En effet, le brasage sous vide est un procédé lent, de l’ordre d’une vingtaine de minutes pour un cycle de brasage [7]. Il nécessite une mise en œuvre compliquée et demande un coût élevé [12]. La présence d’une pression élevée pendant le brasage par rapport à la pression ambiante a pour objectif l’évacuation des voids, mais risque d’incliner la puce [7]. La difficulté de trouver un compromis entre les critères de production et l’élimination des voids amène à utiliser le brasage conventionnel en contrôlant la densité de void à un niveau acceptable [12]. Cette densité varie en fonction des caractéristiques de void (géométrie, position, distribution…). L’optimisation de ce niveau d’acceptabilité est cruciale. Un seuillage trop sévère engendre des pertes économiques importantes alors qu’un critère trop souple va pénaliser les performances et la fiabilité du composant.
Les systèmes électroniques de puissance à semi-conducteur
Rôle des interrupteurs de puissance dans la conversion d’énergie
L’électronique de puissance regroupe les dispositifs permettant d’optimiser les transferts d’énergie électrique entre une source et un récepteur en garantissant un rendement élevé (>95%). Le principe de fonctionnement de ces convertisseurs repose sur l’utilisation d’« interrupteurs statiques» à semi-conducteur (ou «commutateurs »), fonctionnant en mode « passant ou bloqué ». Les architectures des convertisseurs statiques sont définies en fonction des besoins applicatifs. Dans un circuit de base utilisant des convertisseurs à découpage, l’élément principal est une « cellule de commutation » dans laquelle deux interrupteurs fonctionnent de manière alternative : l’un est ouvert quand l’autre est fermé. La cellule de commutation est réalisée au moyen d’éléments semi-conducteurs de puissance. Le récepteur voit par conséquent soit la tension source (quand K1 est fermé et K2 ouvert), soit une tension nulle (quand K1 est ouvert et K2 fermé). En changeant d’état rapidement, on trouve aux bornes du récepteur une tension inférieure à la tension source E, réglable en ajustant le rapport cyclique. Ce rapport cyclique caractérise le temps pendant lequel l’interrupteur K1 reste à l’état passant sur la période de découpage. L’avantage majeur des convertisseurs à découpage est de permettre un rendement proche de l’unité, ce qui est impossible avec un convertisseur linéaire. La puissance dissipée est réduite aux pertes des éléments du circuit.
Les interrupteurs de puissance
Comme présenté précédemment, le principe de la conversion d’énergie s’appuie sur les commutations des interrupteurs de puissance dont les performances et les domaines d’usage conditionnent le choix de la technologie des composants de puissance. Concrètement, le choix de l’interrupteur de puissance est contraint par le mode de commande, la fréquence de commutation et le niveau du courant et de la tension à bloquer dans l’application [13]. Pour les applications très basses tensions (inférieure à 250V), l’utilisation des MOSFETs est préférentielle tandis que pour les tensions plus importantes (supérieure à 1000V), le choix tend vers les transistors IGBTs (Insulated Gate Bipolar Transistor) [14]. Pour les gammes de tension intermédiaires, d’autres impératifs doivent être pris en considération. Les interrupteurs utilisés dans cette étude sont intégrés dans un convertisseur doubles fonctions « onduleur/redresseur » du système microhybride. Ceci représente le premier niveau d’hybridation dans les applications automobiles. Lorsque l’alterno démarreur est en mode démarreur, la conversion d’énergie est assurée par l’onduleur triphasé alimenté en 12V. Ce dernier va transformer l’énergie électrique continue de la batterie en énergie électrique alternative pour l’alterno-démarreur. En revanche, lorsque l’alterno-démarreur est en mode alternateur pour recharger la batterie, le convertisseur va redresser les tensions de l’alternateur. Les interrupteurs choisis pour l’onduleur triphasé de l’alterno-démarreur doivent pouvoir tenir la tension maximale de la batterie lorsqu’ils sont à l’état ouvert. Leur tenue en tension doit être supérieure à la tension de la batterie pour les protéger contre d’éventuelles surtensions dans le réseau. Le choix des interrupteurs de puissance doit ainsi permettre de réduire au maximum les pertes dues à leur auto-échauffement. Ils doivent de ce fait disposer d’une faible résistance à l’état passant. La gamme de tension et les contraintes applicatives lors du fonctionnement de l’onduleur imposent d’utiliser des MOSFETs basse tension. Dans ce paragraphe, nous allons présenter la structure, les technologies et les différents modes de fonctionnement des composants de puissance utilisés pendant les travaux de thèse.
Les transistors MOSFETs en silicium comptent parmi les composants de puissance les plus utilisés en raison de nombreuses caractéristiques favorables à leur intégration dans les convertisseurs basses tensions : faible besoin de puissance pour la commande, fréquences de commutation élevées et facilité d’association en parallèle. Un MOSFET est constitué par la mise en parallèle d’un grand nombre de cellules élémentaires. Ceux utilisés en électronique de puissance sont de structure verticale. Cela offre une tenue en tension plus importante, une meilleure distribution des courants dans les cellules élémentaires. Il existe deux structures se différenciant par la technologie d’intégration de la grille qui assure la commande du transistor (cf. Figure I-2). Les MOSFETs de type « trench » ont une faible résistance à l’état passant, grâce à l’élimination de la résistance parasite JFET entre deux cellules élémentaires adjacentes [15]. Ils permettent une densité de cellules plus élevée que les MOSFETs de type planar [16]. En revanche, les MOSFETs « planar » sont plus facilement utilisés à cause de leur procédé de fabrication moins complexe [17].
Les MOSFETs utilisés dans les travaux de cette thèse sont des composants verticaux en silicium de type N à structure planar (VDMOS) qui ont été développés spécifiquement pour des applications automobiles basse tension et fort courant (24V – 500A). Chaque cellule MOSFET se caractérise par une zone dite active de 10µm d’épaisseur, une zone de substrat N+ de 228µm d’épaisseur, deux zones de métallisation de source de 10µm d’épaisseur et de drain de 1µm d’épaisseur. La zone active englobe la zone du caisson N+, la zone du canal, la zone d’accumulation de charge, la zone créée par le transistor JFET parasite et enfin la zone de tenue en tension. (cf. Figure I-3). La contribution à la résistance à l’état passant de la zone active est caractérisée par les résistances respectives ????, ???, ??, ?????, ??. La zone de substrat se caractérise par la résistance RN+. Les zones de métallisation se caractérisent par les résistances ??? (source) et ??? (drain).
Les modules de puissance et leurs contraintes fonctionnelles
Les convertisseurs électroniques de puissance sont réalisés à partir d’un assemblage de puces semi-conductrices. Un module électronique de puissance doit assurer à la fois des fonctions mécaniques, électriques, thermiques et de protection [16].
L’architecture du convertisseur et les choix technologiques intégrés dans le module de puissance varient suivant les domaines d’application (automobile, aéronautique, maritime, ferroviaire…). L’électronique de puissance est parfois soumise à des environnements contraignants que ce soit en température, humidité et vibrations. Les composants de puissance sont particulièrement sensibles à la température car ils dissipent de forts flux thermiques en fonctionnement provoquant un auto échauffement important. Lorsque la température du composant dépasse sa limite de température, ses performances risquent de se dégrader. C’est aussi un facteur d’accélération des mécanismes d’endommagements. La qualité de réalisation de l’assemblage d’un module de puissance est donc primordiale pour satisfaire les besoins en performance et en fiabilité. Dans les domaines de l’automobile et de l’aéronautique, les besoins applicatifs amènent à réduire l’encombrement et le poids des convertisseurs [17]–[19]. Ces exigences entrainent une augmentation significative des densités de courant et de puissance au sein des modules de puissance. La fabrication industrielle [20] repose sur une amélioration des technologies des composants et d’assemblage tout en maintenant un bon rapport qualité – prix.
Le premier module de puissance isolé a été inventé par Semikron sous le nom de SEMIPACK 1 en 1975 [21]. Il s’appuie sur un schéma d’assemblage dit « conventionnel » qui est le plus commun pour les applications moyennes et fortes puissances à base de composants IGBTs et MOSFETs (cf. Figure I-4). Ce module comprend des puces semi-conductrices reportées sur un substrat céramique isolé par un joint d’attache. Ce dernier est une interface réalisant les liaisons entre la partie électrothermique (fils de connexion internes et externes, puce, joint d’attache de puce) et la partie thermique (semelle, graisse thermique, refroidisseur…). Le substrat se décompose en pistes conductrices reportées sur une céramique assurant l’isolation électrique. Ce substrat céramique est assemblé à une semelle qui a pour rôle l’amélioration de la tenue mécanique et de favoriser le transfert thermique vers le système de refroidissement. Les liaisons électriques internes avec les parties actives, incluant les fils de puissance et de commande, sont assurées par les fils de bonding. Lors de la mise en boitier, les constituants sont noyés dans un gel silicone isolant électrique afin d’une part d’améliorer la tenue diélectrique de l’ensemble et d’autre part de protéger les parties actives des agressions externes (poussières, corrosion…).
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I: Assemblage de puissance et ses problématiques
I.1. Les systèmes électroniques de puissance à semi-conducteur
I.1.1. Rôle des interrupteurs de puissance dans la conversion d’énergie
I.1.2. Les interrupteurs de puissance
I.2. Les modules de puissance et leurs contraintes fonctionnelles
I.3. Problématiques liées à l’attache de puce
I.3.1. Les technologies d’attache de puce
I.3.2. La formation de voids dans la brasure
I.3.3. Connaissances sur les conséquences des voids
I.4. Les modèles électrothermiques
I.4.1. Le principe de la modélisation électrothermique
I.4.2. Choix de la stratégie de modélisation électrothermique
Chapitre II: Méthodologie et mise en œuvre des approches numérique et expérimentale
II.1. Formalisation de la méthodologie
II.2. La méthode de plan d’expériences
II.2.1. Introduction
II.2.2. Choix du plan d’expériences
II.2.3. Notions de base des plans d’expériences
II.2.4. Expériences
II.2.5. Critères d’optimalité
II.3. Conception du plan d’expériences virtuelles
II.3.1. Objectif de l’étude et identification des réponses observées
II.3.2. Choix d’une stratégie de simulation numérique
II.3.3. Définition des facteurs et des niveaux
II.3.4. Définition du domaine d’étude
II.3.5. Définition d’un modèle postulé
II.3.6. Génération du plan optimal
II.3.7. Validation du plan optimal
II.4. Méthodologie et procédé de réalisation des prototypes expérimentaux
II.4.1. Génération de voids contrôlés
II.4.2. Finalisation de l’assemblage et du câblage
Chapitre III: Conception des modèles pour l’étude en régime de conduction
III.1. Description des modèles numériques
III.1.1. Géométrie et paramétrage des modèles
III.1.2. Matériaux et modélisation de leur comportement électrothermique
III.1.3. Conditions aux limites
III.1.4. Maillage et solveur
III.2. Extraction des caractéristiques des transistors MOSFETs et des fils
III.2.1. Description du banc de test
III.2.2. Caractérisations électrothermiques I(V, Tj) des MOSFETs
III.3. Résultats de simulation avec les modèles par éléments finis
Chapitre IV: Campagne expérimentale – Validation des modèles par éléments finis
IV.1. Méthodologie de mesure en dissipation
IV.1.1. Usage du banc de test en dissipation
IV.1.2. Technique de mesure avec caméra infrarouge
IV.2. Validation des modèles par confrontation expérimentale
IV.2.1. Validation du modèle sans void
IV.2.2. Validation du modèle avec void
IV.3. Evaluation de l’impact du void en régime établi de conduction par la méthode de surface de réponse
IV.3.1. Réalisation de l’étude paramétrique et extraction des réponses
IV.3.2. Evaluation globale du modèle postulé
IV.3.3. Analyse mathématique du modèle
IV.3.4. Analyse ANOVA du modèle quadratique
IV.3.5. Analyse graphique du modèle
IV.3.6. Validation des fonctions de réponse
Conclusion générale