Depuis les années 50 : une approche beaucoup plus scientifique
La seconde guerre mondiale a joué un rôle en cartographie : la nécessité d’avoir des cartes précises a multiplié les moyens accordés la recherche dans le domaine ce qui aboutit dans les années 50 à considérer la cartographie sous un nouvel angle : imposer la cartographie comme une science. (MAC EACHREN, p2, 1995) Robinson avec la publication en 1952 de son ouvrage The look of Maps est le précurseur en suggérant de ne pas considérer la carte uniquement d’un point de vue artistique. Le but de son approche est alors d’établir des règles objectives de conception cartographique qui seraient alors systématiquement appliquées . L’utilisateur de la carte est pris en compte dans le processus de conception : la carte doit représenter des informations pertinentes de telle manière que l’utilisateur puissent les comprendre, les analyser et les interpréter. (BOARD et TAYLOR,1976) The look of maps put forth the proposition that the function of maps is to communicate to people. This function depends on the visual appearance of maps, and this appearance, in turn, depends on explicit and implicit decisions made by mapmakers. So to understand and improve map function, cartographers need to understand the effects of design decisions on the minds of the map users. » (MONTELLO, 2002) La cartographie est alors vue sous un nouvel angle, se basant sur des principes établis par la psychologie expérimentale et l’esprit humain est considérer comme une machine de traitement de l’information. Une discipline apparait la Cognitive map design research ( la recherche en conception cartographique cognitive) qui essaie d’appréhender les processus de perception/cognition mis en jeu lors de la lecture d’une carte. Il se dessine alors une idéologie de l’empirisme où le coté artistique de la carte est oublié. L’amélioration de la carte se démontre à travers l’expérimentation scientifique qui se penche notamment sur comment représenter les lieux et comment les symboliser. Des méthodes issues de la psychophysique sont appliquées en cognitive map design. La psychophysique est une sous-discipline de la psychologie expérimentale qui étudie la réaction à un stimulus. Une expérience de Robinson a par exemple été de repérer les limitations de la perception humaine en identifiant « the least practical difference » (la plus petite différence notable par l’œil humain). (MAC EACHREN, p2, 1995).
Milieu des années 80 : déclin du modèle dominant
Les années 80 marquèrent l’essoufflement du modèle de communication . Une des raisons de ce déclin relève de l’absence de résultats concrets sur commentaméliorer une carte. En effet, des recherches empiriques basées sur les mouvements oculaires (« eye tracking ») n’ont notamment pas trouvé d’applications directes pour la production de carte. De plus les résultats empiriques semblent être incohérents et dépendant d’un contexte spécifique. Une critique dénonce également une recherche trop souvent basée les bas niveaux de perception (détection des formes et la perception de la taille) et pas assez sur les hauts niveaux de cognition (raisonnement, déduction) qui supposent de considérer les relations à l’intérieur de la carte et non uniquement des symboles isolés. (MONTELLO, 2002) Par ailleurs, la montée en puissance de l’informatique (la « révolution numérique) et notamment la SIG ainsi que le meilleur accès aux données, la capacité de stockage de celles-ci, la manipulation de la carte par ordinateur qui permet la séparation de l’acte de conception et d’impression sont autant de facteurs qui ont permis la démocratisation de la carte. En effet, ces nouvelles technologies en offrant plus de richesse, de flexibilité à la carte ont ouvert le domaine aux industriels, gouvernements et ont permis de populariser les cartes auprès d’un plus large public. La carte est devenue un outil organisationnel, un mode d’analyse et un outil visuel possédant un grand pouvoir de persuasion qui est facile à manipuler et à diffuser. L’utilisateur peut aujourd’hui être concepteur. Ce phénomène s’est également amplifié grâce à Internet qui permet un partage et une diffusion de l’information cartographique à faible coût. (KITCHIN, PERKINS et DODGE, 2009)
Le modèle computationnel de MARR
Comme nous l’avons dit précédemment, Marr envisage la vision comme un processus computationnel. Un processus computationnel dérivant du mot anglais « computeur » signifie un processus de traitement identique à celui d’un ordinateur, c’est-à-dire de manière logico-algébrique. Ainsi, une des force de ce modèle est que le processus peut être découpé en plusieurs étapes distinctes et relativement indépendantes qui permettent ainsi de tester certaines d’entre elles expérimentalement. (POGGIO, 1981) Dans son approche de la vision, Marr détermine 3 niveaux de compréhension : « computationnal theory » durant laquelle nous décrivons ce que doit faire un processus et pourquoi, « specific algorithms » qui correspond à comment la théorie peut être appliquée et « physical implementation » qui considère comment une représentation particulière peut être appliquée dans le système. (GLENNERSTER, 2002 ; POGGIO, 1981 ; MAC EACHREN, 1995) Chaque niveau peut être considéré indépendamment des autres même si une frontière relativement lâche existe entre eux et qu’une explication ne peut pas être complète sans avoir couvert les trois niveaux. C’est l’affirmation du premier niveau the « computationnal theory » qui aura le plus d’impact pour les futures recherches en cognition car en effet « If we recognize that, logically, our nervous system evolved to meet certain needs, rather than that our perceptual process evolved to make use of fixed predetermined neurological hardware, it becomes clear that understanding what vision is for is more important than understanding the neurophysilogical mechanism by which it works. » (MAC EACHREN, p27, 1995) En d’autres mots, si c’est notre système nerveux qui s’adapte pour répondre à certains besoins plutôt que notre système de perception pour correspondre à des schémas prédéfinis, la clé n’est plus de connaitre les mécanismes neurophysiologiques mais de comprendre le fonctionnement à un niveau plus élevé : le niveau cognitif. Marr a également émis des hypothèses quant aux différentes étapes du traitement visuel impliquant différents types de représentation (POGGIO, 1981 ; MAC EACHREN, 1995):
The « retinal image » est une représentation des différents niveaux d’intensité
A « primal sketch » permet de rendre l’image rétinienne explicite. La présence de bords, de formes floues sont appréhendées.
A « 2 ½-D sketch » est une représentation centrée sur l’utilisateur de la carte. Ce dernier apprécie alors sa distance par rapport à la carte ainsi que son orientation et des propriétés des surfaces telles que les contours, la profondeur.
A « 3-D model representation » centrée sur l’objet visionné aboutit à une représentation en trois dimensions structurée où les différents objets sont reconnus.
Ce modèle peut être considéré comme hiérarchique : chaque représentation de chaque niveau apporte des propriétés visuelles supplémentaires venant affiner la perception que nous avons de l’image. C’est un système modulaire qui permet de reconnaitre un objet comme appartenant à une certaine classe (ex : un oiseau) même si nous ne pouvons reconnaitre cet individus en particulier (que cet oiseau est un canard). (MAC EACHREN, p31, 2005) L’établissement ce modèle a été le point de départ de nombreuses recherches et notamment un élément fort pour la recherche en cognition visuelle. En effet, le modèle de Marr illustre la mise en jeu de différents processus et différentes représentations dans les stages de la vision. Ces conclusions ont servi de base pour l’établissements de nouveaux modèles axés sur les processus cognitifs impliqués dans la compréhension graphique. Pour la suite de notre étude, nous nous pencherons donc sur ce type de modèles dont les deux plus connus sont les modèles de Kosslyn (KOSSLYN, 1989) et Pinker (PINKER, 1990).
Rôle de l’expérience et influence des connaissances dans la compréhension graphique
Beaucoup de recherches se sont portées sur le rôle de l’expérience acquise dans le domaine et des connaissances de l’utilisateur sur la compréhension graphique. (SHAH, 1997) Car en effet, il apparait qu’un utilisateur expérimenté aura moins de difficulté à interpréter un graphique et fera moins d’erreurs dans le processus de décodage. La capacité à lire un graphique peut donc être une question d’apprentissage. (BOARD et TAYLOR, 1976 ; SHAH, 1997 ; SHAH et HOEFFNER, 2002) Shah et Hoeffner distinguent en 2002 le rôle de nos connaissance du graphique et le rôle de nos connaissances sur le contenu (le sujet dont traite les données). Concernant le rôle des connaissances du graphique, ils soumettent l’idée que les « schemas » (cf. modèle de Pinker) peuvent influencer et déformer la représentation d’une carte ou d’un graphique. Les données en mémoire de l’utilisateur peuvent, en effet, influencer la perception d’un graphique. Car lorsque l’utilisateur reconnait un type de graphique (grâce au « schema »), il lui associe immédiatement des propriétés et ressent certaines attentes vis-à-vis de ce type de graphique. Or ces propriétés et attentes sur un type précis de graphique peuvent avoir un impact sur l’encodage de l’actuel graphique que l’utilisateur observe. Par exemple, une étude a montré que lorsque l’on demande de tracer de mémoire une courbe, les sujets tendent à tracer une courbe beaucoup plus proche des 45° que la courbe originale. Concernant les connaissances sur le contenu, ils montrent que l’interprétation de données graphiquement représentées est influencée par les convictions et les attentes de l’utilisateur. Ainsi, l’estimation d’une corrélation ou d’une covariance entre deux variable peut être surestimée lorsque cette corrélation ou covariance correspond aux connaissances de l’utilisateur déjà acquises sur le sujet. Inversement, elle peut être sous estimée et peut mener à des erreurs d’interprétation graphique lorsqu’elle entre en conflit avec les convictions et attentes de l’individu. Cette étude suggère donc que les connaissances d’un individus ont une influence sur leur interprétation et la mémorisation des données. Cette influence serait surtout vérifiée pour les utilisateurs sans expérience qui n’ont pas les « schemas » nécessaires pour surmonter cette influence de leur propre connaissance.
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Table des matières
Introduction
Partie 1 : Etude de l’Histoire cartographique : de l’art à la science de la cartographie
I. Avant 1950 : l’art de la cartographie
II. Depuis les années 50 : une approche beaucoup plus scientifique
III. Fin des années 60, années 70 : un modèle s’impose : le « communication model »
IV. Milieu des années 80 : déclin du modèle dominant
V. La cartographie aujourd’hui
VI. Conclusion
Partie 2 : Etude des modèles de compréhension graphique : des modèles globaux aux théories plus spécifiques
VII. Théories du modèle de communication
VIII.Le modèle computationnel de MARR
IX. Les modèles de Kosslyn et Pinker
X. La recherche en perception graphique
XI. Le caractère cyclique du processus de compréhension graphique
XII. Rôle de l’expérience et influence des connaissances dans la compréhension graphique.
XIII.Des modèles généralistes (Kosslyn, Pinker) trop simplistes ?
XIV. Conclusion de la partie
Partie 3 : étude pratique : Mise en place d’une méthode d’amélioration cartographique
XV. Une méthode selon 3 niveaux d’analyse cartographique
XVI. Mise en application de la méthode sur une carte des risques
XVII. Conclusion
Conclusion Générale
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