Le cycle de marche
Le cycle de marche correspond à la période entre deux contacts successifs du même pied (Diopa et al., 2004). Il est souvent représenté en pourcentage, tel que le contact du talon (ou du pied en cas de marche pathologique) correspond à 0% du cycle de marche, le prochain contact du même talon (pied) correspondra à 100% du cycle de marche (Armand et al., 2015; Carcreff et al., 2016). Ce cycle est par la suite décomposé en deux phases. La phase d’appui (60% pour la marche normale) et la phase oscillante (40%) qui peuvent être décomposées elles-mêmes en sous-phases. On parle d’appui bipodal (ou double appui) lorsque les deux jambes sont en contact avec le sol et on parle d’appui unipodal (ou simple appui) lorsqu’une seule jambe est en contact avec le sol.
La marche pathologique
De nombreuses pathologies peuvent avoir des conséquences sur la marche, notamment dans un contexte de lésion du SNC où les principales altérations motrices sont la parésie, l’hyperactivité musculaire et les rétractions des tissus mous (Gracies, 2005a, b) (Figure 4). La parésie est définie comme une conséquence directe d’une lésion du SNC provoquant une incapacité ou des difficultés de recrutement volontaire des unités motrices générant le mouvement (Gracies, 2005a). La principale conséquence se présente sous forme de faiblesse musculaire. L’hyperactivité musculaire est définie comme une augmentation involontaire du recrutement des unités motrices provoquant des mouvements non désirés que ce soit au repos ou lors de certaines tâches demandant l’implication d’autres muscles (Gracies, 2005b). L’une des formes la plus connue est la spasticité. Traditionnellement, elle est définie par un désordre moteur caractérisé par une exagération du réflexe myotatique involontaire (augmentation de la résistance musculaire à l’étirement de celui-ci) et l’augmentation de cette résistance serait influencée par la vitesse d’étirement du muscle (vitesse-dépendant) (Lance, 1980). La rétraction des tissus mous (contracture en anglais) est définie comme une incapacité à effectuer une amplitude complète de mouvement autour d’une articulation et engendre une résistance passive excessive à la mobilisation sur cette articulation (Gracies, 2005a). Les structures impliquées sont principalement l’aponévrose, les tendons, les muscles, les ligaments, et la capsule articulaire. Ces structures sont limitées dans leur extensibilité et/ou présentent une raideur trop importante (Prabhu et al., 2013). Les rétractions peuvent être une conséquence indirecte d’une lésion du SNC (Figure 4). Chez les patients atteints de paralysie cérébrale (CP), il a été montré que le développement des rétractions musculaires a un lien avec l’augmentation de la raideur passive des faisceaux des fibres musculaires et avec l’augmentation de la longueur des sarcomères in vivo (Smith et al., 2011). La rétraction ne provient donc pas d’un raidissement au niveau cellulaire mais plutôt extracellulaire conduisant à des contraintes passives plus élevées (Dayanidhi and Lieber, 2014). Les muscles spastiques des patients CP ont une croissance longitudinale et transversale réduite pendant la période postnatale. Un dérèglement dans le rapport de la croissance entre les os et les muscles (en défaveur des muscles) peut conduire à des rétractions musculo-tendineuses (Dayanidhi and Lieber, 2014).
Principe et déroulement d’un examen
L’AQM est un examen standardisé permettant d’analyser et de comprendre la complexité des mouvements de la marche et plus spécifiquement de la marche pathologique. Cet examen est intégré dans les prises de décision clinique des traitements neuro-orthopédiques visant à améliorer la capacité ou performance de marche (Davids et al., 2004; Gage, 1994; Gough et al., 2008; Wren et al., 2011). L’AQM est réalisée dans un laboratoire d’analyse du mouvement en deux étapes généralement. La première étape consiste à effectuer un examen clinique où sont principalement évaluées les faiblesses musculaires, déterminées par l’examen de la force musculaire (échelles de testing musculaire (Florence et al., 1992)) ; le contrôle moteur sélectif (échelle de sélectivité (Fowler et al., 2009)), la spasticité réalisée par l’examen du tonus musculaire (évaluation par les échelles d’Ashworth (Bohannon and Smith, 1987) et de Tardieu (Gracies et al., 2010)) et les rétractions des tissus mous évaluées par la mesure passive des amplitudes articulaires à l’aide d’un goniomètre manuel (Viehweger et al., 2007). Les paramètres anthropométriques (taille, poids, longueur de jambes, etc.) sont eux aussi mesurés lors de cet examen clinique. La seconde étape consiste à évaluer la marche d’un patient pieds nus, si possible sans aide, sur une distance de 10 mètres en passant sur une ou plusieurs plateforme(s) de force intégrée(s) dans le sol et à enregistrer de manière synchronisée : les vidéos, les trajectoires de marqueurs réfléchissants avec un système optoélectronique, les forces de réaction au sol à l’aide de plateformes de force, l’activité musculaire avec l’électromyographie de surface. Ces enregistrements permettent le calcul des paramètres spatio temporels, cinématiques, cinétiques et électromyographique (Armand et al., 2015; Carcreff et al., 2016; Narayanan, 2007).
Les paramètres de l’AQM
Les paramètres spatio-temporels sont basés sur la durée (absolue ou relative) et la longueur de paramètres en lien avec le cycle de marche. Ils incluent principalement la vitesse de marche (m/s), la cadence de marche (nombre de pas par minute), la longueur du pas (m) et la durée des phases du cycle de marche (en secondes ou pourcentage). Ces paramètres donnent une idée globale des caractéristiques de la marche d’un patient. Les paramètres cinématiques (la cinématique étant l’étude du mouvement des corps, en faisant abstraction des causes du mouvement) correspondent aux angles articulaires exprimés en degrés. Pour calculer les angles articulaires, un système optoélectronique permettant de déterminer les coordonnées tridimensionnelles (3D) des marqueurs réfléchissants collés sur le corps du patient est généralement utilisé. La lumière infrarouge issue de diodes électroluminescentes entourant l’objectif des caméras est réfléchie passivement par les marqueurs puis captée par des caméras sensibles à la lumière infrarouge. Le système étant au préalable calibré, la détection d’un même marqueur par au moins deux caméras permet le calcul de sa position dans l’espace 3D. A partir de modèles biomécaniques, ces points dans l’espace permettront de calculer les angles articulaires entre les segments du corps dans chaque plan de mouvement (sagittal, frontal et transversal) (Figure 7). En général, les angles d’Euler (ou séquence de rotation autour d’axes mobiles) sont utilisés pour calculer les angles entre deux segments selon l’ «International Society of Biomechanics» (Wu et al., 2005). Les centres articulaires nécessaires à ce calcul (c’est à dire : la définition des axes des repères segmentaires) sont estimés par des équations de régression (Bell et al., 1990; Davis et al., 1991). La cinématique est ensuite représentée par des courbes représentant l’évolution des angles articulaires (ou segmentaires) sur des graphiques généralement normalisés par rapport à un cycle de marche. La représentation de tous les cycles de marche permet de vérifier la reproductibilité de la marche. Par la suite, les cycles représentatifs peuvent être sélectionnés afin de servir de base pour l’interprétation. Plusieurs méthodes de sélection de ces cycles peuvent être proposées, soit en prenant en compte la courbe la plus représentative, soit, et c’est ce qui est le plus souvent utilisé dans les laboratoires, en prenant la moyenne des courbes obtenues qui est ensuite comparée aux courbes de marche normale (moyenne ±1 écart type) (Figure 8) (Sangeux and Polak, 2015). Les données obtenues par l’analyse permettent de définir les déviations par rapport à une marche normale. Les paramètres cinétiques (Figure 9) permettant de déterminer la cause du mouvement utilisent la mesure du torseur des forces d’appui du pied au sol. Ces forces de réaction au sol sont enregistrées par des plateformes de forces. Les moments de forces ainsi que les puissances articulaires peuvent être calculés à partir de cette mesure par dynamique inverse. Les paramètres électromyographiques renseignent principalement sur le « timing » de l’activation de certains muscles ou groupes musculaires d’intérêt lors de la marche (Figure 10). Un système électromyographique enregistre l’activité électrique des muscles, correspondant à la différence de potentiel électrique au niveau des fibres musculaires. Pour l’AQM, des électrodes de surface placées sur la peau au niveau du corps musculaire sont généralement utilisées et mesurent une activité musculaire globale. Les recommandations de la SENIAM (Hermens et al., 2000) sur la préparation de la peau, le placement des électrodes et le traitement des données sont le plus souvent suivies.
Création d’un dispositif pour répliquer des rétractions
Afin de pouvoir répondre à notre objectif, un exosquelette capable d’émuler de multiples rétractions musculaires unilatéralement et bilatéralement a été conçu. L’exosquelette a été construit sur la base de celui de Matjacic and Olensek (2007) en respectant les règles suivantes :
– L’exosquelette peut s’ajuster sur différentes morphologies.
– Pendant le mouvement, les coiffes en plastique sont solidaires du segment sur lequel elles sont attachées.
– Il permet la pose de marqueurs réfléchissants directement sur la peau.
– Il n’influence pas la marche normale si aucune rétraction n’est émulée.
– Il respecte les principales lignes d’action musculaire.
– Il peut émuler des rétractions sur les principaux muscles des membres inférieurs affectés par des rétractions.
La fabrication de l’exosquelette a été réalisée par la société Giglio Partners Orthopedie. L’exosquelette a été nommé « MIkE » : Muscle contracture Induced by an Exoskeleton (Attias et al., 2016a). Il a été construit avec des coiffes en plastique englobant le bassin, les cuisses, les mollets et des chaussures modifiées avec des points d’attache. De plus, deux tailles d’exosquelette (petite et grande) ont été construites pour permettre un plus grand choix de morphologie chez les participants. Une découpe particulière des coiffes en plastique a permis de poser directement les marqueurs réfléchissants sur la peau des participants. Cette conception permet l’analyse de la marche des participants avec et sans l’exosquelette sans que les marqueurs ne soient déplacés lors du retrait de l’exosquelette. Il est présenté sur la Figure 13. L’exosquelette doit permettre d’émuler des rétractions unilatérales et bilatérales sur les principaux muscles ou groupes musculaires des membres inférieurs impliqués dans la marche pathologique. La rétraction a été induite par des cordes positionnées sur l’exosquelette (Figure 14). Les propriétés des cordes limitant les amplitudes articulaires ont été choisies de telle sorte qu’elles miment les propriétés passives du complexe musculo-tendineux selon deux conditions : les cordes ne doivent pas bloquer instantanément le mouvement, le blocage doit être progressif avec une force de freinage augmentée à la fin de la rétraction. La courbe d’hysteresis (force/longueur) caractérisant les propriétés élastiques du système d’ajustement des rétractions (corde, mousqueton et nœuds) est représentée sur la Figure 15. Les points d’insertion étant souvent trop profonds et multiples, pour les muscles sélectionnés, seule la ligne d’action musculaire principale a été utilisée pour définir les points d’attache des cordes sur l’exosquelette en lien avec l’anatomie sous-jacente du sujet.
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Table des matières
1 Chapitre 1 : Introduction générale
1.1 La marche humaine
1.1.1 Définition de la marche
1.1.2 Le cycle de marche
1.1.3 Les pivots de la marche
1.1.4 Les commandes de la marche : du système nerveux central (SNC) aux mouvements
1.2 La marche pathologique
1.3 L’Analyse Quantifiée de la Marche (AQM)
1.3.1 Principe et déroulement d’un examen
1.3.2 Les paramètres de l’AQM
1.3.3 Interprétation des altérations de la marche
1.3.4 Limites de l’AQM
1.3.5 Proposition pour mieux comprendre les altérations de marche: isoler l’effet d’un déficit clinique sur la marche
1.4 Article 1 – Effects of contracture on gait kinematics: a systematic review
1.4.1 Résumé français
1.4.2 Abstract
1.4.3 Introduction
1.4.4 Methods
1.4.5 Results
1.4.6 Discussion
1.4.7 Conclusions
1.5 Conclusion de l’introduction
1.6 Objectif général de la thèse
2 Chapitre 2 : Méthodologie générale
2.1 Protocole général
2.2 Participants
2.2.1 Commission d’éthique
2.3 Création d’un dispositif pour répliquer des rétractions
2.4 Evaluation de l’effet des rétractions à la marche
2.4.1 Emulation des rétractions
2.4.2 Evaluation de la marche
2.5 Article 2 – Feasibility and reliability of using an exoskeleton to emulate muscle contractures during walking
2.5.1 Résumé français
2.5.2 Abstract
2.5.3 Introduction
2.5.4 Method
2.5.5 Results
2.5.6 Discussion
2.6 Validation clinique de l’exosquelette pour émuler des rétractions
3 Chapitre 3 : Résultats expérimentaux
3.1 Article 3 – Influence of different degrees of bilateral emulated contractures at the triceps surae on gait kinematics: The difference between gastrocnemius and soleus
3.1.1 Résumé français
3.1.2 Abstract
3.1.3 Introduction
3.1.4 Method
3.1.5 Results
3.1.6 Discussion
3.2 Article 4 – Toe-walking due to different degrees of triceps surae contracture leads to a transition between gait patterns
3.2.1 Résumé français
3.2.2 Abstract
3.2.3 Introduction
3.2.4 Method
3.2.5 Results
3.2.6 Discussion
3.3 Article 5 – Kinematics can help to discriminate the implications of Iliopsoas, Hamstring and Gastrocnemius contractures to a knee flexion gait pattern
3.3.1 Résumé français
3.3.2 Abstract
3.3.3 Introduction
3.3.4 Methods
3.3.5 Results
3.3.6 Discussion
3.4 Article 6 – Classification of trunk movements during gait caused by lower limb contractures
3.4.1 Résumé français
3.4.2 Abstract
3.4.3 Introduction
3.4.4 Methods
3.4.5 Results
3.4.6 Discussion
4 Chapitre 4 : Discussion générale
4.1 Contribution clinique
4.2 Limitations de ce travail et compromis
4.3 Perspectives
4.4 Conclusion générale
5 Bibliographie générale
6 Listes des tables
7 Listes des figures
7.1 Annexe I
7.2 Annexe II
7.3 Annexe III
7.3.1 Contributions scientifiques
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