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Preuves empiriques des modèles attentionnels
Les modèles attentionnels trouvent un soutien empirique dans les paradigmes de double tâche, où les participants doivent effectuer en parallèle une tâche temporelle et une tâche non temporelle. Dans cette optique, Zakay (1993) a demandé à des sujets de produire ou de reproduire une durée de 12 secondes en manipulant le niveau de charge cognitive durant la tâche temporelle. Soit les participants n’avaient pas de tâche concurrente (charge cognitive faible), soit ils devaient répondre à un paradigme de Stroop. Dans ce cas, ils devaient lire un mot désignant la couleur dans laquelle il était écrit, désigner la couleur du mot désignant une autre couleur ou enfin évoquer une association à la couleur du mot désignant une autre couleur. Au total, l’auteur disposait de 4 conditions correspondant à des niveaux de charge de plus en plus élevés. La longueur des productions était positivement liée au niveau de charge et celle des reproductions y était négativement liée. Ces résultats confortent bien les modèles attentionnels de la perception du temps. D’une part, dans la production temporelle, plus la charge cognitive est importante, plus l’attention est déviée du processeur temporel. Il faut alors plus de temps pour accumuler suffisamment d’informations temporelles pour que le participant ait l’impression que la durée à produire s’est écoulée. D’autre part, dans la reproduction temporelle, la charge cognitive a lieu pendant la phase de présentation de la durée à reproduire ensuite. Quand la charge cognitive augmente, la quantité d’impulsions accumulées diminue parce que l’attention est déviée du traitement temporel. Cela provoque un raccourcissement subjectif de la durée à reproduire, si bien que le sujet reproduira une durée d’autant plus courte que la charge cognitive était élevée pendant l’encodage de la durée cible.
De manière similaire, un effet d’interférence du traitement non temporel sur le traitement temporel a été mis en évidence avec un paradigme de partage attentionnel (Macar, Grondin, & Casini, 1994). La tâche consistait à déterminer si le stimulus présenté avait une intensité faible (1.5 microcandela ou mcd) ou forte (2.25 mcd) et s’il était court ou long. L’expérience était divisée en trois sessions, chacune ayant une durée courte et une durée longue différente (350 et 650 ms, 1250 et 1750 ms, 2500 et 3500 ms). Au début de chaque essai, les participants recevaient une instruction leur indiquant la répartition des ressources attentionnelles à allouer pour les deux tâches : 100 % dirigées vers le temps, 100 % dirigées vers l’intensité, autant d’attention envers les deux tâches, plus d’attention allouée au temps qu’à l’intensité ou plus d’attention allouée à l’intensité qu’au temps. L’analyse des réponses des sujets s’est basée sur l’indice de discriminabilité d’, lequel est issu de la théorie de la détection du signal (MacMillan, 2002) et permet de mesurer la capacité des participants à distinguer un stimulus d’un autre. Plus la valeur de d’ est élevée, plus le sujet est capable de discriminer les stimulations. Macar, Grondin et Casini ont observé que d’ était d’autant plus faible que le sujet allouait moins d’attention au traitement temporel. Autrement dit, le participant avait plus de difficulté à dire si la durée était courte ou longue s’il partage ses ressources attentionnelles avec d’autres types de traitement de la stimulation. De plus, dans une autre analyse, les auteurs montrent que la proportion de réponses « durée courte » augmente à mesure que l’attention est allouée au traitement de l’intensité de la stimulation. Ces résultats confortent les modèles attentionnels, car d’une part ils appuient l’idée que traiter en même temps l’intensité et la durée d’un stimulus provoque une compétition pour les mêmes ressources attentionnelles et d’autre part, la diminution de l’allocation de ressources pour le processeur temporel entraîne une perte d’informations temporelles qui provoque un raccourcissement subjectif des durées. Enfin, un résultat inattendu plaide également en faveur des modèles attentionnels : l’interférence entre traitement temporel et traitement de l’intensité était significative pour les durées courtes et intermédiaires, mais pas pour les durées longues. Les auteurs ont proposé que l’intensité soit traitée rapidement, si bien que lorsque les stimuli sont longs, l’interférence n’a lieu qu’en début de durée et affecte peu le traitement temporel. Cette hypothèse a par la suite été validée dans une expérience ultérieure (Casini & Macar, 1997) et montre que dans ce contexte, l’attention n’est pas déviée suffisamment longtemps pour affecter la perception du temps.
L’implication des différentes ressources cognitives
Des données expérimentales ont précisé le point de vue des modèles attentionnels en mettant en exergue que le partage des ressources entre le temps et le traitement non temporel diffère selon la tâche interférente (Brown, 1997). Dans cette expérience, les participants devaient produire une durée de 2 ou de 5 secondes de manière rythmique. Selon la condition, la tâche concurrente consistait à suivre le déplacement d’un stimulus avec un stylet (ressources motrices : tâche de poursuite motrice), à parcourir une rangée de lettres de gauche à droite et indiquer à chaque fois que la lettre « K » est identifiée (ressources perceptives : tâche de recherche visuelle) ou à effectuer des calculs sous forme de soustractions de chiffres (ressources cognitives : tâche arithmétique). D’après les modèles attentionnels, une interférence bidirectionnelle entre la tâche temporelle et la tâche non temporelle devrait être observée. Les résultats montrent que les trois paradigmes non temporels entraînent effectivement une augmentation de la variabilité des productions de durées, mais seul le calcul de soustractions est affecté par la tâche temporelle. Selon Brown, il est nécessaire de compléter le modèle d’allocation de ressources attentionnelles avec le cadre théorique de la mémoire de travail (Baddeley & Hitch, 1974). Il s’agit d’un système de mémoire à court terme permettant la manipulation active de l’information qu’il contient. Il est constitué d’un calepin visuospatial et d’une boucle phonologique, permettant de stocker et de manipuler respectivement les informations visuelles et verbales. Audessus de ces deux soussystèmes dits « esclaves », un administrateur central est impliqué dans les fonctions cognitives de haut niveau et est recruté lorsqu’un traitement approfondi est nécessaire. Il a été montré qu’une tâche de calcul implique l’administrateur central (Hitch, 1978) et la boucle phonologique (Logie & Baddeley, 1987). De plus, la perception du temps prospective est une activité intentionnelle qui selon Brown nécessite constamment de mettre à jour le temps écoulé. Pour cette raison, l’interférence bidirectionnelle entre la tâche de soustractions et la production temporelle résulterait d’une compétition pour les ressources de l’administrateur central. À l’inverse, les tâches de recherche visuelle et de poursuite motrice sont plutôt prises en charge par le calepin visuospatial, entraînant peu d’interférence bidirectionnelle avec le traitement de la durée. Toutefois, ces deux paradigmes exercent bien une interférence unidirectionnelle sur la production temporelle. Bien que les ressources recrutées soient différentes, le paradigme de double tâche nécessite de coordonner la réalisation des deux tâches. Or, cette fonction étant assurée par l’administrateur central, une partie de ses ressources serait déviée du traitement temporel, entraînant par conséquent une diminution des performances.
Des travaux plus récents ont permis d’affiner l’implication de l’administrateur central dans la perception du temps. Cette structure cognitive n’est pas une entité unitaire, mais est plutôt composée de fonctions dites exécutives. Trois fonctions élémentaires ont été identifiées : le shifting (ou switching), le mise à jour et l’inhibition (Miyake et al., 2000). Le shifting correspond à la capacité à passer d’une tâche à l’autre. La mise à jour désigne le processus par lequel les entrées sensorielles sont surveillées de manière continue pour mettre à jour les représentations en mémoire de travail en cas de changement significatif. Enfin, l’inhibition est l’action d’empêcher délibérément une réponse dominante et automatique. Une quatrième fonction exécutive a de plus été isolée, il s’agit de l’accès à la mémoire sémantique, qui est particulièrement impliquée dans des tâches de fluence verbale (Fisk & Sharp, 2004).
Ogden, Salominaite, Jones et al. (2011) ont demandé à des participants de produire une durée de 2 secondes de manière rythmique en situation de monotâche ou de double tâche. La particularité de cette étude est d’avoir choisi comme tâche interférente des paradigmes reposant particulièrement sur une des fonctions exécutives décrites cidessus. De cette manière, ils ont pu déterminer si chaque fonction exécutive entraînait une interférence bidirectionnelle avec la production de durée. Pour tester la fonction d’inhibition, les participants devaient faire une tâche de génération de lettre aléatoire. Ils devaient générer une séquence de 100 lettres à un rythme de 1 par seconde en ne répétant pas les mêmes lettres et en ne citant pas de séquence alphabétique. La mise à jour était évaluée par un paradigme de soustraction d’un nombre à 3 chiffres. La consigne consistait à soustraire 7 du chiffre de départ de manière continue pendant 120 secondes. La tâche de « plusmoins » permettait le recours à l’inhibition dans laquelle les participants devaient alternativement effectuer une tâche d’addition et une tâche de soustraction. L’accès à la mémoire sémantique s’est fait à l’aide d’un paradigme d’association verbale orale contrôlée, dans lequel les sujets devaient rappeler autant de mots que possible commençant soit par la lettre F, soit par la lettre S. Les 4 tâches exécutives ont toutes entraîné une interférence sur la production de la durée de 2 secondes. Par contre, la tâche temporelle n’a affecté que la performance au paradigme de mise à jour. D’après cette étude, la perception du temps requiert par conséquent au moins des ressources de mise à jour de la mémoire de travail. Les auteurs restent toutefois prudents pour conclure que les autres fonctions exécutives ne sont pas impliquées dans le traitement temporel. En effet, d’autres études ont montré une interférence bidirectionnelle avec l’inhibition (Brown, 2006) et le switching (Zakay & Block, 2004). Ogden, Salominaite, Jones et al. (2011) concluent que ces ressources exécutives peuvent être recrutées également dans des conditions où la perception temporelle est plus difficile.
Dans une étude ultérieure, il a été montré que différents paradigmes d’estimation temporelle recrutent différemment les fonctions exécutives (Ogden, Wearden, & Montgomery, 2014). Les participants devaient faire trois types de tâches temporelles : une de généralisation, une de reproduction et une d’estimation verbale. Cette fois, les durées à estimer étaient inférieures à la seconde. Pour évaluer l’influence des fonctions exécutives, les sujets complétaient aussi une tâche de fluence verbale (accès), d’empan de calcul (mise à jour), de génération de lettres aléatoire (inhibition) et un paradigme dit « nombrelettre » (switching). Dans cette dernière tâche, les participants étaient confrontés à chaque essai à une lettre et à un chiffre. Si le couple apparaissait en haut de l’écran, il fallait indiquer si la lettre était une voyelle. S’il survenait en bas, le sujet devait dire si le chiffre était pair. À la différence des études précédente, cette expérience ne consistait pas à mettre les tâches exécutives et les tâches temporelles en interférence. Les participants ont réalisé ces tâches indépendamment et l’analyse des données a cherché à déterminer si les performances étaient corrélées et si les sujets les plus performants et les moins performants à une tâche exécutive présentaient des performances différentes dans les paradigmes temporels. Les résultats montrent que la tâche de généralisation est associée aux ressources de mise à jour et d’accès. La reproduction dépendrait également de la mise à jour et de l’accès, mais aussi du switching. Le paradigme d’estimation verbale n’est par contre en lien qu’avec les performances de l’accès à la mémoire sémantique. Globalement, cette étude montre l’importance de la mise à jour qui permettrait de surveiller et de maintenir en mémoire plusieurs durées, tandis que l’accès permettrait de récupérer les représentations de durées en mémoire à long terme. De plus, l’implication différente des fonctions exécutives dans différents paradigmes d’estimation temporelle pointe la complexité de cette activité cognitive, laquelle recrute de nombreux processus additionnels à l’horloge interne.
L’influence du contexte sur la perception du temps
Dans la littérature, le traitement temporel est souvent étudié sans prendre en compte le contexte. Cependant, de nombreux chercheurs se sont attardés à l’examen de ces influences qui ne sont pas directement liées aux processus de traitement de l’information temporelle (Bausenhart, Bratzke, & Ulrich, 2016). Nous présenterons dans cette section différentes formes d’effets contextuels, qu’ils soient globaux – à l’échelle de la tâche réalisée – ou locaux – l’influence d’un essai sur le suivant. Dans un second temps, nous aborderons les explications théoriques qui ont été proposées de ces effets.
Effets de contexte globaux
Le type de paradigme
La tâche de discrimination temporelle utilisée est un premier facteur contextuel qui a un impact sur la perception du temps. Dans une série d’expériences, des sujets ont été confrontés à une tâche de jugement de paires de durées (Lapid et al., 2008). Dans une condition, une des deux durées était toujours la même. Cette condition est dite « tâche de rappel » (reminder task). Dans une deuxième condition, les deux durées de la paire étaient variables. La consigne donnée aux participants est d’indiquer quelle durée était la plus longue. Les auteurs ont mesuré le seuil différentiel dans chacune des expériences. Il s’agit d’une mesure de sensibilité temporelle et se calcule en faisant la soustraction de la durée à laquelle les participants disent que la durée est longue dans 75 % des cas et celle où ils le disent dans 25 % des cas. Cette différence est ensuite divisée par deux. D’un point de vue psychologique, il s’agit d’une estimation de la différence minimale nécessaire pour que deux durées soient différenciables. Plus le seuil différentiel a une valeur basse, meilleure est la capacité à différencier les durées. Lapid et al. ont mis en évidence que le seuil différentiel était systématiquement moins élevé dans la tâche de rappel, où une des deux durées était toujours la même, que lorsque les deux durées de la paire variaient d’un essai à l’autre. De plus, dans la tâche de rappel, le seuil était plus prononcé lorsque la durée fixe était présentée en deuxième position qu’en première position. Les modèles classiques ne permettent pas de comprendre pourquoi ces résultats sont obtenus. En effet, ils reposent sur l’idée que la comparaison se fait simplement en comparant la 2e durée avec la trace mnésique de la 1ère. Dans ce cas, il ne devrait pas y avoir d’effet de position de la durée fixe et du fait que les deux durées soient variables. Pour expliquer ces effets, Lapid et al. proposent que les participants basent leur comparaison sur une durée de référence interne. Ce standard serait calculé non pas sur la base du premier stimulus de la paire de durées, mais plutôt sur l’ensemble des durées présentées dans l’expérience. Plus formellement, les auteurs notent I le standard interne. I combine l’information A issue des essais précédents avec la représentation interne X1 du 1er stimulus de l’essai en cours. Le modèle suppose également que la valeur de X1 est bruitée de telle manière qu’elle peut être inférieure ou supérieure à la durée physique du stimulus. Ainsi, le standard interne a une valeur qui change d’un essai à l’autre, en prenant en compte la durée du premier stimulus à chaque essai. En conclusion, selon ce modèle de la référence interne, lorsque les participants sont confrontés à une tâche de jugement de paires de durées, la comparaison ne se fait pas entre la durée X2 et la trace mnésique de X1, mais plutôt entre la durée X2 et le standard interne I.
L’effet de Vierordt
En moyenne, il existe une relation linéaire entre le temps physique et le temps subjectif (Wearden & Jones, 2007). Toutefois, dans de nombreuses études, majoritairement des tâches de reproduction temporelle, les durées courtes sont surestimées tandis que les durées longues sont perçues plus courtes qu’elles ne sont. Cet effet a été mis en évidence par Karl Vierordt au XIXe siècle et porte désormais son nom (Lejeune & Wearden, 2009). Par exemple, dans une tâche de reproductions de durées de 15 à 35 secondes, les participants surestiment les durées courtes et sousestiment les durées longues, tandis qu’il existe un point d’indifférence entre les deux, où l’estimation des durées est peu biaisée (Bobko, Schiffman, Castino, & Chiappetta, 1977). L’effet de Vierordt a amené à penser que l’estimation temporelle repose sur l’élaboration d’une durée standard interne, d’une manière assez similaire à celle qui a été décrite par Lapid et al. (2008). Cette référence temporelle serait basée sur l’ensemble des durées présentées antérieurement, laquelle serait mise à jour à chaque essai (Bausenhart & Dyjas, 2014).
Effets de contexte locaux
En se référant au travail de Lapid et al. (2008), il apparaît que dans le jugement d’une paire de durées, la sensibilité temporelle est meilleure lorsque la durée standard (durée qui est présentée à chaque essai) est présentée avant plutôt qu’après la durée de comparaison (variable d’un essai à l’autre). Cet effet, dit de type B (Ulrich & Vorberg, 2009), est expliqué par le modèle de la référence interne proposé par cette équipe. En effet, celuici indique que la comparaison est réalisée entre la deuxième durée et une durée standard interne, élaborée sur l’ensemble de l’expérience et mise à jour à chaque essai. Dans une expérience ultérieure, la même équipe de recherche a voulu approfondir la compréhension de l’effet d’un essai sur le suivant dans une tâche de jugement de paires de durées (Dyjas, Bausenhart, & Ulrich, 2012). Dans deux expériences, l’une menée avec des stimulations visuelles et l’autre avec des stimulations auditives, les participants devaient déterminer si la première ou la seconde durée d’une paire était la plus longue. À chaque paire de durées, une était fixe (durée standard) et une était variable (durée de comparaison). Différentes conditions ont été conçues pour exposer les sujets à différents contextes : selon que la durée standard (condition 1) ou la durée de comparaison (condition 2) est toujours en première position, ou que l’ordre des deux durées soit défini de manière aléatoire (condition 3). Les auteurs ont au préalable lancé des simulations du modèle de référence interne sur les mesures du point d’égalité subjective et du seuil différentiel, lesquelles ont ensuite été confirmées par les expériences. Ainsi, dans la condition où la durée standard est toujours présentée d’abord, le seuil différentiel est moins élevé que lorsque c’est la durée de comparaison qui apparaît toujours dans un premier temps. Cet effet d’ordre était aussi observé dans la condition où l’ordre des durées était aléatoire. Selon le modèle, lorsque la durée de comparaison est en première position, la mise à jour de la durée standard interne se fait avec une valeur différente de la durée standard réelle. Par conséquent, la représentation de celleci est plus variable et il est nécessaire que l’écart entre les deux durées de chaque paire soit plus grand pour pouvoir les différencier. Les résultats observés concernant le point d’égalité subjective (PSE) mettent en évidence l’effet que peuvent avoir les durées présentées à l’essai précédent sur l’essai en cours, dans le cas où la durée de comparaison est toujours présentée en premier. Si la durée de comparaison à l’essai N1 est plus courte que la durée standard, celleci est alors surestimée (augmentation du PSE), tandis que le pattern inverse est observé lorsque la durée de comparaison à l’essai N1 est plus longue. Le modèle explique ce résultat à partir des distorsions que subit la référence interne étant donné que c’est une durée variable et qu’il est nécessaire de la mettre à jour à chaque essai. Si la durée de comparaison est plus longue que la durée standard à l’essai N1, la référence interne aura une valeur plus élevée, car elle est « attirée » par la longueur de la durée de comparaison. À l’essai N, la vraie durée standard, présentée en seconde position, tend alors à être subjectivement plus courte que la durée standard interne, expliquant pourquoi dans cette situation, le PSE diminue. Le raisonnement inverse est également applicable dans le cas où la durée de comparaison à l’essai N1 est plus longue que la durée standard.
L’effet du contexte local a aussi été exploré dans des tâches de discrimination temporelle ne reposant pas sur la comparaison de deux durées successives (Wiener, Thompson, & Coslett, 2014). Dans une tâche de bissection temporelle dans laquelle il n’était pas indiqué aux participants de durée standard courte ou longue, Wiener, Thompson et Branch ont montré que la durée et la réponse donnée à l’essai N1 influaient sur la perception temporelle à l’essai N. Plus spécifiquement, le biais de réponse désigne la tendance des participants à donner la même réponse à l’essai N qu’à l’essai N1. En effet, le point de bissection (durée à laquelle le participant affirme que la celleci est longue dans 50 % des occurrences) pour une durée à l’essai N est plus élevé lorsque la durée de l’essai N 1 est jugée courte plutôt que lorsqu’elle est jugée longue, indiquant une tendance à sous estimer les durées quand la durée précédente était jugée courte. De manière analogue, le biais perceptif se manifestait par un point de bissection plus élevé à l’essai N lorsque la durée à l’essai N1 était longue plutôt que courte, indiquant que lorsque la durée précédente était longue, le participant a tendance à répondre davantage que la durée à l’essai en cours est longue, tandis que le résultat inverse est observé lorsque la durée à l’essai précédent est courte. De plus, ces effets étaient plus prononcés lorsque la tâche de bissection était réalisée dans la modalité visuelle plutôt que dans la modalité auditive. Une modélisation différente du modèle de référence interne (Lapid et al., 2008) a été utilisée pour rendre compte de ces données. Dans ce cadre computationnel, l’encodage de la durée consiste à tirer un échantillon d’une fonction gaussienne, permettant de rendre l’encodage variable d’un essai à l’autre. Lorsque la durée est perçue, elle est comparée à une durée critère dont la valeur change en fonction des durées précédentes. Plus un essai est temporellement distant de l’essai en cours, plus sa contribution à la durée critère en mémoire est faible. Par cette manipulation, le modèle prend en compte l’historique des stimulations précédentes en implémentant une fonction d’oubli. Un seuil d’incertitude est ajouté, issu d’une distribution gaussienne. Une différence est perçue entre la durée encodée et la durée critère lorsque celleci est suffisamment grande, c’estàdire qu’elle dépasse le seuil d’incertitude.
Études neuropsychologiques
Les personnes atteintes de la maladie de Parkinson présentent régulièrement des troubles de la perception du temps (C. Jones & Jahanshahi, 2014). Cette pathologie se caractérise par une atteinte des neurones dopaminergiques de la SNpc, induisant un manque d’inhibition des neurones thalamocorticaux par les ganglions de la base. Les symptômes moteurs provoqués par la mort des neurones dopaminergiques sont une akinésie (absence ou pauvreté des mouvements), une bradykinésie (ralentissement de l’initiation et de l’interruption des mouvements), une rigidité musculaire et des tremblements au repos. La maladie s’accompagne également de signes non moteurs tels que la dépression, des hallucinations ou encore l’anxiété. Le fait que la maladie de Parkinson caractérise un dysfonctionnement des circuits impliquant les ganglions de la base en fait une pathologie adaptée pour étudier le rôle de ces structures souscorticales dans le traitement temporel.
Dans une tâche de jugement de paires de durées très courtes, de l’ordre de dizaines de millisecondes, la différence nécessaire entre les deux durées (ou seuil de discrimination temporelle) est plus grande chez les patients atteints de la maladie de Parkinson que chez des sujets contrôle (Artieda, Pastor, Lacruz, & Obeso, 1992), et ce, que les durées soient présentées dans les modalités visuelles, auditives ou tactiles. La même étude a révélé non seulement que l’administration de ledovopa, un précurseur de la dopamine qui permet d’atténuer les symptômes de la maladie, permet de diminuer le seuil chez les patients Parkinsoniens, confirmant le rôle de la modulation dopaminergique des ganglions de la base dans l’estimation temporelle. Cette conclusion est d’ailleurs confortée par la présence d’une corrélation positive entre l’intensité de la maladie et le seuil de discrimination de durées.
D’un point de vue fonctionnel, des expériences pointent pour un rôle des ganglions de la base dans des processus d’horloge interne (Lange, Tucha, Steup, Gsell, & Naumann, 1995). D’un côté, les patients Parkinsoniens sousestiment la durée présentée (10, 30 ou 60 secondes) dans une tâche d’estimation temporelle comparativement à des sujets contrôles. D’un autre côté, dans une tâche similaire à une reproduction de durées, où les participants doivent indiquer quand une durée spécifiée (10, 30 ou 60 secondes) s’est écoulée, les patients surestiment la durée à estimer par rapport aux sujets contrôle. Ces résultats montrent un ralentissement de l’horloge interne dû au déficit dopaminergique au niveau des ganglions de la base. Dans le cas de l’estimation d’une durée présentée, une horloge interne allant moins vite entraîne une moins grande quantité d’impulsions accumulées au bout de la durée à estimer par rapport aux patients contrôles et donc une sousestimation temporelle. Dans la tâche analogue à la production de durée, étant donné que l’horloge fonctionne plus lentement, il est nécessaire que davantage de temps physique soit écoulé pour accumuler le nombre d’impulsions associé à la durée à produire, résultant dans une surestimation des durées dans cette tâche.
Le dysfonctionnement des ganglions de la base dans le traitement temporel chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson a aussi été associé à un dysfonctionnement de la mémoire des durées (Malapani et al., 1998). Dans une tâche de reproduction de durées, il était demandé aux participants de reproduire des durées de 8 ou de 21 secondes, les deux durées étant présentées de manière aléatoire dans la session expérimentale. Sur cette tâche, les patients atteints de la maladie de Parkinson et sans médication surestiment la durée courte (reproductions supérieures à 8 s) et sousestiment la durée longue (reproductions inférieures à 21 s). Ce phénomène a été nommé « effet de migration », car il évoque l’image d’une migration des deux durées l’une vers l’autre en mémoire.
Les bases neuronales de la perception du temps
D’après une revue de littérature (C. Jones & Jahanshahi, 2014), la démonstration d’un effet de la maladie de Parkinson sur les tâches de perception du temps n’est pas systématique et dépend des durées et du contexte expérimental. Plus particulièrement, les tâches d’estimation temporelle perceptives présentent un pattern comportemental particulier chez les patients Parkinsoniens. Par contre, dans les tâches faisant appel à une composante motrice (telle que la reproduction de durées), ce sont plutôt les durées courtes dont le traitement est impacté chez ces patients. Toutefois, les données issues de la neuroimagerie mettent en évidence un rôle bien plus équivoque des ganglions de la base dans la perception du temps (Coull et al., 2011).
Études de neuroimagerie
Les données issues des études de neuroimagerie indiquent que les ganglions de la base sont presque toujours davantage activés dans une tâche d’estimation temporelle relativement à une tâche contrôle (Coull et al., 2011). Cette observation semble indépendante du contexte, dans la mesure où ces structures sont retrouvées, que le participant ait à traiter des durées inférieures à la seconde ou supérieures à la seconde (Jahanshahi, Jones, Dirnberger, & Frith, 2006), et que les durées soient présentées dans la modalité auditive ou dans la modalité visuelle (Shih, Kuo, Yeh, Tzeng, & Hsieh, 2009). De plus, certaines études ont cherché à dissocier les processus associés aux activations cérébrales en présentant des paires de durées, pour lesquelles les participants devaient dire laquelle était la plus longue (Harrington et al., 2004; Rao, Mayer, & Harrington, 2001). Les résultats ont montré que les ganglions de la base étaient activés pendant la première durée, à un moment où le processus de comparaison n’est pas mis en œuvre, ce qui amène à penser que ce groupe de structures est impliquée dans l’encodage et/ou la mémorisation de la durée. Pris ensemble, ces résultats plaident en faveur d’une implication centrale des ganglions de la base dans le traitement temporel, lesquels soustendraient une fonction d’horloge interne supramodale et indépendante du contexte (Coull et al., 2011).
Coull et al. (2011) ont rapporté sur une carte cérébrale l’ensemble des activations striatales observées dans la littérature qu’ils ont analysé dans la perception du temps explicite (Figure 11). Il ressort une spécialisation fonctionnelle au sein de cette structure dans le traitement temporel. Il ressort de cela que c’est plutôt le striatum dorsal qui est activé par l’estimation temporelle. De plus, les tâches motrices engagent des régions latérales et caudales tandis que les régions plus médianes et rostrales sont recrutées dans les tâches perceptives.
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Table des matières
CADRE THÉORIQUE
Chapitre 1 : Le traitement cognitif du temps
1. Estimation explicite, estimation implicite et paradigmes d’exploration de la perception du temps
1.1. Estimation explicite des durées
1.2. Estimation implicite des durées
2. La modélisation de la perception du temps
2.1. Les contraintes du modèle
2.2. La structure de la théorie du temps scalaire
2.2.1. L’horloge interne
2.2.2. La mémoire
3. Les mécanismes décisionnels
3.1. Une règle de décision adaptée à la tâche
3.1.1. La généralisation temporelle
3.1.2. La généralisation temporelle épisodique
3.1.3. La bissection temporelle
3.2. Les facteurs influençant la décision
3.3. La dynamique de la décision portant sur des durées
4. La perception du temps et les ressources cognitives
4.1. Les modèles attentionnels
4.1.1. Le modèle de Thomas et Weaver
4.1.2. Le modèle de l’allocation de ressources de l’estimation temporelle
4.1.3. Le modèle de la porte attentionnelle
4.2. Preuves empiriques des modèles attentionnels
4.3. L’implication des différentes ressources cognitives
5. L’influence du contexte sur la perception du temps
5.1. Effets de contexte globaux
5.1.1. Le type de paradigme
5.1.2. L’effet de Vierordt
5.2. Effets de contexte locaux
6. Conclusion
Chapitre 2 : Les bases neuronales de la perception du temps
1. Un circuit central lié à l’encodage : les boucles corticostriatales
1.1. Les ganglions de la base
1.1.1. Anatomie et physiologie
1.1.2. Études neuropsychologiques
1.1.3. Études de neuroimagerie
1.2. L’aire motrice supplémentaire
1.2.1. Études de neuroimagerie
1.2.2. Études électrophysiologiques
1.3. La boucle corticostriatale : le modèle de fréquence de battement striatal (SBF)
2. Les aires neuronales interagissant avec le circuit central
2.1. Les durées courtes et les durées longues
2.2. Les régions préfrontales
2.2.1. Description anatomique et fonctionnelle
2.2.2. Implication dans la perception du temps
2.3. Les régions pariétales
2.3.1. Description anatomique et fonctionnelle
2.3.2. Implication dans la perception du temps
3. Conclusion
Chapitre 3 : Les potentiels évoqués dans la perception du temps
1. La variation contingente négative (VCN)
1.1. L’amplitude de la VCN : un indice de l’accumulateur temporel ?
1.2. La latence de pic et la pente de la VCN : indice de processus mnésiques et décisionnels
2. La P300
2.1. Généralités
2.2. L’étude du traitement temporel avec la P300
3. La Late Positive Component of timing (LPCt)
4. Conclusion
Chapitre 4 : Problématique générale
CONTRIBUTION EXPÉRIMENTALE
Chapitre 1 : Méthodologie générale
1. L’électroencéphalographie
2. Les potentiels évoqués – Généralités
2.1. Le principe du moyennage
2.2. Les composantes
3. Les potentiels évoqués – Opérationnalisation
3.1. Le dispositif expérimental
3.2. Montage des électrodes et choix de l’électrode de référence
3.3. Traitement du signal EEG et extraction des potentiels évoqués
4. Analyse statistique des données
Chapitre 2 : Étude de l’effet de la durée et de la spécificité temporelle des activités frontales et pariétales dans l’étape décisionnelle de la perception du temps
1. Problématique
2. Méthode
2.1. Participants
2.2. Stimuli
2.3. Procédure expérimentale
2.4. Recueil des données
3. Résultats
3.1. Données comportementales
3.2. Données électrophysiologiques
3.2.1. Discrimination temporelle explicite dans la condition de discrimination de durées
3.2.2. Discrimination des couleurs dans l’oddball couleurs
4. Discussion
4.1. Performances comportementales
4.2. Résultats électrophysiologiques – Discrimination temporelle dans l’oddball temporel
4.2.1. Des mécanismes décisionnels différents en fonction de la durée
4.2.2. Un mécanisme de catégorisation non spécifique dans la perception du temps
4.2.3. Une diminution de l’activité cérébrale en réponse à la durée standard
4.3. Résultats électrophysiologiques – Discrimination des couleurs dans l’oddball couleurs
5. Conclusion
Chapitre 3 : Étude de la spécificité des activités frontales et pariétales tardives à la décision portant sur la différence entre la durée présentée et la durée attendue
1. Problématique
1.1. Le traitement d’une durée correspondant à la référence
1.2. Le traitement d’une durée lorsqu’elle est plus courte ou plus longue que la référence
1.3. Objectifs et hypothèses
2. Expérience 2A
2.1. Méthode
2.1.1. Participants
2.1.2. Stimuli
2.1.3. Procédure expérimentale
2.1.4. Recueil des données
2.2. Résultats
2.2.1. Comportement
2.2.2. Potentiels évoqués
2.3. Synthèse des résultats
3. Expérience 2B
3.1. Méthode
3.1.1. Participants
3.1.2. Stimuli
3.1.3. Procédure expérimentale
3.1.4. Recueil des données
3.2. Résultats
3.2.1. Comportement
3.2.2. Potentiels évoqués
3.3. Synthèse des résultats
4. Discussion
4.1. La sensibilité du traitement temporel à la durée présentée (expérience 2A)
4.2. Le traitement temporel tardif portant sur une durée diffère selon qu’elle correspond ou non à la durée de référence (expérience 2A)
4.3. Le traitement temporel tardif est sensible au rapport entretenu entre la durée présentée et la durée de référence (expérience 2A et 2B)
4.4. Le traitement des durées est sensible au contexte temporel global (expérience 2B)
5. Conclusion
Chapitre 4 : Étude des activités frontales et pariétales tardives dans un protocole de généralisation et de bissection temporelle
1. Problématique
2. Méthode
2.1. Participants
2.2. Stimuli
2.3. Procédure expérimentale
2.4. Recueil des données
3. Résultats
3.1. Comportement
3.1.1. Analyse des réponses
3.1.2. Analyse des temps de réaction
3.2. Potentiels évoqués
3.2.1. PSW
3.2.2. LPCt
3.2.3. P300
3.3. Dynamique des composantes
3.4. Synthèse des résultats
4. Discussion
4.1. L’impact de la tâche réalisée sur l’implication des mécanismes comparatifs
4.2. L’impact de la durée sur l’implication des mécanismes comparatifs
4.2.1. Un comportement temporel concordant avec les données théoriques
4.2.2. Les durées courtes se traduisent par un traitement comparatif différentiable des durées longue
4.3. La complexité de la tâche
5. Conclusion
Chapitre 5 : Discussion générale
1. La dynamique du traitement temporel tardif
2. L’influence du contexte de présentation des durées
2.1. Le statut de la durée moduletil le traitement temporel tardif ?
2.2. L’impact de la durée présente en mémoire sur le traitement temporel tardif
3. La complexité de la tâche temporelle moduletelle le traitement des durées ?
Chapitre 6 : Conclusion générale et perspectives de recherche
Bibliographie
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