Les lémuriens sont parmi les animaux uniques au monde et les plus célèbres de Madagascar (Garbut, 1999). La grande île représente donc un terrain d’expérience écologique très intéressant (Dunbar, 2002). Actuellement, 101 espèces de lémuriens vivent à Madagascar (Mittermeier et al., 2010). Ces primates se repartissent en cinq familles: les Cheirogaleidae, les Lemuridae, les Lepilemuridae, les Indridae et les Daubentoniidae, toute endémique de Madagascar (Mittermeier et al., 2010). Ces derniers, constituent un groupe dominant parmi les Mammifères dans l’écosystème forestier de l’île (Tattersall, 1982 ; Richard & Dewar, 1991). Elle est en particulier la seule qui héberge les primates qui hibernent (Schmid & Ganzhorn, 2009). Durant les quelques dernières années, les primatologues ont fait face à des travaux difficiles : d’un côté, plusieurs nouvelles espèces de lémuriens ont été découvertes suite à des nouvelles techniques moléculaires et suivi intensif des nouveaux sites (Blanco et al., 2009 ; Groeneveld et al., 2010); de l’autre côté, la fragmentation des forêts et la forte déforestation menacent ces espèces(Chapman & Peres, 2001). La plupart ont des distributions géographiques très limitées. La découverte des deux espèces de Cheirogales vivant sympatriquement dans la forêt de Tsinjoarivo Ambatolampy en 2006 par Blanco et ces collaborateurs témoigne la pertinence de ces techniques.
Une des particularités de la forêt de Tsinjoarivo Ambatolampy est la présence de Cheirogaleus sibreei qui était considéré autrefois comme espèce éteinte (Groves, 2000), et qui vit en sympatrie avec Cheirogaleus crossleyi (Banco et al., 2009). Historiquement, Cheirogaleus sibreei a été découverte pour la première fois à Ankaramadinika mais à présent Tsinjoarivo est le seul site connu au monde, qui héberge cette espèce (Blanco et al, 2009). Pourtant, ces espèces figurent dans la liste rouge de l’UICN et en annexe I de la CITES (Mittermeier et al., 2010). Depuis 2008, elles sont classées parmi les espèces à données insuffisantes. Face à ce manque d’informations, en 2007, les efforts de recherches de Blanco et ces collaborateurs ont été focalisés sur l’écologie de l’hibernation de ces Cheirogales. En 2009, ils ont également effectué des suivis en utilisant des techniques de capture/recapture et en établissant une base de données des individus sur leurs habitats, leurs états de reproduction, leurs dentitions, leurs ectoparasites, des données morphométriques et comportementales par la méthode de télémétrie. La spécificité de ces espèces est qu’elles sont les seuls primates hibernant dans le sol (Blanco et al., 2013). L’hibernation est obligatoire chez certaines espèces (Mosimann & Ducotterd, 2006).
PRESENTATION DU MILIEU D’ETUDE
SITUATION GÉOGRAPHIQUE
Cette étude a été conduite dans la région de Vakinakaratra plus précisément dans la forêt humide de Tsinjoarivo, située à l’Est d’Ambatolampy, de janvier à mars et de septembre au mois d’octobre 2013. La forêt de Tsinjoarivo est une forêt de haute altitude qui fait partie du domaine de la Haute Terre Central, localisé à 80 km sud-sud-est d’Antananarivo (Blanco et al., 2009).
La forêt de Tsinjoarivo est un bloc de forêt isolé par deux rivières, l’Onive dans le sud et le Mangoro à l’est . Elle est constituée par des blocs de forêts, soient isolés, soient plus ou moins connectés. Malgré cette fragmentation, elle maintient une richesse biologique non négligeable (Stephenson et al., 1994 ; Langrand & Wilmé, 1997 ; Goodman et al., 1998b ; Rakotondravony & Goodman, 1998 ; Vallen, 1999 ; Goodman & Rakotondravony, sous presse ; Ratsirarson & Goodman, en prép.). Quoique sa valeur spécifique soit inestimable, ce bloc forestier humide de la Haute Terre Centrale est encore une zone non protégée (Blanco et al., 2009).
SITE D’ETUDE
L’étude sur le terrain a été effectuée dans deux sites.
– Andasivodihazo-Mahatsinjo (19° 41’ 15’’S, 47° 46’ 25’’E, 1 660 m) se trouve dans la moyenne Ouest de Tsinjoarivo. En 2009, sa superficie a été estimée à 225-ha environ, avec une altitude comprise entre 1 300–1 675 m (Blanco et al., 2009; Groeneveld et al., 2010). C’est une forêt secondaire caractérisée par un degré de déforestation très élevé, par conséquent elle est classée en zone dégradée marquée par des activités de déforestations, comme la pratique de tavy, les feux de brousses, ainsi que le passage des zébus partout dans la forêt (Irwin, 2006). Andasivodihazo, représente le site fragmenté, choisi essentiellement à cause de la présence de ces deux espèces sympatriques.
– Vatateza (19°43’15’’S, 47°51’25’’E, 1 396 m), se trouve dans la moyenne Est de Tsinjoarivo, située à 12 km à vol d’oiseau au Sud Est d’Andasivodihazo (Irwin, 2006). Elle représente le site intact car elle est un peu moins accessible et elle reste la partie minimum non détruite (Irwin, 2006), elle est légèrement à basse altitude (1 200 -1 600 m). La forêt de Vatateza est constituée de végétation primaire, formée essentiellement par des grands arbres. Malgré la considération de ce site comme site intact auparavant, pendant la descente sur le terrain, une forte déforestation et des traces de feu de brousse, des coupes ont été observées. Vatateza a été choisi pour représenter la forêt continue, elle n’abrite que l’espèce C. crossleyi.
FAUNE ET FLORE DE LA FORET DE TSINJOARIVO
Faune
Tsinjoarivo présente une richesse spécifique animale et végétale non négligeable (Rakotondraparany. 1997 ; Goodman et al., 2000 ; Irwin et al., 2000). La forêt du plateaucentral héberge 54 espèces d’herpetofaunes dont sept espèces d’amphibiens endémiques, 13 espèces de reptiles. Elle abrite 92 espèces d’oiseaux, six espèces de carnivores, 11 espèces de primates dont trois diurnes (Hapalemur griseus griseus, Propithecus diadema, Prolemur simus), 6 nocturnes (Microcebus lehilahytsara, Cheirogaleus crossleyi, Cheirogaleus sibreei, Avahi laniger, Daubentonia madagascariensis, Lepilemur mustelinus) et deux cathémerales (Eulemur fulvus, Eulemur rubriventer) (Irwin et al., 2000, Blanco et al., 2009, Groeneveld et al., 2010). Il est à noter que la recherche sur Prolemur simus est encore en cours. Sa présence a été confirmée par des traces mais jusqu’à maintenant personne ne l’a pas observé directement.
Flore et végétation
Cette forêt est un carrefour biogéographique ou coexiste des espèces végétales de l’Est et du Centre de Madagascar (Rainiberiaka, 1997). Sa végétation est une des reliques très rares de la forêt pluviale de l’Est de Haute altitude. D’après l’étude effectuée par Rainiberiaka en 1997, 274 espèces floristiques sont recensées dans la forêt de Tsinjoarivo dont 76,62% endémique de Madagascar. La forêt de Tsinjoarivo présente une stratification assez bien définie. Les formations végétales se distinguent selon la variation topographique et pédologique du milieu (Randrianjafy, 1999). La canopée supérieure est occupée par des grands arbres appartenant aux certaines espèces y incluant : Syzygium spp, Ocotea spp., Ficus tilifolia, Cryptocarya spp., Erythroxylum spp., Beguea apetala. La strate moyenne est composée essentiellement par Ocotea sp., Wainmania sp.,Podocarpus madagascariensis, Ravenea sp., Gaertnera sp., Garcinia sp., Cassinopsis madagascariensis, Nuxia capitata. La strate inferieure est constituée par les espèces herbacées et des plantules d’arbre des autres strates supérieures. Les mousses, les lichens et autres épiphytes sont développés sur les troncs d’arbre et également la présence des orchidées. La fructification des arbres de la forêt de Tsinjoarivo est importante au mois de novembre jusqu’au mois de février. Elle est faible entre juin et septembre et les jeunes feuilles commencent à être abondantes au mois de novembre (Holiarimino, 2013).
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Table des matières
INTRODUCTION
I. PRESENTATION DU MILIEU D’ETUDE
I.1. SITUATION GÉOGRAPHIQUE
I.2. SITE D’ETUDE
I.3. FAUNE ET FLORE DE LA FORET DE TSINJOARIVO
I.3.1. Faune
I.3.2. Flore et végétation
I.4. CLIMAT
II. MATERIELS ET METHODES
II.1. PRESENTATION DE Cheirogaleus crossleyi et Cheirogaleus sibreei
II.1.1. Position systématique
II.1.2. Morphologie externe
II.1.3. Caractéristique biologique et écologique
II.1.4. Distribution géographique
II.1.5. Statut de conservation
II.2. TECHNIQUE D’ECHANTILLONNAGE
II.2.1. Périodes d’études
II.2.2. Etude du comportement et du régime alimentaire
II.2.3. Domaine vital
II.2.4. Distance parcourue
II.3. ANALYSES DES DONNEES
II.3.1. Méthodes de calculs
II.3.2. Estimation des distances parcourues
II.3.3. Estimation des domaines vitaux
II.3.4. Tests statistiques
III. RESULTATS
III.1. Liste des individus focaux
III.2. Disponibilité potentielle alimentaire
III.3. Comparaison entre la forêt fragmentée et la forêt continue chez C. crossleyi pendant la pré-hibernation
III.3.1. Analyse du comportement alimentaire
III.3.1.1. fréquence de consommation
III.3.1.2. Plantes consommées : Composition alimentaire
III.3.1.3. Comparaison des parties végétatives consommées
III.3.2. Analyse des activités
III.3.2.1 Répartition général des activités
III.3.2.2. Comparaison des fréquences d’observations pour chaque type d’activité
III.3.3. Caractérisation du domaine vital
III.3.3.1. Estimation des superficies
III.3.3.2. Estimation des distances parcourues
III.4. Comparaison entre les deux espèces sympatriques dans la forêt fragmentée
III.4.1. Analyse du comportement alimentaire
III.4.1.1. Fréquences de consommation
III.4.1.2. Plantes consommées : Composition alimentaire
III.4.1.3. Collecte de crotte
III.4.2. Analyse des activités
III.4.2.1. Répartition général des activités
III.4.2.2. Comparaison des fréquences d’observation pour chaque type d’activité
III.4.2.3 Effort d’échantillonnage
III.4.3. Caractérisation du domaine vital
III.4.3. 1. Estimation des superficies
III.4.3.2. Estimation des distances parcourues
IV. DISCUSSION
IV.1. Limite de cette étude et problèmes rencontrés
IV.2. Préférence alimentaire des Cheirogales de Tsinjoarivo
IV.3. Stratégies éthologiques adoptées par ces Cheirogales faces à l’hibernation
IV.4. Rôle écologique des Cheirogales
IV.5. Domaines vitaux exploités par les Cheirogales
IV.6. Variation des distances parcourues entre les deux espèces pendant les deux périodes d’études
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES