La fin de vie est une période de vulnérabilité pour la personne et son entourage qui doivent affronter péniblement les perspectives du décès et de la séparation. Dans notre société où il faut guérir à tout prix, la mort est de plus en plus insoutenable. Elle est presque devenue taboue. D’ailleurs, les médecins sont encore peu formés à l’accompagnement de la fin de vie et sont donc peu enclins à «laisser mourir». Dans la formation médicale, il est enseigné une médecine curative et la mort renvoie souvent les soignants a un échec de la médecine. L’arrivée du SAMU peut même donner le sentiment d’avoir tout fait pour empêcher la mort d’arriver.
Les projections nationales montrent qu’en 2030 la génération du baby boom aura 80 ans. La durée de vie s’est considérablement allongée ces dernières décennies grâce aux progrès de la médecine. Mais cela a eu pour effet de voir croître la survenue de maladies chroniques. Par conséquent, les soignants des EHPAD sont confrontés à des situations de fins de vie de plus en plus médicalisées et complexes à prendre à charge. Les EHPAD sont des lieux de vie, mais aussi le dernier lieu de vie des résidents dans 74 % des cas. D’après un article d’Hospimédia (1), paru en Novembre 2020, les EHPAD doivent devenir des lieux de référence en matière d’accompagnement de la fin vie. La crise de la Covid19 en 2020 pourrait être l’élément déclencheur d’une dynamique en faveur de cette reconnaissance. La qualité de l’accompagnement de la fin de vie devient donc un enjeu essentiel pour les EHPAD.
Contexte national
La fin de vie en EHPAD en France
Aujourd’hui en France, il existe encore de grandes difficultés dans l’accompagnement de la fin de vie dans les EHPAD. La situation nationale montre une hétérogénéité des prises en charge des soins palliatifs sur le territoire et les actions sont difficiles à mettre en place du fait de la crise économique qui diminue les moyens financiers et humains. Chaque année, environ 150 000 résidents d’EHPAD décèdent, ce qui équivaut à 1/4 des décès en France. Parmi ces décès, 74% décèdent à l’EHPAD, 25% à l’hôpital et 0,6% dans une Unité de Soins Palliatifs (USP). (2) Depuis les années 80, la part des décès en établissement de santé s’est stabilisée. Cependant, on constate que la part de décès à domicile baisse progressivement alors que la part de décès en maison de retraite augmente. Cela s’explique par le fait que le nombre de personnes âgées vivant en EHPAD a considérablement augmenté : 35 000 résidents supplémentaires entre 2011 et 2015. D’autre part, les résidents d’EHPAD sont plus âgés. La moitié d’entre eux ont plus de 87 ans. Par conséquent, les personnes sont moins autonomes. 83% des résidents d’EHPAD de plus de 60 ans sont en situation de dépendance et cumulent en 7,9 pathologies chroniques.
Par ailleurs, les besoins d’accompagnement de la fin de vie dans les EHPAD restent importants. D’après le rapport de 2013 de l’Observatoire National de la Fin de Vie (ONFV), 59% des personnes décédées en EHPAD auraient nécessitées la mise en œuvre d’une démarche de soins palliatifs. De plus, 23,6% des résidents qui décèdent en EHPAD de façon non-soudaine sont hospitalisés en urgence au moins une fois au cours des deux semaines qui précèdent leur décès, 17% sont transférés une seule fois, et 6.6% le sont deux fois ou plus. A cela, s’ajoute la part de décès importants de personnes âgées aux urgences. En 2012, 13 000 personnes âgées sont décédées aux urgences peu après leur admission.
La pénurie de professionnels de santé est également constatée dans les EHPAD. En 2015 seulement un EHPAD sur dix disposait de la présence d’une infirmière la nuit, (3) alors qu’il a été montré que sa présence diminue le taux d’hospitalisation de 37 %. (6) De plus, en 2018 dans les EHPAD, 16 % de postes d’aides soignants étaient non pourvus et 15 % de postes de médecins coordonateurs l’étaient également. (7) Cette pénurie de professionnels semble être liée à une politique ancienne de réduction des coûts de la santé et pourrait être un frein à la qualité de l’accompagnement de la fin de vie dans les EHPAD. Pour autant, grâce aux différentes Lois et aux programmes nationaux de développement des soins palliatifs, de nombreux progrès en termes d’accompagnement de la fin de vie ont pu être réalisés au cours des trois dernières décennies. En effet, les EHPAD ont accès à de nombreuses ressources pour les aider dans l’accompagnement de la fin de vie. En 2013, 75% des EHPAD avaient signé une convention avec une Équipe Mobile de Soins Palliatifs (EMSP) ou un Réseau de Soins Palliatifs. (5) De plus, 87 % des EHPAD disposaient de protocoles, procédures ou référentiels en lien avec la fin de vie, et trois établissements sur quatre disposaient d’un volet soins palliatifs dans leur projet d’établissement.
Malgré la mise à disposition de ces moyens, le manque de culture palliative et de connaissance de ces ressources est un frein à la qualité de certaines prises en charge. Par exemple, en 2013, seulement 8 % des EHPAD avaient fait appel à une Hospitalisation à Domicile (HAD) pour accompagner la fin de vie. (5) Mais le constat le plus alarmant est dressé par les EHPAD eux même : 75% des établissements interrogés déclarent des problèmes lors de l’accompagnement des fins de vie.
Le cadre législatif
Le cadre législatif autour de la fin de vie et des soins palliatifs
L’accompagnement de la fin de vie en France résulte d’avancées dans le domaine des soins palliatifs depuis 30 ans et ce grâce aux Lois encadrant la fin de vie . L’histoire du développement des soins palliatifs débute en 1986 avec la publication de la Circulaire Laroque. Elle concerne l’accompagnement des personnes en fin de vie à l’hôpital et à domicile, et diffuse les premières pratiques des soins de support. (9) Puis, la première Loi qui concerne les soins palliatifs, datant de 1995, dite Loi « Neuwirth », encadre la prise en charge de la douleur à l’hôpital et dans les établissements médico-sociaux. (10) Par la suite, la Loi du 9 Juin 1999 garantit à tous le droit d’accès aux soins palliatifs en France. Cette Loi apporte la définition des soins palliatifs telle qu’on la connaît aujourd’hui : « Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. ». (11) Elle permet également la création du congé d’accompagnement pour les salariés, lorsqu’un membre de la famille ou un proche vivant à son domicile est en fin de vie.
Ensuite, c’est la Loi de 2002, dite Loi «Kouchner», en faveur des droits des malades qui est votée. Cette Loi concerne les malades en général et non exclusivement les malades en fin de vie. Elle donne plus de pouvoir aux patients en leur octroyant le droit au consentement éclairé et à l’information, le droit d’accéder à leur dossier médical, le droit de refuser un traitement et le droit de désigner une personne de confiance. (12) Le 22 Aout 2005, c’est au tour de la Loi dite « Léonetti » d’être votée. (13) Cette Loi est un grand changement dans le paysage médical de la fin de vie puisqu’elle permet d’encadrer d’avantage la fin de vie en France. La personne a le droit d’interrompre ou de ne pas entreprendre de « traitements jugés inutiles, disproportionnés au n’ayant pour effet que le maintien artificiel de la vie ». Cela donne le droit à la non obstination déraisonnable. De plus, cette Loi encadre d’avantage la possibilité d’utiliser des traitements pour soulager la souffrance au risque d’abréger la vie. Elle ouvre également le droit à toute personne qui le souhaite de rédiger des directives anticipées concernant sa fin de vie. A cette époque ces directives sont non contraignantes pour le médecin, seulement consultatives et ont une durée limitée de 3 ans.
Enfin, c’est la dernière Loi en vigueur, la Loi Claeys Léonetti de 2016 qui ouvre de nouveaux droits pour les personnes en fin de vie et précise certains droits de la Loi de 2005. Ainsi les directives anticipées une fois rédigées, sont illimitées dans le temps et surtout elles deviennent contraignantes pour le médecin sauf en cas d’urgence ou par leur caractère inapproprié.
Les droits des personnes en fin de vie
Les plans nationaux de développement des soins palliatifs et les Lois encadrants la fin de vie sont à l’origine de droits des personnes en fin de vie. La recherche et l’étude des soins palliatifs ainsi que la connaissance de ces droits sont des points d’encrage de la pratique des soins palliatifs en France.
a) Le droit à l’accès aux soins palliatifs
Grâce à la loi de 1999 qui vise à garantir l’accès aux soins palliatifs pour tous (11), celle-ci donne le droit à l’accès aux soins palliatifs dès qu’ils sont nécessaires encore aujourd’hui.
b) Le droit à l’information et à la non information
Ce droit rejoint le droit au consentement éclairé. C’est à dire qu’aucun médecin ne peut imposer un traitement sans le consentement d’une personne. Le patient peut aussi demander à ne pas être mis au courant de son état de santé. Dans ce cas, il le formule clairement.
c) Le droit à l’autonomie dans ses choix et de sa parole
Il s’agit du droit à choisir pour sa propre santé de se soigner ou non. En l’occurrence le droit à la limitation des soins et à l’arrêt de ces derniers. L’alimentation et l’hydratation sont considérées comme des thérapeutiques et peuvent donc être stoppées.
d) Le droit de désigner une personne de confiance
Le patient peut choisir la personne qu’il veut : un membre de sa famille, un proche, un médecin. Cette personne fera entendre la voix de la personne en cas d’incapacité de cette dernière. C’est l’assurance qu’une personne témoignera des convictions de la personne en fin de vie auprès du médecin et en l’absence de directives anticipées. Il a un rôle de mémoire et est consultatif. La personne de confiance délivre le médecin du secret médical. Son avis prime sur celui de la famille et des proches non désignés ainsi. En revanche, la décision médicale sera collégiale et en aucun cas ce ne sera la personne de confiance qui décidera pour la personne en fin de vie.
En EHPAD, la personne de confiance peut avoir un rôle spécifique : elle soutient la personne dans ses choix lorsque celle-ci rencontre des difficultés de compréhension et elle s’assure du respect des droits de la personne.
e) Le droit de rédiger ses directives anticipées
Toute personne majeure peut rédiger ses directives anticipées qui expriment ses volontés quant à sa fin de vie. Pour les personnes sous tutelles, une autorisation du Juge est nécessaire. Ces directives doivent être rédigées par une personne en capacité d’exprimer sa volonté libre et éclairée. Elle peut se faire par avance sans être malade ou âgé. La personne peut se faire aider de son médecin. Dans le cas d’une maladie grave, le médecin doit suggérer à son patient de rédiger ses directives anticipées. Pour que ces directives soient utilisées elles doivent être connues de son médecin, de ses proches, où être inclus dans le dossier médical partagé afin d’être retrouvées facilement. La durée de ces directives est illimitée. Elles peuvent être modifiées à tout moment.
f) Le droit à la sédation profonde et continu et à la prise en charge de la douleur
La sédation profonde est encadrée par la loi de 2016 et par les recommandations de la haute autorité de santé. La mise en place d’une sédation profonde est instaurée en cas d’apparition de symptômes insupportables. Les traitements peuvent conduire au décès du patient. La décision se prend après une procédure collégiale exclusivement et est inscrite dans le dossier du patient. Les situations où l’on peut envisager d’instaurer une sédation profonde sont des complications aiguës : hémorragie, détresse respiratoire. La sédation profonde peut également être instaurée lorsque des symptômes sont devenus réfractaires aux traitements, comme la douleur ou l’anxiété, ou bien lors de la suspension d’un traitement maintenant artificiellement la vie ce qui engendrerait l’apparition de symptômes réfractaires.
g) Le droit à la non obstination déraisonnable
L’obstination déraisonnable était interdite par la loi de 1995 puis la loi de 2005. Puis la nonobstination déraisonnable devient un droit en 2006. Le droit à la non obstination déraisonnable a été rendu effectif par la reconnaissance du droit du patient de demander la limitation ou l’arrêt de tout traitement qui maintiendrait la vie de manière artificielle. Ce choix doit être respecté par le médecin.
Le premier critère pour juger de l’obstination déraisonnable est médical. L’obstination déraisonnable consiste dans le fait de poursuivre ou d’entreprendre des actes ou des traitements alors qu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de la vie. Il peut s’agir d’actes de prévention, d’investigations, de soins ou de traitement. Depuis la Loi de 2016 l’hydratation et l’alimentation sont considérées comme des traitements et peuvent donc être stoppées au titre de la non obstination déraisonnable. Les actes sont dit inutiles quand ils n’améliorent pas l’état de santé et lorsqu’ils n’apportent aucun bienfaits. Ils sont dit disproportionnés lorsque les actes font courir des risques disproportionnés par rapport aux bénéfices escomptés.
L’autre critère pour juger de l’obstination déraisonnable est l’avis de la personne. Lorsque la personne est en état d’exprimer sa volonté, et que sa capacité de discernement est conservée, la personne peut demander l’arrêt des traitements. La personne décide elle-même de son seuil d’obstination déraisonnable. Il partage alors la décision avec son médecin. Lorsque la personne n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté, la notion d’obstination déraisonnable peut être abordée par le médecin, l’équipe soignante, la personne de confiance ou ses proches ou à la lecture des directives anticipées. Lorsque les informations concernant les volontés du patient sont recueillies, le médecin engage une procédure collégiale afin d’éviter qu’une décision soit prise de manière unilatérale. Cependant c’est le médecin en charge du patient qui prend la responsabilité de l’arrêt des traitements ou de ne pas en initier de nouveaux au titre de l’obstination déraisonnable. Il faut préciser que l’arrêt des traitements n’est pas synonyme d’abandon. Il revient au médecin et à l’équipe de continuer d’accompagner et de prodiguer des soins palliatifs adaptés à la situation pour offrir à la personne une fin de vie digne.
|
Table des matières
I Introduction
II Contexte national
1) La fin de vie en EHPAD en France
2) Le cadre législatif
3) Un enjeu : identifier des situations différentes
4) Les EHPAD et autres structures au service de l’accompagnement de la fin de vie
III Le territoire du Bessin-Prébocage
1) Caractéristiques du territoire
2) Le Groupement de Coopération Sanitaire Axanté
3) La filière palliative du GCS Axanté
IV Matériel et méthode
1) Objectif de l’étude
2) Matériel de l’étude
3) Élaboration du questionnaire en ligne et du guide d’entretien semi-directif
4) Mise en relation avec les EHPAD
5) Déroulement de l’étude
6) Méthode d’analyse des résultats
V Résultats
1) Résultats du questionnaire en ligne
2) Caractéristiques des entretiens individuels
3) Analyse qualitative des entretiens individuels
VI Discussion et perspectives
1) Les limites et les forces de l’étude
2) Les forces de l’accompagnement de la fin de vie retenues lors de l’analyse qualitative
3) Identification des objectifs d’amélioration des pratiques retenus lors de l’analyse qualitative
4) Impact de l’épidémie de Covid19 en 2020
5) Les perspectives sur le territoire à l’horizon 2021-2025 : le projet de santé de la CPTS BessinCaenOuest-Prébocage porté par le GCS Axanté
VII Conclusion
VIII Bibliographie
IX Annexes