Des enjeux de la connaissance de la dynamique océanique côtière à l’importance des nouvelles missions d’altimétrie spatiale
A l’interface entre les terres et l’océan hauturier, zones d’échanges entre ces deux milieux, les environnements côtiers font partie des régions océaniques les plus complexes à appréhender. Tout d’abord, il n’y a pas de consensus clair sur la définition de l’océan côtier qui peut considérer la profondeur comme la distance à la côte. Ainsi dans le rapport de l’IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change, Nicholls et al., 2007), il s’agit des zones de faible élévation qui interagissent avec les eaux côtières de faible profondeur, sans prendre en compte le plateau continental et les marges océaniques. Mais dans certaines études cela peut aussi désigner la zone entre les terres émergées et 200 mètres de profondeur, et/ou une délimitation au large marquée par un brusque changement de la pente de la bathymétrie. D’un point de vue des données d’altimétrie spatiale il est fréquent de considérer comme côtière toute la zone comprise dans les 50 km à la terre, ce qui correspond à la zone dans laquelle historiquement l’erreur des données augmente fortement. D’autres définitions font davantage intervenir la notion de rupture dans la diversité marine ou la dynamique océanique pour délimiter les régions côtières. Certains environnements tels que les estuaires, les plateaux et les talus continentaux sont alors considérés ou non dans la zone côtière selon la définition choisie. Ces zones sont extrêmement variées de par leur topographie (canyons, deltas de fleuves ou bancs de sable), leur faune et leur flore, les écosystèmes qu’elles abritent (barrière de corail, mangrove, herbiers, par exemple) ainsi que la dynamique océanique qui s’y produit (Inman, 1994).
Les régions côtières ont constitué très tôt des habitats privilégiés pour les populations humaines car elles permettent des échanges économiques et culturels (Braudel, 1985). De plus, elles fournissent un accès aux ressources nourricières de l’océan : d’après la WHO (World Health Organization), la pêche assure le principal apport en protéine pour 1 milliard de personnes, avec des régions beaucoup plus dépendantes. Ainsi les zones côtières sont fortement peuplées : la moitié de la population mondiale vit à moins de 100 km des côtes et 10% habitent dans des zones côtières densifiées (Cohen et al., 1997, Nicholls et Cazenave, 2010, McGranahan et al., 2007). D’autres activités y sont également concentrées : le tourisme, l’industrie portuaire, les pêcheries, l’extraction minière, l’aquaculture (Ayoub et al., 2015).
Malgré leur importance, ces régions sont menacées par les activités humaines qu’elles accueillent : la surpêche est délétère pour les ressources halieutiques, les aménagements fluviaux modifient les transports de sédiments à la côte et plus généralement la présence de villes entraîne des rejets de nutriments importants dans l’océan. Ces régions sont également fortement exposées aux effets du changement climatique. En effet, l’augmentation du niveau de la mer a pour conséquences des inondations, l’érosion de la côte ainsi que des intrusions d’eaux salées dans les estuaires et les nappes phréatiques (Wong et al., 2014) . Les écosystèmes marins tels que les plages, les estuaires, les lagunes, les zones humides, les récifs coralliens, par exemple, sont aussi menacés par les changements induits en lumière, température et salinité qui peuvent alors tuer les plantes ou les animaux vivant en symbiose.
A l’échelle globale, les océans jouent un rôle essentiel dans la régulation du climat, en absorbant de la chaleur et du dioxyde de carbone et en les stockant ce qui augmente sa température et provoque son acidification. A l’échelle côtière, les écosystèmes océaniques sont également primordiaux en jouant par exemple un rôle de rempart contre l’érosion du littoral. L’océan côtier représente un lien entre les continents, fortement impactés par la présence humaine et l’océan qui agit comme un régulateur thermique. La connaissance de la dynamique océanique côtière constitue donc un enjeu majeur, avec des applications opérationnelles.
Les zones côtières sont aussi caractérisées par la formation de phénomènes de petite échelle spatio-temporelle qui régissent les échanges avec l’océan hauturier et les mélanges verticaux, ce qui les rend extrêmement complexes (Huthnance, 1995). La méso-échelle qui regroupe les structures océaniques entre 10 et 100 km permet le transport de chaleur, nutriments, sel et d’énergie entre l’océan intérieur et les couches de surface. A côté de la circulation régionale se développent des méandres et des tourbillons dont l’énergie cinétique est très importante (Ferrari et Wunsch, 2009). Les caractéristiques dynamiques spécifiques aux régions côtières incluent galement les ondes de tempête qui se forment lors des cyclones ou tempêtes ; la marée dont l’amplitude est plus forte à la côte que dans l’océan hauturier ; le transport de sédiment ; les plumes des fleuves ; les upwellings côtiers qui font remonter les eaux du fond vers la surface sous l’action de vents marins et les downwellings côtiers qui font plonger les eaux de surface également sous l’effet du vent (Ponte et al., 2019).
Enjeux et plan de l’étude
Problématique, approche et questions soulevées
Le suivi de l’évolution des zones côtières est donc très important mais les données in situ manquent ou sont trop parcellaires. Les observations spatiales sont donc un outil complémentaire incontournable. Parmi elles, depuis les années 90, il est possible de compter sur l’altimétrie spatiale mais son potentiel d’utilisation reste encore mal défini sur les océans côtiers. L’arrivée des nouvelles technologies altimétriques (SAR, bande Ka, SARIn) permet de plus et mieux intégrer l’altimétrie spatiale parmi les outils d’étude et de suivi de l’océan côtier, aux côtés des autres types d’observation et des modèles, mais nécessite aussi de comprendre leur contenu. Tout ceci pose un certain nombre de questions sur :
• la validation de ce nouveau type d’observation : comment valider ces mesures à partir de données qui possèdent elles-mêmes leurs erreurs ?
• l’utilisation de la complémentarité entre observations altimétriques, in situ et la modélisation. Comment peut-on utiliser conjointement les différents systèmes de mesure ?
• l’interprétation des données : l’altimétrie spatiale nous permet d’obtenir des anomalies de hauteur de mer. Comment se traduisent des variations à l’échelle kilométrique en termes de dynamique océanique ?
• les limitations liées à leur résolution spatio-temporelle : la résolution temporelle de l’altimétrie spatiale varie de 10 jours avec Jason 2 à 35 jours avec SARAL. La mission SWOT aura une résolution de 21 jours. Quelles stratégies peut-on mettre en place pour faire face à ce manque d’information entre deux passages ?
• les nouveaux processus qu’il sera alors possible de capturer par rapport à la situation actuelle. Sera-t-il possible d’observer des phénomènes de plus petite échelle, de plus haute fréquence, plus près de la côte ?
Pour étudier ces questions, nous avons choisi un cas d’étude : la circulation régionale, avec un focus sur les courants côtiers. Nous avons focalisé notre travail en Méditerranée NordOccidentale, qui paraît une zone d’étude idéale pour l’étude de ces problématiques car on y dispose d’un vaste panel de données et car elle est marquée par des processus dynamiques variés et des échelles relativement courtes. Depuis le début de l’altimétrie spatiale, cette mer est considérée comme une zone de test pour l’observabilité de sa dynamique (Echevin, 1998, Vignudelli et al., 2000). En effet, tout gain en qualité de la donnée s’y traduit par un gain en observabilité de la dynamique océanique régionale. Les études se sont succédées au fur et à mesure du lancement de nouvelles missions : Birol et al., 2010 pour Topex/Poseidon et Jason 1, Bouffard et al., 2008b, Escudier et al., 2013 avec en plus Envisat et GFO, Morrow et al., 2017 pour Cryosat-2, SARAL et Jason 2, Pascual et al., 2015 pour SARAL, … Ces études permettent d’avoir une idée bien précise des capacités de l’altimétrie actuelle, de ce que chaque mission apporte de nouveau dans la connaissance de la dynamique océanique mais aussi des limitations et des besoins à prendre en compte pour les futures missions.
L’altimétrie spatiale
Depuis les années 70 et le début de l’altimétrie spatiale, les altimètres radar, mesurant la hauteur instantanée de la mer, ont permis d’amasser une quantité phénoménale d’informations sur la dynamique océanique et ses interactions avec les autres environnements. Cependant, ces observations sont traditionnellement dédiées à l’océan hauturier. Les missions altimétriques n’ont pas été conçues pour l’océan côtier, où les mesures sont bien plus complexes à analyser et nécessitent des traitements de données adaptés.
Aujourd’hui, des années d’expérience dans l’exploitation des mesures altimétriques et le développement de nouvelles technologies conduisent à des instruments plus performants et plus adaptés à l’océan côtier ainsi qu’à des traitements de données permettant d’accéder à des observations fiables beaucoup plus près des terres. Dans cette section, nous dressons un état de l’art de la technique d’altimétrie spatiale, en décrivant son principe et les corrections ajoutées, en établissant un rappel historique des différentes technologies utilisées, en présentant les produits actuellement disponibles et en soulignant les limites encore à l’œuvre dans une perspective d’utilisation pour l’étude de la dynamique océanique côtière.
Principe
Dans le détail, les impulsions radar sont émises de manière répétitive et régulière – plus de 1700 impulsions par seconde – selon la PRF (Pulse Repetition Frequency) qui est choisie afin de garantir que les échos successifs sont décorrélés (Gommenginger et al., 2011). Le rayon du faisceau s’agrandit au fur et à mesure que l’onde s’éloigne de l’altimètre. Lorsqu’elle touche la surface, l’empreinte au sol (la surface couverte par la pulsation radar) varie de 7 à 15 km de diamètre selon l’altimètre utilisé. A partir du moment où elle touche la surface de la mer, l’intensité de l’onde réfléchie reçue en retour est enregistrée en tant que forme d’onde et permet de caractériser la surface observée. En effet, dans un milieu océanique considéré comme homogène, l’aspect de cette forme d’onde (Figure 1.2) suit un modèle mathématique connu, le modèle de Brown (Brown, 1977, Hayne, 1980), qui est caractérisé par :
• un signal de départ supérieur à 0 à cause du bruit thermique causé par la réflexion de l’impulsion du radar dans l’ionosphère et l’atmosphère ajoutée au bruit instrumental (P0 sur la Figure 1.2).
• le milieu du front de montée (epoch at mid-height sur la Figure 1.2) qui donne le retard attendu de l’écho en retour et permet ainsi d’estimer le temps mis par l’impulsion pour parcourir la distance aller-retour et ensuite obtenir le range grâce à la formule vue plus haut.
• un front de montée qui suit une certaine courbure avant d’atteindre un maximum. La différence entre ce maximum et le bruit thermique permet d’obtenir l’amplitude du signal (P sur la Figure 1.2). La hauteur significative des vagues peut se déduire quant à elle de la pente du front de montée.
• un front de descente dont la pente du flanc est liée au dépointage de l’antenne (qui correspond à l’écart par rapport au nadir).
Les caractéristiques de la forme d’onde sont très différentes du modèle de Brown pour des surfaces moins homogènes que l’océan telles que les terres émergées, les glaces ou les fleuves et rivières. A l’approche de la côte, l’empreinte au sol du radar inclut mer et terre et les formes d’onde sont également plus complexes à analyser (Gommenginger et al., 2011). Étant donné les enjeux liés à l’observation du niveau marin dans ces régions, de nombreuses études ont été menées ces derniers dix ans pour mieux comprendre ces signaux et développer les traitements qui conviennent (Gommenginger et al., 2011, Passaro et al., 2014).
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Table des matières
Introduction générale
Des enjeux de la connaissance de la dynamique océanique côtière à l’importance des nouvelles missions d’altimétrie spatiale
Enjeux et plan de l’étude
1 Contexte et zone d’étude
1.1 L’altimétrie spatiale
1.2 La Méditerranée Nord-Occidentale
2 Les outils d’observation et d’étude
2.1 Altimétrie
2.2 Autres observations spatiales
2.3 Données in situ
2.4 Modèle numérique
3 Synergie entre les données altimétriques et in situ pour observer et étudier les variations du Courant Nord
3.1 Introduction
3.2 Article
3.3 Discussions et perspectives
4 Signature en hauteur de mer des processus dynamiques : cas du CN et de la convection
4.1 Validation du modèle
4.2 Observabilité des processus régionaux par altimétrie spatiale
4.3 Courants altimétriques vs courants des radars HF, gliders et ADCP : analyse des différences
4.4 Conclusion
5 Étude de la circulation régionale
5.1 Complément de validation du modèle et méthodologie
5.2 Circulation moyenne en Méditerranée Nord-Occidentale
5.3 Cycle saisonnier
5.4 Variabilité interannuelle
5.5 Discussion
5.6 Conclusion et perspectives
6 Conclusions