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Quelques techniques d’étude des monocouches à l’interface eau-air
Nous décrivons brièvement dans ce paragraphe quelques techniques expérimentales d’étude des films de molécules amphiphiles à l’interface eau-air, et en particulier celles qui ont contribué à la connaissance des différentes phases existant dans ces films : la microscopie de fluorescence et les potentiels de surface à l’échelle macroscopique, la diffraction et la réflectivité des rayons X à l’échelle microscopique. La technique de microscopie à l’angle de Brewster, utilisée dans cette thèse est décrite au paragraphe B.
La microscopie de fluorescence
Cette technique [2,3], utilisée depuis le début des années 80 pour l’étude des films de Langmuir, donne des informations à l’échelle macroscopique. Elle permet une observation directe des coexistences de phases lors de transitions du premier ordre. Une faible proportion (<1%) de sondes fluorescentes amphiphiles est introduite dans la monocouche. C’est la différence de solubilité des sondes entre les phases qui coexistent qui introduit un contraste optique. Les sondes sont en général d’autant moins solubles que la phase est dense et ordonnée. La microscopie de fluorescence peut aussi permettre de mettre en évidence l’anisotropie optique éventuelle des phases lorsque la fluorescence des sondes est excitée par une lumière polarisée [4, 5].
L’inconvénient de cette technique est que les sondes fluorescentes sont des impuretés qui peuvent perturber la monocouche. Même en très faible quantité, les sondes peuvent agir sur la forme et la croissance des domaines en coexistence. Elles peuvent aussi avoir un effet lors des transitions de phases, en particulier près d’un point critique. Les transitions de phases étudiées dans cette thèse par microscopie à l’angle de Brewster ont été observées parallèlement en microscopie de fluorescence par l’équipe de C.M. Knobler à Los-Angeles, avec le même échantillon de molécules amphiphiles; un effet des sondes a été mis en évidence lors d’une transition entre deux phases denses anisotropes (cf chapitre II). D’autre part, la solubilité des sondes fluorescentes est très faible dans les phases denses, qui sont ainsi difficiles à étudier par cette méthode.
Le potentiel de surface
Les mesures de potentiel de surface [6] permettent d’accéder à la composante normale du moment dipolaire des molécules amphiphiles composant le film. Elles consistent à mesurer la modification de la différence de potentiel électrique de part et d’autre de l’interface eau-air lorsqu’une monocouche y est déposée. Des mesures de potentiel de surface ont été effectuées pendant cette thèse. Elles sont exposées au chapitre IV. Le dispositif expérimental utilisé est aussi décrit dans ce chapitre. Nous verrons que les interprétations des mesures sont difficiles car la valeur de la constante diélectrique de la monocouche est inconnue; pour cette raison, une modélisation de l’interface est nécessaire.
La diffraction des rayons X
L’utilisation récente (fin des années 80) de la diffraction des rayons X pour l’étude des films de Langmuir a fait progresser d’un grand pas la connaissance de la structure microscopique des différentes phases. La difficulté de cette technique pour l’étude de ces systèmes provient du faible signal de diffraction généré par une monocouche. De ce fait, elle nécessite l’emploi de sources puissantes et n’est applicable qu’aux phases denses. La diffraction de rayons X en incidence rasante [7, 8, 9] a l’avantage de donner un signal qui provient uniquement de la monocouche, sans contribution de la sousphase. En effet, l’angle d’incidence du faisceau (mesuré par rapport à la normale à la surface de l’eau) est supérieur à l’angle critique au-dessus duquel la réflexion est totale. Ainsi l’onde évanescente résultante pénètre à moins de 10 nm sous la surface et est diffractée par la structure interne de la monocouche.
La diffraction des rayons X en incidence rasante permet d’obtenir l’arrangement moléculaire dans le plan de l’interface. La position des pics d’intensité en fonction de la composante dans le plan Qx du vecteur de diffusion informe sur la nature du réseau cristallin bidimensionnel. La largeur des pics à mi-hauteur donne la longueur de corrélation de l’ordre positionnel. De plus, il est possible de déterminer l’orientation des chaînes aliphatiques des molécules par rapport à la normale à la surface en étudiant les profils de diffraction dans la direction perpendiculaire à l’interface.
Il faut préciser que les figures de diffraction obtenues ne permettent pas une détermination directe des positions des atomes; leur interprétation nécessite l’utilisation de modèles. Il existe donc une certaine incertitude sur les structures cristallographiques déduites de ces expériences.
La réflectivité des rayons X [10, 11, 12]
La mesure de la réflectivité d’une monocouche en fonction de l’angle d’incidence permet d’obtenir la densité électronique dans la direction normale à l’interface, ainsi que l’épaisseur et la rugosité de l’interface.
Le diagramme de phases des acides gras [13, 14]
L’existence d’un grand nombre de phases dans le diagramme de phases des acides gras a d’abord été révélée par le tracé d’isothermes, c’est-à-dire des mesures de pression de surface en fonction de l’aire par molécule, à température fixée [15]. La grande diversité des phases mises en évidence par ces expériences n’a pu être confirmée que plusieurs dizaines d’années plus tard grâce, à l’échelle macroscopique, à la microscopie de fluorescence (début des années 1980) puis à la microscopie à l’angle de Brewster (1991) et du point de vue de la structure à l’échelle moléculaire, grâce à la diffraction des rayons X (fin des années 1980). Ces expériences ont montré que les plateaux observés sur les isothermes, bien que très imparfaitement horizontaux, correspondaient bien à des transitions de phases du premier ordre et que certaines ruptures de pentes presque imperceptibles étaient bien dues à des changements de phases. Ce diagramme s’est avéré universel (au moins qualitativement) pour les acides gras : il suffit de translater l’échelle de température vers la droite de 5 à 10°C par atome de carbone en moins dans la chaîne aliphatique. De plus, de nombreuses phases sont similaires à celles observées dans les monocouches de certains alcools à longues chaînes et des esters.
Une très grande richesse de phases a ainsi été mise en évidence et le diagramme de phase des acides gras apparaît très complexe. La figure I-8 montre ce diagramme établi par Bibo et al [13], auquel on a rajouté la phase Overbeck, découverte récemment [18]. En plus des phases analogues aux phases tridimensionnelles (gaz, liquide et cristal), le diagramme comporte des phases intermédiaires entre le liquide et le cristal, appelées mésophases. En outre, une correspondance entre ces mésophases et celles des cristaux liquides smectiques a été établie. Une mésophase est caractérisée par un ordre positionnel à courte-portée des molécules et un ordre orientationnel à quasi longue-portée des directions entre molécules (figure I-9). L’ordre à quasi longue-portée signifie que les corrélations décroissent comme une loi de puissance alors que l’ordre à courte portée est lié à une décroissance exponentielle des corrélations. Les mésophases observées jusqu’à présent dans les acides gras sont aussi souvent appelées phases hexatiques car le réseau formé par les têtes polaires est localement hexagonal ou hexagonal peu distordu (c’est-à-dire rectangulaire centré).
Les caractéristiques et l’ordre des transitions
D’après les expériences de diffraction de rayons X et les isothermes, la plupart des transitions de ce diagramme sont du premier ordre. Nous citons dans ce paragraphe les transitions qui ont été étudiées en rayons X et indiquons leurs caractéristiques.
• Transitions du premier ordre :
– L2-L’2 et L2-Ov : ces deux transitions sont caractérisées par un changement de la direction d’inclinaison des molécules par rapport au réseau. Par contre, l’angle d’inclinaison t est continu à la transition.
– L’2-LS : l’angle d’inclinaison des molécules est discontinu à la transition : il saute d’une valeur finie à zéro.
– LS-S : la maille hexagonale devient rectangulaire centrée et la symétrie axiale des molécules due à la rotation des chaînes sur elles-mêmes disparaît.
– S-CS : la taille de la maille diminue et un ordre positionnel des molécules apparaît.
– L’2-CS : la taille de la maille diminue et l’angle d’inclinaison t des molécules subit une discontinuité d’une valeur finie à zéro; il y a apparition d’un ordre positionnel.
• Transitions du second ordre :
– L2-LS et L’2-S : les paramètres de maille sont continus et l’angle d’inclinaison des molécules décroît continûment jusqu’à zéro.
LA MICROSCOPIE A L’ANGLE DE BREWSTER
Développée en 1991 [23, 24], la microscopie à l’angle de Brewster permet une visualisation directe à l’échelle du micron des films de molécules amphiphiles à l’interface eau-air. Il est possible d’observer non seulement des coexistences de phases mais aussi l’anisotropie optique des phases. On peut notamment déterminer l’orientation des molécules. L’avantage de cette technique par rapport à l’autre méthode d’étude des films à l’échelle macroscopique, la microscopie de fluorescence, est de ne pas nécessiter l’ajout de sondes fluorescentes.
Le microscope utilisé dans cette thèse a été conçu par Jacques Meunier et fabriqué au laboratoire. Il possède une très bonne résolution latérale, environ 1 µm, grâce à la grande ouverture de l’objectif. Cette résolution nous a permis d’effectuer des mesures qui n’auraient pu être réalisées avec le microscope commercialisé par un groupe allemand [24].
Les transitions entre phases inclinées
Les phases inclinées sont au nombre de quatre dans le diagramme de phases : L 2, L’2, L » , Ov. Dans toutes ces phases, les expériences de diffraction de rayons X ont montré que 2 l’angle d’inclinaison des chaînes est constant à température et pression de surface données. Par conséquent, les différents niveaux de gris observés sur les images correspondent aux différentes directions azimuthales des molécules
La transition L2-L’2
Comme nous l’avons vu, le réseau moléculaire est rectangulaire centré (hexagonal distordu) dans ces deux phases, et les molécules sont inclin ées. La seule différence est la direction d’inclinaison des molécules : vers un premier voisin dans la phase L2, vers un second voisin dans la phase L’2. On s’attend donc à observer pendant cette transition une rotation des chaînes aliphatiques de +30° ou -30° par rapport au réseau.
Comme la phase L2, la phase L’2 est divisée en régions uniformes d’orientation azimuthale différente séparées par des lignes de défaut (figure II-5 b). Dans l’acide béhénique, les deux phases observées séparément ne peuvent pas être distinguées. Par contre, dans l’acide arachidique, la phase L’2 contient beaucoup plus de lignes de défaut droites et brisées que la phase L 2; les angles des lignes brisées sont souvent voisins de 90°.
La transition L2-L’2 est observée entre 8.5°C et 27°C dans l’acide béhénique et entre 10°C (nous n’avons pas fait d’expériences à plus basse température) et 17°C dans l’acide arachidique. Elle se manifeste par une modification soudaine et complète de l’arrangement et de l’anisotropie des régions d’orientation azimuthale différente (figure II-5 a, b). On observe un changement aussi bien de la direction azimuthale des moléc ules que de la position des lignes de défaut. Il y a donc une rotation de la direction d’inclinaison des chaînes aliphatiques. Seuls les points d’intersection de plusieurs lignes de défaut semblent rester à la même place.
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Table des matières
Chapitre I : Les films monomoléculaires de molécules amphiphiles à l’interface eauair.
La microscopie à l’angle de Brewster
A-Description des systèmes étudiés
I- Les molécules amphiphiles et l’interface eau-air
1- Les molécules amphiphiles
2- Notion de tension superficielle
3- Les films formés par les molécules amphiphiles à l’interface eau-air
II- Caractérisation thermodynamique des films de Gibbs et de Langmuir
1- Définition de la pression de surface
2- Mesure de la pression de surface
3- Les isothermes
III- Quelques techniques d’étude des monocouches à l’interface eau-air
1- La microscopie de fluorescence
2- Le potentiel de surface
3- La diffraction des rayons X
4- La réflectivité des rayons X
IV- Le diagramme de phases des acides gras
1- Description des phases
a) La phase gazeuse
b) La phase liquide
c) Les mésophases « inclinées »
d) Les mésophases « redressées »
e) La phase cristalline CS
2- De nouvelles phases
3- Les caractéristiques et l’ordre des transitions
B- La microscopie à l’angle de Brewster
I- Principe de cette technique
II- Description du microscope
III- Description du matériel
1- Précautions expérimentales
2- Les cuves
Chapitre II : Etude du diagramme de phases des acides gras
I- Présentation des expériences
II- Transition entre la phase gazeuse et la phase L2 – Description de la phase L2
III- Les transitions entre phases inclinées
1- La transition L2-L’2
2- La transition L’2-L »2
3- La transition L2-Ov
IV- Les transitions entre une phase inclinée et une phase redressée
1- La transition L’2-S
2- La transition L »2-CS
3- Les transitions L2-LS, Ov-LS et L’2-LS
V- Les transitions entre deux phases redressées
1- La transition S-CS
2- La transition LS-S
VI- Résumé- Comparaison avec le diagramme de phases des références 13 à 22
Chapitre III : Etude d’une transition de phase dans un film de Gibbs d’acide gras- Comparaison avec le film de Langmuir correspondant
A- Etude du film adsorbé à la surface d’une solution aqueuse de myristate de sodium
I- Procédure expérimentale
II- Observations de microscopie à l’angle de Brewster
1- Sans analyseur
2- Avec analyseur
III- Fluctuations des lignes de défaut
IV- Cas particulier des solutions les plus concentrées : déformation des domaines et des lignes de défaut
V- Interprétation de la structure en bandes
B- Etude du film de Langmuir d’acide myristique
Chapitre IV : Mesure de la tension de ligne d’une interface liquide expansé-liquide condensé
I- Introduction
II- Présentation de la méthode de mesure de la tension de ligne
III- Observations de microscopie à l’angle de Brewster et mesures de potentiel de surface
A- Conditions expérimentales et observations de microscopie à l’angle de Brewster
B- Les mesures de potentiel de surface
1- Définition
2- Les méthodes de mesure
3- L’interprétation des mesures de potentiel de surface
4- Le potentiel de surface d’une monocouche d’acide myristique
IV- Détermination de la tension de ligne
1- L’énergie potentielle d’interaction dipolaire
2- Définition de la tension de ligne- L’équation d’équilibre entre pression dipolaire et tension de ligne
3- Le calcul de b à partir des images
Chapitre V : Etude de la texture et de la forme de domaines d’une mésophase constituée de molécules inclinées
A- Etude du boojum
1- Les observations de microscopie à l’angle de Brewster
2- L’énergie libre d’un boojum
3- Evaluation du rapport 1/K
4- La forme des domaines
B- D’autres structures de domaines-Etude de la texture des domaines en fonction du pH.. 133
I- Description d’autres textures de domaines observées à pH 5.5
II- La texture des domaines en fonction du pH
1- De pH 2 à pH 5.5
2- pH 5.6
3- De pH 6 à pH 8
III- Conclusion
Conclusion
Annexes
Annexe A : Calcul de wb(A) et wb(B)
Annexe B : Calcul de la tension de ligne e
Annexe C : Evaluation de l’erreur due à l’application de l’équation e(r)=-Wb(r) à une
distance inférieure à b de l’interface LE-LC
Références
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