Cérès et Vesta
(1) Cérès et (4) Vesta sont respectivement les premier et deuxième corps les plus massifs de la ceinture principale d’astéroïdes. Ils sont l’objet d’étude de la sonde spatiale Dawn (Russell et Raymond, 2011) développée par la NASA (National Aeronautics and Space Administration) et lancée le 27 septembre 2007. Elle est arrivée en juin 2011 à sa première destination, Vesta, qu’elle a observée jusqu’en août 2012. Elle s’est ensuite dirigée vers Cérès, qu’elle a atteint en mars 2015 et étudie depuis. La sonde spatiale Dawn a notamment permis de déterminer les formes, les champs de gravité et les compositions de surface de Cérès et Vesta (Russell et al., 2012, Russell et al., 2016). La forme de Cérès a été observée par Dawn et a été approchée par un ellipsoïde de dimensions (483.1, 481.0, 445.9)±0.2 km (Russell et al., 2016). Une densité de 2162±3 kg m−3 a été déduite des données de Dawn (Russell et al., 2016). La densité de Cérès laisse supposer une composition en masse d’environ de 17 à 27% en eau (McCord et Sotin, 2005, Castillo-Rogez et McCord, 2010). La présence d’eau sur Cérès a été confirmée par Dawn (Ruesch et al., 2016, Prettyman et al., 2017, Schmidt et al., 2017, Fu et al., 2017). La croûte de Cérès aurait une composition en eau inférieure à 25% du volume Fu et al. (2017) et l’existence de cryo-volcanisme sur Cérès a été révélée par la présence d’un dôme cryo-volcanique (Ruesch et al., 2016). Cérès serait partiellement différencié et composé d’une couche externe constituée d’eau, de silicates et de sels et d’un manteau plus dense de composition similaire aux météorites carbonées (Park et al., 2016). La sonde spatiale Dawn a permis d’observer localement à la surface de Cérès des zones brillantes dues à des sels identifiés comme des carbonates de sodium (De Sanctis et al., 2016). L’astéroïde Vesta présente une densité de 3456 ± 35 kg m−3 déterminée par Dawn (Russell et al., 2012). Vesta est un corps différencié et pourrait être le vestige d’une protoplanète. La forme observée par la sonde spatiale Dawn peut être approchée par un ellipsoïde de dimensions (286.3, 278.6, 223.2)±0.1 km (Russell et al., 2012). Vesta serait constitué d’un noyau de fer, d’un manteau d’olivine ainsi que d’une croûte de composition similaire à celles des météorites HED (Howardite-Eucrite-Diogénite) retrouvées sur Terre (e.g. Russell et al., 2012, Ermakov et al., 2014). La sonde spatiale Dawn a permis de confirmer que Vesta serait la source des météorites HED créées lors d’un impact géant (De Sanctis et al., 2012) et a identifié la dépression observée au niveau de l’hémisphère sud de Vesta (Thomas et al., 1997b) comme la superposition de deux bassins d’impacts géants (Marchi et al., 2012, Schenk et al., 2012). Pour calculer l’évolution à long terme de la rotation, nous avons besoin de connaître les vitesses de rotation et les orientations initiales des axes de rotation de Cérès et Vesta. La sonde spatiale Dawn a permis de préciser ces quantités (Konopliv et al., 2014, Park et al., 2016). Les fréquences de précession des axes de rotation de Cérès et Vesta n’ont pas été déterminées par la mission spatiale Dawn. Les fréquences de précession peuvent être alors seulement estimées à partir de leurs structures internes, cependant des incertitudes demeurent sur ces dernières (e.g. Park et al., 2014, Park et al., 2016). La structure interne, par le biais du moment d’inertie polaire, présente en effet une influence sur la rotation à long terme, la fréquence de précession étant notamment inversement proportionnelle au moment d’inertie polaire. L’incertitude sur la structure interne se retrouve ainsi sur la fréquence de précession. La présence de satellites peut aussi modifier la fréquence de précession, cependant aucun satellite n’a été détecté autour de Cérès et Vesta par le télescope spatial Hubble (McFadden et al., 2012, DeMario et al., 2016) et cette absence de satellites a été confirmée pour Vesta par Dawn (McFadden et al., 2015).
L’étude de la rotation à long terme de Cérès et donc du mouvement de précession de l’axe de rotation est nécessaire afin de contraindre la distribution de la glace sur et en dessous la surface. Les régions d’un corps planétaire, qui ne sont pas directement éclairées par le Soleil au cours d’une révolution complète, peuvent présenter des températures plus froides que celles des régions éclairées et sont appelées pièges froids. Leur température plus faible peut permettre d’éviter la sublimation de la glace et elles sont ainsi susceptibles d’héberger de la glace à leur surface. De telles régions contenant de la glace ont été détectées précédemment sur la Lune (Feldman et al., 1998, Colaprete et al., 2010) et Mercure (Paige et al., 2013, Chabot et al., 2014). La sonde spatiale Dawn a observé dans les régions polaires de l’hémisphère nord de Cérès de tels pièges froids à proximité d’un desquels de la glace a été détectée par le spectromètre de Dawn (Platz et al., 2016). Ermakov et al. (2017a) ont déterminé l’évolution de l’obliquité de Cérès, angle de l’inclinaison de l’équateur sur l’orbite, qui varie entre 2 et 20◦ , et la superficie des terrains non éclairés par le Soleil en fonction de l’obliquité. Ermakov et al. (2017a) observent ainsi que les régions qui restent non éclairées pour une obliquité de 20◦ concordent à celles où des dépôts brillants susceptibles d’être de la glace ont été détectés. La sonde spatiale Dawn a détecté la présence de glace sous la surface de Cérès à partir des données de son spectromètre à rayons gamma et neutrons (GRaND, Gamma Ray and Neutron Detector ) (Prettyman et al., 2017). L’étude de la morphologie des terrains de Cérès obtenue par Dawn a montré la présence d’eau en profondeur (Schmidt et al., 2017), qui est plus abondante près des pôles conformément aux données spectroscopiques (Prettyman et al., 2017). La distribution et la profondeur de la glace dépendent de l’évolution de l’obliquité (Schorghofer, 2008, 2016), qui est responsable des variations de température saisonnières.
Pour Vesta, l’étude de la rotation à long terme est nécessaire afin de connaître ses variations d’obliquité et sa fréquence de précession. Les deux impacts géants subis par Vesta ont modifié sa forme et sa vitesse de rotation (Fu et al., 2014, Ermakov et al., 2014). Pour ces deux corps, les impacts avec les astéroïdes et les rencontres proches peuvent ainsi avoir modifié leurs rotations à long terme. En outre, il existe des rencontres proches entre Cérès, Vesta et des astéroïdes de la ceinture principale, responsables du comportement chaotique de leurs orbites (Laskar et al., 2011b). Ces rencontres proches pourraient avoir une influence sur la rotation à long terme.
Méthodes pour le calcul à long terme de la rotation
La rotation à long terme dans le système solaire peut être calculée à partir d’équations séculaires (Kinoshita, 1977, Laskar, 1986, Laskar et Robutel, 1993), où le mouvement de rotation est forcé par une solution orbitale séculaire ou à partir d’une intégration symplectique des équations orbitales et de rotation couplées (Touma et Wisdom, 1994). Les équations séculaires sont obtenues en réalisant une moyenne sur la longitude moyenne et la rotation propre, généralement rapide pour les corps du système solaire avec une période de rotation de l’ordre d’une dizaine d’heures. Leur intégration nécessite alors un pas de temps d’une centaine d’années et est ainsi beaucoup plus rapide que celles des équations complètes, qui, pour une rotation présentant une période d’une dizaine d’heures, doivent être résolues avec un pas d’intégration d’environ une dizaine de minutes. Les équations séculaires peuvent être intégrées rapidement et ont été utilisées par Laskar et Robutel (1993) pour étudier la stabilité des axes de rotation des planètes du système solaire sur environ les 20 derniers millions d’années en réalisant des intégrations pour des conditions initiales différentes. En utilisant la même méthode que Laskar et Robutel (1993), Skoglöv et al. (1996) ont étudié la stabilité de la rotation et les variations de l’obliquité pour dix corps de la ceinture principale d’astéroïdes dont Cérès et Vesta. Cependant, les conditions initiales pour les axes de rotation n’étaient alors pas précisément connues et le manque de connaissances sur leurs structures internes ne permettait pas de contraindre leurs fréquences de précession. Skoglöv et al. (1996) ont ainsi estimé les fréquences de précession en considérant des corps homogènes et ont conclu que leurs rotations à long terme étaient relativement stables. En utilisant les équations séculaires et un modèle séculaire pour le mouvement orbital, Bills et Scott (2017) ont déterminé les variations d’obliquité de Cérès. Ermakov et al. (2017a) ont réalisé une intégration symplectique des équations orbitales et de rotation complètes pour obtenir l’évolution de l’obliquité de Cérès.
Intégration de la rotation à long terme
Hamiltonien total
Équations générales Soit un système planétaire composé d’une étoile centrale de masse m0 et de n corps de masse (m1, …, mn) en orbite autour de l’étoile. Le corps 1 est un corps solide non sphérique, qui présente un renflement équatorial. Les autres corps sont considérés comme des points matériels. (r1, ˜r1) sont les coordonnées héliocentriques canoniques du corps solide et (rk, ˜rk) les coordonnées héliocentriques canoniques des autres corps (voir annexe A). Le hamiltonien total du système peut s’écrire (e.g. Boué et Laskar, 2006)
H = HN + HI + HE. (2.1)
Intégration symplectique du hamiltonien total
Le hamiltonien total H = HN + HI + HE peut être intégré de façon à conserver la structure canonique des équations du mouvement à l’aide d’un intégrateur symplectique. Pour cela, on peut décomposer le hamiltonien en parties dont l’intégration conservera la structure canonique des équations du mouvement. L’énergie totale et le moment cinétique total seront alors conservés. Touma et Wisdom (1994) ont développé un intégrateur symplectique où l’intégration a lieu dans le repère lié au corps solide. Nous allons décrire ainsi comment l’intégration du hamiltonien total peut être réalisée avec méthode de Touma et Wisdom (1994) dans un repère d’inertie. Le repère d’inertie peut par exemple être lié au plan invariant du système solaire, défini comme le plan perpendiculaire au moment cinétique total du système solaire.
Mouvements orbitaux de Cérès et Vesta
Solution orbitale La2011
La solution orbitale La2011 a été calculée de façon similaire à la solution La2010 (Laskar et al., 2011a) en 2011 par Jacques Laskar. L’intégration a été réalisée avec l’intégrateur LaX sur l’intervalle de temps [−250 : 250] Myr. L’origine des temps de la solution correspond à l’époque J2000. L’intégration a eu lieu en précision étendue avec un pas d’intégration de 5×10−3 yr. Le pas d’écriture en sortie est de 500 yr. Dans cette solution, les huit planètes du système solaire et Pluton sont intégrés. Comme pour Laskar et al. (2011a), les cinq corps de la ceinture principale Cérès, Vesta, Pallas, Iris et Bamberga sont considérés comme des planètes et interagissent ainsi gravitationnellement avec les planètes mais aussi entre eux. Laskar et al. (2011a) ont considéré ces cinq corps car Cérès, Vesta et Pallas sont les trois corps les plus massifs de la ceinture principale et car Iris et Bamberga perturbent de façon significative le mouvement orbital de Mars.
L’intégrateur symplectique utilisé pour intégrer le mouvement orbital est obtenu par une composition symétrique selon la méthode de Suzuki (1990) de l’intégrateur SABAC3, qui a été développé par Laskar et Robutel (2001) pour les hamiltoniens perturbés pouvant s’écrire sous la forme H = A + ǫB. Dans le cas du système solaire, le hamiltonien A correspond aux mouvements képlériens des planètes et ǫB aux interactions gravitationnelles entre planètes. Les hamiltoniens A et ǫB étant respectivement d’ordre 1 et 2 en masses planétaires, ǫB correspond à une perturbation du mouvement képlérien.
|
Table des matières
Introduction
I Étude de la rotation à long terme de Cérès et Vesta
1 Introduction
1.1 Cérès et Vesta
1.2 Méthodes pour le calcul à long terme de la rotation
1.3 Plan
2 Intégration de la rotation à long terme
2.1 Hamiltonien total
2.1.1 Équations générales
2.1.2 Intégration symplectique du hamiltonien total
2.2 Hamiltonien obtenu par une moyenne de la rotation propre
2.2.1 Les variables action-angle d’Andoyer
2.2.2 Moyenne sur les angles rapides
2.2.3 Intégration du hamiltonien d’interaction
2.2.4 Intégration du moment cinétique forcé
2.2.5 Effet de marées sur la Terre
2.3 Hamiltonien séculaire
2.3.1 Relation entre le moment cinétique et l’axe de rotation
2.3.2 Moyenne sur le mouvement orbital
2.3.3 Constante de précession
2.3.4 Fréquence de précession et résonances séculaires
2.3.5 Hamiltonien séculaire en variables d’Andoyer
3 Mouvements orbitaux de Cérès et Vesta
3.1 Solution orbitale La2011
3.1.1 Cérès
3.1.2 Vesta
3.2 Modèle séculaire hamiltonien
3.2.1 Construction du modèle séculaire
3.2.2 Ajustement du modèle séculaire
3.2.3 Étude des résonances proches
3.3 Construction d’une solution orbitale séculaire
4 Caractéristiques physiques et de rotation de Cérès et Vesta
4.1 Cérès
4.1.1 Caractéristiques physiques
4.1.2 Moment d’inertie polaire
4.1.3 Angle d’Andoyer J
4.1.4 Constante de précession
4.1.5 Cérès primitif
4.2 Vesta
4.2.1 Caractéristiques physiques
4.2.2 Moment d’inertie polaire
4.2.3 Angle d’Andoyer J
4.2.4 Constante de précession
4.2.5 Vesta primitif
4.3 Conditions initiales de l’axe de rotation
5 Mouvements de rotation de Cérès et Vesta
5.1 Perturbations du mouvement de rotation
5.1.1 Satellites
5.1.2 Dissipation de marées
5.1.3 Rencontres proches
5.2 Calcul de la solution pour la rotation
5.2.1 Comparaison avec la solution La2011
5.2.2 Estimation des effets du chaos orbital
5.2.3 Estimation des effets du chaos du mouvement de rotation
5.2.4 Estimation des autres effets
5.3 Solution Ceres2017 pour la rotation de Cérès et Vesta
5.3.1 Cérès
5.3.2 Vesta
5.3.3 Intégrations pour différents moments d’inertie
5.4 Étude de la stabilité de l’axe de rotation
5.4.1 Solution séculaire pour l’obliquité
5.4.2 Étude des résonances proches
5.4.3 Cartes de stabilité de l’axe de rotation
6 Évolution de l’insolation et contraintes sur la distribution de glace de Cérès
6.1 Calcul de l’insolation
6.1.1 Insolation instantanée à une latitude donnée
6.1.2 Insolation journalière à une latitude donnée
6.1.3 Insolation annuelle à une latitude donnée
6.1.4 Insolation journalière moyenne
6.1.5 Insolation annuelle moyenne
6.2 Calcul de la température
6.2.1 Détermination de la température à la surface
6.2.2 Modèles simplifiés
6.3 Stabilité de la glace sous la surface de Cérès
6.3.1 Conditions de stabilité de la glace à la surface
6.3.2 Conditions de stabilité de la glace sous la surface
6.4 Étude de la stabilité de la glace sous la surface de Cérès
6.5 Comparaison avec les études précédentes
II Intégrateurs symplectiques pour le corps solide libre
7 Introduction
7.1 Intégration du corps solide libre
7.2 Intégrateurs symplectiques
7.3 Intégrateurs symplectiques pour le corps solide libre
7.4 Plan
8 Étude de l’algèbre de Lie du moment cinétique
8.1 Résidus pour les premiers ordres
8.1.1 Ordre 1
8.1.2 Ordre 2
8.1.3 Ordre 3
8.1.4 Ordre 4
8.1.5 Ordre 5
8.2 Bilan
8.3 Résidus à tout ordre
8.3.1 Théorème 1
8.3.2 Démonstration
8.4 Formule de réduction
8.4.1 Théorème 2
8.4.2 Démonstration
9 Obtention d’intégrateurs symplectiques spécifiques au corps solide libre
9.1 Construction d’intégrateurs symétriques d’ordre 4
9.1.1 Décomposition ABC : intégrateurs N
9.1.2 Décomposition RS
9.1.3 Estimation des résidus d’ordre 5
9.2 Ajout d’une étape supplémentaire
9.2.1 Décomposition ABC : intégrateurs P
9.2.2 Décomposition RS : intégrateur R
9.3 Coût des intégrateurs du type RS
9.4 Nombre d’étapes des intégrateurs spécifiques
9.4.1 Nombre de coefficients
9.4.2 Nombre de relations entre les coefficients
9.4.3 Nombre d’équations
9.4.4 Nombre d’étapes
Conclusion
Télécharger le rapport complet