Les réactions de cycloaddition, ou plus communément cycloadditions, sont une classe importante de transformations fréquemment rencontrée en chimie organique. Elles peuvent être définies comme des réactions de cyclisation entre deux molécules – ou parties de molécule – insaturées et aboutissant in fine à une baisse de la multiplicité de liaison. Au même titre que les électrocyclisations, les réactions chélotropiques, les transpositions sigmatropiques, les réactions dyotropiques ou encore les réactions de transfert de groupe (dont font partie les réactions ènes), les cycloadditions concertées font partie des réactions péricycliques. Formellement, une cycloaddition concertée implique la formation de deux nouvelles liaisons de type σ par réarrangement d’un système insaturé selon un état de transition cyclique. Il est d’usage de recourir à une notation afin de distinguer les réactions de cycloaddition entre elles. La notation (n + m) met en exergue le fait que le premier fragment apporte au système n atomes réagissant sur le chaînon à m atomes du second partenaire. Alors que la notation [i + j] – préférée par l’Union Internationale de Chimie Pure et Appliquée – précise que le premier partenaire fait interagir i électrons π avec les j électrons π du second partenaire.
Afin d’éviter toute confusion, il est d’usage de préciser qu’il s’agit ici d’une mise en commun d’électrons de type π, d’où la notation [iπ + jπ]. Par ailleurs, de nombreux exemples de la littérature font part de cycloadditions non concertées – donc non péricycliques. De ce fait, il est plus prudent de qualifier ce type de transformation d’annélations – ou annulations, plus rarement.
Historiquement, la réaction de Diels-Alder est sans aucun doute l’exemple le plus représentatif de ce type de transformation chimique. En 1928, Diels et Alder observèrent que la réaction entre la para-benzoquinone et le cyclopentadiène conduisait à la formation de deux produits.
Récompensés pour leurs travaux sur la « découverte et le développement de la synthèse du diène » par le prix Nobel de Chimie en 1950, Diels et Alder ouvrent la voie aux chimistes à de nouvelles déconnections rétrosynthétiques incluant la possibilité de contrôler plusieurs centres de chiralité lors d’une seule et même étape. De nombreux produits naturels ont d’ailleurs pu être préparés selon une voie de synthèse incluant une transformation de la sorte. Woodward et son équipe synthétisèrent pour la première fois en 1952 la cortisone en démarrant leur synthèse totale par une réaction de Diels-Alder entre la benzoquinone fonctionnalisée L3 et le butadiène (Schéma 3). De même, Myers prépara en 2005 la (-)-tétracycline, molécule aux propriétés antibiotiques, en faisant intervenir une étape de Diels-Alder.
Les réactions de cycloaddition permettent ainsi une création aisée du squelette carboné ou une fonctionnalisation rapide de substrats. C’est pourquoi, développer de nouvelles réactions d’annélation permettant d’accéder in fine à de nouveaux carbocycles ou hétérocycles est un enjeu de taille pour le chimiste organicien.
Au cours de nos travaux, nous nous sommes intéressés au développement de nouvelles réactions de cycloaddition chimio-, régio- et stéréosélectives. En termes d’organisation, ce manuscrit débutera par une partie bibliographique consacrée à la réactivité des dipôles 1,3 carbonés en cycloaddition. Après une description des principaux dipôles 1,3 existants dans la littérature, des réactions d’annélation de dipôles 1,3 seront présentées. Cette partie bibliographique sera suivie par deux chapitres incluant des préambules bibliographiques spécifiques aux projets de recherche ainsi que des résultats de nos travaux.
CYCLOADDITIONS DE DIPÔLES 1,3 CARBONÉS
Les dipôles 1,3 sont des molécules neutres dont au moins une de leurs formes mésomères possèdent deux charges électriques de signes opposés espacées d’un atome. Formellement, il s’agit d’une entité possédant quatre électrons de type π délocalisés sur trois atomes consécutifs. Les azotures, l’ozone ou encore les nitrones sont autant d’exemples de molécules répondant à ces critères électroniques. Les dipôles 1,3 peuvent alors être discriminés selon la géométrie qu’ils adoptent. Les dipôles 1,3 allyliques adoptent préférentiellement une géométrie coudée. Ainsi, les dérivés d’imines (comme les nitrones) ou de carbonyles (comme les ylures de carbonyle) font partie de cette classe de dipôles. Les dérivés des nitriles ou du diazote (à l’image des oxydes de nitrile ou des azotures organiques, respectivement) adoptent une géométrie linéaire étant donné leur hybridation sp. Ils sont qualifiés de dipôles 1,3 propargyliques-allényliques.
La plupart de ces dipôles 1,3 ont été préparés au laboratoire et présentent une stabilité suffisante pour être utilisés en réaction dès lors qu’ils possèdent des groupements électroattracteurs afin de stabiliser par délocalisation électronique leur charge. A contrario les azimines et les nitrosimines n’ont à ce jour pas encore été exploitées, faute de stabilité suffisante pour être utilisées en synthèse. Nombre de ces espèces ont par ailleurs la capacité de réagir en cycloaddition avec des composés insaturés, ce qui en fait de précieux outils de synthèse pour le chimiste organicien.
L’ozonolyse est une réaction importante en synthèse permettant de transformer des alcènes L5 en composés carbonylés L6 et L7 correspondants. L’ozone est un dipôle hautement réactif. Il est généré par décharge corona au sein d’une atmosphère de dioxygène plongée dans un champ électrique élevé, ou bien, généré par exposition du dioxygène à des radiations ultraviolettes courtes. Naturellement instable, il tend à se décomposer en dioxygène (demi-vie τ1/2 = 39 min, 24 °C). Néanmoins, en présence d’un composé insaturé dans le milieu réactionnel, l’ozone a la faculté de pouvoir s’y additionner en opérant une cascade de réactions dont des réactions de cycloaddition (3 + 2). Le mécanisme de cette réaction a notamment été étudié en 1975 par Criegee.
Contrairement à l’ozone, certains dipôles 1,3 sont stables et isolables comme les azotures organiques L8. Ces derniers sont décrits pour réagir sur les composés de type L9 comportant une triple liaison selon une réaction de cycloaddition (3 + 2) appelée cycloaddition 1,3-dipolaire de Huisgen. Cette transformation permet d’accéder aux 1,2,3-triazoles L10 avec d’excellents rendements, des cinétiques rapides et une forte régiosélectivité lorsque qu’une catalyse au cuivre (I) est employée.
La synthèse et la réactivité des dipôles 1,3 constitués d’un enchaînement d’azote, de carbone et d’oxygène sont donc largement décrites dans la littérature. Ces types de dipôles sont pour ces raisons des outils majeurs utiles au chimiste pour créer de nouveaux édifices moléculaires.
La présence d’hétéroatomes dans une molécule génère des liaisons polarisées pouvant être créées selon des méthodes couramment employées en chimie. Au contraire, l’installation d’un fragment hydrocarboné sur un substrat peut parfois s’avérer fastidieuse par absence de déconnections rétrosynthétiques évidentes. Aussi est-il important de concevoir de nouvelles méthodes pour créer des enchaînements hydrocarbonés. La cycloaddition de dipôles 1,3 entièrement carbonés pourrait être une des solutions apportées pour résoudre ce défi.
Ainsi, les chimistes organiciens ont développé des méthodes variées afin d’impliquer des dipôles 1,3 entièrement carbonés dans des réactions de cycloaddition. Cette courte introduction bibliographique se propose de présenter brièvement les stratégies les plus importantes afin d’en illustrer le potentiel synthétique.
Cycloadditions de dipôles 1,3 carbonés métallo-catalysées
Purement conceptuel jusque dans la fin des années 1960, le triméthylèneméthane (TMM) L12 fut préparé et élucidé structuralement par Paul Dowd en 1966. L’élimination photochimique de diazote de la 4-méthylène-Δ1 -pyrazoline L11 est une des voies d’accès disponibles pour le synthétiser à très basse température. Le caractère zwitterionique du TMM L12 peut être illustré par la forme mésomère L13. Le cation allylique présent dans cette dernière forme mésomère peut être stabilisé par un métal de transition, notamment le palladium (0) ou le nickel (0), et être ensuite impliqué dans des réactions de cycloadditions sélectives. Le groupe de Trost s’est particulièrement intéressé à cette chimie et a montré que les acétates allyliques silylés L14 possédaient une réactivité intéressante en présence d’une source de palladium (0). Après addition oxydante, le complexe de π-allyle palladium (II) L15 est formé. L’anion acétate libéré est alors suffisamment nucléophile pour s’additionner sur l’atome de silicium oxophile et former, après départ d’acétate de triméthylsilyle, le complexe de TMM-palladium L16.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PARTIE BIBLIOGRAPHIQUE – CYCLOADDITIONS DE DIPÔLES 1,3 CARBONÉS
1. PRÉAMBULE
2. CYCLOADDITIONS DE DIPÔLES 1,3 CARBONÉS MÉTALLO-CATALYSÉES
3. CYCLOADDITIONS DE DIPÔLES 1,3 CARBONÉS ORGANOCATALYSÉES
4. ORGANISATION DU MANUSCRIT DE THÈSE
CHAPITRE 1 – ANNÉLATION (3 + 3) D’INDOLYLMÉTHANOLS
1. CONTEXTE DE L’ÉTUDE ET OBJECTIFS
1.1. Rappels bibliographiques : réactivité des 2-indolylméthanols
1.1.1. Généralités
1.1.2. Additions de nucléophiles
1.1.3. Cycloadditions de 2-indolylméthanols
1.1.3.1. Cycloadditions avec C3 nucléophile
1.1.3.2. Cycloadditions avec C3 électrophile
1.2. Indoles fusionnés et produits biologiquement actifs
1.3. Objectifs des travaux
2. RÉSULTATS
2.1. Cycloadditions de 2-indolylméthanols avec des nitrones dérivées d’aldéhydes aromatiques
2.1.1. Résultats préliminaires
2.1.2. Optimisation d’une version racémique de la réaction de cycloaddition
2.1.3. Préparation de (Z)-aldonitrones
2.1.4. Étude du champ d’application
2.1.5. Développement d’une version énantiosélective de la transformation
2.1.5.1. Préparation d’acides phosphoriques chiraux et phosphoramides
2.1.5.2. Annélations (3 + 3) énantiosélectives
2.2. Publications des travaux de Shi et réorientation de nos objectifs
2.3. Cycloadditions de 2-indolylméthanols avec des nitrones dérivées d’isatines
2.3.1. État de l’art et objectifs
2.3.2. Résultats préliminaires
2.3.3. Préparation des substrats
2.3.3.1. Synthèse de 2-indolylméthanols
2.3.3.2. Synthèse de cétonitrones d’isatine
2.3.4. Optimisation de la réaction d’annélation (3 + 3)
2.3.5. Champ d’application
2.3.6. Mise au point d’une version énantiosélective de l’annélation (3 + 3) de nitrones dérivées d’isatine
2.3.7. Fonctionnalisation des 1,2-oxazinanes spiranniques
2.4. Cycloadditions d’autres indolylméthanols
2.4.1. Préparation des substrats de départ
2.4.2. Tentatives de cycloaddition d’indolylméthanols
2.4.2.1. Essais d’annélation (3 + 3) avec le phényl-2-indolylméthanol
2.4.2.2. Essais d’annélation (3 + 3) avec le phényl-3-indolylméthanol
3. BILAN ET PERSPECTIVES
CHAPITRE 2 – RÉACTIVITÉ DES CÉTONES Α-TOSYLOXYDÉES EN PRÉSENCE D’YLURES DE SOUFRE : DÉCOUVERTE D’UNE NOUVELLE STRATÉGIE D’OLÉFINATION
1. CONTEXTE DE L’ÉTUDE ET OBJECTIFS PRÉLIMINAIRES
1.1. Étude bibliographique : Formation et réactivité des cations oxyallyliques
1.1.1. Généralités
1.1.2. Cycloadditions (4 + 3)
1.1.3. Cycloadditions (3 + 2)
1.1.4. Cycloadditions (3 + 3)
1.1.5. Additions de nucléophiles
1.1.6. Cycloadditions pallado-catalysées de carbonates d’énols cycliques vinyliques
1.2. Objectifs des travaux
2. RÉSULTATS PRÉLIMINAIRES
3. INTÉRÊT DE LA MÉTHODE D’OLÉFINATION
4. OPTIMISATION DE LA RÉACTION D’OLÉFINATION
5. ÉTUDE DU CHAMP D’APPLICATION DE LA RÉACTION D’OLÉFINATION
5.1. Préparation des produits de départ
5.1.1. Synthèse d’ylures de soufre stabilisés par des groupements électroattracteurs
5.1.2. Préparation de cétones α-tosyloxydées
5.1.2.1. Préparation d’aryléthylcétones α-tosyloxydées
5.1.2.2. Préparation de cétones α-tosyloxydées cycliques
5.2. Formations d’oléfines trisubstituées
5.3. Piste mécanistique de la réaction d’oléfination
5.4. Fonctionnalisation des énones issues de l’oléfination
5.5. Préparation d’oléfines disubstituées
6. BILAN ET PERSPECTIVES
CONCLUSION
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