Cadre théorique et méthodologie de mon travail de recherche
Préalablement à l’analyse des données recueillies lors de ma première et deuxième année de Master, il me semble nécessaire de faire reposer mes réflexions sur un cadre solide. C’est pourquoi je vais prendre appui, à travers mes lectures sur les différentes recherches déjà menées. Ainsi, dans cette première partie, je vais mettre en évidence les principales notions, concepts et auteurs centraux. En outre, il me semble également nécessaire de préciser l’origine de mon intérêt pour l’anecdote en histoire.
Question initiale et intérêt pour la question de recherche en Master 1
L’influence de ma scolarité
Mon rapport à l’anecdote s’est construit pendant ma scolarité et mes études supérieures en histoire. En effet, au collège et au lycée, j’ai eu la chance de suivre des cours avec des professeurs d’histoire-géographie qui m’ont particulièrement inspiré et durablement marqué. D’ailleurs, encore aujourd’hui, je demeure en contact avec cet enseignant qui a largement inspiré ma vocation. La richesse et la complexité de certaines périodes de l’histoire ont parfois provoqué chez moi une certaine réticence. Cependant, d’autres dispositifs pédagogiques, comme l’utilisation de l’anecdote ou de l’humour par mes différents enseignants, ont eu pour effet de me permettre de dépasser mes défiances. Ainsi, saisi par un récit qui pouvait sembler anecdotique, ma classe et moi étions toujours attentifs et curieux, captifs de la parole de notre enseignant. Avec mon nouveau regard d’enseignant je pense pouvoir dire aujourd’hui qu’il s’agissait peut-être d’un moyen de nous remobiliser, tout en ménageant une pause dans son propos. En tout état de cause, dans ma pratique enseignante, je souhaiterais, à l’image des professeurs qui m’ont inspiré, utiliser l’anecdote dans mes cours.
Etude de la micro histoire en étude supérieure : une approche de l’anecdote?
D’autre part, la micro histoire a été très importante dans l’élaboration de ma culture scientifique en licence d’histoire. J’ai en effet, pendant une année entière, dû constituer un dossier complet autour d’un inconnu né dans la commune de Brette-les-Pins dans la Sarthe : Jacques-Louis Vannier (1851-1895). Cet individu était le point d’encrage d’une étude plus largement menée aux archives sur divers phénomènes de la seconde moitié du XIXe siècle : d’abord sociaux avec l’exode rural qui touche la Sarthe et ensuite politiques en analysant en particulier les exemptés de service militaire. Le parcours de cet homme et sa trajectoire de vie m’ont permis de m’intéresser finalement au métier de charron et à la métallurgie de son époque.
Le « mépris » de l’histoire pour l’anecdote ?
Au fil de mes recherches, j’ai rapidement compris à quel point l’anecdote pouvait tirailler l’historien dans ce rapport à la littérature. D’ailleurs des études récentes mettent en lumière cet aspect ambivalent. Ainsi, nous pouvons par exemple citer le travail de Gaël Rideau qui nous propose une réflexion intéressante dans son livre, L’anecdote entre littérature et histoire à l’époque moderne paru en 2015. Il nous présente un ensemble pertinent qui mêle à la fois le côté historique, en figeant l’anecdote dans des pratiques sociales particulières, mais aussi l’aspect littéraire en travaillant directement la construction rhétorique et poétique de cet outil à part entière. Cette étude démontre que l’anecdote est un sujet qui est très travaillé en littérature et que cela reste un genre littéraire à part entière. L’histoire se constitue contre l’anecdote. Pour l’école des annales, elle constitue une « anti histoire ». Durant cette période, on élimine l’anecdote de l’écriture en lui trouvant un aspect plaisant.
Le travail du sociologue Jean-Bruno Renard est resté essentiel dans la compréhension de ce phénomène. Cet objet semble vu par certains avec mépris car il « n’atteint pas la hauteur et le sérieux de l’histoire avec un grand H » . Le dictionnaire de Larousse de 1866 considère que « l’histoire sérieuse est tenue de se défier des anecdotes, parce que ce ne sont bien souvent que des récits faits à plaisir » (Larousse, 1866, t. I, p. 345, col. 1). De manière générale, on remarque finalement que l’anecdotier reste plutôt méprisé. La tendance à «l’anecdotonamie» est trop forte selon l’écrivain Louis-Sébastien Mercier (1740-1814). Au XIXème siècle, l’ouvrage de référence, Le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle dénonce cette opposition entre l’histoire et l’anecdote.
« L’histoire sérieuse est tenue de se défier des anecdotes, parce que ce ne sont bien souvent que des récits faits à plaisir. Rien de plus naturel à l’homme que d’altérer la vérité (…), rien de plus naturel que de se montrer crédule quand il s’agit d’une histoire brève, amusante, et surtout quand le narrateur ou l’écrivain a de l’esprit. (…) Les anecdotes ne sont le plus souvent que des fictions qui dénaturent l’histoire pour faire et défaire des réputations. » .
Le sociologue a aussi travaillé sur les rumeurs et les légendes urbaines dans l’espace social. Ces objets d’études peuvent sembler marginaux en histoire, mais l’auteur met en évidence leur importance globale dans les structures sociales et politiques. Le « Folklore narratif » constitue un attrait éminent dans sa recherche. Cet aspect met en évidence la construction, en générale, de l’image de l’homme politique à travers des anecdotes, des rumeurs ou des légendes urbaines. L’enjeu ici pour le professeur d’histoire-géographie est donc de savoir se positionner dans ce contexte particulier. Dans sa constante remise en question pédagogique, l’enseignant doit construire son rapport à l’anecdote qui reste à la fois intéressante mais problématique à utiliser dans une relation induction/déduction. Justement, ce mémoire est un moyen pour moi d’apprendre à connaître et à maîtriser l’anecdote. Indirectement, je souhaite aussi traiter la question de la motivation des élèves ; ceci relèvera donc autant de la pédagogie que de la didactique.
L’anecdote comme « soutien » à l’histoire ?
La relation que l’anecdote entretient avec l’Histoire se construit le plus souvent dans un « soutien » du fait historique à travers l’exemple ou l’illustration. Cette relation n’est cependant pas exclusive à l’histoire et existe par ailleurs dans d’autres domaines. L’anecdote doit aussi clairement se comprendre dans d’autres champs disciplinaires comme la science ou le théâtre mais c’est surtout dans son aspect littéraire que l’anecdote reste indispensable à prendre en compte. En ce sens, l’article du professeur de philosophie Alain-Casimir Zongo démontre historiquement l’attrait littéraire de l’anecdote à travers le personnage de Procope de Césarée, historien et rhéteur byzantin du VIe siècle av. J.-C.
Effectivement pour reprendre les propos du professeur de philosophie, « l’anecdote, jugée à tort futile, est en effet un récit bref, illustratif, qui peut véhiculer des connaissances et une sagesse didactique. Les historiens de la philosophie et les philosophes s’en servent dans cette perspective. Le professeur de philosophie pourrait aussi, grâce aux anecdotes qu’il convoque dans son cours, le rendre plus agréable et plus accessible aux élèves. Il doit pour ce faire choisir des anecdotes appropriées, les faire intervenir en temps opportun, les conter de manière captivante, suggestive, évocatrice ». L’anecdote constitue finalement un moyen de mieux faire comprendre une idée ou des contenus parfois abstraits plus accessibles.
Comme le démontre Georges Duby dans Le Dimanche de Bouvines, 27 juillet 1214, un fait divers peut être révélateur d’une réalité profonde et structurelle. C’est ainsi que la « petite histoire » fait corps avec la « grande histoire ». L’une et l’autre ne sont finalement guère dissociables dans la mesure où elles se nourrissent mutuellement et constamment. La place de l’anecdote dans le fait historique que l’on veut rapporter s’avère aussi nécessaire à définir si l’on ne veut pas perdre son auditoire. Il est possible de renforcer ce rapport enseignant-élève par des touches d’humour qui constituent une véritable source de motivation pour l’élève. Encore fautil que le professeur investisse correctement cet aspect. En outre, l’anecdote est un schéma historique qui peut être à l’évidence délicat à inclure au cours de base si l’on est débutant.
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Table des matières
Introduction
1. Cadre théorique et méthodologie de mon travail de recherche
A. Question initiale et intérêt pour la question de recherche en master
A.1. L’influence de ma scolarité
A.2. Etude de la micro histoire en étude supérieure : une approche de l’anecdote ?
B. Le mépris de l’histoire pour l’anecdote ?
C. L’anecdote comme « soutien » à l’histoire ?
D. Les recherches sur l’anecdote en classe
D.1. L’anecdote dans le processus motivationnel de la classe
D.2. Les atouts de l’utilisation de l’anecdote en classe
D.3. Une méthode d’analyse de l’anecdote ?
E. Les contextes de récoltes de données
E.1. Première récolte de données
E.2. Deuxième récolte de données
2. L’anecdote : un outil d’agrément difficile à utiliser pour le professeur ?
A. Analyse de la retranscription
A.1. « Rhétorique d’agrémentation »
A.2. Le passage du global au détail
B. Bilan du cours
B.1. Nouveaux questionnements
3. L’anecdote au centre de l’histoire : de l’agrément à l’objet de savoir
A. Enjeux et méthodes
A.1. Construction d’un cours autour de l’anecdote : quelles problématiques ?
B. Analyse des données
B.1 Déconstruction des représentations
B.2. L’introduction de l’anecdote dans la séance
B.3. Diversité des supports et intérêt épistémologique
C. Etude de l’anecdote comme objet de savoir : quelles difficultés ?
Conclusion
Bibliographie
Annexes