Etude de la forme des spectres β

En tant que laboratoire primaire pour la métrologie des rayonnements ionisants, le Laboratoire National Henri Becquerel (LNHB) a pour mission de répondre aux besoins des utilisateurs notamment en matière de données nucléaires. Une forte demande pour une connaissance précise de la forme des spectres β a émergé ces dernières années. Les utilisateurs, issus de l’industrie nucléaire, du secteur médical, de la métrologie des rayonnements ionisants mais également de la physique fondamentale, sont à la recherche de données mesurées ou calculées couplées à des incertitudes bien établies.

Les transitions β sont classées en fonction de règles de sélection qui dépendent des variations de spin et de parité entre les niveaux initiaux et finaux des états nucléaires. Les termes de transitions permises, interdites uniques et interdites non uniques, sont employés. Pour une transition permise, le facteur de forme est égal à 1 en première approximation. Les facteurs de forme des transitions interdites uniques peuvent aussi être calculés car il est possible de découpler les effets dus à la structure nucléaire de ceux dus à la dynamique des leptons émis (e−, ν) en première approximation. Dans le cas des transitions interdites non uniques, la situation est plus complexe car ce découplage n’est plus possible et les facteurs de forme dépendent alors des éléments de matrices nucléaires. L’utilisation de facteurs de forme expérimentaux est alors nécessaire afin de vérifier les prédictions théoriques.

Cependant, les données expérimentales disponibles se résument à une compilation d’environ 130 facteurs de forme expérimentaux, dans une gamme en énergie souvent restreinte. Depuis la fin des années 1970, le sujet a été délaissé et peu de nouveaux spectres ont été mesurés. Le facteur de forme permet de prendre en compte la forme du spectre par rapport au type de la transition. La mesure des spectres β présente des difficultés expérimentales, les spectres étant déformés par le système de détection et les phénomènes physiques tels que la rétrodiffusion des électrons sur la surface du détecteur ou l’auto-absorption au sein de la source. Or, la déconvolution des spectres mesurés par la fonction de réponse du système de détection n’a pas toujours été réalisée avant d’extraire les facteurs de forme trouvés dans la littérature. Certains facteurs de forme publiés sont donc à utiliser avec prudence puisqu’ils peuvent être d’origine purement expérimentale. Par ailleurs, peu de ces mesures ont été réalisées en dessous de 50 keV et elles portent, pour la plupart, sur des transitions de type permises ou premières interdites. De nouvelles mesures sont donc nécessaires pour compléter et confirmer celles publiées. Concernant les prédictions théoriques, des codes de calcul existent mais sont limités aux transitions permises et premières interdites uniques. Pour le calcul des transitions d’ordre supérieur, ils supposent la connaissance des facteurs de forme expérimentaux. Ainsi, ces programmes ne permettent pas d’apporter une réponse là où les données expérimentales sont inaccessibles ou inexistantes. Un programme capable de calculer n’importe quelle transition de n’importe quel radionucléide serait souhaitable pour répondre efficacement aux besoins des utilisateurs. Les calculs seuls ne sont cependant pas suffisants et doivent être validés par l’expérience. De nouvelles études à la fois théoriques et expérimentales sont indispensables.

Les activités du LNHB concernant l’évaluation de la forme des spectres β se développent autour des aspects théoriques et expérimentaux. Le code de calcul BetaShape, d’approche analytique, apporte une première réponse en permettant de calculer spécifiquement les transitions permises et interdites uniques de n’importe quel ordre. Les approximations introduites par l’approche analytique sont corrigées par des facteurs correctifs. Le calcul des transitions interdites non uniques, plus complexe, n’est pour l’instant pas pris en compte spécifiquement. Du point de vue expérimental, le LNHB dispose de calorimètres métalliques magnétiques (MMC). Il s’agit d’une technique particulièrement performante pour mesurer, depuis une énergie seuil de 300 eV, des spectres β de basse énergie. La qualité de ces mesures a permis de comparer un spectre expérimental d’une transition permise avec le résultat d’un calcul théorique avec un degré de précision jamais atteint auparavant. La comparaison entre le spectre calculé avec BetaShape et le spectre mesuré a ainsi mis en évidence d’importants effets atomiques agissant sur la forme du spectre à basse énergie. L’évaluation numérique des fonctions d’ondes électroniques permet désormais de prendre en compte ces effets atomiques (effets d’échange et d’écrantage). Les spectres calculés de cette manière présentent un accord remarquable avec les spectres mesurés. La prochaine étape, en cours de développement, est l’implémentation, dans BetaShape, des effets atomiques pour les transitions interdites uniques. Ces résultats démontrent la nécessité de confronter les prédictions théoriques à des mesures expérimentales de haute précision. Pour être complet, BetaShape devra être en mesure de calculer spécifiquement les transitions interdites non uniques pour lesquelles la forme du spectre dépend de la structure nucléaire du noyau. Le problème est bien plus complexe que dans le cas des transitions permises et interdites uniques puisque le calcul des éléments de matrice nucléaire est nécessaire. Ces calculs devront être systématiquement comparés à des mesures pour les valider et éventuellement les contraindre. Or, les facteurs de forme expérimentaux pour des transitions interdites non uniques d’ordre supérieur à 1 sont anecdotiques dans la littérature (environ une dizaine). Les MMC, malgré leurs performances, sont limités aux spectres de basse énergie et trop compliqués à mettre en œuvre pour produire des mesures de qualité en quantité. La nécessitéde mettre en place une nouvelle technique de mesure complémentaire aux MMC, mais plus souple, s’est imposée.

Les utilisateurs de spectres β

La base de données Nucléide

Le Laboratoire National Henri Becquerel (LNHB) est le laboratoire national de métrologie dans le domaine des rayonnements ionisants. La métrologie est la « science des mesurages et ses applications » [1]. Elle permet d’assurer la cohérence des mesures, aussi bien sur le plan national que sur le plan international. Pour les rayonnements ionisants, le LNHB est le garant des références des unités de l’activité, le becquerel (Bq), et de la dose, le gray (Gy). Le laboratoire est en charge de diverses missions : la mise au point de méthodes de mesures primaires et secondaires, la préparation de sources radioactives, la réalisation de prestations d’étalonnage auprès des utilisateurs des rayonnements ionisants, la mesure et l’évaluation de données nucléaires et atomiques associées aux désintégrations radioactives.

Cette dernière tâche est assurée par la Cellule de Données Fondamentales (CDF) dont le rôle est également de diffuser auprès des utilisateurs les données recommandées. La base de données Nucléide, accessible sous format papier et numérique , permet de maintenir un lien avec les utilisateurs et de connaître leurs besoins en données nucléaires et atomiques.

Depuis quelques années, la CDF a constaté une demande croissante des utilisateurs pour une connaissance précise de la forme des spectres en énergie des émissions β des radionucléides obéissant à ce mode de désintégration, assortie d’incertitudes bien établies. Ces spectres sont nécessaires en métrologie des rayonnements ionisants, dans le secteur médical pour la radiothérapie et la dosimétrie, ainsi que pour les industriels du nucléaire pour les calculs de puissance résiduelle des réacteurs ou la gestion du combustible après irradiation. Enfin, en physique fondamentale, des expériences ayant pour but de tester les limites du modèle standard nécessitent des données, comme la forme des spectres β, mesurées ou calculées avec une bonne précision.

Métrologie des rayonnements ionisants

En tant que laboratoire national pour la métrologie des rayonnements ionisants, le LNHB fournit aux utilisateurs (industriels, hôpitaux, etc.) des étalons d’activité avec la meilleur incertitude possible. Certaines techniques de mesure de l’activité ont besoin de connaître la forme des spectres β : compteurs proportionnels à gaz, chambres d’ionisation, scintillation liquide.

Par exemple, pour modéliser l’émission de la lumière à utiliser dans la méthode RCTD (Rapport des Coïncidences Triples à Doubles) en scintillation liquide, qui établit une relation entre le rendement de détection et le ratio RCTD expérimental, il est nécessaire de connaître la forme du spectre β de chaque radionucléide mesuré. Dans le cadre de cette méthode, une meilleure connaissance de la forme des spectres β, et des incertitudes sur la forme, permettraient de réduire les incertitudes dans les mesures de l’activité. La récente étude conduite par le LNHB sur l’influence de l’effet d’échange sur le spectre du 63Ni a démontré que la prise en compte de cet effet induit un biais systématique de 0.5 % dans la mesure de l’activité spécifique en 63Ni par la méthode RCTD ([11] [12]). Ce biais est égal à l’incertitude de 0.5% obtenue pour cette méthode. De même une étude conduite dans le cadre d’une intercomparaison internationale de la valeur de l’activité d’une solution de 241Pu a mis en évidence l’influence de la connaissance du spectre d’émission β [13] : suivant les facteurs de forme utilisés, le résultat final varie de plusieurs pour cents.

Radiothérapie et dosimétrie

Une forte demande vient également du domaine médical, où les radionucléides émetteurs β sont utilisés en radiothérapie interne vectorisée. La « première génération » de radionucléides thérapeutiques, le 32P, le 89Sr et le 131I sont employés en médecine depuis la fin des années 1930. La recherche de nouveaux radiopharmaceutiques est un domaine très actif et de nombreux nouveaux émetteurs β pourraient être utilisés à l’avenir pour traiter des patients.

La radiothérapie vectorisée se développe comme modalité de traitement du cancer avec l’apparition de nouveaux produits radiopharmaceutiques [14]. En pratique, le médicament radiopharmaceutique, comme un peptide ou un anticorps, marqué par un radionucléide est administré au patient. La molécule vectrice va se diriger sélectivement vers les cellules tumorales, s’y fixer, et les bombarber en émettant des rayonnements ionisants. La pénétration des émetteurs β dans les tissus est de l’ordre de quelques millimètres à quelques centimètres, ce qui convient parfaitement pour irradier des tumeurs peu ou moyennement volumineuses. Les développements dans ce domaine concernent d’une part la molécule vectrice qui porte le radionucléide et sa capacité à cibler les tissus à traiter, d’autre part le choix du radionucléide et ses caractéristiques de désintégration. Outre les aspects énergétiques, les émetteurs β doivent également avoir des périodes favorables qui varient de quelques heures à quelques jours. Comme dans tout traitement utilisant les rayonnements ionisants, la connaissance de la dose délivrée au sein de la tumeur et dans le reste du corps est essentielle pour assurer l’efficacité et la sécurité du traitement. Un premier problème est de connaître la répartition du produit dans le corps, en particulier dans la zone tumorale, et son évolution dans le temps. Le second problème concerne le calcul de la dose délivrée dans les volumes d’intérêt selon la quantité de radionucléides qui y est présente. Les particules β, émises par le radiopharmaceutique, ont un fort pouvoir ionisant et sont à l’origine de la majeure partie de la dose absorbée dans les cellules du patient. Les éléments cellulaires sensibles à la dose absorbée (ADN, ARN, protéines) sont des polymères dont les structures spatiales sont typiquement inférieures à 130 nm. Or, le transfert d’énergie linéique, quantité décrivant l’énergie transférée au milieu traversé par une particule ionisante, augmente fortement à basse énergie pour les électrons. Une meilleure connaissance de la forme des spectres β à basse énergie permettrait donc d’améliorer l’estimation de la dose absorbée dans les cellules du patient pour, à terme, les réduire [15].

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Table des matières

INTRODUCTION
1 Motivations et généralités
1.1 Les utilisateurs de spectres β
1.1.1 La base de données Nucléide
1.1.2 Métrologie des rayonnements ionisants
1.1.3 Radiothérapie et dosimétrie
1.1.4 Puissance résiduelle d’un réacteur, déchets nucléaires et prolifération
1.1.5 Physique fondamentale
1.2 Mesure des spectres β
1.2.1 Phénomènes nucléaires : la radioactivité β et γ .
1.2.2 Phénomènes atomiques : les rayons X et les électrons Auger
1.2.3 Interactions rayonnement matière
1.2.4 Détecteurs β
1.2.5 Propriétés d’un semi-conducteur au silicium
1.2.6 Spectromètres β utilisant des semi-conducteurs silicium
Bibliographie
2 La désintégration β et le calcul des spectres en énergie
2.1 Forme des spectres β
2.2 Théorie de Fermi
2.2.1 Un spectre continu
2.2.2 Interaction de Fermi
2.2.3 Spectre statistique
2.2.4 Règles de sélection des transitions permises
2.3 Violation de la parité et théorie V-A
2.4 Transitions interdites
2.5 Facteurs de formes théoriques des spectres β
2.6 Dynamique de l’électron
2.6.1 L’équation de Dirac
2.6.2 Fonctions d’onde d’un électron plongé dans un potentiel coulombien
2.6.3 Effet d’échange
2.7 Codes de calcul
Bibliographie
3 Dispositif expérimental
3.1 Géométrie du dispositif
3.2 Contraintes expérimentales
3.2.1 Montage sous vide
3.2.2 Refroidissement du détecteur
3.3 Détection
3.3.1 Détecteur PIPS
3.3.2 Détecteur Si(Li)
3.4 Électronique de détection
3.4.1 Câbles
3.4.2 Haute tension
3.4.3 Préamplificateur
3.4.4 Pulser
3.4.5 Mise en forme du signal
3.4.6 Codeur
3.4.7 Logiciel de spectrométrie
3.5 Sources radioactives
3.5.1 Sources Vyns
3.5.2 Sources Langmuir-Blodgett
3.6 Optimisation du dispositif expérimental à l’aide de simulations Monte Carlo
3.6.1 Geant4
3.6.2 Développement des outils sous Geant4
3.6.3 Énergie déposée en fonction de la qualité du vide
3.6.4 Influence de l’épaisseur du détecteur
3.6.5 Étude de la chambre de détection
3.6.6 Étude du porte-source
Bibliographie
4 Comparaison des simulations aux mesures
4.1 Simulations Monte Carlo avec Geant4
4.2 Caractérisation du détecteur PIPS
4.2.1 Étalonnage du détecteur PIPS avec une source de 133Ba
4.3 Caractérisation des sources
4.4 Validation des simulations
4.4.1 Mouvement propre
4.4.2 Analyse du 14C
4.4.3 Analyse du 151Sm
4.4.4 Analyse du 99Tc
4.4.5 Analyse du 60Co
Bibliographie
CONCLUSION

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