La généralisation de l’usage des produits pharmaceutiques en particulier les antibiotiques, après la seconde guerre mondiale, a été l’un des progrès thérapeutiques les plus importants du XXe siècle. Leur usage est massif : par exemple en 2010, la France se classe deuxième en Europe pour sa consommation d’antibiotiques (PIREN-Seine, PhaseV-rapport de synthèse 2007-2010), avec 1014 tonnes d’antibiotiques à usage vétérinaire et environ 500 tonnes à usage humain. Faiblement métabolisés dans les organismes, ces composés ne sont ensuite que partiellement éliminés dans les stations d’épuration. En conséquence, certains sont rejetés dans l’environnement où ils sont susceptibles de s’accumuler. De plus, les produits résiduaires organiques (boues de stations d’épuration, lisiers, fumiers, etc), qui contiennent souvent des antibiotiques, sont couramment recyclés en agriculture pour leurs valeurs amendante et fertilisante. Des résidus d’antibiotiques ont donc été détectés dans les différents compartiments de l’environnement (Tamtam et al., 2011a; Tamtam et al., 2009). Même à de faibles teneurs, l’exposition à long terme des microorganismes à ces composés aboutit à une augmentation de la résistance microbienne constituant un risque potentiel majeur pour la santé humaine (Hirsch et al., 1999; Lorphensri et al., 2006; Mascolo et al., 2010; Tamtam et al., 2009; Tamtam et al., 2011a). Considérés comme des polluants « émergents », leur devenir dans l’environnement fait depuis quelques années l’objet d’une attention particulière. Cependant, leur transport comme leur dégradation reste moins bien connu que celui d’autres contaminants organiques plus classiquement étudiés (pesticides, hydrocarbures aromatiques polycycliques, etc). Afin de contrôler la dispersion de ces polluants et de limiter les risques de contamination des milieux naturels, il est indispensable de développer des techniques de remédiation innovantes et efficaces en terme de coût et de respect de l’environnement. Dans les sols, des minéraux de type oxydes de fer sont susceptibles de jouer un rôle déterminant sur le devenir des contaminants organiques au travers de réactions d’oxydoréduction et d’adsorption. Ces interactions oxydes-métalliques – contaminants organiques sont encore peu documentées au regard des nombreuses études concernant le devenir des contaminants métalliques (Pb, Zn, As, Cr, Hg, Cd…) et font l’objet d’une recherche active au plan international (Morin et al., 2009; Shen et al., 2009; Borch et al., 2010).
Récemment, plusieurs études ont démontré que les (oxyhydr)oxydes de fer couramment rencontrés dans les milieux naturels, tels que la magnétite (Fe3O4), la goethite (α-FeOOH), les rouilles verte et la ferrihydrite (5FeOOH•2H2O), peuvent catalyser une oxydation comparable à celle de Fenton et induire une dégradation efficace de contaminants organiques à pH quasineutre. Ces réactions de type Fenton sont généralement dénommées « Fenton-like Hétérogène » (Pereira et al., 2012; Sabri et al., 2012 ). Leur efficacité dans la dégradation des contaminants organiques est corrélée avec la concentration de Fe(II) en solution ou dans la structure du minéral. La réaction est principalement due à la génération de diverses espèces réactives de l’oxygène et permet d’éviter quelques inconvénients de la réaction de Fenton classique tels que la formation de boues d’hydroxydes ferriques et l’acidification des milieux réactionnels. Cependant, la plupart des études se sont focalisées sur l’utilisation d’oxydants forts (Matta et al., 2008; Xue et al., 2009b; Usman et al., 2012b) et peu ont pris en compte le rôle de l’oxygène dans le processus de dégradation (Fang et al., 2013; Ona-Nguema et al., 2010).
Au moment où cette étude a été initiée, le Fenton hétérogène catalysé par la magnétite en présence d’oxygène pour la dégradation des contaminants organiques n’était pas connu. Le mécanisme réactionnel, le rôle de pH et l’oxygène ainsi que les produits de transformation de la magnétite étaient ignorés. Un des premiers objectifs de ce travail a été de mettre en évidence l’efficacité de la magnétite, un oxyde de fer mixte Fe(II,III), à transformer un contaminant organique en présence d’oxygène de l’air sans ajout d’oxydants forts. Une grande partie de cette étude a ainsi été consacrée à cet aspect, mais aussi à la compréhension du mécanisme réactionnel et à la caractérisation des phases solides obtenus ainsi que des sous-produits de dégradation du contaminant organique. Le polluant modèle choisi était l’acide nalidixique, un antibiotique de la famille des quinolones connu pour être non biodégradable et susceptible de s’accumuler dans les milieux naturel. Son adsorption, sa dégradation et les sous produits formés ont été étudiés. Cette étude ouvre donc des perspectives nouvelles et innovantes de remédiation in situ.
Les Quinolones
Présentation des quinolones
Généralités : historique, synthèse et utilisation
Les antibiotiques appartenant à la famille des quinolones, ont fait l’objet d’un usage intensif dans la médecine humaine et vétérinaire, dès les années 1960. L’acide nalidixique (NAL) est la première quinolone à avoir été synthétisée, en 1962 par Georges Lesher. Elle dérive de la 7-chloroquinoline, un produit secondaire de la synthèse de la chloroquine (Appelbaum and Hunter, 2000). De nos jours, il existe plus de 30 dérivés de l’acide nalidixique appartenant à 4 générations différentes suivant leur activité antimicrobienne (Oliphant and Green, 2002; Xiao et al., 2008) (Figure I.1). On peut classer aussi les quinolones en fluorées et non fluorées, la première quinolone fluorée étant la norfloxacine synthétisée en 1979 (Appelbaum and Hunter, 2000).
Leur activité antibactérienne se base sur l’inhibition de deux enzymes responsables de la réplication de l’ADN bactérien, l’ADN gyrase et la topoisomérase IV (Hooper, 1998). Elles sont généralement utilisées pour lutter contre les maladies respiratoires, les infections urinaires et génitales (Oliphant and Green, 2002) et sont habituellement éliminées par voie rénale et/ou hépatique.
Propriétés des quinolones
Toutes les (fluoro)quinolones (FQs) possèdent : i) deux cycles aromatiques, un premier cycle pyridine et un deuxième hétérocyclique (pyridine ou pyrimidine) ou un benzènique ; ii) une fonction cétone en position 4 et iii) une fonction carboxylique en position 3 .
Les FQs possèdent généralement au minimum 2 pKa (pKa1 = 5,46 – 6,31 ; pKa2 = 7,39 – 9,30) correspondant soit à l’ionisation du groupe carboxylique ou du cycle pipérazine (Ross and Riley, 1990). En fonction du pH, elles peuvent être sous formes neutre, zwitterionnique, chargé positivement ou négativement.
L’acide nalidixique (acide1-éthyl-1,4-dihydro-7-méthyl-4-oxo-1,8-naphtyridine-3- carboxylique) est un acide organique faible de formule brute C12H12N2O3. Sa structure est constituée d’un noyau 1,8-naphtyridine avec un azote en position 8, substitué par un groupe éthyle en R1 et un méthyle en R2 (Figure I.3). Il a été commercialisé en France sous la marque Negram et Negram forte pour traiter les infections urinaires, les deux étant retirées de la vente en 2003 et 2005 respectivement quand d’autres traitements efficaces et moins toxiques ont été disponibles. NAL est classé dans la liste OEHHA Prop 65 comme un polluant organique cancérigène.
La littérature ne mentionne en général qu’un pKa pour NAL correspondant à l’ionisation du groupe carboxylique en position 3. La valeur du pKa diffère légèrement selon la méthode de mesure ; pKa = 5,95 (Ross and Riley, 1990) ou 6,02 (Starosci.R and Sulkowsk.J, 1971) pour des mesures effectuées par spectrophotométrie et 6,12 déterminé par la méthode de solubilité (Starosci.R and Sulkowsk.J, 1971). Au-dessus de son pKa, NAL est chargé négativement, alors qu’en dessous il est sous forme neutre. Cependant, l’étude de son spectre d’absorption en milieu acide a permis de mettre en évidence un autre pKa, de l’ordre de -1, par protonation de la cétone (Pavez et al., 2006). Sa solubilité dans l’eau dépend largement du pH de la solution, elle augmente de 33 mg.L-1 à 27 600 mg.L 1 pour des valeurs de pH allant de 5 à 9 (Hari et al., 2005). Cette évolution se reflète aussi dans l’évolution de l’hydrophobie, qui augmente quand le pH diminue (log Kow respectivement de 1.54, 0.47 et -1.16 à pH 5, 7 et 9) (Hari et al., 2005).
Présence des quinolones dans l’environnement
L’utilisation fréquente de ces antibiotiques dans la médicine humaine et vétérinaire a abouti à des valeurs significatives de leur teneur dans l’environnement. Les (fluoro)quinolones sont parmi les 5 familles d’antibiotiques (ß-lactam, macrolides, fluoroquinolones , sulfonamides, et tétracyclines) les plus détectées dans l’environnement avec des concentrations relativement élevées (Jia et al., 2012 et références incluses). Dans le cas de la consommation humaine, ces molécules ainsi que leurs métabolites, se retrouvent dans les eaux usées via les excréments. Les eaux usées sont soit déversées directement dans le milieu naturel, soit dirigées vers les stations d’épuration où elles sont traitées avant d’être rejetées. Mais les (fluoro)quinolones ne sont souvent pas complètement éliminées au cours des traitements. Elles aboutissent donc dans les milieux aquatiques, ou sont épandues sur les sols cultivés lors de la valorisation des boues des stations d’épurations. Dans le cas de la consommation vétérinaire, les résidus de médicament se retrouvent généralement dans les déchets d’élevage (lisier, fumier, etc.) qui comme les boues des stations d’épuration sont appliqués sur les sols agricoles. La production des médicaments implique également une pollution, à proximité des usines. Les médicaments qui ne sont pas consommés et jetés dans les éviers ou les déchets ménagers constituent aussi une voie de pollution significative. Dans ces deux derniers cas, les composés se retrouvent souvent sous leurs formes natives, n’ayant pas subi des transformations métaboliques. Des études récentes ont rapporté la présence des résidus de (fluoro)quinolones dans les sols traités par les boues des stations d’épuration (22 µg/kg) (Tamtam et al., 2011b), les denrées alimentaires (0.18-0.80 ng/g) (Chang et al., 2010; Toussaint et al., 2005; van Vyncht et al., 2002), les eaux issues des stations d’épuration (12-1208 ng/L) (Dorival-Garcia et al., 2013; Mascolo et al., 2010; Xiao et al., 2008), les eaux de surfaces (1.3-535 ng/L) (Tamtam et al., 2008; Xiao et al., 2008) et les effluents hospitaliers (Hartmann et al., 1999). En raison des problèmes de résistance microbienne, la consommation des antibiotiques est surveillée en Europe et en France. Un récent rapport conjoint de l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) et l’ECDC (Centre européen de prévention et de contrôle des maladies) sur la résistance aux antimicrobiens chez les bactéries zoonotiques affectant les humains, les animaux et les aliments (EFSA & ECDC 2011) montre des niveaux élevés de résistance microbienne aux quinolones chez plusieurs bactéries pathogènes. Ce qui a pour conséquence la difficulté à traiter et guérir différentes maladies. En outre, d’après le projet ESAC (European Surveillance of Antimicrobial Consumption) qui collecte les données de consommation des antibiotiques en Europe, la famille des quinolones arrive en troisième position des familles des antibiotiques les plus consommées en médecine hospitalière derrière les pénicilines et les céphalosporines. En plus de l’augmentation de la résistance microbienne, certaines quinolones peuvent altérer l’activité de différents groupes de bactéries responsables de la biodégradation dans les sédiments et les eaux (Kümmerer et al., 2000). La ciprofloxacine, un antibiotique de la famille des fluoroquinolones, s’est avérée responsable de la génotoxicité des eaux usées d’hôpitaux (Hartmann et al., 1998). Des effets de photo-toxicité des quinolones ont été décrits, en relation avec la formation d’espèces réactives de l’oxygène sous irradiation (Umezawa et al., 1997; Wada et al., 1994; Wagai and Tawara, 1992a, 1992b). Il n’existe pas de réglementations spécifiques concernant les produits pharmaceutiques quant à leurs présences dans le milieu naturel. Cependant, il existe des valeurs seuils des résidus détectés dans les denrées alimentaires (UE n° 37/2010). Parmi eux, deux fluoroquinolones sont particulièrement mentionnées : l’enrofloxacine et la ciprofloxacine.
Technologies de traitement des milieux contaminés par les quinolones
Comme tout polluant organique, le devenir des quinolones est lié en particulier à leurs propriétés physico-chimiques telles que leur pKa, leur solubilité dans l’eau, leur photosensibilité et leur biodégradabilité. Dans le milieu naturel, deux phénomènes principaux régissent le devenir de ces polluants : l’adsorption sur les particules, sols ou sédiments, et la dégradation chimique ou biologique, résultant de processus naturels ou de techniques de remédiation. Ils sont résistants à l’hydrolyse et aux températures élevées.
Biodégradation
La biodégradation repose sur l’intervention de micro-organismes pour atténuer la contamination. Ainsi, de nombreux micro-organismes sont capables de dégrader ou minéraliser les polluants organiques. Les quinolones sont des polluants très récalcitrants à la biodégradation (Mascolo et al., 2010). De plus, leur minéralisation reste toujours incomplète. Par exemple, Mascolo et al. (2010) montrent que seulement 20% de la quantité initiale d’acide nalidixique est éliminée après 28 jours par un traitement biologique aérobie dans les stations d’épuration d’où la nécessité de couplage avec des traitements chimiques. Différentes études ont été menées sur la biodégradation des dérivés de quinolones. Les taux de dégradation les plus élevés obtenus étaient de l’ordre de 50% (Dorival-Garcia et al., 2013; Marengo et al., 1997; Wetzstein et al., 1999).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I- ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE
I.1. Les Quinolones
I.1.1. Présentation des quinolones
I.1.2. Technologies de traitement des milieux contaminés par les quinolones
I.2. Les oxydes de Fer
I.2.1. Généralités
I.2.2. La magnétite
CHAPITRE II- REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
II.1. Introduction
II.2. Fundamentals on the heterogeneous Fenton process
II.3. Fundamentals on the O2 mediated classic/Heterogeneous Fenton-like reactions
II.3.1. Homogeneous Fenton reactions
II.3.2. Heterogeneous Fenton reactions
II.4. Conclusion
CHAPITRE III- PROTOCOLES DE SYNTHESE ET METHODES ANALYTIQUES
III.1. Produits chimiques et préparation des solutions
III.2. Synthèse de la magnétite et la maghémite
III.3. Techniques analytiques
III.3.1. Phase solide
III.3.2. Analyse de l’acide nalidixique et de ses sous-produits d’oxydation
III.4. Dosage du fer
III.4.1. Dosage colorimétrique du fer ferreux
III.4.2. Spectrométrie d’émission optique avec plasma induit
III.5. Analyses par Infra-Rouge
CHAPITRE IV- ETUDE DE LA DEGRADATION DE L’ACIDE NALIDIXIQUE PAR LA NANOMAGNETITE
IV.1. Développements pour la mise en place du protocole expérimental
IV.1.1. Etape d’adsorption
IV.1.2. Etape de dégradation
IV.1.3. Etape de désorption
IV.2. Dégradation oxydative de l’acide nalidixique par la nano-magnétite
IV.2.1. Introduction
IV.2.2. Materials and methods
IV.2.3. Results and Discussion
IV.3. Résultats complémentaires
IV.3.1. Suivi de la dégradation
IV.3.2. Effet de la quantité de magnétite
IV.3.3. Suivi des sous-produits issus de l’acide nalidixique en conditions Mt/O2
IV.3.4. Dégradation de l’acide nalidixique par réaction de Fenton classique
CONCLUSION GENERALE