LES LANGUES LOCALES
Le Sénégal comme beaucoup de pays d’Afrique noire est connu pour son identité culturelle et pour sa diversité ethnique. Cette dernière entraine une multiplicité de langues née des situations sociales particulières. Le Sénégal compte environ une population de 14 000 000 d’habitants. Cette population est composée de plusieurs ethnies et chaque ethnie possède une langue qui lui sert de vecteur de communication. Les sénégalais sont divisés en une vingtaine de groupes ethniques qui, selon Mamadou Cissé In Langues, Etat et société au Sénégal (2005 : 99-133), sont répartis comme suit :
-wolofs 43,7%
-sérères14,8%
-peuls12%
-toucouleurs11, 2%
-diolas 5,5%
-mandingues 4,6%
-sarakholés 1,1%
-bambaras 1%
A côté de ces ethnies principales il y a des minorités étrangères composées des :
-maures 1,2%
-cangins1%
-mandiacks 0,8%
-bediks 0,04%
-bainoucks0.03%
-balantes 0,7%
-mancagnes 0,17%
-bassaris 0,1%
« L’atlas du Sénégal présente quinze groupes ethniques tandis que le recensement de 1988 du ministère de l’économie et des finances et du plan en présente dix-neuf ». Cependant, il faut noter qu’à côté de ces groupes il y a d’autres groupes étrangers essentiellement composés d’européens, de libano-syriens, de nord africains, de cap verdiens, de créoles et de portugais. Cette répartition ethnique se confond avec une nomenclature de langues si l’on se base sur le fait que les noms des ethnies renvoie en quelque sorte aux noms des langues, en d’autres termes la division linguistique dépend de la répartition ethnique et c’est pourquoi chaque langue renvoie au nom de la communauté à laquelle elle appartient. Chaque langue autochtone est parlée dans des zones spécifiques et est composée de plusieurs dialectes :
-le sérère se divise en deux groupes à savoir le groupe cangin et le groupe sine. Le groupe cangin se divise à son tour en none et safene et il est présent dans la région de Thiès alors que le sine est présent à Fatick. Il n’ya pas d’intercompréhension entre ces dialectes.
-le pulaar inclut en plus des toucouleurs et peuls les laobés. Cette langue est principalement présente dans le nord et l’est du pays (Kolda, Matam, Tambacounda). Le pulaar est aussi présent en Guinée.
-le mandingue appartient au groupe mandé et est composé des parlers suivants : malinké, mandinka, bambara et soninké.
-en ce qui concerne l’ethnie wolof, elle se chiffre à 2.300.000 personnes soit 40% de la population sénégalaise. Elle est parlée au walo, au cayor, au djolof, au baol et au saloum.
Cette langue est en même temps présente au sud de la Mauritanie et dans quelques régions du Mali, de la Guinée, de la Côte d’Ivoire, du Gabon et en Gambie d’ailleurs le wolof est de plus en plus utilisé dans les relations sénégambiennes. Ce choix linguistique est en même temps politique puisqu’il contribue à consolider l’unité entre ces deux pays. Force est de constater que toutes les langues autochtones n’ont pas le même statut sociopolitique : les décrets de 1971 et 1985 reconnaissent six langues locales comme des langues nationales (principales) dans un but d’alphabétisation à grande échelle, l’idée étant de faciliter l’accès à l’éducation en développant un enseignement dans les langues les plus répandues. Ces décrets les dotaient également d’un alphabet officiel complété par d’autres règlements d’orthographe et de découpage de chacune de ces langues promues. Ces six langues promues sont le wolof, le sérère, le pulaar, le Diola, le mandingue et le soninké. Cependant il faut noter que de ces six langues principales le wolof est le plus répandu (80% de la population le parle). L’expansion de cette langue se remarque sur tout le territoire du pays ; en effet aucune des langues locales n’a un dynamisme égal à celui du wolof. C’est une langue qui ne cesse de s’élargir culturellement. Cité par yakhara Gueye, Malherbe dira à ce propos : « le wolof est une des langues africaines dont l’expansion culturelle est indéniable : elle est et devient chaque jour davantage la langue de la communication entre sénégalais d’ethnies » (2008 : 22). Au Sénégal, beaucoup de personnes ne comprennent pas leurs langues maternelles, le wolof devient de ce fait le pôle d’attraction des autres ethnies. On assiste ainsi à un phénomène de « wolofolisation » qui est un phénomène caractéristique de la situation linguistique du Sénégal. C’est sans doute ce qui a poussé certains chercheurs à se poser la question : « n’assistons-nous pas à la constitution d’une langue nationale ? » Une question pertinente à nos yeux car nous remarquons aussi que le wolof supplante irréversiblement les autres langues principales. En même temps qu’il supplante ces langues, il entre en concurrence avec le français.
LE FRANÇAIS, LANGUE ETRANGERE
Durant le siècle des invasions, César consul de l’Italie quitta son pays avec ses troupes pour arriver en Gaule (ancienne appellation de la France). Pour pouvoir bien mener leur conquête, ils obligèrent les gaulois d’utiliser leur langue à savoir le latin. Ne maitrisant pas cette langue qui leur était tout à fait étrangère, les habitants de la Gaule l’utilisaient certes mais en la mélangeant avec leur propre langue (le gaulois). Ce mélange de langues donna naissance à une langue intermédiaire connue sous le nom de lingua romana rustica qui était juste une fusion de latin et de gaulois. Cette lingua romana rustica subit des influences venant de German et de la Scandinavie. Suite à ces influences et à quelques évolutions, la lingua romana rustica a donné naissance à une autre langue (le français). Aujourd’hui, le français en plus d’être présent en France est aussi présent dans d’autres pays de l’Europe mais aussi de l’Amérique du nord, c’est une langue qu’une cinquantaine de pays ont en partage sur les cinq continents. Avec la colonisation, la France a fait subir au continent africain ce que l’Italie lui avait fait subir. Arrivés sur le continent africain, les français ne comprenant pas les langues autochtones, avaient mis en place une politique linguistique afin de faciliter la communication. Cela consistait à faire apprendre aux africains leur langue en construisant des écoles françaises dans le continent. Le Sénégal qui fût la première colonisation française d’Afrique de l’ouest en 1659, date de la création de la ville de Saint-Louis est l’un des premiers pays qui s’est vu imposer la langue française. Jean Dare a eu l’idée d’instaurer au Sénégal la première école française. Les populations étaient envoyées à l’école dans le but d’être scolarisées. Le français apparaissait ainsi sous la forme d’une langue étrangère qui se définit comme étant une langue dont l’acquisition se fait le plus souvent dans le cadre d’un apprentissage scolaire, qui est parlée sur une aire géographique et par une autre communauté, différentes de celles auxquelles appartient l’apprenant. Mais en 1960 le Sénégal n’était plus sous la dépendance du colonisateur, il obtint son indépendance par contre il ne se défit pas de la langue du colonisateur. En effet, par le biais de l’école le français a connu une expansion extraordinaire, il est devenu un vecteur de l’éducation. Dans le souci de préserver l’unité de l’Etat et l’intégrité du territoire arbitrairement découpé par la colonisation, le français est reconnu comme la langue officielle du Sénégal en vertu de l’article premier de la constitution du pays (vingt et huit pays africains l’ont retenu comme langue officielle). Avec ce nouveau statut le français entre maintenant en concurrence avec les langues sénégalaises qui jusqu’ici semblaient suffire aux besoins de communication des sénégalais, ceux-ci l’utilisent maintenant de manière fréquente. Il apparait ainsi sous une autre forme : celle d’une langue seconde qui est une langue qui, pour des besoins de la communication au sein d’une communauté donnée est utilisée en plus de la langue maternelle donc pouvant entrer en concurrence avec elle. L’utilisation du français, langue seconde et étrangère, est réservée à des domaines spécifiques ; elle se fait surtout dans le secteur formel. Le français devient la langue de l’administration, de l’instruction, de la politique et surtout la langue de l’Etat, d’ailleurs tout candidat à la présidence est appelé à savoir lire, écrire et parler français. En dehors de ces domaines, la langue de Molière est la langue des hommes littéraires africains, certains d’entre eux lui trouvent des qualités exceptionnelles et la considèrent comme une langue de salut. C’est ceux-là que jacques Chevrier surnomme les inconditionnels c’est-à-dire ceux qui adhèrent sans réserve à la langue française et parmi ces inconditionnels nous avons Léopold Sédar Senghor. L’ampleur de la langue française ne s’arrête pas à cela : cette langue devient un moyen de promotion sociale. Appris à l’école, le français est devenu la langue des intellectuels car permettant de dire le monde de façon intelligible et étant ainsi la seule clé qui ouvre la porte de la réussite sociale. L’expansion si considérable de cette langue et son contact avec les langues autochtones ne sont pas sans conséquences sur la situation linguistique du pays, les sénégalais en sont arrivés à faire usage de plusieurs langues et cela sera à l’origine de deux situations linguistiques : bilinguisme et diglossie.
Les interférences phonologiques
Les interférences phonologiques sont les plus remarquées et elles sont dues aux écarts qui existent entre le système phonologique du wolof et le système phonologique du français. Cette différence de système fait que les wolophones ont du mal à réaliser correctement quelques phonèmes du français. Certains phonèmes français n’existent pas en wolof et le wolophone a l’habitude de remplacer ces phonèmes qui lui sont inconnus avec les phonèmes de son système qui s’en rapprochent le plus. Le wolof aussi détient des phonèmes totalement inconnus du français et ces phonèmes sont souvent soumis au phénomène de francisation et cela se fait au niveau de la graphie. En effet pour écrire ces phonèmes les wolophones se confèrent au système français. Prenons d’abord le cas des consonnes par faute de différence de systèmes plusieurs interférences se réalisent mais nous allons en prendre quelques exemples :
-l’absence de la consonne française[v]dans le système phonologique du wolof fait que le wolophone le réalise [w] pratiquement dans toutes les positions(initiale, interne et finale) :
EXEMPLE : vélo devient welo
-pour ce qui est des groupes consonantiques qu’on rencontre dans le système français et qui sont inconnus dans le système du wolof, le locuteur wolof a l’habitude d’insérer entre les deux consonnes une voyelle et le plus souvent cette voyelle est la même que celle qui vient après le groupe consonantique dans le mot français.
EXEMPLES : Grève devient gereew Grave devient garaaw
-le système français influe également celui du wolof, les consonnes[c j q x] inconnues du français sont souvent graphiées suivant le modèle français.
EXEMPLES : [x] devient [k] Xorom devient korom [j] devient [dj] Jambar devient djambar
Les interférences phonologiques ne concernent pas seulement les consonnes, les voyelles aussi sont concernées :
-le wolof ne possède dans son système vocalique aucune voyelle antérieure arrondie, sur ce le locuteur wolof procède le plus souvent à un transfert :
[œ]devient [ó]
[y] devient [i]
EXEMPLES : docteur devient doctor Minute devient minit
-les voyelles nasales françaises ne sont pas connues en wolof et leur traitement dépend de leur position dans le mot français. En position interne l’appendice consonantique est prononcé et en position finale ouverte on voit que le wolof procède à une dénasalisation complète.
EXEMPLES : entamer devient antame Correspondance devient corespondaas
-le Français ne connaissant pas l’opposition entre voyelles longues et voyelles brèves, le locuteur wolof qui maitrise bien le français a tendance à ignorer cette opposition ce qui entrainera une confusion de certaines unités.
EXEMPLES : [a:] devient [a]
Fa:t (tuer) donne fat (étouffer)
[I:] devient [i]
Li:m (aiguiser) devient lim (nombre, dénombrer)
Les emprunts
L’emprunt est un phénomène qui a attiré depuis longtemps l’attention des linguistes et il est considéré comme une conséquence du bilinguisme. L’emprunt correspond à l’ensemble des mots d’origine étrangère qu’une langue peut présenter à un moment donné de son évolution. Par le biais de l’emprunt une langue peut adopter dans son lexique un terme d’une autre langue c’est-à-dire quand un parler A utilise et finit par intégrer une unité ou un trait linguistique qui existait précédemment dans un parler B et que A ne possédait pas. On peut distinguer ainsi quelques types d’emprunt :
-les emprunts directs : le mot est directement puisé d’une autre langue, L1 emprunte directement à L2
-les emprunts indirects : L1 emprunte un mot à L2 mais le mot est déjà passé par une autre langue.
-les emprunts de luxe : c’est un emprunt qui a un équivalent dans la langue qui emprunte, c’est un emprunt qui n’est pas obligatoire.
-les emprunts de nécessité : c’est un emprunt qui n’a pas d’équivalent dans la langue qui emprunte.
EXEMPLES
Building : mot d’origine anglaise désignant un très haut immeuble « Kéba Dabo s’adresse à quelque vingt hommes réunis dans son bureau, au huitième étage d’un building, tout confort, carrelé de marbre, et où on a du mal à voir une seule mouche voler.» (La Grève des Bàttu, p.20) dans ce passage l’auteur nous fait une description des lieux où travaillaient Kéba Dabo, Mour Ndiaye et leurs collaborateurs.
El hadj : mot d’origine arabe, il désigne le fidèle qui est allé en pèlerinage à la Mecque. A l’occasion de la fête de Tabaski Ousmane Socé nous donne une idée du port vestimentaire des fidèles musulmans qui se préparaient à aller à la mosquée : « ça et là, tranchait le costume bigarré, miroitant d’un El hadj à turban burnous, haiks somptueux, rapportés d’un pèlerinage à la Mecque… »(Karim, p.39)
Tabaski : ce mot est un emprunt qui a fini par être intégré dans le dictionnaire français ; il est spécifique à l’Afrique de l’ouest et désigne la fête d’Aid el-kebir, c’est une fête où on doit sacrifier un mouton. « La fête de Tabaski, la plus importante de l’année musulmane, se célébrait dans une semaine. Karim avait touché ses appointements ; son patron lui avait consenti, en outre, une avance de cinq cents francs, en sa qualité d’employé le plus estimé de la maison. » (Karim, p.36)
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Table des matières
Introduction générale
Première partie : cadre théorique et méthodologique
Deuxième partie : situation sociolinguistique du Sénégal
Chapitre I : le Sénégal un pays plurilingue
Chapitre II : le contact des langues
Troisième partie : étude des particularités lexicales et de l’alternance codique dans la Grève des bàttu ou les déchets humains d’Aminata Sow Fall et Karim d’Ousmane Socé Diop
Chapitre I : présentation des œuvres
Chapitre II : étude de la néologie
Les conséquences de la néologie
Conclusion générale
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