Structure du système de brise de mer
La brise de mer est une circulation atmosphérique très complexe. En effet, elle est constituée de plusieurs phénomènes de différentes échelles, allant de la meso-échelle à l’échelle de la turbulence, imbriqués les uns dans les autres. C’est la raison pour laquelle elle est qualifiée de « système » de brise de mer (SBM) par Miller et al. (2003). Les différents éléments constituant le SBM sont illustrés par la figure 1.1. Ils sont décrits plus en détails ci-dessous, à l’exception de la couche limite atmosphérique qui fera l’objet de la partie 1.2.
a. La force du gradient de pression (FGP) : La force de gradient de pression (FGP) est le moteur du SBM. Elle s’instaure en réponse au réchauffement rapide de l’air sur la surface terrestre comparativement à celui au-dessus de la surface maritime. Trois théories répertoriées par Tijm and van Delden (1999) dans la littérature, expliquent différemment la naissance du SBM suite à ce contraste thermique. La première théorie, dite de « l’expansion verticale », considère que l’air réchauffé par la surface terrestre se détend verticalement et adiabatiquement, compressant ainsi l’air en altitude au-dessus du continent. Un gradient de pression dirigé vers la mer est alors induit en altitude, qui initie le mouvement de l’air vers la mer. Ce courant en altitude accentue alors l’ascension verticale de l’air sur le continent et entraîne un courant dirigé vers la terre dans les basses couches. La seconde théorie, dite de « l’expansion horizontale », considère que l’air réchauffé par la surface terrestre se détend horizontalement et adiabatiquement, génèrant un gradient de pression dirigé vers la terre dans les basses couches de l’atmosphère. Un courant dirigé vers la terre se développe alors, entraînant une subsidence de l’air au-dessus de la mer qui initie le mouvement de l’air vers la mer en altitude. Enfin, la troisième théorie, dite « mixte », considère que l’expansion adiabatique verticale ethorizontale de l’air chaud sur la terre conduit simultanément à l’instauration d’un courant dirigé vers la terre dans les basses couches et d’un courant dirigé vers la mer en altitude.
b. La circulation de brise de mer (CBM) : La circulation de brise de mer (CBM) est une cellule verticale orientée perpendiculairement à la côte. Dans les basses couches de l’atmosphère, un courant d’air marin pénètre sur la terre (le courant de brise de mer), créant à sa tête une zone de convergence et à sa queue une zone de divergence associant respectivement un courant ascendant et subsident. En altitude, une zone de divergence et de convergence s’établit au-dessus de la terre et de la mer respectivement. La conservation de la masse nécessite alors, que s’instaure en altitude, un courant dirigé vers la mer (courant de retour). La CBM se développe de manière asymétrique par rapport à la côte et son extension horizontale sur la mer est estimée à deux fois celle sur la terre. Cette caractéristique des CBM initialement prédite par l’étude numérique de Zhong and Takle (1992), a été confirmée par l’étude expérimentale de Finkele et al. (1995). Les dimensions horizontales des CBM observées dans l’atmosphère sont globalement de l’ordre de la centaine de kilomètres (Finkele et al., 1995; Chiba et al., 1999; Bastin et al., 2005a). Cependant, ces cellules doivent très certainement pouvoir atteindre des dimensions horizontales bien plus importantes. Simpson (1994) mentionne quelques cas de brise de mer ayant des extensions sur la mer ou sur la terre bien supérieures à la centaine de kilomètres. L’étude numérique de Xian and Piekle (1991) montre que l’épaisseur des CBM pourrait atteindre aisément un à deux kilomètres, dimensions verticales de la CBM observées par Finkele et al. (1995). De nombreux auteurs ont noté l’absence de courants de retour dans leurs études expérimentales. Parmi eux, Banta et al. (1993) appuient l’idée que le courant de retour est une particularité des SBM et que la conservation de la masse n’implique pas nécessairement la connexion des zones de convergence et de divergence en altitude. Pour eux, un courant de retour s’établira essentiellement lorsque de forts courants ascendants précédent la brise de mer (ce qui est généralement la cas en été avec un sol surchauffé), que le forçage synoptique est faible et que la région côtière est homogène (côte rectiligne et relativement plate). Le premier facteur est nécessaire à la présence en altitude d’excès de masse. Les deux autres évitent que ne soit éliminé cet excès de masse par d’autres puits. Finkele et al. (1995) sont les seuls à ma connaissance, à avoir observé une CBM complète. Dans leur étude, les conditions de la présence d’un courant de retour définies par Banta et al. (1993) y sont respectées.
c. Le courant de brise de mer : Le courant de brise de mer qui advecte de l’air frais et humide sur le continent fait parti d’un ensemble de phénomènes appelés courant de gravité (ou de densité). Un courant de gravité se forme dans un fluide en raison de faibles différences de densité en son sein. L’ensemble des études de Simpson (1969, 1994, 1997) sur les courants de gravité réalisées pour l’essentiel dans des veines hydrauliques, a largement contribué à établir la structure générale du courant de brise de mer (cf. Figure 1.2). Cette dernière est analogue à la structure des fronts froids d’échelles synoptiques. Les travaux réalisés par la suite ont confirmé ces observations dans l’atmosphère tout en affinant les connaissances sur les différents éléments constituants le courant de brise de mer. Ces éléments sont maintenant décrits plus en détail ci-dessous.
• La tête de la brise de mer (TBM) Les forts courants ascendants associés à la zone de convergence des masses d’air marine et continentale sur la terre, soulèvent l’air et donnent naissance à une tête (TBM) qui précède la brise de mer. L’épaisseur de la TBM a été estimée à deux fois l’épaisseur de la brise de mer située à l’arrière par Simpson et al. (1977) d’après une étude en laboratoire, ce qui a été confirmé par les observations dans l’atmosphère de Finkele et al. (1995).
• La brise de mer (BM) : La brise de mer (BM) est l’écoulement qui suit le passage de la TBM. Ces dimensions verticales sont très variables allant de la centaine de mètres à plus d’un kilomètre. Finkele et al. (1995) et Chiba et al. (1999) ont observé des brises de mer de 200 à 300 m d’épaisseur. Yoshikado and Kondo (1989) ont mesuré des épaisseurs de brise de mer qui évoluent de 1,1 à 1,5 km au cours de la journée.
• Les rotors de Kelvin-Helmholtz (RKH) : Une zone de cisaillement vertical de vent se développe à l’interface des écoulements de BM et de retour (ou autre), ce qui peut engendrer de l’instabilité de Kelvin-Helmholtz. Cette instabilité apparaît généralement lorsque la stabilité thermique de l’air continental est faible et le cisaillement vertical de vent important. Si elle a lieu, elle donne alors naissance à des tourbillons verticaux appelés rotors de Kelvin-Helmholtz (RKH) qui mélangent l’air continental à l’air marin. Simpson and Britter (1980) ont suggéré d’après leur étude en laboratoire, que les RKH pourraient atteindre des dimensions horizontales de l’ordre de 0,5 à 2 km.
d. Le front de brise de mer (FBM) : Le front de brise de mer (FBM) qui se trouve à l’avant de la TBM, marque la séparation entre l’air frais et humide marin et l’air chaud et sec continental. Cette zone est donc marquée par de fort gradients horizontaux d’humidité et de température qui permet de suivre la pénétration de la brise de mer sur la zone côtière. La largeur horizontale de la zone frontale (i.e. la zone de fort gradient) peut aller de la centaine de mètres à un peu plus d’un kilomètre d’après les observations de Chiba (1993). Les FBM sont généralement associés à une zone de convergence horizontale du vent qui va dépendre de la vitesse de pénétration de la brise de mer et de celle de l’écoulement ambiant à l’avant du front. Les études expérimentales de Helmis et al. (1987) et de Chiba (1993) ont montré que des fronts très marqués apparaissent lorsque les masses d’air marine et continentale ont un fort contraste thermodynamique associé à une forte zone de convergence de vent. D’autres études ont portées sur la pente du front avec le sol. Elle dépend de la vitesse du courant de brise ou/et du flux opposé à sa pénétration sur terre. L’angle avec l’horizontal peut varier de 10 à 60◦ (Wood et al., 1999). Helmis et al. (1987) ont observé des pentes faibles lorsque la vitesse de l’écoulement synoptique était élevée et de direction opposée au courant de brise. Wood et al. (1999) ont relevé des pentes plus faibles en terrain peu rugueux, qui permet une avancée plus rapide du courant de brise de mer sur terre. De forts courants ascendants et subsidents se développent dans et à proximité de la zone frontale. Un rotor pouvant atteindre des diamètres de l’ordre de 15 km, se forme à l’avant et à l’arrière du FBM (Atkins et al., 1995; Chiba et al., 1999). En conséquence, de fortes ascendances s’observent au niveau du FBM et de fortes subsidences en amont et aval du FBM. Chiba (1993) et Helmis et al. (1987) ont observé des ascendances de 0,5 à 2 ms−1 et des subsidences de 0,5 à 1,5 ms−1 , qui sont fonction du contraste frontal. Des courants verticaux de plus petites échelles se forment aussi au sommet (instabilité de Kelvin-Helmholtz) et à la base (frottements de surface et instabilité thermique) du FBM (Chiba, 1993; Miller et al., 2003). Les ascendances au niveau du FBM peuvent favoriser la formation de cumulus (Cu) en altitude (Simpson, 1994; Atkins et al., 1995). Une séparation de la TBM et du FBM peut apparaître au coucher du soleil (Simpson, 1994). Cette entité déconnectée de la brise de mer se propage alors comme une onde sur le continent. Ce phénomène peut persister toute la nuit et atteindre une autre région côtière, comme c’est fréquemment le cas dans le nord de l’Australie, où il engendre au lever du soleil un rouleau nuageux de plusieurs kilomètres de long connu sous le nom de « Morning Glory » (Simpson, 1994).
L’épaisseur de la CLA
L’épaisseur de la CLA (Zi) croît à partir de la côte pour atteindre une hauteur d’équilibre plus loin dans les terres, équivalente à l’épaisseur de la couche limite continentale (Raynor et al., 1979). L’épaisseur de la CLA est très faible à la côte car l’air marin advecté sur le continent est stable thermiquement. Cependant, une couche limite marine peut se développer sur la mer, notamment sur les bassins côtiers peu profonds où l’eau peut alors se réchauffer. Dans ces conditions, l’épaisseur de la CLA sur la côte est celle de la couche limite marine. Les nombreuses études menées sur ce sujet, fournissent des valeurs de Zi à différentes distances de la côte dans différentes conditions atmosphériques. Un ordre de grandeur de ces valeurs est donné par l’étude de Raynor et al. (1979). Ces auteurs ont analysé 28 cas de CLA avec de nombreux moyens expérimentaux (avions, sondages ballons et mâts instrumentés) dans un grand nombre de situations météorologiques. Ils observent des hauteurs d’équilibre de Zi allant de 500 à 900 m pour des distances à la côte variant de 5 à 40 km.
Le radar UHF de Viabon
Les radars profileurs de vent mesurent en continu dans le temps des profils verticaux de la constante de structure de l’indice de réfraction de l’air Cn2, du taux de dissipation de l’énergie cinétique turbulente ε et des trois composantes du vent. Dans le cas des radars UHF, qui sont des instruments adaptés au sondage de la basse troposphère, ces paramètres permettent de décrire l’évolution de l’épaisseur de la couche limite atmosphérique (Cn2) et la turbulence en son sein (ε), ainsi que la dynamique de la basse troposphère (vent horizontal et vitesse verticale). Le principe de la mesure de ces instruments et les méthodes d’obtention de ces différents paramètres sont décrits dans le chapitre 3. Le radar UHF de Viabon était un profileur UHF PCL1300 construit par la société Degréane Horizon, dont les caractéristiques techniques sont données dans le chapitre 3. Il disposait de cinq antennes qui permettaient de mesurer entre 75 et 2000-3000 m de hauteur (suivant les conditions atmosphériques) avec une résolution verticale de 75 m et une résolution temporelle de 5 min.
Les conditions météorologiques
Un aperçu des conditions météorologiques au cours de chacune des deux campagnes est maintenant présenté. Durant la campagne TRAC-98, des conditions anticycloniques ont essentiellement été observées, garantissant ainsi la présence de beau temps (ou avec peu de nuages) et un fort ensoleillement de la plaine de la Beauce. Un régime de vent faible de nord et de sud-ouest étaient associés à cette situation synoptique. Ces conditions météorologiques étaient alors favorables au développement d’organisations cohérentes dans la couche limite convective. Durant la campagne ESCOMPTE-2001, deux régimes d’écoulement ont principalement été observés : des écoulements locaux de brise de mer et de terre de faibles intensités dans des conditions anticycloniques (faible forçage synoptique et fort ensoleillement de la surface terrestre), et un écoulement de basse couche de forte intensité de direction nord-ouest (le mistral) lors de régimes synoptiques de secteur nord à ouest, associés à une dépression située sur le nord de l’Europe (Guénard et al., 2005). La figure 2.7 illustre ces deux types d’écoulement avec une série temporelle de la direction du vent mesurée à l’Observatoire de Marseille. Le cycle diurne marqué de la direction du vent, passant de l’est dans la nuit à l’ouest en journée comme pendant la POI2a, POI2b et POI3, indique la présence d’épisodes de brises. La direction du vent de secteur nord-ouest, comme par exemple durant la POI4, correspond au régime de Mistral. Un aperçu des conditions météorologiques en altitude lors de ces deux écoulements est donné par les mesures du radar UHF de Saint Chamas durant la POI2a (21 au 23 juin 2001) (dont les valeurs maximales permettent de détecter le sommet de la couche limite atmosphérique (CLA)) et du taux de dissipation ε (indicateur de la turbulence dans la CLA). La POI2a est marquée par la présence en altitude d’un régime de Mistral, caractérisé par des vents de secteur nord-ouest d’intensité 10 à 15 ms−1 sur les 2-3 premiers kilomètres d’atmosphère, des couches limites épaisses (>1000 m d’altitude) et turbulentes (ε maximum d’environ 20.10−4 m2s−3). Toutefois, le Mistral faiblit le jour et peut atteindre une intensité inférieure à 10 ms−1, en raison du développement d’une brise de mer qui s’oppose à son écoulement (Bastin et al., 2005b). D’ailleurs, cette brise est observée dans les basses couches en fin d’après-midi au travers des vents de module inférieur à 5 ms−1 et de secteur ouest. En période de Mistral, même faible comme durant la POI2a, les CLA sont bien plus épaisses et turbulentes (Caccia et al., 2004) que celles se développant au cours du régime de brises « seules » de la POI2b. En effet, durant cette période marquée par des vents de faible intensité (<5 ms−1) sur les 1-2 premiers kilomètres, les CLA sont peu épaisses (<500 m d’altitude) et peu turbulentes (ε maximum d’environ 5.10−4 m2s−3).
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Table des matières
Introduction
I Cadre théorique et expérimental de l’étude
1 Rappels bibliographiques: la couche limite atmosphérique en période de brise de mer
1.1 Le système de brise de mer
1.1.1 Structure du système de brise de mer
1.1.2 Facteurs gouvernant le système de brise de mer
1.2 La couche limite atmosphérique dans le courant de brise de mer
1.2.1 Description
1.2.2 Les différentes approches pour la prédiction de l’épaisseur de la CLA
1.2.3 La formulation de la CLA par les « modèles en couche »
2 Les campagnes de mesures
2.1 La campagne TRAC-98
2.1.1 Le radar UHF de Viabon
2.1.2 L’avion Merlin IV
2.2 La campagne ESCOMPTE 2001
2.2.1 Les profileurs de vent
2.2.2 Les moyens aéroportés
2.2.3 Les stations de surface
2.2.4 Les ballons plafonnants
2.3 Les conditions météorologiques
II Les profileurs de vent UHF : des instruments pour l’étude de la couche limite atmosphérique
3 Principes généraux de la mesure par radar profileur de vent
3.1 Principe de fonctionnement
3.2 Acquisition et traitement des données
3.2.1 L’acquisition des échantillons
3.2.2 Intégrations cohérentes
3.2.3 Transformée de Fourier et intégrations incohérentes
3.2.4 Calcul des moments spectraux
3.3 Processus de rétrodiffusion et paramètres atmosphériques
3.3.1 L’équation radar
3.3.2 Rétrodiffusion par les inhomogénéités spatiales de l’indice de réfraction de l’air
3.3.3 Retrodiffusion par les hydrométéores
3.3.4 Paramètres atmosphériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
4 Détermination de termes du bilan d’énergie cinétique turbulente avec un radar profileur de vent UHF
4.1 Méthodologie
4.1.1 Mesures télédétectées
4.1.2 Mesures aéroportées
4.1.3 Comparaison des mesures aéroportées et télédétectées
4.2 Application et résultats
4.2.1 Le taux de dissipation
4.2.2 Les flux de quantité de mouvement
4.2.3 Le bilan de l’énergie cinétique turbulente
4.3 Conclusion
5 Apport d’un réseau de profileurs de vent à la trajectographie de panaches de polluants
5.1 Méthodologie
5.1.1 Champs tridimensionnels
5.1.2 Trajectographie de particules d’air
5.2 Evaluation des performances
5.2.1 Comparaison aux mesures in situ de vent de l’avion ARAT
5.2.2 Comparaison aux trajectoires de ballons plafonnants
5.3 Application à l’étude de la pollution
5.3.1 La pollution atmosphérique
5.3.2 Les conditions météorologiques
5.3.3 Le transport et la diffusion de polluants
5.4 Conclusion
III La basse troposphère en période de brise de mer durant la campagne ESCOMPTE 2001
6 Structure régionale du système de brise de mer et de la couche limite atmosphérique
6.1 Systèmes de brises sur la zone côtière marseillaise
6.1.1 Des brises locales à la brise régionale
6.1.2 Extension verticale de la brise
6.1.3 Le passage du front de la brise de mer
6.2 La couche limite atmosphérique dans la zone côtière
6.2.1 Description
6.2.2 Paramètres directeurs
6.2.3 Conclusion
7 Structure fine de la brise de mer et de la couche limite atmosphérique
Conclusion
Bibliographie
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