Principe des accélérateurs de particules
Les accélérateurs de particules se rencontrent dans de nombreuses applications [7] : industrielles, médicales, scientifiques… Dans tous les cas, le principe est de fournir une énergie cinétique à un faisceau de particules connues (électrons, protons, ions…), en l’accélérant à haute vitesse (parfois très proche de celle de la lumière). On distingue deux types d’accélérateurs :
– Les accélérateurs linéaires : les particules chargées sont accélérées à l’aide d’un champ électrique sur une trajectoire rectiligne. La méthode la plus simple utilise un champ électrostatique, comme les tubes cathodiques des anciens téléviseurs par exemple. Les grands accélérateurs actuels optent plutôt pour une solution de type « LINAC » (LINear ACcelerator, [7]) : un champ électrique radiofréquence accélère les particules par paquets.
– Les accélérateurs circulaires : l’énorme avantage d’une trajectoire circulaire est de pouvoir fournir au faisceau une énergie supplémentaire à chaque tour. C’est pourquoi les accélérateurs circulaires détiennent les records actuels d’énergie de faisceau. La trajectoire des particules est déviée grâce à un champ magnétique dipolaire. Les accélérateurs sont des outils de choix pour la physique des particules, qui s’intéresse aux particules de forte masse. La célèbre équation E = mc2 nous indique que plus la masse d’une particule est élevée, plus il faudra lui fournir d’énergie pour la produire. La collision d’un faisceau de haute énergie (≥ 1 TeV) libèrera les particules de masse très élevée qui n’étaient pas observables autrement. Cette collision peut avoir lieu, soit entre le faisceau et une cible, soit entre deux faisceaux de sens opposés, comme c’est le cas dans les collisionneurs. Les collisionneurs linéaires à haute énergie n’ont pas encore été mis en pratique, et deux projets sont en cours d’étude : ILC (International Linear Collider) qui vise une énergie de collision jusqu’à 1 TeV, et CLIC (Compact LInear Collider) dimensionné pour une énergie nominale de 3 TeV. En revanche, les collisionneurs circulaires ont permis la découverte de plusieurs particules. Le célèbre Tevatron a récemment été supplanté par le LHC du CERN, qui détient le record d’énergie de faisceau avec 4 TeV, et qui ne fonctionne aujourd’hui qu’à la moitié de son énergie nominale, en attendant 2014. Une fois injecté dans l’anneau du collisionneur, le faisceau subit diverses actions, illustrées par la Figure 1.1. Les particules doivent être régulièrement ré-accélérées par des cavités accélératrices radiofréquence. Des dipôles assurent ensuite la courbure du faisceau. Toutefois, les imperfections de champ font diverger le faisceau et il faut placer des aimants quadripolaires pour le focaliser. Un quadripôle crée un gradient de champ qui focalise dans un plan et défocalise dans l’autre plan. Afin de focaliser dans les deux plans, on juxtapose deux quadripôles selon une structure « FODO » (Focalisant-Défocalisant). Les particules subissent donc des perturbations qui les font osciller dans le plan transverse autour de l’orbite de référence circulaire. Ces oscillations sont dénommées oscillations betatron [7] et sont représentées par la fonction bêta β [m], qui varie le long de la trajectoire. Il faut mentionner également la présence de sextupôles, octupôles, etc., qui permettront de corriger les « aberrations chromatiques » du faisceau.
La découverte des supraconducteurs
La maîtrise du Nb3Sn est le fruit de 100 ans de travaux sur la supraconductivité. Tout commence en 1911, lorsque H. Kamerlingh Onnes, après avoir réussi à liquéfier l’hélium, se lance dans la mesure de la résistance du mercure autour du zéro absolu. Quelle n’est pas sa surprise lorsqu’il observe une annulation de la résistance électrique, autour de 4 K ! Il venait de découvrir la supraconductivité [12]. Il s’aperçoit ensuite que d’autres métaux comme l’étain, le plomb ou l’aluminium sont aussi supraconducteurs, et observe différentes températures de transition entre l’état résistif et l’état supraconducteur (de 4 à 10 K). Kamerlingh Onnes mesure très vite la portée de sa découverte, et imagine déjà des électro-aimants supraconducteurs à haut champ [13]. Son enthousiasme est assombri lorsqu’il mesure également des champs critiques de l’ordre de quelques centièmes de T, ce qui empêche toute application sous champ magnétique. Plus de 40 ans après, Bardeen, Cooper et Schrieffer proposent la théorie éponyme « BCS » [14], qui permet de mieux comprendre le phénomène de la supraconductivité, ce qui leur vaudra plus tard un prix Nobel de physique. Le modèle est basé sur un état condensé des électrons de conduction d’un métal, qui se regroupent par « paires de Cooper ». En interagissant avec le réseau cristallin du métal, ces paires d’électrons se déplacent sous la forme d’une onde collective de nature quantique. Cette théorie est bien adaptée aux supraconducteurs dits « à basse température critique » i.e. pour des températures allant jusqu’à 50 K environ, mais peine pour le moment à expliquer la supraconductivité à haute température critique (entre 50 et 150 K). A la même période, Abrikosov et Ginzburg introduisent la notion de vortex [15] expliquée plus loin. Ces travaux seront également récompensés par un prix Nobel. La découverte, dans les années 50-60, de supraconducteurs à haut champ, va relancer l’intérêt pour les aimants supraconducteurs. Dès 1954, Matthias et al. observent la supraconductivité du Nb3Sn [16]. S’en suit la découverte des propriétés supraconductrices du NbTi, en 1961, grâce à l’équipe de Hulm [17]. Le Nb3Sn, trop fragile et difficile à mettre en oeuvre, sera longtemps délaissé au profit du NbTi, qui est le supraconducteur basse température critique le plus utilisé aujourd’hui. A l’heure des aimants à très haut champ (>12 T), le NbTi atteint ses limites, et le Nb3Sn semble le meilleur candidat pour le supplanter. Tout d’abord, il possède un champ critique plus élevé que le NbTi (Figure 1.2). Comme lui, le Nb3Sn peut être produit sous la forme de câbles ayant une stabilité mécanique et électrique suffisantes pour être bobinés. La technologie des aimants Nb3Sn est suffisamment avancée, comme l’ont montré plusieurs prototypes (voir section 1.4), pour envisager leur application dans les accélérateurs. Toutefois, la fragilité mécanique et la sensibilité aux contraintes mécaniques (voir chapitre 2) sont des défis à surmonter. Les supraconducteurs haute température critique (YBCO, Bi2212, Bi2223…) semblent prometteurs mais n’ont pas encore atteint une maturité technologique suffisante (problèmes de protection notamment) et restent plus coûteux.
Etude sur des câbles
En 1991, Boschman, Ten Kate et al. ont comparé [65] la sensibilité à la contrainte pour des câbles simplement recouverts de résine et d’autres imprégnés totalement. Ils montrent que la résine permet de répartir les contraintes dans le câble, ce qui affecte moins son courant critique (Figure 2.11 gauche). Cette constatation corrobore les résultats de Jakob et Pasztor (voir section 2.2.2). Des mesures sur câbles Rutherford imprégnés ont été refaites par Ten Kate, Boschman, Weijers et al. en 1992 [51] puis par Ten Kate, Weijers et Van Oort en 1993 [52] et montrent de meilleurs performances (Figure 2.11). On peut voir également Figure 2.11 droite la présence d’un brin en particulier (« pire brin ») qui est bien plus dégradé que le câble, ce qui prouve une fois de plus l’intérêt de répartir les contraintes à l’intérieur du câble.
Etude sur les matériaux
Depuis un certain temps, des études sont menées sur des isolants électriques inorganiques résistants aux radiations. En 1987, Clinard du Los Alamos National Laboratory, a réalisé une étude bibliographique [89] de trois solutions céramiques : Al2O3, MgAl2O4, Si3N4. Il a comparé leurs caractéristiques structurelles, thermiques et électriques en vue d’une application dans les réacteurs de fusion. Sa conclusion est que les spinelles MgAl2O4 semblent être les meilleures candidates pour l’isolation car leur résistance mécanique augmente avec l’irradiation. En revanche, des gaz de transmutation sont produits et ont un effet nocif. A l’Institut de l’énergie atomique de Moscou, l’équipe de Lelekhov a étudié, en 1992, un nouveau procédé d’isolation [90]. Le principe consiste à pulvériser de l’alumine par plasma sur un câble, avant bobinage d’un solénoïde. Ils constatent que cette isolation conserve de bonnes propriétés diélectriques après irradiation. Des isolations céramiques pulvérisées par plasma ont également été étudiées [91], [92], [93] pour ITER. Ces matériaux montrent des propriétés mécaniques et électriques raisonnables mais le procédé est coûteux et non adapté aux bobines de grandes dimensions. En 1994, Simon a également publié [94] une vaste étude sur les propriétés mécaniques, élastiques, électriques et thermiques de plusieurs isolations inorganiques : Al2O3, AlN, MgO, porcelaine, SiO2, MgAl2O4, ZrO2 et mica. On peut noter finalement des travaux sur des résines à base de cyanante ester [95], qui sont plus résistantes aux radiations que les résines époxy, tout en conservant une bonne résistance à la compression. En revanche, ces résines sont organiques et ne peuvent pas être appliquées avant le traitement thermique.
Assemblage du porte-échantillon
Le câble testé est un câble Rutherford SMC039 1 câblé au CERN (voir paramètres Table 4.2). Le câble est isolé à l’aide de l’isolation céramique développée au CEA, selon le procédé décrit dans [110]. Une bande de fibre de verre de type S-2 est tout d’abord trempée dans une solution céramique. Une fois cette bande imprégnée et séchée, le câble est guipé avec deux couches bord à bord, décalées d’une demi largeur de bande. Une longueur de câble d’environ 600 mm est ensuite découpée et l’isolation est partiellement retirée, de manière à laisser une portion de câble isolée correspondant à la longueur du pas de torsade (60 mm). Pour reproduire la pression subie par un câble dans une bobine, ce câble actif (alimenté) est intercalé entre deux portions de câble isolés et inactifs (non alimentés). Malheureusement, les amenées de courant du porte-échantillon ne peuvent transporter que 1800 A, ce qui implique de n’alimenter qu’un seul brin à la fois. On ne conserve alors qu’un seul brin parmi les 14 brins du câble, et on coupe tous les autres dans les parties droites du U. On garde également la possibilité de tester un « brin de secours », au cas où le premier serait endommagé. On conserve alors un deuxième brin (non coupé), situé à l’opposé dans le câble par rapport au premier. Afin d’étudier l’influence de la redistribution entre brins, on utilise un modèle 3D de résistances inter-brins [120], en supposant des résistances de croisement très faibles (1 µΩ). Lorsqu’un seul brin est alimenté, le courant de fuite total dans le câble ne dépasse pas 1 % du courant critique dans le pire des cas. On supposera donc par la suite que la redistribution de courant entre brins est négligeable. Le câble est ensuite plié dans le porte-échantillon de manière à lui donner une forme en U (voir Figure 4.3). Afin de former le composé Nb3Sn, le câble subit un traitement thermique à 650˚ C pendant 100 h, dans son porte-échantillon. L’assemblage du montage avant réaction est décrit plus en détails dans la procédure [121]. Après réaction, le porteéchantillon est assemblé sur les amenées de courant. Le premier brin est soudé dans les amenées de courant tandis que le deuxième brin (« brin de secours ») est isolé avec du Kapton R. Des prises de potentiel soudées sur le conducteur permettent de mesurer les tensions suivantes (voir Figure 4.3 :
– La portion de câble qui subit la compression (mesure V1, 7 cm).
– La totalité de l’échantillon.
– Une position intermédiaire (mesure V2, 15 cm).
– Le brin aller.
– Le brin retour.
Des jauges de déformation sont par ailleurs collées sur les corps de vis de manière à suivre en temps réel l’évolution de la contrainte et comparer par rapport aux valeurs calculées. Le câble est finalement compressé à l’aide des vis, à une faible pression dans un premier temps (12 MPa). Cette valeur permet de maintenir le câble en légère compression tout en évitant la dégradation du conducteur. Le serrage est appliqué avec une clé dynamométrique et contrôlé à l’aide des jauges de déformation. Plus de détails sont donnés dans la procédure [122].
|
Table des matières
Introduction générale
I Etude bibliographique
1 Contexte
1.1 Les collisionneurs de particules
1.1.1 Principe des accélérateurs de particules
1.1.2 Augmenter la luminosité pour maximiser les collisions
1.1.3 Augmenter l’énergie pour atteindre de nouvelles particules
1.2 Intégrale du champ magnétique
1.3 Le supraconducteur Nb3Sn pour les aimants haut champ
1.3.1 La découverte des supraconducteurs
1.3.2 Le phénomène de la supraconductivité
1.3.3 Les différentes densités de courant utilisées
1.3.4 La stabilité vis à vis des sauts de flux
1.3.5 La mise en forme des conducteurs
1.3.6 La fabrication du Nb3Sn
1.3.7 Les problèmes d’instabilité liés aux fortes densités de courant
1.4 État de l’art des dipôles d’accélérateurs
1.4.1 Les dipôles en cosinus thêta
1.4.2 Les dipôles en blocs
2 Dégradation du courant critique sous une contrainte mécanique transversale
2.1 Comparaison des modes opératoires
2.1.1 Echantillons en forme de U
2.1.2 Echantillons droits
2.2 Méthode du bronze
2.2.1 Etude sur des brins
2.2.2 Etude sur des brins dans leur câble
2.3 Méthode des poudres
2.3.1 Etude sur des câbles
2.3.2 Etude sur des brins dans leur câble
2.3.3 Etude sur des brins
2.4 Méthode de l’étain interne
2.5 Méthode Modified Jelly Roll
2.5.1 Etude sur des câbles
2.5.2 Etude sur des brins
2.6 Synthèse des résultats
2.7 Lois expérimentales
2.8 Les modèles pour câbles Rutherford
2.8.1 Modèle 2D
2.8.2 Modèle 3D à deux échelles
2.8.3 Approche géométrique 3D
II Etude de conducteurs isolés céramique
3 Etat de l’art des isolations à base de céramique
3.1 Les enjeux de l’isolation du Nb3Sn
3.1.1 Méthode classique d’imprégnation avec une résine
3.1.2 Les contraintes dans les aimants d’accélérateurs à haut champ
3.2 Des matériaux résistants aux radiations
3.2.1 Etude sur les matériaux
3.2.2 Etude sur des bandes inorganiques
3.2.3 Méthode sol-gel
3.3 Les matériaux CTD
3.3.1 Mise au point de bandes céramiques
3.3.2 Tests mécaniques sur des empilements de câbles
3.3.3 Application à des bobines tests
3.4 Méthode « Impregnate, Wind & React » du CEA Saclay
3.4.1 Mise au point d’une formulation céramique
3.4.2 Le problème de la tenue mécanique
3.5 Ciment inorganique utilisé au CERN
4 Tests de courant critique sur des câbles isolés céramique
4.1 Courant critique d’un brin dans un câble
4.1.1 Description des conditions d’essai
4.1.2 Modélisation du porte-échantillon
4.1.3 Assemblage du porte-échantillon
4.1.4 Démarche expérimentale
4.1.5 Résultats des essais
4.2 Courant critique d’un câble
4.2.1 Description du porte-échantillon
4.2.2 Modélisation du porte-échantillon
4.2.3 Démarche expérimentale
4.2.4 Résultats des essais
4.3 Synthèse des résultats
5 Tests sur l’isolation céramique
5.1 Exploration de nouvelles isolations
5.1.1 La modification du cycle thermique
5.1.2 Différentes formulations
5.1.3 Les méthodes d’imprégnation
5.2 Caractérisation mécanique d’empilements
5.2.1 Démarche expérimentale
5.2.2 Comparaison des résultats
III Proposition de conceptions magnétiques
6 Optimisation 2D
6.1 Formules utilisées
6.1.1 Blocs rectangulaires
6.1.2 Secteurs angulaires
6.2 Démarche d’optimisation
6.2.1 Paramètres initiaux
6.2.2 Optimisation
6.3 Cas d’étude
6.3.1 Convergence vers l’intersection d’ellipses
6.3.2 Dipôle homogène à dix blocs
6.3.3 Dipôle à forces minimisées
6.4 Etude d’aimants qui minimisent le volume de conducteur
6.4.1 Dipôle Nb3Sn 13 T
6.4.2 Dipôle hybride 20 T
7 Optimisation 3D, modèle blocs
7.1 Choix du développement
7.1.1 Développement analytique en harmoniques sphériques
7.1.2 Développement analytique en harmoniques cylindriques
7.1.3 Développement numérique
7.2 Formules utilisées
7.2.1 Parallélépipèdes
7.2.2 Arcs d’aimants à section rectangulaire
7.3 Démarche d’optimisation
7.3.1 Passage du 2D au 3D
7.3.2 Modélisation 3D du bobinage
7.3.3 Optimisation des harmoniques
7.4 Exemple avec deux blocs
7.4.1 Raccordement des parties droites
7.4.2 Minimisation des intégrales d’harmoniques
7.5 Optimisation d’un dipôle Nb3Sn 13 T
7.5.1 Design 2D blocs
7.5.2 Raccordement des parties droites
7.5.3 Minimisation des intégrales d’harmoniques
8 Optimisation 3D, modèle rubans
8.1 Formules utilisées
8.1.1 Raccordement de deux fils rectilignes
8.1.2 Paramétrisation d’un ruban à partir d’une courbe génératrice
8.1.3 Calcul du champ produit par un ruban
8.1.4 Approximation linéaire
8.2 Démarche d’optimisation
8.3 Exemple avec câbles horizontaux
8.3.1 Design 2D et raccordement
8.3.2 Minimisation des intégrales d’harmoniques
8.4 Optimisation d’un dipôle Nb3Sn 13 T
8.4.1 Design 2D et raccordement
8.4.2 Minimisation des intégrales d’harmoniques
Conclusion générale
Bibliographie
Télécharger le rapport complet