Les passages couverts
Une autre forme d’architecture commerciale semble elle aussi avoir participé grandement à la mise au point des centres commerciaux modernes. Il s’agit des passages couverts, également appelés arcades.
La création des passages couverts débute à Paris au XVIIIème siècle. A l’origine, leur apparition coïncide avec l’époque de la Révolution française, et la phase d’expansion du capitalisme industriel. Cette période de l’histoire a vu émerger une classe sociale : La bourgeoisie. Forte de ce renouveau social et politique, et désireuse de s’imposer, elle avait pour objectif de se détacher des autres groupes, en mettant en avant ses richesses. Alors pour satisfaire cette demande les passages « furent la forme urbaine et commerciale qui a le mieux répondu à cette première phase de croissance économique. Luxe, ostentation mais aussi une société plus libre à la recherche de plaisir et d’oisiveté, voilà les moteurs de cette première époque des passages et galeries ».
A ce jour, le premier passage couvert référencé est celui des Galeries de Bois à Paris, dans le Palais Royal. A l’origine, la commande initiale de Philippe d’Orléans à l’architecte Victor Louis, prévoyait de fermer la cour d’honneur par de grandes galeries de pierre. Mais par manque de moyens, seuls trois cotés purent être achevés. Le Duc décida alors de céder la dernière partie à « un entrepreneur qui y construisit des hangars de planches abritant trois rangées de boutiques desservies par deux allées couvertes », et éclairées par un éclairage zénithal. Conçues de manière très simple et résultant un peu du fruit du hasard, elles ne devaient être que des installations provisoires. Mais finalement, elles ont servi de prototype à de nombreuses galeries couvertes de Paris.
Les centres commerciaux contemporains : Volumétrie et matérialité
« Si les halles de marchés remontent à une tradition médiévale établie, les grands magasins sont une pure invention de la société industrielle.»15. En effet, le XIXème est le siècle lié à l’essor de l’industrie, du commerce, et de la production de masse. Les centres commerciaux apparaissent donc comme une réponse à l’évolution du mode de vie de la population. Ils marquent aussi le début de la société de consommation, et ne sont que la préfiguration d’une typologie qui ne cessera d’évoluer en fonction des évolutions des idéologies commerciales.
Auparavant, le lieu de commerce s’apparentait à de petites boutiques en plein centre-ville, ou parfois de halles couvertes comme nous avons pu le voir précédemment. La révolution industrielle a permis de développer de grands volumes (bâtiments avec étage, atrium, etc.), et de faire la part belle aux vitrines et à la mise en valeur des produits. Ainsi, le travail des architectes s’en retrouve facilité, ce qui leur permettra de conserver dans leurs projets l’une des idées fondatrices du concept : concentrer le client sur l’achat. Ils intègreront également des notions nouvelles comme la fidélisation de la clientèle ; via l’emploi de matériaux, de visuels, de symboles, qui permettront de créer une identité au bâtiment. L’image dégagée devra alors s’ancrer dans la mémoire des gens pour susciter de l’émotion et les faire adhérer. C’est d’ailleurs ce à quoi Patrick Mauger fait référence dans son ouvrage : « plus l’architecture est intense, plus l’attraction et la capacité à retenir les chalands seront fortes. ».
Mais ces évolutions ont été rendues possibles, avant tout, grâce à l’utilisation du métal. Les architectes y voient là un bon moyen d’allier la rentabilité et l’esthétique. D’un point de vue économique, la mise en place d’une structure poteaux-poutres permet d’obtenir des systèmes à grande portée, qui limitent l’impact au sol, démultiplient les hauteurs des bâtiments, et donc augmentent les possibilités d’aménagement. Autant d’atouts importants dans la conception des centres commerciaux. Et ce n’est pas le seul avantage, puisque s’ils choisissent de retenir des structures au potentiel esthétique intéressant (poutres treillis, ajouts de ferronnerie, etc.), ces dernières vont pouvoir être laissées apparentes et par conséquent donner du « cachet » au centre commercial.
Dans le même temps, les architectes vont avoir recours à la mise en oeuvre du verre. Ces fonctions multiples vont permettre de répondre aux besoins des centres commerciaux. Tout d’abord, l’apport de lumière à l’intérieur du bâtiment, via les toitures (verrière, dôme, coupoles, etc.), permettra de mettre en valeur l’atrium et de dynamiser les circulations intérieures. Il en sera de même en façades (mur rideau, vitrines, etc.), afin de rendre plus visible le contenu des boutiques, et d’attirer la clientèle. C’est d’ailleurs ce que soulignait Florence Accorsi dans son ouvrage, dans lequel elle évoquait la mise en oeuvre du verre pour les constructions à usage commercial: « Toutes captent et domestiquent la lumière en fonction des activités abritées. Zénithale, elle abonde sans distraire le client du spectacle marchand. Sur la rue, les façades se font vitrines pour appâter le chaland et l’inviter à entrer. ». Enfin, le verre pourra également avoir des fonctions décoratives (vitraux, utilisation de verre coloré, etc.), qui vont permettre d’animer les façades et les différents espaces créés, et notamment la galerie commerciale.
C’est donc avec toutes ces nouvelles armes que les architectes vont petit à petit faire évoluer la typologie des centres commerciaux. Ils vont alors tenter de donner un aspect théâtral au lieu, en récréant une vie urbaine comme ce que laissait transparaitre les rues des centres-villes. Chaque détail architectural est magnifié et on voit disparaitre la séparation rue intérieure et rue extérieure. Ainsi, par l’emploi du verre, ils assurent la continuité entre les espaces, et augmentent la perception du merchandising depuis l’extérieur. Les centres commerciaux évoluent également dans leur volumétrie, privilégiant la verticalité à l’horizontalité. C’est aussi à partir de ce moment que l’on voit apparaître la création de strates, décomposées comme il suit : Au rez-de-chaussée, les commerces tout public ; dans les premiers étages, les restaurants qui offrent une vision globale sur la « ville » commerciale ; et dans les niveaux les plus hauts, les boutiques de luxe avec leur clientèle de connaisseurs et donc une nécessité moindre de visibilité. « La place centrale devient un atrium » dans lequel se concentre la vie du centre commercial et où le piéton a pleinement sa place.
Ainsi, durant cette période de la fin du XIXème au début du XXème siècle, les architectes ont pu laisser libre cours à leur imagination. Avec l’essor de l’industrialisation, ils ont trouvé un appui de marque pour mettre en pratique leur vision du centre commercial, et le faire évoluer vers des modes de réalisations que nous pouvons encore percevoir de nos jours. Qui plus est, l’association du métal et du verre leur a permis d’arriver à une certaine liberté, essentielle dans la confection des espaces et de l’enveloppe des bâtiments commerciaux. Enfin, avec ces dispositifs constructifs, ils intégraient une notion nouvelle : l’évolutivité. Il devenait alors possible d’imaginer transformer, modifier ou agrandir le bâtiment à moindre coût, permettant ainsi de toujours rester en phase avec les pratiques commerciales en constante évolution.
De Victor Gruën à Jon Jerde
L’origine des « grands » centres commerciaux remonte aux années 1930, aux Etats-Unis. S’il est difficile de définir avec précision quel est le premier à avoir vu le jour, il semblerait que le point de départ soit la construction du Rockfeller Center en plein coeur de New York. Mais si nous devions retenir deux architectes symboles de l’incroyable ascension des centres commerciaux, il faudrait citer Victor Gruën et Jon Jerde.
Le premier cité est un architecte urbaniste d’origine autrichienne, qui a émigré aux Etats-Unis en 1938, pour échapper à la montée du nazisme, suite à l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne Hitlérienne. Déjà très célèbre à Vienne en tant que concepteur de boutiques, il s’est rapidement fait une place à New-York, notamment grâce à deux réalisations : Lederer’s et Ciro’s.
Au début des années 1940, il part s’installer à Los Angeles, et voyant le pays changer à grands pas sous la montée de l’industrie automobile, il décide de s’immiscer dans les débats sur l’impact des centres commerciaux régionaux, la reconstruction des centres-villes, le rôle des autoroutes urbaines et l’avenir de la ville américaine. Très vite, il a compris que le centre commercial régional serait l’élément clé dans le développement des villes américaines. C’est à partir de ce moment qu’il a commencé à prêcher à un public national les vertus de ce nouveau type de bâtiment, qui allait changer le paysage suburbain et en faire un lieu important pour la population.
Alors, après avoir publié des articles ou participer à des coloques pendant presque 10 ans,Gruën a enfin eu l’occasion d’expérimenter et de tester ses idées dans des projets concrets, à commencer par celui de Harvey Park. Le centre commercial était conçu sous une forme cruciforme, créant des rues commerçantes piétonnes à la périphérie desquelles se dressait un ensemble de petits magasins, protégé par des colonnades. Au centre, on y trouvait un grand magasin de forme cylindrique sur 7 étages, et qui devait servir de référence identitaire pour l’ensemble des villes environnantes. Mais ce n’est pas tout, pour se démarquer des autres centres commerciaux, Gruën avait déjà pensé à y intégrer tout un ensemble de fonctions annexes qui pouvait remplir des rôles sociaux et culturels. Ainsi, on pouvait retrouver, des kiosques, des comptoirs de rafraîchissements, des salles de réunion, mais aussi une salle de cinéma, un auditorium, et même une crèche où les parents pouvaient laisser leurs enfants. Le but de Gruen était donc de créer une place centrale, un véritable lieu de vie en communauté, où les habitants d’une vaste zone environnante pourraient, en plus de faire des emplettes, venir s’y détendre et profiter des activités culturelles. Par la suite, il continuera à peaufiner sa vision du centre commercial, en améliorant la qualité des espaces extérieurs dédiés à faciliter l’accès au centre pour les voitures, et des espaces publics intérieurs pour constituer de véritables galeries commerciales. Ces évolutions seront notamment visibles sur des centres commerciaux d’une plus grande ampleur tel que Milliron (Los Angeles), Northgate (Seattle) ou Southdale Center (Minnesota), ce dernier étant selon lui le plus réussi et devenu pour lui le modèle pour beaucoup de ces constructions ultérieures.
Victor Gruën était convaincu que le centre commercial devait être plus qu’une « collection de magasins ». Comme il le disait « les périples commerciaux manquaient d’espaces publics », qu’il appelait d’ailleurs des « points de cristallisation, et de fonctions sociales et culturelles ». Il savait que ces constructions pouvaient répondre à ces besoins, et que l’architecte avait besoin de réaliser un concept qui, en plus de fournir son programme commercial, inclurait d’autres fonctions, toutes organisées par un réseau d’espaces publics. Les centres commerciaux pourraient être considérés comme des centres-villes satellites, offrant une grande partie de ce que les centres métropolitains possédaient déjà.
Tous ne sont pas d’accord, mais Victor Gruën, par son rôle et son investissement dans le développement des centres commerciaux, reste encore pour beaucoup comme le « Père » fondateur de ce type de bâtiments. Et bien que ces réalisations ne soient pas les plus célèbres, il a inspiré bien des générations d’architectes. Ces dernières n’ont d’ailleurs fait que poursuivre son travail, tentant de l’améliorer et de l’adapter à l’évolution des modes de consommations. Mais beaucoup de ses intentions et de ses stratégies architecturales sont encore valables aujourd’hui.
De son coté, Jon Jerde ne semblait pas destiné à devenir un spécialiste de la conception de centres commerciaux. Après plusieurs années de pratique libérale, une crise financière l’obligea à mettre entre parenthèses son activité. Un peu par défaut, il dû accepter un poste de directeur de design dans une grande société de promotion immobilière, spécialisée dans la création de centres commerciaux. Il ne savait pas encore que cette nouvelle voie allait devenir pour lui l’une des plus importantes de sa carrière.
A cette époque, de 1950 à 1970, le « centre commercial était le meilleur investissement connu de l’homme »20. L’objectif des promoteurs était de rentabiliser leur investissement en tentant de récolter un maximum d’argent par mètres carrés de surfaces créées. Cette approche était donc appliquée de manière systématique, sans jamais être remise en question. Le développement des centres commerciaux était devenu si standardisé, que l’organisation interne en était même régie par le merchandising plutôt que par l’imagination propre des architectes. Alors quand Jon Jerde se pencha sur la conception de son premier magasin, à la fin des années 1960, il était persuadé qu’il devait exister d’autres solutions. Selon lui, la vision du centre commercial mise au point par Victor Gruen avait atteint ses limites, et elle était devenue si conventionnelle que la présence de l’architecte n’avait plus vraiment lieu d’être. Et les instincts de Jerde se sont vite confirmés. La production de masse d’après-guerre avait fait évoluer les modes de consommation, et les centres commerciaux avaient besoin d’un renouveau.
Très vite, son travail s’est concentré sur l’attraction des centres commerciaux vis-à-vis de la population. Et pour cause, son analyse avait montré que le centre commercial était devenu « la dernière place où la vie communautaire américaine existait »21. Alors, il a décidé de repenser le centre commercial, en y intégrant des composantes humaines. L’idée était de créer un lieu qui attire une foule de personnes, dans un environnement stimulant, afin que ces dernières puissent de nouveau échanger et partager entre elles, ainsi qu’avec l’environnement dans lequel elles se trouveraient. Le centre commercial allait de nouveau devenir une expérience urbaine, un lieu de vie pour les citoyens, et non plus seulement un lieu de consommation.
Malgré tout, Jerde ne souhaitait pas tout révolutionner. Il voulait se contenter d’ajouter de nouveaux éléments qui ne perturberaient en rien la fonction originelle du centre commercial. Son envie : concevoir « des lieux riches et expérientiels qui en inspireraient et engageraient l’esprit humain ». Les éléments du pratique et du magique coexisteraient et se renforceraient mutuellement. L’utilisateur se retrouverait alors au centre des attentions, ses sens seraient stimulés, et il pourrait vivre des moments de surprise et d’excitation. Enfin dans un même temps, le niveau de confort resterait inchangé.
Mais tout ne s’est pas fait aussi rapidement qu’il l’aurait souhaité. Comme tous les visionnaires, ses travaux sont passés par des essais, des erreurs, des réglages ou des affinages. En témoigne le projet du Horton Plaza de San Diego. Débuté en 1985, le projet était conçu à la base sur celui d’un centre commercial régional standard. Si Jerde a réussi à le faire évoluer durant les travaux, il a quand même conservé les grands traits habituels : un bâtiment centré sur l’intérieur avec peu d’ouvertures, et des aires de stationnement périphériques. Seul sa forme était quelque peu nouvelle. Jerde s’est juste contenté d’animer les façades, les mails, afin de tenter de distraire les acheteurs pour leur faire oublier l’identité des enseignes couramment fréquentes dans ce type de grands magasins.
Par la suite, sa vision de la conception des centres commerciaux a continué d’évoluer. L’une des causes est une fois encore l’évolution des modes de consommation ; mais aussi et surtout l’introduction du « theming » devenu de plus en plus courant et nécessaire pour se démarquer des autres grands magasins. L’un des exemples, et peut être le plus réussi, est le Mall Of America, situé à Bloomington dans la banlieue de Minneapolis, et son Camp Snoopy. Ainsi, petit à petit, Jerde démontre que sa théorie n’était pas qu’une supercherie, et il confirme que pour qu’un centre commercial ait du succès, il faut qu’il devienne un espace public multi-usage, dans lequel le divertissement à sa place.
De par son travail, Jon Jerde a réussi à s’imposer comme un architecte de centres commerciaux et de divertissement. Sa synthèse du commerce et de la vie publique lui aura permis d’offrir une nouvelle vision des grands magasins, en stimulant la régénération sociale et économique, en encourageant la vitalité et l’interaction. Mais surtout, ce qui est peut-être le plus marquant, c’est que la carrière de Jerde a été constamment liée aux évolutions des modes de consommation, et que chaque fois il a réussi à répondre à la demande. Si jamais il n’a remis en cause ses préoccupations formelles et sociales, il aura su adapter ses travaux pour poursuivre sa quête du centre commercial dédié au citoyen. Il a certainement inventé une nouvelle façon de vivre l’architecture, plutôt que de simplement la voir.
Pour conclure sur la présentation de ces «inventeurs» des centres commerciaux modernes, je vais me référer à l’ouvrage de Bradbury & Crawford, You are here : the jerde Partnership international, qui résume bien en quelques lignes leur investissement dans le développement de ce type de bâtiment. Et je cite :
« Gruën et Jerde se distinguent dans un domaine qui célèbre les développeurs qui génèrent les centres commerciaux, plutôt que les architectes qui les conçoivent. Les innovations de Gruën ont défini la forme et la formule du centre commercial moderniste archétypal – le centre commercial régional d’intérieur – qui s’est répandu aux États-Unis de 1960 à 1980. Sous un climat qui exige des changements de formes et de produits plus rapides, Jerde a produit, de façon typiquement postmoderne, une succession de différents types de centres commerciaux. Cependant, le succès constant de Gruën et Jerde dans la conception de centres commerciaux repose sur le même talent paradoxal ; leur capacité à satisfaire simultanément un ensemble d’exigences apparemment contradictoires. Premièrement, et fondamentalement, ils doivent adhérer aux formules rigides qui régissent la rentabilité d’un centre commercial. Dans le même temps, cependant, ils doivent générer une innovation continue, afin de rester à l’avant-garde du centre commercial en constante évolution. Ce sont des exigences minimales. Ce qui a rendu légendaires Gruën et Jerde, c’est l’ajout d’un troisième élément au centre commercial : une sociabilité communicable. Puisant dans les désirs populaires et leurs propres envies d’urbanité, ils ont appris à orchestrer le plaisir commun. »
Au travers de cette rapide analyse qui demanderait à être approfondie et complétée, on se rend compte assez facilement que l’histoire des centres commerciaux n’est pas aussi simple qu’elle puisse paraître. Elle est surtout liée à tout un ensemble de paramètres extérieurs et à la volonté délibérée de certains architectes. Aussi, comme Patrick Mauger le mentionnait dans son ouvrage, « A l’origine pensés sur un concept standard, « prêt-à-implanter », les centres commerciaux sont aujourd’hui devenus des bâtiments sur mesure insérés dans leur contexte. ». Le rôle de l’architecte a également changé au fil des années et des évolutions des modes de consommation passant d’un simple rôle de concepteur de bâtiments commerciaux, où seule la rentabilité était mise en avant, à celui d’un architecte/designer/urbanisme, expert en communication, devant répondre aux nouvelles envies des consommateurs de voir leur centre commercial plus attractif.
Mais paradoxalement, bien que l’histoire des centres commerciaux témoigne d’une certaine linéarité, il est difficile d’attribuer à une époque une typologie commerciale. En fonction de la commande, de la localisation ou encore de l’architecte, chaque construction était différente. Elle répondait à un programme spécifique, lui-même axé sur les modes de vie des consommateurs locaux. Ainsi, cela explique pourquoi nous nous retrouvons avec une multiplicité de conception architecturale aux styles si différents. Et visiblement, l’histoire n’est pas prête de s’arrêter.
Cette petite analyse historique de l’avènement des centres commerciaux nous a permis de mieux cerner les évolutions architecturales au fil des époques. Et même s’il nous est impossible de les comparer puisqu’à chaque période correspond un mode de vie et de consommation, elle fait ressortir un point non négligeable pour la réussite commerciale : l’importance des zones couvertes qui permettent de relier les espaces commerciaux. Du marché couvert aux grands centres commerciaux de Jon Jerde, la réussite semble dépendre de cet élément architectural. Alors il me semble essentiel d’approfondir encore ce point, en tentant de comprendre comment les architectes intègrent ce paramètre au moment de la conception. Egalement, il faut analyser les ingrédients qu’ils utilisent pour en faire un lieu de vie où l’usager y trouve sa place.
Présentation des deux centres commerciaux
Mall of America
Ce méga centre commercial n’est autre que l’oeuvre d’un homme : Jon Jerde. Il est situé à Bloomington, dans le Minnesota, aux États-Unis, et à seulement quelques kilomètres de la ville de Minneapolis. Sa construction a débuté en 1989 et le centre a ouvert ses portes le 11 Août 1992.
S’il est considéré comme l’un des plus importants du monde aujourd’hui, en réalité au 14ème rang mondial, c’est en grande partie dû à sa superficie commerciale. En effet, il s’étend sur 390 000m², dont 232 000m² de surfaces commerciales. Ainsi, il abrite aujourd’hui, pas loin de 520 magasins ou boutiques, 50 restaurants ou fast-foods, 14 salles de cinéma, 8 discothèques, mais aussi un golf miniature sur 2 niveaux ou encore un parc d’attraction. Alors pour que la clientèle puisse accéder à ce « paradis » commercial, il est évident que le concepteur a pensé au stationnement. C’est donc ce qui explique qu’aujourd’hui on retrouve près de 20 000 places de stationnements réparties à la périphérie du bâtiment. Enfin, et pour en terminer avec les chiffres, il faut également retenir que ce méga Mall attire près de 40 millions de visiteurs par an, pour un chiffre d’affaire annuel d’environ 900 millions de dollars.
Mais le Mall of America, c’est également bien plus qu’un centre commercial. Jon Jerde avait décidé au moment de sa conception d’en faire un monde dans un monde, une ville dans la ville, dans lequel serait reproduit un environnement urbain et naturel familier. Alors, aussi surprenant que cela puisse paraître et en plus de tous les éléments précédemment cités, on y retrouve un lycée, le Mall of America High School, ou encore une chapelle, soigneusement dénommée la « Chapelle de l’Amour ». L’aspect naturel est lui mis en avant, grâce à des reproductions de pierres établies à partir de roches de falaises voisines, ou encore avec la plantation de près de 400 arbres qui poussent sous l’apport de lumière naturelle provenant des verrières du centre commercial.
En ce qui concerne l’organisation générale, le centre commercial est composé de quatre grands magasins qui sont situés un à chaque coin, reliés entre eux par des « rues ». Chacune de ces dernières convergent vers le coeur névralgique du centre, le parc d’attraction. Mais elles divisent également le Mall en « quartiers » aux ambiances bien distinctes : North Garden est paysagé, West Market est la représentation d’un « marché international », South Avenue propose des boutiques haut de gamme, et East Broadway est un lieu contemporain. Enfin, le centre commercial comporte plusieurs niveaux, quatre précisément, que l’architecte a soigneusement pensé avec des plans carrés sur les deux premiers niveaux et des plans circulaires sur les deux derniers niveaux. Comme on peut le lire dans le livre You Are Here26, Jon Jerde explique son choix: « Ces types de complexités expérientielles étaient nécessaires, pour donner un sens à une géographie mémorable ».
Europa City
Le projet d’Europa City est à l’origine une commande privée, soutenue par l’agglomération parisienne et l’état. Il doit prendre place dans le « Triangle de Gonesse », dans la commune du même nom, dans le département du Val-d’Oise, à quelques kilomètres seulement de la capitale française.
En 2012, une consultation d’architecte a été lancée et ce sont quatre grands cabinets d’architecture qui vont concourir pour remporter le projet. Au printemps 2013, le lauréat est désigné, et c’est l’agence BIG (Bjarke Ingels Group) qui est retenue. Un travail de mise au point, d’échanges, de consultations publiques et de développement s’engage alors sur de nombreuses années. Après la phase de conception, vient enfin la phase de finalisation et de planification des travaux. Il est donc annoncé en 2017 un début des travaux pour l’année 2019 et une ouverture au public à l’horizon de 2024. Mais à la suite d’une enquête publique sur la révision du PLU de la zone, un avis défavorable est émis par le commissaire enquêteur. Par conséquent, sans accord et bien que ce retour n’est pas de valeur légale, le projet est donc remis en cause. A ce jour, le projet essuie toujours un refus des autorités locales, et son planning ne semble plus d’actualité.
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Table des matières
Introduction
Du marché couvert à la naissance des centres commerciaux
1 – Les marchés couverts & les halles
2 – Les passages couverts
3 – La naissance des centres commerciaux
3-1 – Les centres commerciaux contemporains : Volumétrie et matérialité
3-2 – De Victor Gruën à Jon Jerde
Etude de cas : Mall of America & Europa City
1 – Présentation des deux centres commerciaux
1-1 – Mall of America
1-2 – Europa City
2 – L’importance de la galerie couverte dans la pratique commerciale
3 – La place de l’usager dans le centre commercial
Conclusion
Iconographie
Médiagraphie
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