Etude comparative de la gestion des langues

« Les hommes sont confrontés aux langues. Où qu’ils soient, quelle que soit la première langue qu’ils ont entendue ou apprise, ils en rencontrent d’autres tous les jours, les comprennent ou ne les comprennent pas, les reconnaissent ou ne les reconnaissent pas, les aiment ou ne les aiment pas, sont dominés par elles ou les dominent : le monde est plurilingue , c’est un fait. » (L.J.CALVET, 1987 : 43). Ces deux phrases de Louis-Jean Calvet témoignent justement de la pluralité des langues qui se côtoient partout dans le monde. « Si les langues véhiculent l’âme de la société, les langues des pays sous-développés ne sont pas des langues sous-développées » .

La situation des langues dans le monde présente une très grande complexité. Les langues sont inégalement réparties. Nous avons des continents qui sont pauvres en langues et d’autres riches. Une minorité de langues sont parlées par un grand nombre de locuteurs et qui représentent 44,3% des locuteurs. Puis 1,2% des langues sont parlées par 38% des locuteurs pour résumer, nous pouvons dire que 5% des langues du monde sont parlées par 95% de la population mondiale et 95% des langues du monde sont parlées par 5% de la même population (Calvet 2012 :55-73).

Depuis la naissance du langage, le monde est multilingue. Certes, le nombre de langues diminue pour diverses raisons et la mort des langues augmente en raison de l’exode rural, de la globalisation et de l’homogénéisation de la planète. Si la diversité linguistique varie selon les continents, on peut dire que tous les états y sont confrontés. C’est pour cela que David Crystal (2ooo) affirme que « le multilinguisme est le mode de vie naturelle de la plupart des individus ». Bien que cela soit beaucoup plus manifeste en Afrique et en Asie qu’en occident.

Les langues dans le monde varient de 3000 à 6500 (Calvet 2004 : 63). Ce chiffre nous rappelle que les langues sont plus nombreuses que les pays. Cela revient à dire que le multilinguisme est un phénomène très répandu. Très peu de pays connaissent une homogénéité linguistique bien que plusieurs poursuivent cet objectif avec plus ou moins de succès. Toutes les langues n’ont pas non plus la même aire de rayonnement. Par exemple, au Mali comme au Sénégal, les langues n’ont pas le même statut. La plupart des langues sont utilisées dans leurs milieux d’origine (langues vernaculaires) ; cependant, les péripéties de l’histoire ont permis qu’un petit nombre d’entre elles, telles l’anglais, le français, l’espagnol par exemple, essaiment dans différentes parties du monde. Enfin, toutes les langues ne sont pas parvenues au même niveau de développement. Si un grand nombre d’entre elles ont atteint un haut degré de normalisation, d’autres par contre n’ont pas encore fait l’objet de description ni de transcription (cf.Denis Turcotte 1981).

Cadre conceptuel

La politique linguistique est l’ensemble de mesures et de projets ou de stratégies ayant pour but de régler le statut et la forme d’une ou de plusieurs langues . Calvet nous définit dans son ouvrage La guerre des langues et les politiques linguistiques(1987) le terme « politique linguistique » comme l’ensemble des choix conscients effectués dans le domaine des rapports entre langue et vie sociale, et plus particulièrement entre langue et vie nationale, et la « planification linguistique » comme la recherche et la mise en œuvre des moyens nécessaires à l’application d’une politique linguistique.

Prator, cité par Markee (1986 : 8) in Mathieu, définit la politique linguistique comme « un processus de prise de décisions dans le domaine de l’enseignement et de l’utilisation des langues, et la formulation judicieuse de ces décisions par les autorités compétentes, pour l’orientation des autres parties intéressées ». Dans la présente étude, la politique linguistique couvre toutes les décisions et mesures d’orientation prises par les autorités compétentes et concernant l’importance ou le statut d’une langue par rapport à d’autres langues (politique de promotion), l’attribution de fonctions ou rôles donnés aux langues (langue d’instruction, langue officielle, langue nationale, langue de grande communication, etc), avec un accent particulier sur les attitudes et pratiques dans le domaine de l’éducation et du développement linguistique et global durable.

Dans le cadre des politiques linguistiques dans la région de l’Afrique de l’Ouest selon Mathieu, Alfa Ibrahim Sow (1977 : 12) définit la politique linguistique comme une activité visant à anticiper et à choisir entre plusieurs options. A cet égard, il faut une vision claire et une bonne compréhension des objectifs à atteindre et des problèmes à résoudre. La politique linguistique consiste à déterminer, avec précision, la méthodologie et les moyens et ressources à utiliser. Pour le succès de la mise en œuvre de la politique linguistique, il est nécessaire d’adopter des mesures institutionnelles et législations appropriées et de prendre toutes les autres mesures propices à cette fin. Pour Easton (1968) la planification et la prise des décisions supposent le pouvoir ou la capacité à assurer le contrôle de l’élaboration et de la mise en œuvre des décisions officielles concernant la distribution des biens améliorés dans une situation d’offre limitée. Toutefois, comme le fait remarquer à juste titre Cooper (1989 : 88). Il y a deux principales approches à l’analyse des décisions : l’approche prescriptive (ou normative) et l’approche descriptive. Dans la planification linguistique et le processus d’élaboration des politiques et de prise de décisions, il y a l’intervention des trois principales catégories d’acteurs ci-après :

Individu : très souvent, en particulier en Afrique de l’ouest, la planification linguistique est assurée, dans une large mesure, par des individus se situant en dehors du cadre des institutions formelles en ce qui concerne la planification du corpus (linguistes, chercheurs, enseignants). Organisations ou institutions formelles : les décisions concernant la planification linguistique et les aspects éducatifs sont souvent influencées ou prises par les organisations ou Institutions formelles, les églises et les confessions religieuses telles que l’islam, les établissements scolaires, les associations professionnelles, les maisons d’édition et les Imprimeurs. Ces décisions portent à la fois sur la planification du statut et la planification du corpus des langues. Gouvernement : de nombreuses décisions sur le statut, l’utilisation et l’usage des langues sont prises à l’initiative des gouvernements. Elles sont élaborées par les institutions gouvernementales et mises en œuvre par les autorités politiques et administratives appropriées. Dans notre analyse de la situation et des politiques linguistiques au Mali et au Sénégal, nous allons naturellement mettre l’accent surtout sur les politiques gouvernementales, ce qui nous amènera, comme le font observer Dye et Robey (1983 : 3), à « chercher à savoir ce que font les gouvernements, les motivations qui les animent et les résultats obtenus ».

L’expression planification linguistique est, selon le dictionnaire des sciences du langage de Dubois (P.367), l’ensemble de mesures ordonnées prises par un Etat pour la normalisation d’une langue ou de son emploi. La planification peut être à elle toute la politique ou en former seulement une des parties.

Les situations sociolinguistiques

Nous soulignons que plusieurs études tendant à dresser un profil sociolinguistique précis de la situation malienne et sénégalaise ont été réalisées.

Le français est la seule langue officielle au Mali comme au Sénégal et la langue de l’administration, du gouvernement et de l’Etat. L’hégémonie du français au Sénégal, est la contribution du premier président du Sénégal (1960-1981). Léopold Sédar Senghor, étant un écrivain d’expression française, s’est consacré à l’usage actif du français et a montré l’exemple.

Au Mali, les langues les plus utilisées sont le bambara, le malinké, le sarakolé, le peulh, le sénoufo/ minianka, le dogon, le sonrai, le bomu, le maure et l’arabe, en plus de la langue française. Le bambara est la langue la plus rependue et la principale langue véhiculaire au Mali. Il est maitrisé par 80% de la population. Les touaregs berbères parlent le tamasheq et l’arabe hasanya dans le nord du Mali. Le songhai est parlé dans le centre, les Wolofs parlent le peul ou le fulfulde dans le sud. Le dogon, le sénoufo et le samogo sont parlés dans le sud du Mali . Les six langues codifiées en 1971 sont le wolof, le peulh, le sérère, le diola, le soninké et le malinké au Sénégal.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIER CHAPITRE
I – Cadre conceptuel
II – Les situations sociolinguistiques
DEUXIÈME CHAPITRE
I – Politiques linguistiques
II – Les réalités sociolinguistiques et la politique linguistique actuelle
2- 1 Réalités sociolinguistiques
2-2-1 La situation scolaire
2-2-2 Les medias
TROISIÈME CHAPITRE : La gestion du multilinguisme
I – La gestion non institutionnelle
I-1 La gestion individuelle
I-1-1 Les langues parlées aux marchés
1-1-2 La langue parlée à la maison
I-2 La gestion sociale : la diglossie
II : La gestion institutionnelle
2-1 Aménagement du statut
2-2 Aménagement du corpus
QUATRIÈME CHAPITRE : Le modèle de Calvet et de Diki-kidiri au Mali et au Sénégal
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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