Les benzodiazépines (BZD) constituent une classe thérapeutique découverte fortuitement à partir des années 1957 par STERNBACH qui travaillait sur les produits de la série des quinazolines. Elles sont caractérisées sur le plan chimique par un noyau benzénique accolé à un hétérocycle géant à sept sommets (cycle heptagonal ayant deux azotes comme hétéroatomes). Les benzodiazépines sont les psychotropes les plus fréquemment prescrits, en particulier en médecine de premier recours. La prescription des BZD en France reste la plus importante du monde, représentant deux milliards sept cent cinquante deux millions de comprimés d’anxiolytiques vendus au cours de l’année 1992 [28].
Leur succès s’explique par leur simplicité d’emploi, leur efficacité et le faible risque létal en cas d’abus suicidaire. Cependant, les BZD administrées à fortes doses et pendant une période prolongée, peuvent induire une dépendance physique et psychique. La prudence s’impose dans leur prescription surtout chez les patients à personnalité instable. L’étude de la prescription des BZD s’avère très utile en matière de politique pharmaceutique. Cependant, peu de travaux ont été faits dans notre pays sur la prescription et l’usage des BZD.
HISTORIQUE
Le bromure et le chloral représentent les premières molécules utilisées à visée anxiolytique. En 1954, BERGER décrit les propriétés du Méprobamate (EQUANIL®), carbamate synthétisé en 1950, en insistant notamment sur ses effets tranquillisants. Quelques années plus tard, STERNBACH met en évidence chez la souris les effets sédatifs, hypnotiques et anti-strychnique du chlordiazépoxide (LIBRIUM®), molécule dérivant des benzodiazépines isolées dès 1935. Son effet, proche des carbamates mais ayant plus de spécificités, permet de définir une nouvelle classe de tranquillisants : les benzodiazépines.
Les BZD sont des anxiolytiques relativement récents, leur première commercialisation date de 1960 et elles ne représentent pas l’intégralité des tranquillisants. De fait, les termes de sédatifs, tranquillisants ou anxiolytiques sont retrouvés fréquemment dans la littérature, sans forcément représenter des entités distinctes. Selon Jean DELAY, Médecin psychiatre, « les tranquillisants ou anxiolytiques sont des médicaments provoquant une action sédative sur la tension émotionnelle et sur l’anxiété ». Les tranquillisants ont évolué en améliorant sans cesse leur spécificité d’action. La classe thérapeutique des BZD est en perpétuelle évolution ; de nouvelles molécules dont les imidazopiridines arrivent régulièrement sur le marché avec des spécificités toujours plus grandes pour les récepteurs Oméga qui provoque l’anxiolyse sans générer d’effets indésirables. Ces molécules de 2ème génération se proposent comme des tranquillisants non benzodiazépiniques. Les études réalisées à l’heure actuelle ne permettent pourtant pas encore de savoir si l’on peut les distinguer de manière formelle des benzodiazépines.
Quoiqu’il en soit, les BZD représentent actuellement la classe d’anxiolytique la plus prescrite dans le monde. Elles possèdent des caractéristiques pharmacologiques qui doivent être connues par les prescripteurs pour optimiser leur usage. Aujourd’hui, l’arsenal thérapeutique comprend environ 50 dérivés qui sont classés en fonction de leur structure chimique.
CLASSIFICATION DES BENZODIAZEPINES D’APRES LEUR STRUCTURE CHIMIQUE
Structure générale
Les benzodiazépines possèdent une structure bicyclique comportant : un hétérocycle azoté hepta-atomique, porteur le plus souvent d’un noyau phényle et un cycle hexagonal. Selon la position des atomes d’azote sur l’hétérocycle hepta-atomique, on distingue : les 1,4-benzodiazépines ; les 1,5 benzodiazépines et les 2,3 benzodiazépines. Les molécules récentes sont classées dans différentes familles : celles des triazolo-benzodiazépines, des diazolo-benzodiazépines et des benzoxazines 1,4.
Famille des 1,4 benzodiazépines (N en 1 et 4)
Cette famille comporte :
– les benzodiazépines non carbonylées en C2 ;
– les benzodiazépines carbonylées en C2 ;
– la sous-classe des 1,4 benzodiazépines nitrées en 7.
Benzodiazépines carbonylées en C2
Ce groupe renferme deux principales molécules qui sont :
– le chlordiazépoxide : LIBRIUM®
– le Médazépam : NOBRIUM®.
RELATION STRUCTURE – ACTIVITE
L’activité pharmacologique des benzodiazépines est gouvernée par la substitution des différents cycles. La nature et la position du substituant conditionnent cette activité.
Substitution du cycle benzénique (cycle A)
Pratiquement toutes les benzodiazépines mises à la disposition des prescripteurs sont substituées en 7. Ces substituants possèdent un caractère électro-attracteur dont les puissances relatives sont les suivantes :
NO2 = CF3 > Br > Cl > CH3 > F > H.
La substitution sur d’autres sommets diminue ou supprime l’activité [42]. Le cycle A benzénique peut être remplacé par un hétérocycle thiophène (Clotiazépam). Le substituant NO2 en position 7 exalte l’activité hypnotique (Nitrazépam) ou antiépileptique (Clonazépam), alors que le substituant Cl en position 7 exalte l’activité anxiolytique (Diazépam, Lorazépam).
Substitution de l’hétérocycle B
L’alkylation en position 1 accroît l’activité [42]. L’atome en position 1 peut être substitué par un radical méthyle (Diazépam). Les benzodiazépines peuvent présenter des atomes d’azote sur d’autres sommets du cycle B, tout en conservant leur activité :
– Clobazam ;
– Chlordiazépoxide ;
– Tofisopam.
Substitution du cycle benzénique en 5 (cycle C)
La substitution du cycle benzénique en 2’ en ortho par un halogène augmente l’activité dans l’ordre F > Cl. Le noyau exocyclique en position 5 peut être remplacé par un hétérocycle isoster 2-pyridyle (Bromazépam) ou par un reste cyclohexényle (Tétrazépam).
Introduction de cycles supplémentaires
Certaines 1,4-benzodiazépines présentent un cycle supplémentaire accolé au cycle B sur les sommets 1 et 2 :
– cycle triazole (triazolo-benzodiazépine) : Triazolam;
– cycle imidazole (imidazo-benzodiazépine) : Loprazolam.
L’augmentation d’activité de ces molécules (oxazolo, triazolo et imidazobenzodiazépines) a pu être expliquée par l’analogie structurale avec certaines bases puriques comme l’inosine qui peut se lier au site récepteur des BZD. La suppression du noyau aromatique en position 5 comme dans le cas d’une imidazo-benzodiazépine (Flumazénil : ANEXATE®) entraîne une forte affinité pour les sites de liaison des BZD tout en supprimant les effets agonistes. Ainsi, le Flumazénil est utilisé comme antidote lors d’absorption importante de BZD. Il permet également de faire le diagnostic différentiel entre un coma dû aux BZD et un autre coma (morphinique ou barbiturique). Malgré le fait que la substitution des différents cycles joue un rôle important dans le développement de leurs activités, les BZD conservent pratiquement les mêmes propriétés pharmacologiques .
PROPRIETES PHARMACOLOGIQUES DES BZD
Un nombre très important de travaux ont rapporté et décrit les propriétés pharmacologiques des BZD et de leurs métabolites. Quelles que soient leur structure chimique et leur utilisation thérapeutique principale, les BZD actuellement employées semblent exercer, du moins jusqu’à un certain point, un effet anxiolytique, anticonvulsivant, hypnotique, sédatif et myorexalant. Certaines benzodiazépines présentent parfois des effets amnésiants.
Action anxiolytique
Il a été démontré que les BZD réduisaient l’anxiété plus que ne le faisait un placebo. L’activité « anxiolytique » a aussi été démontrée chez l’animal par des tests mettent en évidence le comportement en situation conflictuelle ou face à une punition. Le modèle le plus communément utilisé est le test de conflit de GELLER et SEIFTER, dans lequel des rats cessent d’appuyer sur un levier permettant d’obtenir de la nourriture dès lors que cette obtention est couplée à l’apparition d’un choc électrique [13]. Les animaux sont conditionnés à pratiquer une tâche déterminée, par exemple appuyer un nombre de fois donné, ou à des intervalles de temps fixes sur un levier afin de recevoir une récompense sous forme de nourriture. Pour calmer leur faim, les animaux apprennent rapidement, pendant la session expérimentale, le programme défini par l’expérimentateur. En langage de psychologue, la récompense constituée par la nourriture a une action de renforcement positif sur l’appui du levier. Lorsque l’animal s’est plié au comportement conditionné, on introduit dans la session expérimentale des périodes, en séquences régulières ou irrégulières pendant lesquelles chaque appui sur le levier est à la fois récompensé par la nourriture et puni par un bref choc électrique au niveau de la grille sur laquelle se trouve l’animal. Ces périodes avec punition sont annoncées par un signal lumineux ou sonore (donc un signal qui indique un danger imminent). Pendant ces périodes, l’animal se trouve dans une situation de conflit (conflit approche – évitement) ; il peut choisir d’obtenir la nourriture souhaitée au prix d’une punition désagréable, ou d’y renoncer. Les animaux de contrôle réduisent nettement voire complètement le nombre d’appuis lors des périodes avec punition, c’est-à-dire que leur activité appétitive est inhibée ou affaiblie.
Cependant, lorsque les benzodiazépines sont administrées avant la session test, et cela dans une gamme large de doses, le nombre d’appuis avec punition augmente souvent jusqu’à la fréquence même exécutée pendant la période sans punition. Cette action des benzodiazépines est désignée comme une action anticonflit ou comme une désinhibition des comportements de punition.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE SUR LES BENZODIAZEPINES
I HISTORIQUE
II – CLASSIFICATION DES BZD D’APRES LEUR STRUCTURE CHIMIQUE
II.1. – Structure générale
II.2. – Famille des 1,4 benzodiazépines
II.3. – Famille des 1,5 benzodiazépines
II.4. – Famille des 2,3 benzodiazépines
II.5. – Famille des Triazolo‐ benzodiazépines
II.6. – Famille des Diazolo‐ benzodiazépines
II.7. – Famille des 1,3 benzoxazines
II.8. – Famille des Thiénodiazépines
III – RELATION STRUCTUREACTIVITE
III.1. – Substitution du cycle benzénique
III.2. – Substitution de l’hétérocycle B
III.3. – Substitution du cycle benzénique en 5
III.4. – Introduction de cycles supplémentaires
IV – PROPRIETES PHARMACOLOGIQUES DES BZD
IV.1. – Action anxiolytique
IV.2. – Action anticonvulsivante
IV.3. – Action sédative et hypnotique
IV.3.1. – Action sédative
IV.3.2. – Action hypnotique
IV.4. – Action myorelaxante
IV.5. – Action amnésiante
V – MECANISME D’ACTION DES BZD
V.1. – Récepteurs des BZD
V.1.1. – Mise en évidence des récepteurs
V.1.2. – Distribution des récepteurs dans le cerveau
V.1.2.1. – Localisation anatomique
V.1.2.2. – Localisation cellulaire
V.1.2.3. ‐ Localisation intracellulaire
V.2. – Système GABA
V.2.1. – Récepteurs GABA‐A
V.2.2. – Récepteurs GABA‐B
V.2.3. – Comparaison des sites récepteurs GABA‐A et GABA‐B
V.3. – Mécanisme d’action proprement dit
V.4. – Action des BZD sur les autres transmissions
VI – PHARMACOCINETIQUE DES BZD
VI.1. – Absorption
VI.1.1. – Voie orale
VI.1.2. – Voie intramusculaire
VI.1.3. – Voie intraveineuse
VI.1.4. – Voie rectale
VI.2. – Distribution
VI.3. – Métabolisme
VI.4. – Elimination
VII – INDICATIONS THERAPEUTIQUES DES BZD
VIII –EFFETS SECONDAIRES ET CONTREINDICATIONS
VIII.1. – Effets secondaires
VIII.2. – Contre‐indications
IX – POSOLOGIE ET MODE D’ADMINISTRATION
X – INTERACTIONS MEDICAMENTEUSES
XI – PRESCRIPTION DES BZD
DEUXIEME PARTIE : TRAVAIL PERSONNEL
I – INTRODUCTION
II – MATERIEL ET METHODES
II.1. – Cadre d’étude
II.2. – Matériel
II.2. – Méthode
III RESULTATS
III.1. – Résultats globaux selon les 52 médecins enquêtés
III.1.1. ‐ Indications des BZD
III.1.2. – Les BZD prescrites en première intention
III.1.3. – Le nombre de prise des médicaments par unité de temps
III.1.4. – Durée du traitement
III.1.5. – Répartition des prescriptions selon le moment des prises des BZD
III.1.6. – Raisons du choix des médicaments prescrits
III.1.7. – Propriétés pharmacologiques des BZD citées par les médecins
III.1.8. – Craintes lors de la prescription des BZD
III.1.9. – Existence ou non d’une durée limite d’utilisation des BZD
III.1.10. – Problèmes rapportés par les patients dans la prescription des BZD
III.1.11. – Connaissance de la part des médecins sur les BZD utilisées pour se droguer
III.1.12. – Niveau des formation des prescripteurs sur les BZD
III.1.13. – Suggestions des prescripteurs sur la formation
III.1.14. – Disponibilité géographique des BZD selon les prescripteurs
III.1.15. – Nombre de ruptures des BZD citées par les médecins
III.1.16. – Moyenne des ruptures
III.1.17. – Degré de satisfaction après entretien des prescripteurs avec les autorités sanitaires devant ces ruptures
III.1.18. – Degré de satisfaction après entretien des prescripteurs avec leur chef hiérarchique devant ces ruptures
III.1.19. – Avis des médecins sur l’existence ou non d’une politique pharmaceutique nationale
III.1.20. – Degré de satisfaction par rapport à cette politique
III.1.21. – Disposition de procédure commune de prescription
III.1.22. – Collaboration entre les pharmaciens et les prescripteurs De BZD de la même structure de travail
III.1.23. – Degré de satisfaction des médecins dans leur collaboration avec les pharmaciens
III.1.24. – La raison du manque de collaboration entre médecins et pharmaciens
III.2. – Croisement des variables entre généralistes et spécialistes
III.2.1. ‐ Indications des BZD
III.2.2. – BZD utilisées en première intention
III.2.3. – Raison du choix dans la prescription des BZD
III.2.4. – Propriétés pharmacologiques des BZD citées par les spécialistes et les généralistes
III.2.5. – Craintes dans la prescription des BZD
III.2.6. – Problèmes rapportés par les patients
III.2.7. – Connaissance des BZD utilisées pour se droguer
III.2.8. – Niveau de formation des spécialistes et généralistes
III.2.9. – Suggestions pour la formation sur les BZD de la part des spécialistes et généralistes
III.1.10. – Politique pharmaceutique nationale
III.1.11. – Existence de procédure commune de prescription
III.1.12. – Collaboration entre prescripteurs et pharmaciens
IV DISCUSSION
CONCLUSION GENERALE