Être youtubeur la créativité aux prises avec les contraintes de la plateforme YouTube

Être youtubeur : la créativité aux prises avec les contraintes de la plateforme YouTube

Être vidéaste ou public sur YouTube induit nécessairement un rapport direct avec la plateforme. Avant de s’intéresser à la créativité en elle-même, il est important d’identifier les potentielles contraintes inhérentes à cette plateforme.

YouTube et sa construction : horizon d’attente et contraintes pour les internautes 

Pour être reconnaissable, condition indispensable à la survie d’un site dans l’univers très habité d’Internet, il faut posséder une identité. La plateforme se construit donc autour d’éléments multiples et reconnaissables : visuels (logo), vocabulaire spécifique (signature, noms donnés aux différentes rubriques)… Intéressons-nous plus précisément à ces éléments qui constituent l’imaginaire du média-marque.

Etymologie de YouTube et imaginaire de l’écriture de soi
Selon l’auteur Gustavo Gomez-Mejia, tout commence par le nom. Il utilise l’expression latine « NOMEN OMEN » : « le nom est un présage », pour indiquer l’horizon d’attente créé par l’évocation d’un nom. En effet, les noms « gouvernent chacun un spectre de représentations […] qui vont hanter l’expérience des dispositifs d’écriture à l’écran. » Le nom du site, réseau, média fait donc état d’une promesse, une orientation ; l’internaute qui en prend connaissance s’attend à trouver certaines fonctionnalités ou éléments dans le fonctionnement du site. Afin d’illustrer son propos, Gustavo Gomez-Mejia fait appel au tableau reproduit ci-dessous.

Le nom du site est divisé en deux parties : · Le sème « personnel » you est l’anglais pour le pronom « tu » ou « vous » : il fait directement référence à la personne en train de lire ce nom, comme si la plateforme pointait l’internaute-lecteur du doigt à la manière de l’Oncle Sam sur les affiches américaines « We want you ». Ce sème personnel accroche l’attention du lecteur, l’amenant à vouloir découvrir ce qui suit. · Le sème « dispositif » tube, que Gustavo Gomez-Mejia associe à la télévision via la référence au tube cathodique, composant essentiel des téléviseurs jusqu’à l’avènement récent des écrans LCD (écrans à cristaux liquides). Ce sème est donc porteur de la notion d’audiovisualité, notion dont il convoque l’imaginaire pour l’associer à ce nouveau support potentiel de l’audiovisualité qu’est Internet.

Ces deux sèmes et leurs significations portent l’idée que n’importe quelle personne peut créer du contenu et le diffuser, idée renforcée par la signature originelle de YouTube Broadcast Yourself, « Diffusez-vous » ou « Diffusez vous même » :

Le logo du site, référence à l’écran et au bouton de lecture, vient également renforcer cet imaginaire. Si aujourd’hui, la signature n’est plus affichée à côté du logo, à l’origine l’internaute qui arrivait sur le site était donc confronté à cette double injonction concernant la création.

L’imaginaire porté par le nom de la plateforme est donc clair et oriente les internautes dans leur recherche ou utilisations du site. C’est également une manière de cacher la structure du site, selon l’auteur : « Chaque nom est donc un concept métaphorique susceptible de transporter les écrits d’écran dans un imaginaire identitaire au sein duquel les représentations de soi et du groupe semblent accueillies par des dispositifs plus chaleureux que de simples structures HTML. » Ainsi, l’internaute est plus enclin à réagir et partager du contenu. Le nom a donc une double utilité ; il est là non seulement pour créer un horizon d’attente chez l’internaute, mais également pour faire oublier le dispositif rigide que représente le site.

A travers l’analyse de Gustavo Gomez-Mejia, il apparaît donc que le site YouTube, à l’instar d’autres sites dont l’identité est travaillée, est instantanément reconnaissable pour quiconque connaît ses codes. La plateforme contribue à créer un horizon d’attente chez l’internaute : la possibilité de se mettre en ligne et d’interagir avec d’autres internautes dans la même logique de représentation. Avant même de nous intéresser à la structure du site de partage de vidéos, nous observons donc que les notions investies par YouTube prennent un sens nouveau.

« Communauté », « youtubeur », « fan » : des notions créées ou réinvesties par YouTube

Afin que l’internaute l’identifie, l’utilise et la recommande, la plateforme doit se faire remarquer ; cela passe par son aspect, mais également par les éléments de langage qu’elle met en avant. De nombreux termes déjà existants ont été réinvestis par YouTube, d’autres créés ; il nous parait essentiel de s’interroger sur les termes utilisés et de revenir sur leur signification, afin de saisir les logiques et les enjeux derrière cette réutilisation.

De « créateur » ou « vidéaste » à « youtubeur » 

Depuis le début de ce Mémoire, nous utilisons indépendamment les termes «créateur de vidéo » ou « vidéaste » ; il est temps d’interroger un troisième terme, «youtubeur ». Si la définition des deux premiers est connue de tous, nous réalisons qu’il n’en est pas de même pour le dernier, plus complexe à définir. Marc Jahjah, Maître de conférence à l’Université de Nantes et chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication, expose bien la problématique auquel nous confronte ce nom :  […] Sous l’appellation « YouTubeurs », nous réunissons des acteurs sans doute différents, dont nous pensons qu’ils partagent les mêmes caractéristiques parce qu’ils portent le même nom. Nous procédons alors à l’envers : nous recherchons une essence commune, une définition, à partir d’un terme rassembleur qui est peut-être flottant.

Le mot est entré dans le vocabulaire commun et convoque un imaginaire plus ou moins précis lorsqu’on l’évoque ; c’est lorsque l’on essaye d’en donner une définition précise que l’on s’aperçoit de la difficulté. En effet, une pluralité de profils et de personnalités sont aujourd’hui qualifiés de youtubeurs et youtubeuses : vidéaste lifestyle, mode, beauté, gaming, vulgarisateurs scientifiques, booktubeurs… Étant donné que leurs domaines de spécialisation ne sont pas les mêmes, que leurs discours diffèrent et leur façon de filmer également, sous quels critères communs peut-on les rassembler ? Pour Marc Jahjah, nous pourrions dire qu’« un « YouTubeur » mobilise et manifeste des « jeux de langage » (Wittgenstein), c’est-à-dire un ensemble de rites, d’actions, de formes plus ou moins communes qui permettent de les assimiler à cette figure sociale. » Il y aurait donc une convergence dans les manières de se représenter sur la plateforme qui permettrait de réunir sous le même terme des vidéastes avec des domaines d’expertise très différents.

Et ces rites et actions, ces codes que le vidéaste se doit de maitriser pour prétendre entrer dans la famille des youtubeurs seraient… ceux de la plateforme, selon l’auteur, qui évoque l’aide de la « Creator Academy » dans la formation des youtubeurs.

Le YouTubeur en herbe est censé trouver sur cet espace les « outils » lui permettant de parfaire son art. YouTube se présente ainsi comme un palliatif à l’illégitimité professionnelle. Les termes utilisés […] trahissent cependant un changement de modèle : cet « art » consiste avant tout à démontrer un savoir-faire dans le recours aux outils de la dite plateforme. Autrement dit : un « YouTubeur » est d’abord un individu capable de comprendre et de mobiliser la logique de la « MasterClass » YouTube .

Le principal dénominateur commun des vidéastes que l’on qualifie de « youtubeurs » serait donc YouTube. Si cela n’est pas une surprise au niveau de l’étymologie du mot, cette information semble essentielle dans ce qu’elle convoque comme imaginaire. En effet, le néologisme « youtubeur », que l’on pourrait presque aujourd’hui qualifier d’antonomase tant il est entré dans le langage courant pour parler d’un vidéaste ayant un rapport avec YouTube, est issu du nom de la plateforme et donc intrinsèquement lié à celle-ci ; il porte une idée forte d’appartenance à cette dernière. Notre réflexion s’appuyant sur un ensemble de vidéastes aux contenus très divers et dont les projets s’éloignent parfois de la plateforme, nous préfèrerons utiliser pour la suite les termes « créateurs de contenu», « créateur de vidéo » ou « vidéastes » plutôt que youtubeur, qui nous semble à la fois imprécis et fortement influencé par la plateforme.

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Table des matières

INTRODUCTION
I. Être youtubeur : la créativité aux prises avec les contraintes de la plateforme YouTube
A. YouTube et sa construction : horizon d’attente et contraintes pour les internautes
1. Etymologie de YouTube et imaginaire de l’écriture de soi
2. « Communauté », « youtubeur », « fan » : des notions créées ou réinvesties par YouTube
B. L’architexte de la plateforme, moyen de régulation de la créativité par YouTube ?
1. Les structures d’accompagnement à destination des créateurs : moteur ou frein de la création ?
2. Likes, commentaires… les modes d’illustrations de l’intérêt du public intégrés dans le fonctionnement socio-économique global du dispositif
C. YouTube et les annonceurs, une relation qui a des effets sur les vidéastes
1. La position délicate de YouTube envers les annonceurs et son discours ambigu
2. L’évolution de YouTube : entre attentes des annonceurs et inquiétude des vidéastes
II. YouTube : entre représentation de soi et conscription
A. S’écrire sur YouTube, pourquoi, comment ?
1. Vidéaste et mise en scène d’une identité
2. Un public qui se met aussi en scène
B. La conscription : quand le youtubeur choisi de s’écrire avec ses fans dans ses vidéos
1. La Foire Aux Question, entre poursuite de la mise en scène et rapport direct avec les abonnés
2. Quand l’abonné intervient physiquement dans la vidéo d’un créateur : la preuve d’une relation « réelle » ?
III. Les vidéastes et leur public, une relation complexe
A. Les retours du public sur les contenus créatifs, à la fois motivation et limites pour les créateurs
1. Des réactions variées au sein d’une même « communauté »
2. De milliers à des millions d’abonnés, quand une audience importante engendre des responsabilités pour le youtubeur
B. Le vidéaste et sa « communauté » : des échanges qui excèdent le cadre de la plateforme YouTube
1. De YouTube aux autres réseaux, quand les abonnés deviennent « communauté »
2. Une « communauté » qui permet au youtubeur de diversifier ses projets
C. Le vidéaste mentor : quand la « communauté » devient créatrice à son tour
1. Recommandation, partage, incitation à se lancer… le vidéaste au croisement entre créateur, public et mentor
CONCLUSION

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