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Le cou, dualité embryologique [89, 120]
Le cou est une région bien particulière. Il tire son développement d’une dualité embryologique en empruntant à la tête des dérivées d’origine branchiale et au tronc des dérivées d’origine somitique.
Le cou n’existe pas chez l’embryon. En effet au cours de la morphogenèse, comme l’avait noté Brachet [21], « la démarcation entre la tête et le tronc est malaisée à établir d’une façon radicale, valable pour toutes les formes et tous les stades ». En grand embryologiste, cet auteur concluait qu’ « il y a dans distinction entre la tête et le tronc quelque chose d’artificiel ».
L’embryon forme ainsi un tout indissociable où le modelage du futur cou procède des remaniements de son extrémité céphalique, marqués par la disposition systématisée des parois latéro-ventrales du pharynx embryonnaire.
Le pharynx embryonnaire et ses dérivés [89,120]
Mise en place des feuillets embryonnaires
L’entoblaste
L’entoblaste apparait aux environs du 8ème jour de vie embryonnaire et forme l’intestin primitif axial. A sa partie crâniale, l’intestin antérieur est appelé intestin pharyngien.Il est à l’origine de la formation des glandes.
Le mésoblaste
Mis en place au 15ème jour, lors de la gastrulation, il entoure l’entoblaste. Il sera à l’origine, avec les somites axiaux et le mésoblaste chordal, des tissus conjonctifs et ostéo-cartilagineux. C’est le mésoblaste qui formera l’appareil branchial.
L’ectoblaste
C’est le feuillet embryonnaire le plus externe. Il est à l’origine des téguments, des placodes sensorielles et du tube neural.
L’intestin pharyngien [89]
La gastrulation a donc mis en place à la fin de la 3ème semaine, le chordomésoblaste entre les deux feuillets ecto et entoblastique. On est alors en présence d’une plaque tridermique aux deux extrémités de laquelle, il existe une aire d’accolement dépourvue de mésoblaste : ces sont les membranes pharyngienne et cloacale.
Le pharynx embryonnaire (fig1) est initialement un cul de sac qui forme l’extrémité antérieure ou céphalique de l’intestin primitif.
Au cours des 4ème et 5ème semaines du développement, apparait une série de sillons juxtaposés le long des parois latérales de l’intestin pharyngien : les poches entobranchiales. En même temps, apparaissent des poches ectobranchiales, en regard des poches entobranchiales correspondantes.
Au cours du développement, le modelage de l’extrémité cephalique et de la face de l’embryon va entrainer un creusement de ces poches. Le tissu mésoblastique lâche qui entourait primitivement l’intestin pharyngien est ainsi repoussé. Il apparait dans l’intervalle des poches branchiales une série de d’arcades symétriques de tissu mésenchymateux : les arcs branchiaux.
Arcs branchiaux
Les parois latéro-ventrales du pharynx embryonnaire vont subir une segmentation particulière en branchiomères appelée la branchiomérisation. Un branchiomère est constitué par l’ensemble d’une paire d’arcs branchiaux.
L’ensemble constitue l’appareil branchial [17, 68, 126].
En 1828, VON BAER [in 89] décrit pour la première fois les arcs branchiaux chez l’homme. Le terme branchial est donné à cet appareil car il rappelle, mais rappelle seulement, le dispositif observé chez les vertébrés aquatiques. Il s’agit d’une homologie entre un stade embryonnaire très transitoire chez les mammifères et un stade adulte permanent chez les poissons [12].
EXTREMITE CEPHALIQUE
Chez l’embryon humain, cinq (5) paires d’arcs branchiaux sont individualisés mais il existe une 6ème qui disparaît. De l’extérieur, seuls quatre (4) sont visibles [17, 30, 73].
Les arcs branchiaux apparaissent et s’identifient entre la 3ème et la 4ème semaine dans un ordre crânio-caudal [27] [Fig 2 et 3]. Ils sont numérotés dans le sens de leur apparition : 1, 2, 3, 4 et 6. C’est l’arc 5 qui disparait [12].
Ces arcs correspondent à des épaississements mésoblastiques tapissés extérieurement d’ectoblaste, intérieurement d’entoblaste. Chacun fournit un squelette ostéo-cartilagineux, un noyau musculaire, un arc aortique (branche de l’aorte) et un nerf propre issu du tronc cérébral.
Ils se présentent comme des replis séparés les uns des autres par des sillons internes et externes. Les sillons externes sont les poches ou fentes ectoblastiques, les sillons internes sont les poches ou fentes endoblastiques. Il existe cinq poches endoblastiques et quatre poches ectoblastiques. Les quatre premières poches endoblastiques se situent en regard des poches ectoblastiques. L’adossement du fond des deux poches constitue la membrane obturante [12].
Champ méso-branchial de HIS
Le champ méso-branchial de HIS est un espace médian triangulaire à sommet supérieur, laissé libre sous le plancher du pharynx primitif par l’appareil branchial. Le sommet de ce champ répond au ‘’tuberculum impar’’ de HIS, petite éminence située entre les extrémités ventrales des 1er et 2ème arcs branchiaux. La base du champ est formée par une saillie sensiblement horizontale qui se continue, à droite et à gauche, sous le renflement du 4ème arc branchial : c’est l’éminence hypobranchiale. Cette saillie est soulignée, à son bord inférieur, par un sillon qui délimite l’orifice supérieur du larynx. Entre l’éminence hypobranchiale et le tuberculum impar se trouve la ‘’copula’’ formée aux dépens des deuxième, troisième et une partie du quatrième arc
Les ébauches thyroïdiennes et linguales, étroitement intriquées, vont apparaitre dans l’aire du champ méso-branchial de HIS ; l’épiglotte quant à elle, dérive de l’éminence hypobranchiale.
Formation de la langue [83]
Le développement lingual commence au cours de la 5ème semaine (fig4).
Au niveau de la paroi ventrale de l’intestin pharyngien apparaissent cinq épaississements pariétaux:
trois antérieures : les deux renflements linguaux latéraux et le tuberculum impar
un médian : la copula
un postérieur : le renflement épiglotttique
Formation de la thyroïde [40, 67, 83, 89, 101]
His, en 1855, décrit pour la première fois l’origine de la thyroïde humaine à partir de trois portions embryonnaires : une ébauche du plancher pharyngien primitif et deux composants thyroïdiens latéraux de la portion finale du pharynx embryonnaire. Les trois parties fusionnées postérieurement formeront la thyroïde.
L’embryon humain le plus jeune où l’on puisse identifier la thyroïde primitive a 17 jours de vie intra-utérine (2-2,5mm). La thyroïde apparait ainsi à partir du plancher de l’intestin pharyngien, au milieu des ébauches linguales auxquelles elle est comme sertie, entre le tuberculum impar en avant et la copula en arrière, sous la forme d’un diverticule borgne entre les premier et second arcs branchiaux.
Dès le 19ème jour de la vie intra-utérine, le diverticule thyroïdien s’accroit en direction caudale dans le tissu mésenchymateux sous-pharyngien, où il entre en rapport avec le péricarde et les gros vaisseaux. Il forme rapidement une masse bilobée rattachée au plancher pharyngien par un cordon cellulaire : le canal thyréoglosse de Bochdaleck, évagination de l’entoblaste de la paroi ventrale de l’intestin pharyngien (fig 6).
Microscopie du tractus thyréoglosse [6, 89, 93]
La connaissance histologique de cette pathologie vestigiale est nécessaire, car elle témoigne de son origine embryonnaire (fig10)
La paroi du tractus présente classiquement trois couches :
Une couche externe conjonctive, formée par un tissu cellulaire riche en fibres élastiques, le plus souvent parallèles entre elles et pourvues de vaisseaux sanguins ;
Une couche moyenne ou vitrée, faite d’un tissu lymphoïde diffus ;
Une couche interne épithéliale, faite d’un épithélium cylindrique pseudo stratifié cilié (type respiratoire), parfois avec métaplasie pavimenteuse. Lorsqu’existe une réaction
inflammatoire intense, l’épithélium est complètement abrasé et remplacé par un granulome macrophagique à corps étrangers [14, 23, 35, 65, 109].
Le tractus thyréoglosse peut comporter, dans sa couche conjonctive, du tissu thyroïdien.
Celui-ci peut être fonctionnel ou inerte. A l’examen anatomopathologique d’un kyste thyréoglosse opéré, la mise en évidence de follicules thyroïdiens dans la paroi du kyste confirme le diagnostic de KTT.
On note quelque fois, dans la paroi du tractus thyréoglosse, la présence de glandes à mucus et de glandes salivaires.
ETIOPATHOGENIE DU KYSTE DU TRACTUS THYREOGLOSSE (FIG11)
Vers huit à dix semaines de développement, le canal thyréoglosse involu, laissant place à un cordon fibreux. Normalement ce tissu fibreux est aussi amené à disparaître complètement laissant comme seul vestige le foramen caecum de la base de langue et parfois la pyramide de Lalouette. L’involution du canal thyréoglosse se fait par fragmentation. Elle peut être incomplète dans certains rares cas. Ainsi, il peut persister un ou plusieurs reliquats thyréoglosses distincts, réunis ou non par un cordon fibreux [89] Cette persistance anormale de cellules sécrétantes en un site du tractus thyréoglosse se traduit par un kyste [6, 15. 25, 101]. La persistance de plusieurs reliquats thyréoglosses peuvent engendrer plusieurs kystes séparés ou réunis par un cordon fibreux ou un canal.
Les anomalies cytogénétiques à l’origine de cette anomalie d’involution restent encore inconnues. Les facteurs dysgénétiques exogènes sont évoqués, tels les facteurs viraux, bactériens, immunopathogènes, physiques ou chimiques qui agressent l’organisme maternel au cours de la gestation [89]. L’hérédité est évoquée dans certains cas exceptionnels [8]. Même dans ces cas, le mode de transmission génétique n’est pas élucidé. La transmission autosomique dominante à pénétrance incomplète serait la plus probable. La prépondérance du sexe féminin souvent rapportée pourrait cependant traduire un mode de transmission complexe dénommé «genetic imprinting» ou «phénomène d’empreinte génétique». Cette dernière hypothèse est néanmoins discutée [8,101].
Le kyste, né de la persistance anormale de cellules secrétantes, augmente progressivement de volume avec l’augmentation de la sécrétion muqueuse endokystique. Ainsi, le kyste peut être visible ou palpable déjà à la naissance. Généralement, l’activité sécrétoire des cellules endokystiques n’est pas très marquée et le kyste s’exprimera cliniquement dans l’enfance voire plus tard. Cette activité, latente dans certains cas, peut être réveillée par une stimulation exogène, par exemple une inflammation de voisinage. Ainsi qu’en témoignent les nombreuses observations à travers la littérature où un épisode infectieux des voies aéro-digestives supérieures prélude à la manifestation des KTT. L’infiltration de la paroi du kyste par des éléments lymphoïdes constamment retrouvés pourrait être une explication à un tel rapport [90] Parfois, les reliquats du tractus thyréoglosse restent quiescents toute la vie, sans expression clinique [82].
Le KTT peut se surinfecter. Les poussées de surinfection du kyste sont souvent secondaires à une infection de voisinage, pharyngée notamment [6]. Il existe dans certains cas une perméabilité du tractus au niveau du foramen de caecum. Dans ces cas, la communication représente une source de surinfection du kyste [95] Parfois, la surinfection est liée à une manoeuvre intempestive du kyste telle une ponction ou une incision-drainage [90, 108].
Le kyste surinfecté augmente brutalement de volume et devient inflammatoire [6].]. Les poussées de surinfections participent ainsi à l’augmentation du volume du kyste [25].
Le kyste peut se fistuliser à la peau spontanément au décours d’une surinfection ou après un geste sur le kyste comme une ponction, une incision-drainage ou une exérèse incomplète [114]. La fistulisation à la peau est toujours secondaire. En effet, il n’y a aucun rapport établi entre le tractus thyréoglosse et le revêtement cutané au cours du développement embryonnaire. La fistule cutanée peut se fermer spontanément ou rester productive. Même si elle est restée productive, elle peut toujours coexister avec un kyste non complètement vidé de son contenu. En dehors de la peau, le kyste peut se fistuliser également dans le pharynx au niveau du foramen caecum. Dans ce cas, la fistule peut être primaire ou secondaire par reperméabilisation du foramen caecum.
La taille du kyste habituellement n’est pas considérable. Cependant le temps passant, il peut augmenter de volume jusqu’à atteindre des dimensions impressionnantes et entrainer une compression du tractus aéro-digestif [78].
Dans les cas typiques d’augmentation progressive du volume, les structures de voisinage, sont refoulées avec maintien des plans de clivage. Les cartilages et les membranes du larynx sont déformés voire érodés [88, 105].
Le KTT peut se cancériser, cette dégénérescence maligne est rare (1% des kystes opérés) [59]. Il s’agit le plus souvent de carcinomes papillaires (75 à 85%), les autres types histologiques (papillaire à composante vésiculaire, épidermoïde, oncocytaire) sont plus rares [19, 75]. Le carcinome de type médullaire n’est pas rapporté [66].
Les lésions dégénératives du KTT se développent de novo à partir du tissu thyroïdien intrakystique [66].
Moyens et méthodes
Le traitement chirurgical est axée sur trois techniques :
LAKYSTECTOMIE: Elle consiste tout simplement à l’ablation du kyste. Cette technique est actuellement abandonnée car elle expose à des récidives.
TECHNIQUE DE SCHLANGE: Il s’agit de l’ablation du kyste ou de la fistule suivie d’une résection du corps de l’os hyoïde [79, 84, 87, 92, 95].
TECHNIQUE DE SISTRUNK [34, 36, 47, 48, 51, 102, 115].
Elle a été codifiée par Sistrunk en 1920 [115] puis perfectionnée en 1928 [89]. Elle consiste à l’excision de l’ensemble du tractus jusqu’à son origine linguale.
Installation
C’est la position classique des opérés du cou, c’est à dire tête en hyper-extension reposant sur un rond de caoutchouc, avec un billot placé sous les épaules.
L’intervention est réalisée sous anesthésie générale avec intubation.
Voies d’abord
L’incision cutanée est transversale médiane et légèrement concave vers le haut (figure 12), dissimulée dans un pli cutané du cou situé entre l’os hyoïde et le bord supérieur du cartilage thyroïde, centrée sur la partie la plus proéminente du kyste et atteignant symétriquement de chaque côté ses limites latérales. D’une longueur de 4-5 cm, elle permet une exposition complète de la partie antérieure du squelette laryngé et de la base de langue [102].
Si la peau en regard du kyste est amincie, inflammatoire, elle est reséquée par une incision elliptique [102], et sera losangique autour de la fistule si elle est présente, permettant de pratiquer l’exérèse d’une éventuelle collerette cutanée [48].
Dans le cas d’un kyste sus sternal, deux incisions étagées sont pratiquées pour pouvoir récupérer le trajet du tractus [102].
Aspects épidémiologiques
Fréquence
Le KTT est la plus fréquente des malformations du cou dont il représente 70% [2,34]. Sa prévalence est estimée à 1 cas pour2000 à 3000 personnes [123]. Elle est retrouvée chez 7% de la population à l’autopsie [32, 40].
Dans la littérature, Le nombre de cas rapportés est souvent très faible. Par exemple en 1920, SISTRUNK n’avait trouvé que 31 cas de KTT chez 86 000 patients consultés à la clinique Mayo [115]. De Janvier 1959 à Avril 1990, NDIAYE ET AL. [90] n’avaient colligé que 40 cas (1,33 cas par an) et Sylla S [119] avait colligé 52 cas sur une période de 10 ans au Sénégal, Ouaba et al [96], au Burkina Faso, avait colligé 17 cas en 7ans.
En réalité, la fréquence exacte du KTT est difficile à préciser. Elle est globalement sous-évaluée parce que certains KTT restent asymptomatiques et non diagnostiqués toute la vie. Dans notre étude, nous avons retrouvé 111 cas de KTT sur une période de 11ans, dont 58 cas (52,25%) chez les sujets adultes. Cette fréquence relativement élevée de KTT chez les adultes peut être expliquée par un retard à la consultation. La manifestation du KTT chez des personnes âgées est une preuve que plusieurs KTT restent quiescents. Quand bien même ces kystes se manifestent, beaucoup ne font pas l’objet d’une consultation dans nos milieux à cause de leur symptomatologie pauvre et de certaines considérations socio-culturelles [96].
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Table des matières
PREMIERE PARTIE : RAPPELS
1. HISTORIQUE
2. EMBRYOLOGIE
2.1. Le cou, dualité embryologique
2.2. Le pharynx embryonnaire et ses dérivés
2.2.1. Mise en place des feuillets embryonnaires
2.2.2. L’intestin pharyngien
2.2.3. Les dérivés du pharynx embryonnaires
2.2.3.1. Arcs branchiaux
2.2.3.2. Champ méso-branchial de HIS
2.2.4. Formation de la langue
2.2.5. Formation de la thyroïde
3. ANATOMOPATHOLOGIE
3.1. Examen macroscopique
3.2. Microscopie du tractus thyréoglosse
4. ETIOPATHOGENIE DU KYSTE DU TRACTUS THYREOGLOSSE
5. TECHNIQUES CHIRURGICALES
5.1. Le but du traitement
5.2. Moyens et méthodes
5.3. Les Indications
DEUXIEME PARTIE
1. PATIENTS ET METHODES
1.1. Cadre d’étude
1.2. Patients et méthode
2. RESULTATS
2.1. Données épidémiologiques
2.1.1. Fréquence
2.1.2. Age
2.1.3. Sexe
2.1.4. Antécédents
2.2. Données cliniques
2.2.1. Délai d’admission
2.2.2. Circonstances de découverte
2.2.3. Examen physique
2.3. Données paracliniques
2.3.1. Imagerie médicale
2.4. Données thérapeutiques
2.5. Evolution
2.6. Examens anatomo-pathologiques
3. DISCUSSION
3.1. Aspects épidémiologiques
3.1.1. Fréquence
3.1.2. Age
3.1.3. Sexe
3.1.4. Hérédité
3.2. Aspects cliniques et paracliniques
3.2.1. Aspects cliniques
3.2.2. Examens paracliniques
3.3. Aspects thérapeutiques
3.4. Complications chirurgicales
3.4.1. Complications per opératoires
3.4.2. Complications post-opératoires possibles
3.5. La dégénérescence maligne
CONCLUSION
REFERENCES
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