Madagascar, île-continent située entre 11°57‟-25°35‟S et 43°14‟-50°27E dans l‟Océan Indien, présente la particularité de cumuler une richesse exceptionnelle en biodiversité. Elle a connu au cours de son histoire d‟importantes pertes en matière d‟habitats originels et de nombreuses communautés d‟espèces (Myers et al., 2000, Mittermeier et al., 2004). Elle figure parmi les cinq premiers sur les dix sept pays classés « Global Biodiversity Hotspot » (Mittermeier et al., 2004). En effet si on considère les plantes vasculaires, Madagascar possède près de 14000 espèces dont 80% sont endémiques (White, 1983; Guillaumet, 1984; Schatz et al., 2000). Le niveau d‟endémicité exceptionnellement élevé à la fois pour la flore et la faune est du à un long isolement de Madagascar au cours des temps géologique, environ 136000 millions d‟années (Gautier and Goodman, 2003; Goodman, 2008).
La déforestation à Madagascar (forêt primaire et forêt secondaire) a été estimée à une perte de 100.000 à 200.000ha/an, ce qui représente un taux annuel moyen de 1,6% de la surface par an (Green et Sussman, 1990 ; Buttoud, 1995 ; Dufils, 2003 ; Bertrand et Randrianaivo, 2003). Divers facteurs comme la topographie [77% de la superficie totale du pays est en pente (Raveloson, 1997)], la faible capacité de régénération de la flore originelle, les catastrophes naturelles (cyclones), l‟inadéquation des politiques publiques de développement et environnementales, les activités agricoles agissent conjointement provoquant cette perte considérable. La pression la plus forte est cependant d‟origine anthropique (Bertrand et Randrianaivo, 2003). En ce qui concerne les activités humaines, la majorité de la population malgache (près de 80%) vit au dépens de l‟agriculture (Ministère du Développement Rural et de la Reforme Agraire, 1995 ; ANGAP, 2001). Pour avoir une surface cultivable, les populations pratiquent des exploitations destructives de la forêt telle que l‟agriculture sur brûlis ou Tavy (Brand et Zurbuche, 1997 ; ANGAP, 2001; Erdmann, 2003). Par ailleurs certaines politiques de développement agraires telles que la culture sur défriche-brulis du maïs dans le Sud Ouest ont également eu des effets pervers sur les habitats naturels (Milleville et Blanc-Pamard, 2001) .
Pour résoudre les problèmes de dégradations forestières, l‟état malgache ne cesse de multiplier ses efforts pour la conservation et différentes mesures ont été déjà prises :
– Dès l‟année 1927 lors de la période coloniale, certains sites ont été classés en Aires Protégées sous forme de Réserves Naturelles Intégrales, Parcs Nationaux, Réserves Spéciales, Forêts Classées et Périmètres de Reboisement et de Restauration (UICN, PNUE et WWF, 1990).
– Au début des années 90, l‟état a adopté le Plan National d‟Action Environnementale (PNAE) prévu pour 15 ans ayant comme objectif principal de promouvoir l‟utilisation durable des ressources naturelles selon une approche de développement durable (ANGAP, 2001). Ce PNAE assure le regroupement et la structuration de nombreuses actions environnementales entreprises par une large gamme d‟acteurs nationaux et internationaux et propose l‟intégration des populations locales dans les processus de gestion des écosystèmes. (Andriamahefazafy et Méral, 2004).
– En 1996, l‟état affirme que seule une démarche contractuelle négociée entre communauté locale et administration permettrait de mettre fin aux problèmes de dégradations des ressources (Raveloson, 1997).
– En 2003, lors du congrès mondial sur les parcs organisés par l‟UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) à Durban, l‟état malgache a pris l‟initiative d‟élargir sa superficie d‟Aires Protégées de 1,7 millions d‟hectares à 6 millions d‟hectares dans les cinq années à venir afin d‟atteindre l‟objectif jugé raisonnable pour l‟UICN, à savoir une superficie totale de10% du territoire qui doit acquérir un statut de protection (CarrièreBuchsenschutz, 2006 ; Méral et al., 2008).
Face à cette nouvelle approche de protection de la biodiversité, compte tenu de la fragmentation croissante des écosystèmes forestiers à Madagascar (Blanc-Pamard et Ralaivita, 2004), les corridors forestiers ont été considérés comme des outils privilégiés pour atteindre les objectifs. Ces corridors forestiers réunissent les Aires Protégées et les restes des blocs forestiers aux alentours. Divers travaux estiment que les corridors écologiques, contribuent au maintien de la biodiversité (Levins, 1970 ; Mc Cullough, 1996 ; Hanski et Gilpin, 1997). Ils sont essentiels pour le maintien des flux biologiques (génétique, de graine et de faune) contribuant à l‟intégrité des processus écologiques des blocs forestiers (Forman et Godron, 1981; Noss, 1993 ; Simberloff et al., 1992). Sans la présence des corridors, il est admis en biologie de la conservation que les blocs forestiers fonctionneraient comme des îlots avec des risques d‟appauvrissement (Andrianarimisa et al., 2000 ; Ganzhorn et al. 2000 ; Goodman et Rakotondravony, 2000) même si pour les corridors à Madagascar, les hypothèses qui ont été mentionnées n‟ont pas été encore vérifiées d‟après le remarque de Carrière-Buchsenschutz en 2006.
En effet, Madagascar présente actuellement quatre grands corridors et/ou couloirs forestiers classés en zone de protection temporaire (ZPT) : le corridor forestier Ankeniheny Zahamena, le corridor forestier Bongolava, le corridor forestier Fandriana Vondrozo incluant le corridor Ranomafana Andringitra et le corridor forestier Anjozorobe Angavo (Annexe I). Ce sont des sites présentant une biodiversité exceptionnelle avec un niveau de menace élevé (ANGAP, 2001). Dès la fin du 19ème siècle, le problème d‟insuffisance de surface cultivable pour satisfaire la croissance démographique a conduit la population environnante à exploiter progressivement la périphérie de ces corridors forestiers (Carrière-Buchsenschutz, 2006). Mais pour des raisons multiples, certains arbres isolés dans les terroirs agraires ont été préservés ainsi que certains bosquets forestiers secondarisés intégrés dans le domaine agraire. En effet, les terroirs agraires peuvent présenter une variété d‟agrobiodiversité qui s‟est développée sous les différentes formes de pressions de la sélection et de la gestion de la population locale (Brush and Perales, 2007 ; Heckler and Zent, 2008). Plusieurs recherches ont montré que les arbres isolés ou les bosquets protégés dans les zones agricoles par les pratiques traditionnelles locales peuvent servir de refuges pour les reliques de la biodiversité (Berkes et al., 1995; Berkes et al. 2000), et contribuent à maintenir ou à augmenter la valeur écologique des paysages agraires (Colding et Folke, 1997 ; Berkes et al., 2000). Bien que, les pratiques locales ne visent pas en soi à protéger la biodiversité, la protection de la biodiversité peut être une conséquence de ces faits (Berkes et al., 1995; Berkes et al., 2000).
Le genre Ficus
Cadres taxonomiques
Règne : Plantae
Phylum : Magnoliophyta
Subphylum : Euphyllophytina
Classe : Magnoliopsida
Subclasse : Dilleniidae
Superordre : Urticanae
Ordre : Urticales
Famille: Moraceae
Tribus: Ficeae
Genre: Ficus
Le genre Ficus malgache se répartit au sein de 4 sous genres et 6 sections :
-le sous genre: Sycidium, section Sycidium
-le sous genre: Sycomorus, section Sycomorus
-le sous genre: Oreosycea, section, Oreosycea
-le sous genre: Urostigma avec trois sections :
+ section Urostigma
+ section Conosycea
+ section Galoglychia .
Caractères morphologiques et biologiques
Les espèces de Ficus sont des plantes pantropicales. Elles peuvent être un arbre ou un arbuste ou un arbrisseau terrestre ou hémi-épiphyte et parfois lianescent, à latex présentant chez certaines espèces des racines aériennes très développées. Les feuilles sont à phyllotaxie alterne ou opposée. Elles présentent un polymorphisme foliaire, non seulement entre individus d‟une même espèce mais aussi au niveau des différentes parties d‟un même individu. Elles peuvent être entières ou dentées ou plus ou mois lobées, lisses ou rugueuses, persistantes ou caduques, munies de stipules enveloppant les bourgeons (Perrier de la Bathie, 1952 ; Berg et al, 1985). C‟est une plante caractérisée par la production des figues dont la taille et la morphologie sont variables selon les espèces. (Perrier de la Bathie, 1952 ; Berg, 1986 ; Berg et Wiebes, 1992 ; Dalecky et al., 2003). Les figues sont des réceptacles d‟inflorescences, dont l‟intérieur est tapissé de fleurs, portant au sommet une petite ouverture bractéolée : l‟ostiole. Les fleurs mâles et femelles selon le cas, peuvent se trouver dans un même réceptacle ou dans des réceptacles différents (Perrier de la Bathie, 1952 ; Berg, 1986 ; Berg et Wiebes, 1992). En effet, trois cas peuvent s‟observer chez les figuiers du point de vue de leur sexualité :
– Chez les figuiers monoïques, les fleurs mâles et femelles se trouvent dans un même réceptacle ; lorsque les fleurs femelles sont aptes à être fécondées, la figue émet une odeur qui attire spécifiquement le ou les insectes Agaonidae pollinisateurs de cette espèce de Ficus (Gibernau et al., 1998). L‟insecte pénètre dans le réceptacle pour pondre et favorise ainsi la pollinisation des fleurs femelles. En effet, une fleur femelle donne des graines et/ou libère des larves d‟insectes qui peuvent se développer chacune dans une fleur transformée en galle. Lorsque les insectes deviennent adultes, ils émergent de la cavité du réceptacle, se chargent de pollen, puis se mettent à la recherche de nouveaux réceptacles réceptifs. Chez environ la moitié des espèces de Ficus, les figues donnent des graines et libèrent les insectes, vecteurs de pollen.
– Chez les Ficus mâles, les figues ne produisent pas de graines mais des pollens et libèrent des insectes ;
– Chez les Ficus femelles, les figues contiennent des graines, mais ne renferment pas d‟insectes, ni de pollens.
Les espèces de Ficus avec des arbres mâles et des arbres femelles sont fonctionnellement dioïques (Jousselin & Kjellberg, 2001). Les Agaonidae, et plus particulièrement ceux pollinisant les Ficus monoïques, sont capables de disperser à longue distance jusqu‟à des milliers de kilomètres les pollens (Ahmed et al., 2009). Par ailleurs, le fruit à maturité devient sucrée et attire de nombreuses espèces frugivores. A Madagascar les oiseaux comme Hypsipetes madagascariensis et Zosterops madagascariensis sont connues comme étant des frugivores et dispersent les petites graines des figuiers.
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Table des matières
INTRODUCTION
Partie 1 : CADRE DE L’ETUDE
I.Le genre Ficus
I.1. Cadres taxonomiques
I.2. Caractères morphologiques et biologiques
I.3. Le genre Ficus à Madagascar
I.4. Etat des recherches sur les Ficus à Madagascar
II.Ethnobiologie
II.1. Définition, historique et intérêts de l‟ethnobiologie
II.2. Historique de la recherche en ethnobotanique et ethnobiologie à Madagascar
III. Processus de la nucléation
IV. Génétique des populations
IV.1. Principe
IV.2. Utilisation des marqueurs moléculaires ou génotypages
IV.3. Technique de la PCR (Polymerase Chain Reaction)
V Caracteristiques de la zone d‟etude
V.1. Présentation du milieu d‟étude
V.2. Climat
V.3. Relief, géologie et sol
V. 4. Milieu biotique
V.4.1. Végétation et flore
V.4.2. Faune
V.4.3. Milieu humain
V.4.3.1. Historique de la région d‟Ambendrana et d‟Ambohimahamasina
V.4.3.2. Catégories de paysages Betsileo
V.4. 4.Activités économiques
V.4.5. Pratiques socio-culturelles
V.4.5.1. Respect des fady ou les interdits traditionnels
V.4.5.2. Respect des ancêtres et la croyance en Zanahary
V.4.5.3. Pouvoirs des plantes
Partie 2 : PRATIQUES, USAGES ET REPRESENTATIONS DES FICUS DES TERROIRS AGRAIRES DU SUD BETSILEO
I.Objectifs
II.Méthodes de recherches
II.1. Choix des sites d‟études
II.2. Collecte de données
II.2.1. Etat des connaissances
II.2.2. Etude de la distribution spatiale des Ficus recensés
II.2.3. Enquêtes ethnobotaniques
II.3. Méthodes d‟analyse des données
II.3.1. Transcription littérale
II.3.2. Construction d‟une base de données ethnobiologiques
II.3.3. Analyse de la nomenclature et de la classification
II.3.4. Analyse temporelle de l‟évolution de la perception des usages et des données socio-culturelles
II.3.5. Evaluation quantitative de l‟importance de l‟utilisation locale des espèces
II.3.6. Analyse des savoirs locaux
II.3.7. Analyse des liens entre les Ficus selon une approche spatialisée et historique
III. Résultats et interprétations
III.1. Caractéristiques botanique et écologique des espèces recensées
III.2. Nomenclature et classification locales des Ficus
III.2.1. Nomenclature locale
III.2.2. Classification des Ficus d’après les perceptions locales
III.2.2.1. Catégories englobantes
III.2.2.2. Termes de base et déterminants
III.3. Usages et représentations des figuiers en pays Betsileo
III.3.1. Importance de l‟utilisation
III.3.2. Principales utilisations et représentation des espèces
III.3.2.1. Ficus tiliifolia (Voara ou Ara)
III.3.2.2. Ficus reflexa (Nonoka)
III.3.2.3. Ficus lutea (Amonta, Ravindahy)
III.3.2.4. Ficus trichoclada et Ficus botryoides (Fompoha)
III.3.2.5. Ficus trichopoda (Aviavy)
III.3.2.6. Ficus politoria (Kivozy) et Ficus pachyclada (Kivozy)
III.3.2.7. Ficus polita (Tsaramady)
III.3.3. Principaux utilisateurs
III.3.4. Synthèse sur les usages et la représentativité des Ficus
III.4. Approches ethnobiologiques et ethnoécologiques des relations entre les Ficus et les populations locales
III.4.1. Perceptions locales sur la biologie des Ficus
III.4.1.1. Différentes parties de la plante
III.4.1.2. Cycle biologique
III.4.1.3.Phénologie
III.4.1.4. Interactions Ficus/animaux : frugivorie et dispersion des graines
III.4.2. Perceptions locales sur les habitats des Ficus
III.4.3. Perceptions locales sur les paysages et les espaces associés aux Ficus
III.5. Distribution spatio-temporelle des Ficus dans les terroirs
III.5.1. Nomenclature des lieux: toponymie
III.5.2. Représentation des Ficus dans les zones paysagères
III.5.2.1 : Zone A
III.5.2.2 : Zone B
III.5.2.3 : Zone C
III.5.3. Facteur déterminant la distribution spatio-temporelle des Ficus
III.5.4. Répartition des Ficus selon leur localisation et leur statut au sein des facettes socio-écologiques
IV. Discussion sur la deuxième partie
V. Conclusion sur la deuxième partie
Partie 3 : PROCESSUS DE NUCLEATION AUTOUR DES FICUS ISOLES DANS LES TERROIRS AGRICOLES
I. Introduction
II. Matériels et méthodes de recherche
II.1. Choix des arbres à étudier
II.2. Collecte des données stationnelles
II.3. Collecte des données floristiques et phytosociologiques
II.3.1. Aire minimale
II.3.2. Délimitation de la surface de relevé
II.3.3. Types biologiques
II.3.4. Diversité floristique
II.3.5. Similarité floristique
II.4. Etude structurale
II.5. Traitement des données
II.5.1.Analyse factorielle des correspondances (AFC) et analyse en composantes principales (ACP)
II.5.2.Analyse de co-inertie
II.5.3. Analyse de variance
CONCLUSION
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