Éthique dans la recherche et démarcation

Un double regard sur l’éthique de la recherche 

La recherche sur l’être humain est une sorte particulière d’investigation du vivant. Il en existe d’autres sortes : en laboratoire sur des cellules, dans un milieu de vie animal, dans un écosystème, etc. Le trait commun de ces investigations est le fait que, phénoménologiquement, le vivant est sous les yeux : l’observateur peut se pencher sur les formes de vie (animales, végétales) qui conviennent à son échelle. La recherche scientifique qui prend pour objet les phénomènes liés au corps, à la société ou à l’environnement humain requièrent de procéder à des observations des sujets humains et des populations. Cette recherche ne peut pas se restreindre à l’emploi de modèles animaux ou à des modélisations théoriques, même si ceux-ci doivent généralement les compléter. L’une des formes typiques de recherche sur l’être humain est ce que l’on nomme aujourd’hui « recherche biomédicale » qui comprend les essais cliniques de médicaments, l’évaluation de procédures diagnostiques ou pronostiques, des mesures de qualité de vie, l’évaluation de facteurs de risque, etc. Mais les recherches sur les sujets humains ne concernent pas exclusivement la santé, car elles peuvent tout aussi bien prendre pour objet, par exemple, le milieu de travail, les relations familiales, les valeurs, les comportements économiques, les facultés cognitives, l’échec scolaire, les conditions de vie dans les stations orbitales, etc .

Dans le présent travail, ce sont bien les recherches dans le domaine de la santé qui nous intéressent et plus particulièrement le domaine de l’épidémiologie. La recherche épidémiologique est traditionnellement connue pour les recherches sur les causes du cancer ou des maladies cardio-vasculaires, causes évitables liées à des comportements considérés individuellement comme le tabagisme ou la consommation d’alcool, mais aussi causes structurelles ou populationnelles liées notamment à l’environnement. Mais en réalité les champs d’investigation épidémiologique ne se restreignent pas à ces phénomènes et se consacrent aussi aux effets indésirables des médicaments, à la génétique des populations, aux catastrophes naturelles, à l’exposition aux pollutions chimiques des rivières, aux accidents de la route, à la santé au travail, aux traumatismes suivant les attentats, aux épidémies infectieuses, à la santé mentale des jeunes, au vieillissement, etc.

Entre l’éthique de la recherche et l’éthique de la participation à la recherche

La recherche scientifique prenant pour objet des humains a affaire à des personnes qui sont aussi des sujets. Plusieurs expressions sont employées aujourd’hui pour désigner la recherche impliquant des êtres humains qui sont à la fois sujets et objets: « expérimentation humaine », « recherche sur, avec ou auprès de l’être humain », «recherche chez l’homme », etc. La variété de ces expressions renvoie à une hésitation concernant les rapports entre chercheurs et participants, mais aussi à une pluralité de corpus auxquels peut se référer l’éthique de la recherche.

La recherche entre exploitation et solidarité : deux aspects du rapport chercheur/sujet

La recherche « sur » ou « avec » l’être humain peut être décrite comme relevant de deux types de rapports idéaux-typiques. Le premier implique un observateur et un observé, ou encore un expérimentateur et un sujet. De l’un à l’autre, l’activité de recherche articule de l’activité (observer, mesurer, etc.) et de la passivité (être observé, être mesuré, etc.). Ce rapport est donc asymétrique et hétérogène, ce qui peut conduire à le voir comme un rapport de pouvoir ou de domination. Le second type de rapport entre le chercheur et le sujet est au contraire horizontal. Il n’y a plus d’un côté de l’activité et de l’autre de la passivité. Les deux membres de ce rapport sont définis fondamentalement comme des « participants » : ils prennent part conjointement à une même activité de recherche scientifique, pour laquelle ils se divisent le travail. Cette division du travail fait fond sur une conception plus égalitaire de leur relation que dans le premier type de rapport, dans la mesure où elle n’implique qu’une différentiation des rôles, l’un et l’autre occupant simplement des places distinctes dans un dispositif de recherche commun. Ce dispositif peut impliquer des mesures qui touchent à l’intégrité physique ou à la vie privée du participant-sujet. Que ces mesures soient invasives, inquisitrices ou bénignes, il faut (comme on va le voir bientôt) que le sujet y consente. Le sens de ce consentement diffère dans les deux cas et peut s’interpréter de deux façons. Dans la première interprétation, le consentement du sujet est conçu comme l’acceptation plus ou moins motivée d’une procédure de recueil de données le concernant. Cette acceptation peut découler de différents motifs liés au rapport asymétrique chercheur sujet (confiance, indifférence, volonté de rendre service, etc.). Pascal Ducourneau a bien décrit ce genre de consentement « par défaut » : l’information est négligée, le recruteur n’est pas questionné, la fiche de consentement est signée sans avoir été lue  . Dans la seconde interprétation au contraire, lorsque le rapport est plus horizontal et égalitaire, le consentement se comprend plutôt comme une adhésion du sujet. Celle-ci est analogue à celle du responsable de l’étude : l’adhésion du sujet au dispositif de recherche auquel il participe est pleinement éclairée, il fait sien ses objectifs comme ses moyens  .

La réalité de la recherche « sur » ou « avec » les sujets humains se situe, le plus souvent, entre ces deux types de rapports. L’asymétrie de la première interprétation tend à faire apparaître dans le rapport chercheur/sujet une dimension d’instrumentalisation ou de domination, seulement limitée par l’exigence d’un acquiescement de la part de ce dernier. L’égalitarisme de la seconde interprétation relève également d’une idéalisation, ne seraitce que parce que l’un des deux partenaires l’est à titre professionnel tandis que l’autre ne l’est qu’en raison de caractéristiques – les « critères d’inclusion » déterminés par l’investigateur – dont la possession n’est généralement pas choisie par le sujet, et aussi dans la mesure où la participation à des recherches ne peut pas légalement constituer pour lui un revenu .

Un clivage repérable dans le champ de l’éthique générale des sciences 

L’éthique de la recherche scientifique est structurée autour de deux pôles. Suivant le pôle que l’on peut qualifier d’« interne » ou déontologique, la science est normée par son propre but : produire des connaissances fiables, adéquates, générales, etc. Un tel but commande l’emploi de moyens adéquats susceptibles d’en maximiser les chances de réalisation. Par exemple, il s’agit d’utiliser les meilleurs méthodes disponibles dont le coût est raisonnable. Les chercheurs, à titre de professionnels, doivent se comporter conformément aux normes déontologiques de la science qui leur commandent de réaliser des recherches bien conçues .

Suivant le pôle « externe », la recherche scientifique est soumise à des règles éthiques en raison de ses responsabilités à l’égard de la société. Moins fixée et déterminée que la normativité « interne », la normativité sociale sur la science n’est pas moins réelle : exprimée en termes négatifs, on dira que les recherches scientifiques ne devraient pas causer des torts injustifiés aux populations ; en termes positifs, que la science devrait avoir une utilité sociale, à court ou long terme. Des auteurs tels que Kristin Shrader-Frechette par exemple insistent sur l’importance de ces règles sociales pour l’éthique des sciences  , tout en montrant que dans les cas de fortes controverses à propos de risques sanitaires, le recours à des thèses de métascience est nécessaire, i.e. des conceptions épistémologiques permettant de clarifier le statut des connaissances controversées  .

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Table des matières

Introduction
1 La recherche avec l’être humain
1.1 Un double regard sur l’éthique de la recherche
1.1.1 Entre l’éthique de la recherche et l’éthique de la participation à la recherche
1.1.2 « Ce qui n’est pas scientifique n’est pas éthique »
1.2 La codification de l’éthique de la recherche
1.2.1 Normes principales concernant l’éthique de la recherche avec des sujets humains
1.2.2 L’application des normes dans la révision de la recherche
1.3 Le paradigme médico-interventionnel
1.3.1 Intervention, interaction, observation
1.3.2 L’expérimentation comme catégorie épistémologique
1.3.3 Conclusion
2 Genèse de la loi de 1994
2.1 Registres et éthique des fichiers
2.1.1 Les registres épidémiologiques
2.1.2 Deux normes de base : intégrité des données, usage des fichiers
2.1.3 Les fichiers : vie privée et éthique sociale
2.2 Données personnelles, secret médical, recherche
2.2.1 La législation informatique et les libertés
2.2.2 Secret médical et recherche
2.2.3 Stratégie législative et déterminants
2.3 Intérêt public et normes libérales
2.3.1 Champ d’application de la loi de 1994
2.3.2 Les garanties subjectives
2.3.3 Garanties objectives : l’intérêt public de la recherche
2.3.4 Conclusion
3 Valeurs et démarcation
3.1 Les dimensions de la démarcation
3.1.1 Trois enjeux de la démarcation
3.1.2 Continuité et discontinuité dans la démarcation
3.2 Démarcation de l’épidémiologie
3.2.1 L’identité disciplinaire incertaine de l’épidémiologie
3.2.2 Examen systématique des critères de démarcation pour l’épidémiologie
3.3 Problème des valeurs dans la démarcation
3.3.1 Holisme
3.3.2 De la nécessité d’une axiologie pour la démarcation
3.3.3 Conclusion
4 Évaluer la recherche
4.1 Cadre et prérogatives du comité
4.1.1 Lieu, composition, mission
4.1.2 Champ de compétence du CCTIRS
4.1.3 Nombre et types de projets
4.2 Pièces et catégories de l’évaluation
4.2.1 Phénoménologie du protocole de recherche
4.2.2 Juger la méthodologie
4.2.3 Critère négatif de pertinence
4.2.4 Le statut ambivalent des études descriptives
4.2.5 Conclusion (deux styles d’expertise)
4.3 Les avis du CCTIRS
4.3.1 Contexte de la décision
4.3.2 Les différents avis
4.3.3 D’un avis à l’autre : frontières, polarités, tensions
4.4 Pharmaco-épidémiologie et marketing
4.4.1 La pharmaco-épidémiologie comme enjeu de santé publique
4.4.2 Des critères de scientificité disputés
4.4.3 Le détournement commercial des enquêtes pharmacoépidémiologiques
4.4.4 Conclusion
5 Intentionnalité, autonomie, démarcation
Conclusion
Bibliographie

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