Etat des lieux sur les modèles de transfert dans les matériaux cimentaires
Dans le cadre des infrastructures du Génie Civil en béton armé, des agents agressifs provenant du milieu extérieur tel que l’eau de mer, les embruns marins et/ou les sels de déverglaçage, ou des constituants du béton eux-mêmes (sable ou certains adjuvants), sont susceptibles de pénétrer dans le matériau cimentaire et réduire sa durabilité. L’étude du transfert ionique dans les matériaux cimentaires poreux est décrite par un ensemble de mécanismes physiques et chimiques. Cette description phénoménologique est particulièrement influencée par les coefficients de diffusion de ces ions. Les hydrates dans la pâte de ciment ne sont pas inertes, ils réagissent avec les ions de la solution interstitielle par des réactions physico-chimiques. Ces réactions ions-matrice fixent ainsi une partie des ions. En conséquence, la fixation des ions affecte la vitesse du transport ionique : une forte interaction avec la matrice cimentaire ralentit la pénétration des ions.
Dans notre problématique, la durabilité des ouvrages en béton armé est conditionnée par la phase d’initiation de la corrosion. Cette initiation ne peut avoir lieu que lorsque la pénétration des agents agressifs dans le réseau poreux du béton d’enrobage sein atteint les armatures. Pour la plupart des ouvrages exposés à l’eau de mer ou aux sels de déverglaçage, la carbonatation des hydrates de la pâte de ciment et la pénétration des chlorures en quantité suffisante au voisinage de l’acier pour le dépassiver restent un sujet très important pour étudier la dégradation des bétons. Il convient donc de mieux comprendre les mécanismes qui interviennent lors de la pénétration des ions chlorure et de dioxyde de carbone dans le béton.
Composition et propriétés fondamentales du matériau béton
Le béton est un matériau composite hétérogène, poreux et quasi-fragile. Il est constitué de granulats (gravillons et sable), de ciment, d’eau, d’adjuvants (plastifiants et supers plastifiants, retardateurs et accélérateurs) et d’additions minérales (cendres volantes, laitiers de haut fourneaux, fumée de silice et fillers). Comme les granulats sont généralement inertes aux interactions chimiques, le comportement physico-chimique du béton est principalement gouverné par celui de la pâte de ciment. Il est donc important de comprendre la structure de la pâte de ciment hydratée.
Hydratation du ciment
Le ciment est un liant hydraulique à base de silicates et d’aluminates de calcium. Le ciment le plus couramment utilisé est de type Portland [14], CEM I qui est un mélange de clinker (95%) et de sulfate de calcium (5%). Le clinker est obtenu en cuisant à 1450°C un mélange de calcaire (80%) et d’argile (20%). Les principaux minéraux contenus dans le clinker sont :
❖ Silicate tricalcique (alite) : 3CaO.SiO2 noté C3S: 50-70% massique ;
❖ Silicate bicalcique (bélite) : 2CaO.SiO2 noté C2S: 15-30% massique ;
❖ Aluminate tricalcique (célite) : 3CaO.Al2O3 noté C3A : 2-15% massique ;
❖ Aluminoferrite tétracalcique : 4CaO.Al2O3.Fe2O3 noté C4AF : 5-15% massique.
Le clinker forme en présence d’eau une pâte durcie après un processus d’hydratation qui permettra au matériau cimentaire (mortier et béton) de se solidifier pour atteindre un état mécaniquement résistant. Le processus d’hydratation est un processus chimique complexe où les principaux composés du ciment réagissent ensemble pour former de nouveaux composés insolubles qui durcissent avec le temps. En conséquence les silicates de type C3S et de C2S se transforment en silicates de calcium hydratés (CSH) (50% du volume des hydrates) et en portlandite (CH) (de 20 à 30% du volume des hydrates). L’hydratation des autres minéraux en présence de gypse donne de l’ettringite et du monosulfoaluminate. La pâte de ciment ainsi formée contient des gels de CSH, de la portlandite et d’autres cristaux d’hydrates , des anhydres (grains de ciments non hydratés lorsque la réaction d’hydratation est incomplète), un réseau poral et une solution interstitielle.
Composition de la solution porale
La pâte de ciment hydratée est un milieu poreux qui contient dans sa porosité une solution interstitielle avec plusieurs ions tels que les ions sodium Na+ , potassium K+ et hydroxydes OHde pH environ égal à 13.5 [16]. Ce milieu basique est favorable à la formation d’une couche passive protectrice contre la corrosion des bétons. D’autres ions se trouvent aussi dans la solution en petite quantité comme les ions calcium Ca2+, les ions sulfate SO₄²⁻ et les ions aluminates Al(OH)4- . Lorsque les ions chlorure et le dioxyde de carbone pénètrent dans le béton, les équilibres chimiques se déplacent, son pH diminue et la solubilité des ions calcium augmente.
L’eau
L’eau est nécessaire à l’hydratation du ciment. Au contact de l’eau, les silicates tricalciques et bicalciques se dissolvent pour former les hydrates du béton (CSH, portlandite, etc.). L’eau peut être considérée comme existante sous trois formes dans le béton : l’eau libre qui se trouve dans les pores capillaire, l’eau adsorbée physiquement et chimiquement par les effets de surface des phases solides de la pâte de ciment et l’eau combinée qui entre dans les réactions chimiques d’hydratation. Le rapport eau efficace/ciment (e/c) est un critère important pour la durabilité, l’ouvrabilité et de la qualité du béton, qui influe fortement la résistance mécanique à la compression et la diffusion des ions chlorure. L’eau a aussi un effet lubrifiant qui facilite la mise en œuvre du béton en offrant au mélange sable – ciment – gravillons une certaine fluidité et donc une maniabilité. En fonction du rapport e/c, une partie du ciment restera anhydre et certains pores peuvent ne pas être saturés en l’absence d’apport externe d’eau.
|
Table des matières
Chapitre 1 – Introduction générale
1.1 Contexte
1.2 Problématique et objectifs de la thèse
1.3 Organisation générale de la thèse
Chapitre 2 – Etat des lieux sur les modèles de transfert dans les matériaux cimentaires
2.1 Introduction
2.2 Composition et propriétés fondamentales du matériau béton
2.2.1 Hydratation du ciment
2.2.2 Composition de la solution porale
2.2.3 L’eau
2.2.4 Les granulats
2.2.5 Les additions minérales
2.2.6 Les adjuvants
2.3 Caractérisation du réseau poreux des bétons
2.3.1 Porosité et distribution porale du béton
2.3.2 Tortuosité
2.3.3 Constrictivité
2.3.4 Propriétés de transfert
2.4 Caractéristiques physico-chimiques du béton
2.4.1 Interaction des ions chlorure avec la matrice cimentaire
2.4.2 Interaction entre les ions dans la solution interstitielle
2.4.3 Equilibres physico-chimiques au sein du béton
2.4.4 Activité chimique de l’eau et des ions en solution interstitielle
2.4.5 Mécanismes physico-chimiques de dissolution et de précipitation
2.5 Comportement hydrique du béton
2.5.1 Transport de l’eau liquide
2.5.2 Transport de la vapeur d’eau
2.5.3 Loi de conservation de masse pour le transfert hydrique
2.6 Modélisation de la pénétration des ions chlorure et du dioxyde de carbone dans les bétons partiellement saturés
2.6.1 Modèles de pénétration des ions chlorure basés sur les lois de Fick
2.6.2 Approches multi-espèces basées sur l’équation de Nernst – Planck
2.6.3 Modèles de transfert ionique en milieu partiellement saturé
2.6.4 Modèles de pénétration du dioxyde de carbone en milieu partiellement saturé
2.6.5 Modèles du couplage carbonatation – chlorures en milieu partiellement saturé
2.6.6 Modèle ingénieur simplifié de la fib
2.7 Conclusion
Chapitre 3 – Modélisation macroscopique du couplage carbonatation / chlorures dans les matériaux cimentaires partiellement saturés
3.1 Introduction
3.2 Equations de transport macroscopiques
3.2.1 Transfert hydrique
3.2.2 Transfert ionique
3.2.3 Transfert du dioxyde de carbone
3.2.3.1 Cinétique de dissociation de H2CO3
3.2.3.2 Cinétique de dissolution de la portlandite
3.2.3.3 Cinétique de carbonatation des silicates de calcium hydratés CSH
3.2.3.4 Loi de transport du dioxyde de carbone à travers la phase gazeuse
3.2.3.5 Couplage entre le transfert d’ions chlorure et le dioxyde de carbone
3.3 Résolution numérique des équations de transfert
3.3.1 Récapitulatif des paramètres de sortie du modèle
3.3.1.1 Transfert d’humidité : une seule inconnue
3.3.1.2 Transfert des ions chlorure et du dioxyde de carbone : 20 inconnues
3.3.2 Bilans de matière pour l’ensemble des constituants
3.3.3 Récapitulatif : fermeture du système
3.3.4 Constantes du modèle
3.4 Résultats numériques
3.4.1 Conditions initiales et conditions aux limites
3.4.2 Paramètres d’entrée du modèle
3.4.3 Profils ioniques dans la solution interstitielle sous l’effet des cycles d’humidification – séchage
3.4.4 Influence de la carbonatation sur le transfert d’ions chlorure
3.4.5 Prédiction de la durée de vie du béton
3.4.6 Comparaison avec des résultats expérimentaux issus de la littérature
3.4.7 Synthèse
3.5 Enrichissement du modèle ingénieur
3.5.1 Comparaison du modèle de transfert des chlorures avec des résultats expérimentaux du projet BHP 2000
3.5.2 Propriétés de l’épaisseur de convection
3.5.3 Synthèse
3.6 Sensibilité du modèle de transfert au coefficient de diffusion
3.7 Conclusion
Chapitre 4 – Modélisation multi-échelle des propriétés de diffusion et d’élasticité des pâtes de ciment ordinaires
4.1 Introduction
4.2 La pâte de ciment durcie
4.2.1 Stratégies existantes de modélisation des propriétés de la pâte de ciment
4.2.2 Stratégie de modélisation retenue
4.3 Schémas d’homogénéisation basés sur le problème d’Eshelby
4.3.1 Principes de l’homogénéisation des matériaux composites linéaires
4.3.2 Les schémas d’homogénéisation basés sur le problème d’Eshelby
4.3.2.1 Problème d’Eshelby
4.3.2.2 Matériaux composite du type « matrice – inclusion »
4.3.2.3 Matériaux composites désordonnés ou poly-cristallins
4.4 Modèles multi-échelles basés sur le problème d’Eshelby de la pâte de ciment
4.4.1 Etat de l’art sur quelques modèles morphologiques existants
4.4.1.1 Modèles appliqués aux propriétés mécaniques
4.4.1.2 Modèles appliqués aux propriétés diffusives
4.5 Modèles adoptés pour estimer les propriétés de la pâte de ciment
4.5.1 Modèle détaillé
4.5.1.1 Modèle morphologique détaillé
4.5.1.2 Niveau 0 : gels de CSH
4.5.1.3 Niveau 1 : Couches internes et externes de CSH
4.5.1.4 Niveau II : Pâte de ciment
4.5.2 Modèle ingénieur de la pâte de ciment
4.5.2.1 Modèle morphologique simplifié
4.5.2.2 Expression analytique du coefficient de diffusion du modèle ingénieur
4.5.2.3 Expression analytique du module d’Young du modèle ingénieur
4.5.3 Determination des paramètres d’entrée
4.5.3.1 Fractions volumiques
4.5.3.2 Modèle d’hydratation de Powers
4.5.3.3 Distinction entre les différents hydrates
4.5.3.4 Répartition de la porosité capillaire
4.5.3.5 Calibration des rapports d’aspects des hydrates
4.5.3.6 Modules élastiques de différentes phases
4.5.3.7 Coefficient de diffusion des différentes phases
Chapitre 5 – Conclusion générale