Le village global et ses risques sur la société
Selon Mac Luhan, les médias ont un impact plus profond sur notre structure neurologique que leur contenu même . Au delà de nous servir d’outils, les médias sont compris par notre corps et notre cerveau comme des “extensions sensorielles” . Pour cette raison, les un autre médium comme prolongements qu’ils représentent viennent déséquilibrer la répartition de notre perception entre nos sens. On retrouve ici l’idée du “sensorium”, un concept cher à Mac Luhan et à de nombreux autres théoriciens des médias. Cette idée postule que la perception c’est à dire le moyen d’expérimenter et d’interpréter un milieu repose sur la cohésion des sensations transmises aux sens. Ainsi, une sensation ne sollicite jamais un seul sens : s’il y a un récepteur majeur, les autres sens restent impactés. Cet impact est “positif” si les sens secondaires restent actifs dans la réception, ou “négatif “ si les sens sont “remplacés” par le média.
Par exemple, Mac Luhan met en lumière une expansion de la vue dans le sensorium des membres des sociétés européennes. Ce phénomène prend racine dans la tradition européenne qui mettait jusque là les sens de l’ouïe et du tactile en avant. Cet équilibre est peu à peu modifié avec l’apparition de la télévision.
Puisque la vue est plus sollicitée qu’auparavant mais qu’elle reste reliée aux autres sens par le sensorium, la télévision a des répercussions sur tous les sens.
La pensée de l’auteur va encore plus loin : au delà d’affecter nos sens, certains médias modifient même notre système nerveux.
Comme on l’a vu, lors des transports d’informations, les médias effectuent inévitablement une traduction de l’information dans leurs langage ; De manière imperceptible, le média nous « force » alors à adopter ses codes et ses grammaires.
Lors de ces transports, le média modifie aussi les échelles temporelles et spatiales entre un point A et un point B. Il y a donc un changement de note perception de l’environnement qui nous entoure et de nos relations lors de l’usage d’un média. Historiquement, les changements opérés par les médias tendent tous vers une réduction des échelles. L’exemple de la communication orale illustre ce phénomène. Téléphone fixe, téléphone mobile, applications de discussions en ligne comme Whats app … Chaque nouvelle technologie représente une nouvelle étape vers un temps réduit pour entrer en communication avec son destinataire. Selon Mac Luhan, ce phénomène crée une implosion de la société. Il utilise la métaphore du village global pour illustrer l’effet de rapprochement des individus par les nouveaux médias. Si le terme de “village” semble rassurant voire idyllique, Mac Luhan ne l’idéalisme pas pour autant. Au contraire, comme il l’affirme dans son ouvrage “Guerre et Paix dans le village planétaire” , le village est aussi un lieu de repliement sur soi même , un espace de commérage qui manque d’ouverture sur l’autre.
Loin des images d’ un peuple unifié harmonieux et solidaire, Mac Luhan rejette en bloc l’idée que le “rétrécissement” du monde à l’échelle d’un village aboutisse de fait, à un monde meilleur.
Dans l’intégralité de son oeuvre, Mac Luhan a tenté de montrer dans quelle mesure les médias affectent nos vies et notre psychisme. Chacun de ses ouvrages est une mise en garde envers certains médias, notamment la télévision qui réduit notre puissance d’agir, notre espace et par conséquent notre sentiment de liberté.
Les propos de Mac Luhan ont été fortement critiqués à l’époque et le sont encore aujourd’hui.
On lui reproche notamment la place prépondérante qui est donnée aux technologies et par conséquent le manque de considération des usagers. Comme toute théorie pure, celle de Mac Luhan est à appréhender avec nuance et recul. Dans tous les cas, sa vision nous permet d’apprécier la partialité d’un média, son impact sur ses récepteurs et sur le message même qu’il porte. C’est en considérant tous ces éléments que nous adopterons donc l’angle proposé par Mac Luhan pour poursuivre notre étude. Aussi, si l’oeuvre de Mac Luhan n’aborde pas le sujet de Réalité Virtuelle (RV) en soit, il n’en demeure pas moins que la pensée de cet auteur nous éclaire sur le rôle des médias et forcement celui de la RV. En croisant ces propositions avec celle Lev Manovich, un auteur contemporain à Mac Luhan, nous réunirons ainsi une base théorique pour appréhender les perspectives qui accompagnent la réalité virtuelle.
Impacts de l’interface de l’écran chez Manovich
Lev Manovich est un théoricien des médias du XXI ème siècle, actuellement professeur en Computer Sciences à l’université de New York. En 2001, il a publié l’ouvrage “ Le langage des nouveaux médias” considéré par les critiques comme une des études des médias les plus approfondies depuis les théories de Mac Luhan. Dans son livre, Lev Manovich s’applique à une analyse systémique des nouveaux médias. Au travers de leur histoire et de leur contexte sociohistorique, l’auteur tente de donner une lecture profonde “des logiques qui commandent le développement du langage des nouveaux médias.”
Dans la lignée de Mac Luhan, Manovich souligne dans son ouvrage les conséquences “mentales” que provoquent les interactions avec un média. Il critique ouvertement le terme de média interactif, appellation “tautologique” selon lui puisque tout média par définition constitue une interface homme/machine induisant une interactivité entre ces deux. Néanmoins, il approfondit la réflexion sur cette “interactivité” et comme Mac Luhan, il précise et met en lumière que certains médias ne créent pas une simple interaction physique mais provoquent aussi une interaction psychologique.
Cette interaction psychologique peut avoir des répercussions sur le psychisme de l’individu : le cerveau doit apprendre à lire et s’adapter à la grammaire du média émetteur. Il établit une mise en garde envers les discours utopiques qui accompagnent ces nouveaux médias. Il considère ces discours d’autant plus dangereux que la présence des interfaces dans nos sociétés connaît une croissance exponentielle.
L’interface de l’écran est un dénominateur commun à de nombreux nouveaux médias
Considérée comme une interface “agressive” , c’est une technologie sur laquelle s’arrête longuement Manovich dans son ouvrage. Au travers de deux angles d’analyse : la temporalité et l’espace, il propose alors une généalogie de l’écran.
Spatialité et temporalité de l’écran : la double identité du spectateur
En analysant l’écran sous le premier angle de la temporalité, il distingue trois temps dans l’histoire de ce dernier : celui de l’écran classique (un livre ou une peinture par exemple) qui donne à voir une “image statique”, celui de l’écran dynamique (la TV par exemple) qui donne à voir une “image du passé en mouvement” et enfin l’écran temps réel (l’ordinateur ou le téléphone) qui donne à voir “une image en mouvement du présent”. Ces trois types d’écrans ne sont pas à comprendre dans un ordre chronologique, ils cohabitent simultanément dans nos sociétés. Cette caractéristiques ert plutôt à rendre explicite les différences entre les médias. Si ces machines (TV ,ordinateur ou encore téléphone) utilisent la même interface , celle de l’écran,pour transmettre un message à un humain, leurs natures et leurs possibilités sont différent.
Manovich utilise l’angle de la spatialité pour mettre ensuite en lumière les conséquences sur le spectateur produites par l’espace présent entre l’écran et le corps d ece dernier. Aussi, deux phénomènes se dévoilent : celui de double identité et celui d’assouvissement du public.
Dans sa relation avec l’écran, le spectateur a généralement conscience d’exister dans deux espaces : le réel où il est physiquement, et le virtuel que l’écran lui présente. L’écran crée une sorte de “double identité” ou “double présence” au spectateur. Il y a une certaine distanciation entre l’homme et la machine car il est clair que l’écran re-présente quelque chose. Par exemple, les échelles des environnements physiques et virtuels ne sont pas les mêmes, elles sont plus grandes au cinéma et plus petites à la télévision. L’écran est bien une fenêtre sur un autre monde, la présentation d’un nouvel univers où le spectateur accepte de se faire duper et de s’y immerger.
L’auteur aborde aussi le sujet de laréalité virtuelle, il vise ce media pour expliquer qu’en son sein, cette relation mute. En effet, le casque de réalité virtuelle offre une continuité entre l’espace réel et l’espace virtuel, rompant ainsi le procédé de représentation proposé par l’écran et soumet plutôt le spectateur à une simulation.
Ce processus d’illusion n’est pas nouveau : on le croise aussi dans certains types de peinture comme les fresques murales ou les mosaïques.
En effet, dans la tradition de la simulation, on constatait un prolongement de l’espace physique.
Les fresques murales s’appuient sur la présence du mur pour exister. Quand le spectateur les regarde il y a toujours un espace entre lui et la fresque. Avec la réalité virtuelle, une nouveauté apparaît : Il se crée en effet, soit un prolongement parfait de l’espace physique soit la constitution complète d’un nouvel univers englobant l’entièreté du champ visuel du spectateur. La réalité virtuelle “abandonne” alors la réalité physique dans la mesure où l’écran ne représente plus une fenêtre entre les deux, mais devient un téléporteur.
Cette mutation de l’écran existe déjà avec d’autres machines. Les ordinateurs, par exemple, offrent la possibilité d’ “éclater” l’interface de l’écran. Ce dernier n’est plus une fenêtre mais une multitudes de fenêtres. La superposition de “micro-univers” (une page web, un dossier d’ouvert, un logiciel de traitement de texte ouverts en simultané) fait alors perdre à l’écran son statut de « fenêtre », et il disparaît dans le flot d’informations qu’il se retrouve à divulguer.
Mobilité VS immobilité : la liberté du spectateur
La mobilité donnée au spectateur est un deuxième phénomène lié à la spatialité de l’interface. Par sa place, sa taille, sa distance, l’écran donne plus ou moins d’espace physique et mental au spectateur et lui laisse alors plus ou moins la capacité de s’approprier le média et le message. Selon ses caractéristiques propres, l’écran “met en espace” le spectateur, lui offrant un certain degré de liberté de mouvance. En effet, Malovich pointe du doigt le régime spectatoriel contemporain qui impose, selon lui, un assouvissement du corps. Pour rendre son propos explicite, il compare deux arts : le cinéma actuel avec le théâtre populaire du XIXème siècle.
Quand l’un prend place dans une salle sombre, silencieuse où les spectateurs sont assis, l’autre laisse son spectateur libre dans une foule bruyante et distante avec le spectacle. La grammaire cinématographique contemporaine pose la caméra à la place du spectateur, obligeant ce dernier à rester immobile physiquement lors du visionnement alors que le théâtre type vaudeville se passait de « normalisation des corps » et laissaient les spectateurs adopter des positions lâches et décontractées. Selon la mise en situation “physique” choisie, le spectateur se retrouve absorbé mentalement d’une manière spécifique par les images qui lui sont présentées.
L’auteur se concentre d’ailleurs un temps sur la relation spatiale qu’offre la réalité virtuelle. Selon lui, la réalité virtuelle s’écrit avec une grammaire qui va à l’encontre de celle du cinéma. Elle libère le spectateur : c’est lui qui doit se mouvoir dans l’espace où il est présent physiquement afin que l’espace virtuel se dévoile à lui . Cependant, cette situation est très paradoxale : Si le spectateur semble libre de ses mouvements, “la réalité virtuelle l’emprisonne comme jamais auparavant” . En effet, le casque relie directement le spectateur à la machine. Il fait de son corps une sorte de“souris ou de joystick”; en fait il intègre le corps de l’humain au sein même de l’interface machine. Finalement, selon Malovich, la réalité virtuelle ne fait que prolonger la tradition d’immobilisation du spectateur voir même la renforcer. Malovich rappelle enfin que l’ordinateur et la réalité virtuelle sont des cas particuliers : ce sont des systèmes où la nature de l’écran mute pour devenir transparente, invisible. Néanmoins, ces phénomènes restent limités aux cas particuliers de ces machines et de manière générale, notre société s’ancre dans une ère de l’écran . Depuis cette ouvrage d’anthologie datant de 15ans, les NTIC ont continué à se développer à une vitesse fulgurante. Sans renier les propos qu’il mène dans“le langage des nouveaux médias”, Malovich met dorénavant les médias de côté et oriente ses réflexions de plus en plus vers les logiciels et la récolte de données. Mac Luhan et Manovich sont des professeurs en sciences de la communication et de l’information. Si leurs théories sont antérieures à l’arrivée du média des casques actuels de RV, elles présentent une solide base critique qui constitue une valeur atemporelle pour analyser les médias. Pour résumer, Mac Luhan a mis en valeur la nécessité d’étudier quel sens est étendu par un média ou au contraire quel sens il “cannibalise”. (I.A.1) Manovich, lui, a mis en valeur des angles d’analyse , la spatialité et de temporalité, qui permettent de dévoiler et mesurer l’effet d’un média (sentiment de présence/double identité, de représentation/immersion, de liberté/immobilité) (I.A.2)
La RV met en exergue le fondement de ces théories car elle passe par des sensations corporelles et non plus par des émotions spirituelles. D’ores et déjà, on peut percevoir que les casques de réalité virtuelle sont des médias qui relient plus que jamais le corps et les sens aux technologies, donnant plus que jamais matière à ces théories. Cette lien entre ces deux est d’ailleurs confirmé par la présence du sujet de la RV dans l’ouvrage de Manovich (I.A.2). Pour ces différentes raisons, tout au long de notre étude, nous allons inscrire notre réflexion dans la pensée critique de ces auteurs.
De l’immersion à l’empathie : Construction d’une prophétie autour de la Réalité Virtuelle
Aussi, nous allons poursuivre notre analyse de la réalité virtuelle, en la resituant dans son contexte actuel ( I.B.1) et en étudiant les propos des principaux acteurs qui l’accompagnent. Sans chercher à comparer ou confronter leurs points de vue aux démarches scientifiques des deux auteurs étudiés, nous allons voir notamment comment les démarches scientifiques des uns s’actualisent avec les discours des autres, comment ils se font écho mais aussi comment ils rentrent en dissonance. (I.B.2
Contexte social et commercialisation des casques de réalité virtuelle (RV)
Imaginaires et représentation sociales autour d’un nouveau média
La réalité virtuelle est un sujet qui fait beaucoup fantasmer notamment grâce aux potentiels qu’elle offre pour nous tromper complètement, afin de créer une immersion parfaite dans une autre réalité que celle tangible. Déjà dans les années 80/90, des projets de réalité virtuelle étaient sur les bancs d’essais. À cette époque, ce sujet était très relié dans l’imaginaire au concept de cyberespace, élément constitutif d’une certaine idéologie considérant le corps et le langage comme “des chaînes” dont il fallait se libérer. Nombreuses oeuvres littéraires et cinématographiques mettent en scène cet imaginaire (Matrix, Tron, John Menovnic…).
Cependant à l’époque, la technique et les technologies n’étaient pas au rendez vous ; le sujet et les recherches ont été mis de côté face à d’autres progrès. On semble assister ces dernières années à la consécration de la réalité virtuelle. Les nouveaux médias et nouvelles interfaces annoncés sont enfin capables de nous offrir une véritable expérimentation de la réalité virtuelle.
Dans l’opinion public, l’arrivée de ce média ne passe pas inaperçue. Elle provoque de fortes réactions qui s’étendent du scepticisme à l’excitation, en passant par différentes stades de peurs et d’attentes. Le buzz sur les réseaux sociaux créé par la photographie de la conférence à Barcelone de Mark Zuckerberg témoigne le mieux de l’engouement du public pour ce média.
Elle démontre aussi l’influence des personnalités du secteur sur l’imaginaire du public. En effet, depuis les années 80, les pionniers et prophètes de la réalité virtuelle comme Jaron Lanier et Howard Reihngold ont été remplacés par des cinéastes comme Chris Milk et des entrepreneurs tel Mark Zuckerberg. Dans leurs discours et représentations médiatiques, les propos ont eux aussi pris une nouvelle voie : toujours aussi puissante, la réalité virtuelle se comprend et s’impose aujourd’hui comme un média qui va révolutionner les relations entre les Hommes.
La commercialisation et démocratisation des casques de RV
Depuis le début de l’année 2016, la réalité virtuelle fait régulièrement la une médiatique et les premiers casques se commercialisent. En à peine quatre ans, un exponentiel rattrapage technologique a permis de développer et de démocratiser ce nouveau médium. En effet, c’est en 2012 que la “course” à la réalité virtuelle a débuté dans le secteur du jeu vidéo. En parlant de son invention, un casque qui permet une immersion complète dans un univers vituel, Palmer Lucket attise très vite l’intérêt des “hards gamers” sur les forums internet. Peu de temps après, il crée alors son entreprise Occulus Rift et débute une campagne de socio-financement pour commercialiser son casque. La réussite fulgurante de sa campagne fait rentrer Sony, Samsung et HTC dans cette concurrence. L’année 2014 est alors rythmée par les annonces de chacun à propos de leurs casques respectifs (Morpheus, le Gear et le HTC Vive). La même année, un nouvel acteur apparaît sur la scène et renverse l’organisation du marché économique qui se dessine : le 25 mars, Facebook annonce le rachat d’Oculus rift.
Médium surtout pressenti pour le secteur de l’industrie vidéoludique, le projet de réalité virtuelle “Ascended the Wall” lié à la populaire série de HBO “ Games of Thrones” est présenté au festival SXSW en 2014. Il ouvre les portes de la réalité virtuelle à de nouveaux champs d’application (cinéma, télévision …). Ces collaborations se confirment au festival de Sundance en 2015, avec la présentation de 16 projets de réalité virtuelle dans le secteur “New frontiers”. En mars de la même année, l’application NYTVR du quotidien américain The New York Times ouvre la voie au champ journalistique. En même temps, Youtube annonce unr nouvelle possibilité d’héberger des vidéos 360 degrés sur son site. On voit donc pléthore d’éléments et de collaborations d’acteurs divers qui encouragent et facilitent la création et la diffusion de contenus. 2016 est donc l’année de la commercialisation pour ce secteur médiatique : en mars les premiers casques oculus précommandés deux ans auparavant ont été livrés. Avec un prix qui s’élève à 700 euros, l’oculus reste cependant un bien coûteux qui vise une cible particulière : un public de joueurs technophiles. Néanmoins, commercialisation va de pair avec démocratisation rapidement plusieurs propositions aux gammes de prix différentes viennent segmenter le marché en offrant des expériences de plus ou moins bonne qualité. Aussi, chaque public selon son pouvoir d’achat peut expérimenter la réalité virtuelle. A titre d’exemple, le cardboard proposé en 2015 par Google qui offre accès à la VR avec de simples smartphones existe en plusieurs versions améliorées et personnalisées par différentes entreprises (Freefly, Homido, Gear..). Enfin, différentes actions sont menées pour accompagner l’arrivée de ces nouveaux médias dans les foyers. C’est le cas de la campagne “Google Expedition Pioneer Program” qui met en place un kit pédagogique pour les professeurs qui veulent animer des séances d’histoire ou de géographie en classe avec des google cardboard.
A la fois source d’attentions vigilantes ou au contraire, de fantasmes démesurés, il semble bien que l’année 2016 marque le début de l’ère de la réalité virtuelle et son entrée dans les foyers.
Cette commercialisation est loin d’être discrète, elle s’accompagne de publicité mais aussi de discours allégoriques portés sur le devant international par des acteurs de différents champs allant du journaliste à l’artiste multimédia.
La réalité virtuelle, une machine qui révolutionnera nos relations humaines ?
Des discours médiatiques prophétiques sur la “machine à créer de l’empathie”
La réalité virtuelle n’est qu’aux prémices de son existence mais déjà peut-on apercevoir la diversité des champs d’application qu’elle offre. La RV semble être un outil de qualité pour transmettre un message, une expérience, une sensation ou encore une émotion. Ce médium provoque un important enthousiasme dans le monde artistique, créatif et médiatique. Deux discours prononcés par Chris Milk et Nonny de la Penna, lors de conférences TED dévoilent les idées de nombreux artistes issus d’horizons différents mais qui s’intéressent à ce “transmetteur”.
Les interventions de ces pionniers du secteur de la VR rejoignent un même thème : celui des perspectives offertes par la VR pour les relations humaines.
Chris Milk est un artiste multimédia américain. Il a aussi fondé l’entreprise VRSE qui est aujourd’hui une des références dans la production en réalité virtuelle. En 2014, il a réalisé le documentaire en réalité virtuelle “Cloud Over Syria”. Avec un univers à 360 degrés, ce film immerge les spectateurs dans le quotidien d’une petite fille qui vit dans un camps de réfugiés syriens. Dans sa conférence TED, il revient sur son expérience en tant que réalisateur avec ce nouveau médium. Il présente la réalité virtuelle comme ayant le pouvoir de faire avancer le monde. Pour ce réalisateur, la RV offreune sensation d’immersion uniquequi estle facteur clé pour créer “de l’empathie” chez le spectateur. Avec le casque, l’utilisateur a une sensation de présence dans l’univers qui lui est montré. Par la pleine sensation de présence dans cetautre univers, le spectateur ne voit plus par unefenêtre comme avec les médias traditionels, mais il est “à la place de”. Dans l’approche portée par Chris Milk, les interfaces hommes/machines ne créent plus une interaction entre les humains et les machines mais vont au delà, en renforçant les relations d’humains à humains. Aussi, pour C. Milk, les potentiels de la réalité virtuelle permerttraient de modifier nos relations dans l’espoir de les améliorer, de nous faire prendre soin des autres ou de nous encourager à agir pour les causes qui nous semblent justes. Nonny de la Penna est une journaliste pionnière dans le domaine de la réalité virtuelle.
Dernièrement, elle a produit “Projet Syria”, un film de réalité virtuelle qui plonge le spectateur dans la ville d’Aleppo en Syrie, lors de l’explosion d’une bombe dans la rue. En 2015, elle a présenté à la conférence de TEDWomen ses projets et ses projections sur l’avenir du journalisme. Similairement à Chris Milk, on trouve dans ses propos un rigoureux enthousiasme envers ce nouveau média. Dans son discours, elle décrit avec emphase les sensations quasi physiologiques que provoque la réalité virtuelle. Ce caractère unique de l’expérience donne un véritable écho au message transmis ainsi qu’une durée de vie dans la mémoire du récepteur. Analyse du discours et déconstruction de la prophétie Comme on peut le constater les discours de C. Milk et N. De la Penna se basent sur deux postulats : un technique et un communicationnelle. Le premier postulat se fonde sur la capacité technologique des casques à montrer des univers virtuels qui immergent totalement l’utilisateur et créent une illusion parfaite. Le deuxième postulat suppose que les médias ne sont pas de simples transmetteurs mais qu’ils jouent un rôle dans nos sociétés. Le postulat qui soustend leurs discours prétend que les médias impactent l’homme, sa perception, et par conséquent, qu’ils impactent la société dans sa globalité. Ce dernier postulat fait écho aux théories que nous avons évoquées précédemment. Préçisement, si l’on analyse textuellement ces discours, on peut identifier trois concepts de nos théoriciens : ceux d’identité et d’immersion du spectateur de Manovich et celui de sensorium propre à Mac Luhan. En effet, Chris Milk utilise un vocabulaire similaire à Manovich pour décrire la VR. Ses propos évoquent l’idée de faire disparaître l’écran comme “fenêtre”, ce qui s’accorde avec la mutation de l’écran décrite par Manovich.
Une fois cette hypothèse émise, nos figures médiatiques ne s’arrêtent pas là, et extrapolent leur concept. En partant de cette notion d’empathie, elles prolongent leurs hypothèse et formulent une promesse: Parce que la VR immerge, elle nous met “à la place de”. Si les expériences que nous vivons en virtuel nous font ressentir de l’empathie, en contre partie de ces sentiments ressentis dans le virtuel, nous développons une envie et une volonté d’agir dans le réel pour changer nos relations humaines et améliorer nos sociétés .
A ce niveau, on peut donc noter que les propos tenus durant les TEDs prennent une tournure qui s’éloigne de la théorie rigoureuse de Mac Luhan et Manovich. Les conférenciers vont au delà des attentes communes, et s’embarquent dans des perspectives utopiques, prenant dans une certaine mesure un ton prophétique.
Formulation de l’hypothèse
Dans cette première partie, nous avons constitué une base théorique sur laquelle nous allons nous appuyer tout au long de notre étude. Cette base nous permet d’affirmer que les médias sous leur forme pure (c’est à dire sans même considérer leurs contenus), ont une forte empreinte sur les humains. Nous avons vu que les médias jouent sur nos sens, créant des déséquilibres qui modifient notre perception et par conséquent, impactent la façon dont nous comprenons et appréhendons notre univers ( I.A.1). Précisément, on a mesuré l’impact de l’écran comme interface homme-machine. On a pu réaliser que l’écran crée des dispositions qui touchent spécifiquement le spectateur ou l’utilisateur. La transmission au travers d’un média laissent une marque sur le message et le contenu qui impacte le récepteur et sa perception. (I.A.2) Ainsi, peut on dire que ces théories laissent pressentir que la réalité virtuelle possède un important potentiel sur l’homme, sa perception et sa relation avec les autres (I.A.2).
Par la suite, nous avons appréhendé le contexte et le discours médiatique autour de la réalité virtuelle. (I.B) A l’aube de sa commercialisation et à l’horizon de sa démocratisation, n ous avons mesuré les attentes du public autour de ce média. Nous avons ainsi souligné l’important imaginaire et les nombreux fantasmes qui entourent ce média. (I.B.1) Du côté des créateurs, nous avons aussi apprécié les attentes et désirs que suscite ce média. Nous avons réalisé que les acteurs du champs créatif misent énormément sur lui : certains clament que ce média pourrait améliorer nos sociétés. Aussi, nous avons essayé d’identifier sur quels arguments ces paris se basent (I.B.2).On a vu alors que ces idéaux se construisent sur une conception des médias que nous avons validée avec deux auteurs précédemment. De plus, ces idéaux reposent sur un autre postulat plus technique : la supériorité technologique des casques de réalité virtuelle comparée aux autres médias pour créer l’immersion. Néanmoins à ce stade, rien, si ce n’est le discours de nos conférenciers, ne vient valider ce postulat technique.
En partant de ces postulats, ils posent l’hypothèse que la réalité virtuelle “est une machine créatrice d’empathie”. Encore une fois, ces propos restent hypothétiques dans la mesure où leur véracité ne repose que, à ce niveau de notre réflexion, sur la conviction des deux locuteurs. En partant de cette hypothèse, les deux conférenciers extrapolent alors leurs propos et promettent une société meilleure grâce à la réalité virtuelle. Aussi, cette promesse n’exprime en rien une certitude ; seule une analyse auprès des utilisateurs et sur le long terme pourrait confirmer de tels propos.
Dans cette première partie nous avons pu appréhender quatre discours d’acteurs issus de champs différents et poursuivant des buts propres à chacun. En effet, Chris Milk et Nonny de la Penna endossent un rôle différent de celui des théoriciens, Mac Luhan et Manovich. Participant au succès de la réalité virtuelle pour leurs intérêts financiers et professionnels, ils cherchent évidemment à convaincre le public du potentiel de ce nouveau média. Ce dernier suscite beaucoup d’émotions et nécessite un accompagnement spécifique lors de sa sortie pour “rassurer” le public. Sans réfuter en bloc les possibilités offertes par la réalité virtuelle, il faut donc garder en tête que l’usage de la formule “ machine créatrice d’empathie” n’est pas neutre.
Méthodologie d’analyse pour l’étude de cas du Photographe Inconnu
Après avoir présenté le champ de notre étude et avoir saisi les différents éléments théoriques et pratiques qui le délimitent (II.A.1) nous mettrons en place, dans un deuxième temps, une méthodologie de travail en identifiant des critères et des indicateurs qui permettront de mener notre étude de manière rigoureuse et fondée. (II.A.2)
Cadre de la recherche
Présentation du cadre
En 2015, Turbulent une entreprise de production digitale montréalaise, a réalisé et produit le dispositif de réalité virtuelle “ Le Photographe Inconnu” (LPI) en collaboration avec l’ Office Nationale du Film Canadien (ONF).
LPI prend racine dans un projet en développement chez Turbulent : une expérience sous forme d’application tablette autour de photographies de guerre retrouvées dans une ferme abandonnée au Québec. Le projet n’arrivant pas à prendre une forme concrète et intéressante, l’équipe a fait le choix de réorienter complètement leurs concepts pour s’essayer à une production en réalité virtuelle. Ce format semblait mieux approprié aux contenus et a permis de développer un projet viable et de qualité. En effet, depuis sa création, le projet a fait le tour des différents festivals de cinéma ou de documentaire comme Sundance aux Etats-Unis, International Documentary Filmfestival Amsterdam (IDFA) en Hollande ou encore les Rendez-vous Internationa ux du Documentaire de Montréal (RIDM) au Canada. Dans chaque festival le dispositif a été remarqué et apprécié par les professionnels pour sa qualité artistique et son innovation. Différentes récompenses lui ont été adressées dont notamment the Emotional Games Awards et un Webby Awards début 2016.
La problématique à résoudre qui sous-tend nos questionnements est de savoir si l’immersion en réalité virtuelle peut prétendre être un moyen efficace pour améliorer les relations entre les individus. L’expérience de LPI va nous servir plus précisément à mesurer la validité de l’hypothèse de Chris Milk et Nonny de la Penna. Confronter leurs propos à la réalité permettra de valider le postulat technique d’une part, et saisir la véracité de leur hypothèse d’autre part. En partant de ces éléments, l’étude de cas permettra aussi une première approche de notre contre hypothèse : si la réalité virtuelle est un média fort avec un potentiel important, cela n’en fait pas, de fait, un média avec un impact positif, créateur d’empathie et amplificateur des relations humaines. Au contraire, notre contre-hypothèse considère ce discours réducteur et considère qu’une réalité plus complexe subsiste en arrière scène du discours médiatique.
Les limites du cadre
Notre analyse sera cadrée à la fois par les termes que nous allons définir et le matériel qui sera à notre disposition.
Nous comprenons ici la réalité virtuelle dans son sens restreint, c’est à dire un univers représenté et qui se donne à voir grâce au dispositif technologique qui offre une simulation 3D en temps réel. Nous ne prendrons en considération que les projets de réalité virtuelle impliquant l’usage d’un casque commercialisé ou en voie de l’être. Ceci exclut de fait tout autre réalisation nécessitant des interfaces comme les combinaisons ou gants haptiques. Si ces derniers sont très intéressants, ils restent des éléments qui ne sont pas encore au stade de la commercialisation et ne rentrent donc pas dans notre cadre d’étude. Si différentes plateformes de contenus et marques de casques existent (Gear, Oculus, Morpheus, Cardboard), les différences entre eux sont trop minces et le contenu n’est pas encore assez diversifié pour que nous puissions nous concentrer sur un seul type de casque. Nous comprendrons dans notre étude tout type de matériel, y compris les expériences de VR accessibles avec smartphone et cardboard, Néanmoins, nous exclurons les simples vidéos 360 qui se visionnent par un lecteur habituel proposé par youtube ou facebook et accessible sur ordinateur.
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Table des matières
Remerciements
Introduction
I) État des lieux et projections sur les médias : les attentes qui entourent la sortie des casques
A) L’empreinte des interfaces : Genèse des relations entre médias hommes et la société
B) De l’immersion à l’empathie : Construction d’une prophétie autour de la Réalité Virtuelle
II) La Réalité Virtuelle, un média réellement immersif ? Étude de la qualité immersive de la VR à travers l’exemple du Photographe Inconnu
A) Méthodologie d’analyse pour l’étude de cas du Photographe Inconnu
B) Analyse du dispositif et des discours des concepteurs
III) La réalité virtuelle, vers “le meilleur des mondes” ? Limites et enjeux d’un nouveau média
A) Les émotions comme finalité : limites du pouvoir de l’immersion et des médias sur les hommes et la société
B) La réalité virtuelle au travers le prisme d’enjeux pluriels et d’intérêts divergents : Nouvelle approche sur la réalité des casques
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Table des matières
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