L’actualité des questions éthiques qui dérivent des progrès fulgurants de la biologie et des techniques biomédicales est telle que la réflexion épistémologique ne peut plus en faire fi. En effet, au fur et à mesure des progrès dans la découverte du vivant, dans l’exploration de sa constitution et de ses modes de développement, naît un ensemble de questions éthiques. Ainsi se pose de manière cruciale la question de savoir comment prendre en charge la nécessité des progrès biomédicaux qui s’accompagnent de problèmes éthiques intrinsèquement liées à la nature et à la dignité humaine. Ce sont des questions qui ne laissent guère indifférent.
Il s’agit là des motivations qui expliquent le choix de notre thème : « Le statut ontologique de l’embryon chez Francis KAPLAN». La question du statut de l’embryon est au cœur des débats bioéthiques. Elle est comme un point centripète à partir duquel s’éclairent d’autres questions telles que la procréation médicalement assistée, l’avortement, la manipulation génétique, la recherche en génétique, l’eugénisme néonatal, une partie des greffes d’organe, le clonage, la fécondation in vitro…
Un retour à travers l’histoire montre que la question du statut de l’embryon, qui a connu diverses formulations, a toujours intéressé le chercheur. Ce que nous affirmons là trouve sa justification dans les multiples représentations théoriques, artistiques, théologiques et culturelles que l’on peut noter à travers l’histoire. En atteste l’ancienne controverse sur l’animation qui a pris naissance chez les Pères de l’Eglise etqui a été ainsi formulée : « à quel moment Dieu insuffle t-il l’âme dans l’embryon ?» Cette controverse faisait apparaître en filigrane la question de la nature de la personne, autrement ditla dimension de « personne ».
C’est d’ailleurs le problème principal que pose aujourd’hui la question du statut de l’embryon: est-il une personne ou une chose ? L’analyse de cette question n’offre pas de réponse univoque. Le premier constat est relatif au concept qui n’a pas toujours le même sens chez ceux qui s’y intéressent. Et pourtant, ils font tous référence à la même entité, à savoir l’être humain dans les premières étapes de son développement. Nous pouvons retenir deux grandes perspectives d’analyses: la perspective scientifique et la perspective éthique. La première perspective veut prétendre à l’unanimité en ce qu’elle définit l’embryon en termes d’amas de cellules et d’étapes de développement. Il s’agit d’une approche objective de l’être de l’embryon. L’embryon jadis inconnu ou imaginé est démystifié par la biologie. De nos jours, il est possible de l’observer dans l’utérus ou de le développer in vitro…
La seconde perspective, quant à elle, montre la difficulté de la question du statut de l’embryon ; celle que nous évoquions plus haut, à savoir si l’embryon est une personne ou une chose. La question est de savoir si l’embryon est une chose, un être vivant ou une personne. En filigrane se pose ici le problème de la dignité de la personne humaine comparée aux autres espèces vivantes (animales et végétales).Sur quoi fonderait-on alors la prétendue supériorité humaine sur les animaux et les végétaux ?
Pour une première tendance, l’embryon n’est qu’une chose. Il est réduit à un simple amas de cellules. Il n’est en rien différent de l’embryon animal ou du simple organe d’un corps.Il s’agit ici d’un réductionnisme biologique ou ontologique dont l’intérêt est la promotion de la recherche. Nous sommes alors dans une logique technico-pragmatique. Pour défendre une telle thèse, la définition de la personne entre en jeu. Celle-ci est caractérisée par la conscience de soi, l’autonomie morale et le rapport à autrui, toutes choses dont l’embryon est dépourvu. Par conséquent, il n’aurait pas plus de dignité que l’animal. La seconde tendance, elle, affirme que l’embryon est autant une personne que l’est le fœtus ou même l’enfant. Il appartient ainsi à une communauté morale. Cette thèse a, tout comme la première, des implications pragmatiques. Elle implique le respect, la protection mais aussi le contrôle de la recherche sur l’embryon.
Etat des lieux des thèses en faveur de la personnification de l’embryon
De tous les êtres vivants, l’homme est considéré comme le seul être de qui on peut dire qu’il est une personne. C’est là une marque de sa spécificité par rapport aux autres êtres vivants tels les animaux et les végétaux. Toutefois, il convient de noter que la question n’est pas sans soulever de débat. S’il est aisé de soutenir que seul l’être humain peut être une personne, il nous est d’autant plus difficile d’affirmer que tout être humain est une personne. En effet, l’être humain, à certaines phases de la vie, n’est pas unanimement reconnu comme étant une personne. Nous voulons parler des étapes où l’individu ne jouit pas de certaines fonctionnalités biologiques ou spirituelles à savoir l’étape embryonnaire, fœtale, celle de la folie ou du coma profond entre autres.
En ce qui concerne le présent travail, nous nous intéressons à l’embryon humain. Par « embryon », nous entendons l’être humain depuis sa conception, c’est-à-dire le moment de la fusion des gamètes , jusqu’au stade fœtal. Autrement dit, quand nous parlerons d’embryon, nous inclurons volontiers le premier moment du développement de l’être humain appelé zygote . Qu’est-ce qui peut fonder l’affirmation de la personnification de l’embryon ? C’est à cette question que nous tenterons de répondre dans cette première partie en passant en revue un certain nombre de thèses en faveur de la valorisation de l’embryon. Les arguments avancés peuvent êtres classés en deux ordres. Ainsi nous aurons l’argument biologique puis l’argument moral dans lequel nous incluons celui religieux qui lui est très proche.
L’argument biologique
Qu’est-ce que l’embryon ? Il nous est désormais possible de répondre explicitement à cette question grâce au développement de la biologie en général et de l’embryologie en particulier. En plus de la connaissance théorique que nous pouvions avoir jadis du processus de développement de l’être humain, il est désormais possible d’observer celui-ci depuis le moment de la fécondation jusqu’à la naissance.
Aussi, pouvons-nous distinguer les différentes étapesde l’évolution de l’être conçu. De la fusion de l’ovocyte et du spermatozoïde à la huitième semaine, les embryologistes parlent d’embryon. Cette première étape est subdivisée, par certains embryologistes en deux phases à savoir celui du zygote, qui comprend les quinze premiers jours à partir de la fécondation et le stade de l’embryon qui va du seizième jour à la fin de la huitième semaine. L’étape suivante, allant de la neuvième semaine au terme de la grossesse est celle du fœtus. Comment comprendre que cet être qui n’est qu’à ces débuts puisse avoir un statut anthropologique ?
D’abord, l’embryon humain n’est pas identique à l’embryon animal. Quelles que soient les manipulations dont il peut faire l’objet, il se différencie en tant qu’il appartient à une espèce bien définie à savoir l’espèce humaine. Dire cela, c’est affirmer que l’embryon humain ne peut donner naissance qu’à un homme et jamais à un animal ou une plante. Tout ovocyte humain fécondé par un spermatozoïde, s’il est mis dans des conditions idoines, nous voulons parler du sein maternel, ne peut se développer autrement que selon les lois propres à l’espèce humaine. Ce qui assure cette distinction c’est le génome humain dont dispose tout embryon et qui, en même temps qu’il l’inscrit dans l’espèce humaine, le différencie de tout autre être humain, assurant ainsi son individualité et son identité propre. C’est ce qui ressort de ces propos : « Par la fécondation, le zygote est constitué d’un génome (les chromosomes) original et complet. D’emblée opérationnel, il déploie ses activités immédiatement, pleinement et continûment jusqu’à la mort, sans nouvel apport génétique » .
Ensuite, l’embryon est un individu. Etre un individu signifie être indivisible. Cela peut sembler absurde si l’on sait que l’embryon est divisible, du moins jusqu’au quinzième jour. Au courant de ses quinze premiers jours l’œuf fécondé possède la capacité de gémellité ; c’est ce qui explique l’existence des jumeaux monozygotes, issus du même zygote. A considérer cela, on peut dire que l’embryon n’est pas encore un individu avant d’avoir dépassé la possibilité de gémellité. Pourtant, force nous est de reconnaitre qu’il y a bien différence entre indivision et indivisibilité. Pascal IDE ne dit rien d’autre quand il affirme qu’ : «un individu se caractérise par son individualité (en acte) et non par son indivisibilité (en puissance). De plus, on se représente l’apparition des jumeaux monozygotes comme une séparation de l’embryon en deux. Or, le plus souvent, il s’agit plutôt d’un détachement d’un blastomère à partir de plusieurs autres. Donc ce n’est pas un embryon qui en devient deux, mais l’un qui provient de l’autre » .
De plus, ce que nous représentons souvent comme division du zygote en deux n’en est pas une. Le phénomène des jumeaux monozygotes est plutôt un détachement d’un des blastomères réunis dans le blastocystequi en comporte plusieurs. On pourrait dire qu’il s’agit d’un embryon qui provient d’un autre. Pour mieux comprendre, nous pouvons emprunter l’image du récit de la création de la femme dans les Ecritures Saintes. Il nous est dit que Dieu prît du côté de l’homme une partie et de là Il créa la femme. Le côté est un fragment de la totalité.
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Table des matières
Introduction
I-Etat des lieux des thèses en faveur de la personnification de l’embryon
I-1-L’argument biologique
I-2-De l’animation à la notion d’ « être humain potentiel »
II-De l’entreprise déconstructiviste de KAPLAN
II-1-L’embryon n’est ni un être vivant ni un être humain
II-2-Entre non-être et être : le concept d’ « être suffisamment »
III-Vers une perspective pragmatico-juridique
III-1-De la question « qu’est-ce que l’embryon ? » à la question « quelle attitude à son égard ? »
III-2- Pour le respect et la reconnaissance de l’être en gestation
Conclusion
Bibliographie