L’IVGM en ville
Une modification de la loi en 2001 a permis aux médecins libéraux de réaliser les IVGM hors établissements de santé [10]. Cette loi, mise en pratique en 2004, offre la possibilité aux généralistes et gynécologues d’effectuer toutes les démarches en vue d’une interruption de grossesse médicamenteuse avant 7SA à leur cabinet. Pour cela, ils doivent justifier d’une pratique dans un centre ou avoir fait une formation ; puis signer une convention avec un établissement référent, disposant d’un plateau technique permettant la prise en charge des complications éventuelles. Depuis l’adoption de ce décret, la part des IVGM en ville ne cesse d’augmenter. Pour autant, une étude sur l’offre de soins en matière d’IVG souligne les freins qui existent, de la part des professionnels, à réaliser cet acte jugé chronophage et peu rémunérateur [11]. Depuis 2016, on a ouvert la possibilité aux sages-femmes de les réaliser en ville afin d’élargir l’offre de soins [1]. Au total, en France, un avortement sur quatre a été réalisé hors établissement de santé en 2018, majoritairement dans des cabinets libéraux de médecine générale ou de gynécologie [9].
Avant l’IVG : la phase de l’urgence
Une fois passée la découverte de la grossesse, et la décision d’avortement prise, les participantes ont éprouvé un sentiment d’urgence, marquée par le désir d’aller vite afin de respecter les délais d’intervention. Elles ont exprimé un sentiment de panique qui a pu être renforcé par la manifestation des symptômes physiques liés à la grossesse.
Mme G : « Moi je voulais faire le plus rapidement possible car je commençais déjà à sentir les effets de la grossesse, et je ne voulais pas du tout ressentir ça. » Certaines participantes ont manifesté de l’anxiété ou de la peur par rapport au déroulement de l’avortement. Cette phase a été génératrice de tristesse, allant parfois jusqu’à la détresse pour certaines, et de culpabilité : envers elle-même concernant des erreurs de contraception, envers l’embryon et le potentiel enfant, ou envers leur conjoint.
Mme D : « Alors tout s’est fait très très vite, c’est-à-dire que quand j’ai fait mon test de grossesse qui était positif, là ça a été la catastrophe ! J’ai été très triste, j’ai pleuré énormément »
Mme G : « Ça me faisait mal de le (conjoint) voir avoir aussi mal par rapport à ma décision, parce que c’était surtout ma décision. »Et inversement, certaines femmes ont mentionné la culpabilité de leur conjoint qui se sentait responsable de ce qu’elles vivaient. Pour d’autres patientes, cette période précédant l’IVG est marquée par une affirmation de leur choix et une grande détermination, ce qui semblait améliorer leur vécu de la situation.
Mme H : « Et je pense que c’est aussi surtout le mental et comme j’avais décidé que ce n’était pas ce que je voulais, et que je voulais forcément l’IVG, ça a été beaucoup plus cool dans ma tête. » Nous avons recueilli chez les participantes des sentiments contradictoires et une certaine ambivalence lors de cette étape. Pour certaines, l’avortement était contraire à leurs convictions religieuses. D’autres ressentaient un réel attachement à la grossesse.
Mme D : « Non pour moi c’était pas clair, c’était pas clair, à la base j’étais pas pour les IVG, donc j’aurais pu m’organiser et poursuivre la grossesse […] voilà j’étais en train de me dire je fais pas selon la volonté de Dieu. »
Mme F : « C’était acté dans ma tête mais intérieurement je m’attachais vraiment à cet embryon, c’était très difficile. » Au cours des entretiens, nous avons pu constater que certains éléments permettaient pour les patientes de mieux supporter l’idée de l’IVG, en minimisant l’acte et le rendant plus acceptable, comme le fait que la grossesse soit très précoce, l’absence de rythme cardiaque, ou encore le doute sur l’évolutivité de la grossesse.
Mme B : « Non, ça ne m’a rien fait… Comme le cœur n’était pas encore formé… »
Mme D : « Peut-être que si j’avais vu un bébé qui bougeait, un cœur, là ça m’aurait attristé, mais là, on est au tout début donc on y va. »
Déroulement ambulatoire de l’IVG
Concernant le déroulement de l’IVGM en ville, l’analyse des entretiens a pu faire émerger plusieurs thèmes.
a. Les raisons du choix de cette méthode : Bien que plusieurs patientes n’aient pas eu connaissance de la possibilité de réaliser l’IVG en ville, cette possibilité a globalement satisfait les participantes pour plusieurs raisons : la simplicité de la prise en charge, un interlocuteur unique, et la proximité géographique de leur domicile.
Mme H : « C’est même plus simple. C’est comme si on tombait malade et qu’on allait chez le docteur ! »
Mme J : « C’est moins lourd. » « Alors la proximité, le fait de ne pas passer par l’hôpital, tout ce qui est démarche, admissions, le côté protocolaire. La démarche est plus simple. » La rapidité était aussi un facteur mentionné par les patientes, qui se sentaient parfois pressées par le délai légal.
Mme A : « Alors, moi ça a été très vite, j’ai su le lundi, le mardi j’étais avec Mme X. » Une patiente a souligné le fait que malgré sa volonté d’aller vite, le professionnel qui l’a suivie a su temporiser un peu pour lui laisser un temps de réflexion et d’organisation qui lui a été profitable.
Mme F : « Donc là j’étais hyper pressée je voulais les comprimés de suite, mais elle n’a pas voulu, elle a préféré que je mature ça. Et puis que je m’organise aussi au niveau de mon travail. » On a pu observer également chez les participantes la recherche d’intimité. Le fait de pouvoir réaliser l’IVGM dans le confort du domicile avait un caractère rassurant, et passer par un cabinet de proximité permettait de rester dans une ambiance plus intime. La méthode paraissait apporter une plus grande discrétion, loin du regard des autres.
Mme B : « Y’a des gens qui veulent pas trop se présenter à l’hôpital et veulent rester dans la discrétion, tout ça. C’est plus discret. » Le respect de l’anonymat a été souligné et apprécié par les patientes.
Mme H : « Du coup, c’est pour ça que je suis allée voir Dr X, il y a juste lui qui le sait, je rentre comme si j’avais une grippe, je ressors on ne sait pas ce que j’ai… C’est beaucoup plus anonyme et c’est ce que j’ai préféré en fait. »
b. La relation de confiance avec le professionnel : Un des motifs de satisfaction des patientes était la qualité de la relation établie avec le professionnel. Elles ont apprécié le caractère holistique de la prise en charge : l’écoute du conjoint, compréhension des circonstances particulières liées à chaque femme. Les patientes ont apprécié ce sentiment de singularité, qui répondait parfois à la crainte d’une prise en charge « à la chaîne ».
Mme A : « Elle m’a accompagnée, elle m’écoutait, ce qu’à l’hôpital on ne fait pas et elle a pris le temps d’analyser la situation, et, comme j’ai dit je n’étais pas toute seule donc elle a pris le temps de nous parler à moi ainsi qu’à mon copain.»
Mme G : « Donc ça s’est bien passé, elle a été douce et elle a parlé aussi à mon ex-copain. Ce que j’ai trouvé bien, je savais pas si c’était normal ou pas, mais j’ai bien aimé le fait qu’elle lui parle parce que lui il voulait le garder. » Elles ont exprimé l’importance pour elles de se sentir écoutées, rassurées et non-jugées.
Mme A : « Moi j’étais à l’aise avec elle. Quand je parlais avec elle j’avais vraiment l’impression de parler avec quelqu’un qui me comprenait, qui m’écoutait, qui était là pour moi. Euh, je ne me suis pas sentie jugée ni regardée et tout. »
Mme F : « Premièrement il m’a rassurée, il m’a demandé si moi j’allais bien. » La disponibilité des médecins ou sages-femmes a été grandement appréciée.
Mme C : « Ce que j’aime avec Dr X c’est qu’elle est disponible, on était en permanence en contact par mail. Elle est réactive elle répond, donc j’étais pas toute seule en fait. » Une patiente a déclaré avoir une relation difficile avec le professionnel en raison d’évènements antérieurs et reconnait que même si la prise en charge a été satisfaisante et professionnelle, elle ne s’est pas sentie à l’aise pour s’exprimer. Cela a pu impacter son vécu.
Mme I : « Je pense que ça m’a peut-être empêché, de dire les choses que j’avais besoin de dire. Parce que vraiment je ne me sens pas du tout à l’aise avec elle. » « Elle a été très encadrante malgré l’appréhension que j’avais avec ce que j’avais vécu avec elle. Ça s’est très bien passé. »
c. Participation active : L’IVG médicamenteuse demandait une participation de la patiente. Avoir le choix de la méthode, le choix du moment de la prise des comprimés étaient des éléments de satisfaction qui permettaient aux patientes de ne pas se sentir passives et de garder un contrôle sur la situation. Elles ont expliqué avoir une plus grande flexibilité dans l’organisation de leur temps et de leur vie familiale (obligations professionnelles, garde des enfants) grâce à cette méthode. Une patiente a également apprécié le fait de ne pas se sentir contrainte.
Mme A : « nous sommes libres jusqu’à la dernière minute de prendre la décision! » Au contraire, certaines patientes ont souligné la difficulté de devoir prendre une part active dans la démarche. L’action de prendre les comprimés, le vécu des saignements et des douleurs, la visualisation des débris expulsés étaient difficiles à supporter psychologiquement.
Mme F : « Ça fait mal mais quand on vit la situation, psychologiquement c’est pas pareil, c’est vraiment différent. »
d. Satisfaction : D’une manière générale, les patientes étaient satisfaites de leur IVG. Les témoignages s’accordaient pour dire qu’après une période plus ou moins difficile émotionnellement, les femmes portaient un regard positif sur l’expérience qu’elles avaient vécu, autant sur le plan personnel, que sur la prise en charge dont elles avaient bénéficié.
Mme D : « c’était parfait, sans douleur, très très bien. Ça s’est bien passé. »
Mme A : « Moi je souhaite que celles qui doivent passer par là tombent sur la même équipe que moi, c’était cool. »
Les limites de l’étude
a. Liées aux entretiens : Il s’agit d’un premier travail de recherche de type qualitatif. Il a été nécessaire de se former à la conduite des entretiens semi-dirigés, mais le manque d’expérience dans la pratique a pu altérer la qualité des données recueillies. Une auto-évaluation après chaque enregistrement réalisé a permis, au fur et à mesure, de diminuer le nombre de relances fermées et par conséquent d’augmenter la qualité et la richesse des témoignages recueillis.
b. Liées au recrutement : L’étude étant réalisée sur la base du volontariat, on peut imaginer que les patientes ayant accepté de participer étaient celles qui avaient besoin de s’exprimer. Il est possible que les femmes ayant une bonne expérience de l’IVG jugent leur témoignage insignifiant et ne soient pas correctement représentées. Au contraire, on peut supposer que les femmes pour qui le souvenir de l’avortement est trop douloureux n’aient pas souhaité s’exprimer. Tous les praticiens de l’île réalisant les IVG en ville ont été contactés, mais le nombre de réponses recueillies par chacun était très variable. Le degré d’implication de ces derniers dans notre étude pouvait représenter un biais. Deux professionnels ne sont pas représentés, l’un ne nous a pas répondu malgré les relances. Un autre, tout juste formé nous a communiqué les coordonnées d’une seule patiente en raison du faible nombre d’IVG qu’il avait réalisé.
c. Liées aux patientes : Les entretiens se sont déroulés dans un délai de 4 à 12 mois suivant l’avortement. Ce temps de latence a pu engendrer un biais de mémoire de la part des patientes. Nous avons néanmoins choisi de ne pas réaliser les entretiens plus tôt, afin d’obtenir un témoignage à distance de la période de crise pouvant être ressentie par les patientes. Une étude sur le vécu psychologique des patientes a montré qu’il n’existait pas de différence en termes de ressenti à 4 mois ou 12 mois [17]. Un autre biais de recueil peut être cité, il est dû à l’enregistrement audio des entretiens qui pouvait générer un blocage de la parole des femmes. Pour minimiser ce risque, nous avons veillé à créer un climat de confiance lors de la réalisation des entretiens, nous avons proposé aux patientes que nous sentions intimidées de stopper l’enregistrement si elles le souhaitaient. Aucune des patientes n’a déclaré être gênée par la présence du dictaphone.
CONCLUSION
En Martinique, le recours à l’IVGM en ville progresse, c’est une alternative à la prise en charge hospitalière pour les femmes qui le souhaitent. Cette thèse, portant sur le témoignage de onze patientes nous a permis de mieux appréhender leur vécu de l’acte et de repérer les facteurs influençant leur ressenti. Dans notre étude, il apparaît que les émotions mises en jeu chez une patiente réalisant une IVG sont complexes. L’expulsion est une étape douloureuse sur le plan psychologique et physique du fait de la participation active de la patiente. L’entourage joue un rôle majeur dans l’accompagnement tout au long du processus, son côté bienveillant permettra une meilleure acceptation. Les patientes ont également évoqué l’importance de la relation établie avec le professionnel et apprécient le caractère intime et discret de la prise en charge en ville. Un sentiment de soulagement est ressenti par les patientes immédiatement après l’IVG, à distance, certaines patientes rapportent des difficultés dans la gestion de leurs émotions et auraient aimé un accompagnement psychologique. Des solutions concrètes comme l’élaboration d’un document écrit, destiné aux patientes, afin d’améliorer les signes physiques, et le vécu psychologique immédiat et à distance ont été proposées. La fiche d’informations médicales peut être optimisée en mettant l’accent sur le dépistage des facteurs de risques. Bien que la plupart des patientes aient exprimé leur satisfaction, notre étude met en lumière des défauts dans le parcours d’accès : l’IVG en ville reste mal connue du grand public et des professionnels de santé ce qui ralentit l’orientation des patientes. Un effort doit être fourni pour en fluidifier l’accès. Conscients que ces propositions ne sont pas garantes d’un vécu parfait de l’IVGM en ville, et que l’impact de l’avortement est propre à chaque femme en fonction de son histoire, de ses émotions, du contexte, et au sens qu’elle donne à cette grossesse, nous espérons néanmoins apporter notre pierre à l’édifice dans l’amélioration de la prise en charge.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. L’IVG Médicamenteuse
II. L’IVG en ville
III. Le vécu de l’IVG
IV. En Martinique
V. Problématique
MATERIEL ET METHODES
I. Type d’étude
II. Echantillonnage
III. Entretiens
IV. Démarches réglementaires
V. Analyse des données
RESULTATS
I. Caractéristiques de la population
II. Vécu de l’IVG
a. Complexité des émotions
b. Les signes physiques
c. Le rôle de l’entourage
III. Déroulement ambulatoire de l’IVG
a. Les raisons de ce choix
b. La relation de confiance avec le professionnel
c. Participation active
d. Satisfaction
IV. Le parcours d’accès
a. L’errance initiale
b. Fluidité du parcours après le premier contact
c. Mauvaise représentation de l’hôpital
V. Attentes des patientes
a. Améliorer l’accès aux informations et à l’IVG
b. Rapidité et simplicité
c. Ecoute et disponibilité
d. Suivi psychologique à distance
DISCUSSION
I. Limites de l’étude
II. Discussion sur les résultats
a. La population
b. Le vécu
c. Les motivations
d. Le parcours d’accès
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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