Le resvératrol et ses dérivés appartiennent à une catégorie de métabolites secondaires végétaux particuliers appelés stilbènes ou stilbénoïdes. Leur structure chimique les classe parmi les polyphénols, substances qui possèdent des propriétés anti-oxydantes. Les stilbènes sont présents dans de nombreuses plantes aussi variées que des fruits rouges, les arachides, certains pins, la renouée du Japon mais encore la vigne. Ils interviennent tout particulièrement dans les mécanismes de défense actifs chez les plantes. Leur synthèse dans le monde végétal est généralement déclenchée par la détection d’un agent pathogène par le phénomène dit d’élicitation. C’est ce processus qui en a permis l’étude en laboratoire et la voie de biosynthèse du resvératrol en lui-même est aujourd’hui connue, même s’il reste un certain nombre d’interrogations quant à celle de ses dérivés, notamment celle des viniférines.
Par leur pouvoir anti-oxydant, les stilbènes ont éveillé de nombreux intérêts depuis quelques décennies. En effet, la découverte du resvératrol dans le vin a contribué à porter un regard nouveau sur la molécule. δe rôle majeur qu’il semble jouer dans les effets bénéfiques sur la santé que confère une consommation modérée de vin rouge est désormais largement connu sous le nom de « French Paradox ». Cette publicité a trouvé des résonances dans plusieurs secteurs, comme ceux des produits cosmétiques et des compléments alimentaires et même le domaine pharmaceutique. Plusieurs produits formulés à partir du resvératrol sont aujourd’hui couramment commercialisés, ce qui montre la concrétisation d’un tel succès. δes effets protecteurs du resvératrol contre de nombreuses affections (maladies cardiovasculaires, cancers, obésité, diabète, infections virales, maladies neurodégénératives) sont l’objet d’études prometteuses quant à de possibles applications comme médicament.
Etat des connaissances concernant le resvératrol
Présence dans le monde végétal
Du point de vue chimique, le trans-resvératrol (trans-3,5,4’-trihydroxystilbène) est un composé phénolique de la famille des stilbènes . Au plan biochimique, il est à rapprocher des phytoalexines et phytoanticipines des Vitaceae .
Le resvératrol est assez largement répandu dans le règne végétal. On le trouve notamment dans certains fruits rouges (framboises, mûres), dans les baies du genre Vaccinium (i.e. myrtilles et canneberges), les arachides, certains pins comme le pin sylvestre (Pinus sylvestris) et le pin blanc (Pinus strobus) et surtout chez la vigne, particulièrement dans les baies, ce qui l’a rendu célèbre par les propriétés bénéfiques qu’il confère au vin rouge (French paradox).
Le resvératrol a d’abord été découvert dans l’hellébore blanche (Veratrum grandiflorum O. δoes) en 1940 par Takaoka. C’est d’ailleurs cette découverte qui est à l’origine de son nom (Takaoka, 1940). Par la suite, il a été identifié dans les racines de la renouée du Japon (Fallopia Japonica ou Polygonum cuspidatum Sieb. et Zucc.), qui contient surtout des dérivés glycosylés du resvératrol comme le picéide. Pour cette raison, il est un des principes actifs du thé Itadori (ou Ko-jo-kon), une infusion des racines de la renouée, utilisée en Asie pour ses vertus médicinales (Nonomura et al., 1963).
Pour mieux comprendre l’importance et la fonction du resvératrol dans le règne végétal, il faut préciser sa place dans le métabolisme de la plante. C’est en fait un métabolite secondaire, c’est-à-dire, par définition, une molécule qui n’est pas produite par le métabolisme primaire. Le métabolisme primaire assure les fonctions de base de la plante telles que la nutrition, la respiration, la croissance, le développement ou la reproduction. Il est responsable de la synthèse des principales macromolécules qui forment l’unité du monde vivant : glucides, lipides, acides aminés et protéines, bases puriques, pyrimidiques et acides nucléiques, etc. A l’inverse, le métabolisme secondaire est plus spécifique à des circonstances particulières rencontrées par la plante ; il lui confère ainsi des capacités d’adaptation à son environnement. Contrairement aux métabolites primaires, les métabolites secondaires finaux ont souvent un poids moléculaire beaucoup plus faible mais de structures extrêmement complexes, variées et spécifiques, même s’ils sont dérivés, en réalité, des mêmes voies de biosynthèse que les premiers (Kliebenstein, 2004). Les métabolites secondaires peuvent avoir des fonctions très variées et interviennent souvent lors de moments spécifiques de la vie de la plante. Ils jouent un rôle prépondérant dans les rapports que la plante entretient avec les espèces animales, les microorganismes et les autres végétaux. Ils peuvent, par exemple, servir à éloigner les prédateurs comme les herbivores et les microorganismes pathogènes par la constitution de défenses passives (épines, cuticule…) ou la sécrétion de substances amères ou toxiques. A l’inverse, ils vont, dans d’autres circonstances, chercher à attirer certaines catégories d’animaux dans le cadre d’une relation symbiotique comme la pollinisation (pigments, arômes). Leur biosynthèse est soit constitutive du métabolisme de base, soit liée aux différents stress auxquels la plante est soumise (van Etten et al., 1994). Ces stress, outre ceux liés aux autres espèces évoquées précédemment, sont encore abiotiques. On peut citer ainsi les caroténoïdes, une classe de pigments permettant de lutter contre le stress oxydant dû au froid ou à la sécheresse ou encore l’adaptation à la salinité (Shulaev et al., 2008).
Voie de biosynthèse
Description de la voie métabolique
La synthèse des stilbènes chez les plantes se fait à partir de deux acides aminés aromatiques, la phénylalanine et la tyrosine, tous deux issus de la voie des shikimates. La phénylalanine ammonia-lyase (PAL) catalyse, d’une part, la réaction qui transforme la phénylalanine en acide cinnamique. Celui-ci est ensuite hydroxylé en acide parahydroxycinnamique (ou acide paracoumarique) par la cinnamate 4-hydroxylase (C4H). δa tyrosine est, d’autre part, directement transformée en acide paracoumarique par la tyrosine ammonia-lyase (TAL). Après avoir été activé en coumaroyl-CoA par la 4-coumarate-CoA ligase (4Cδ), l’acide paracoumarique peut alors réagir avec trois molécules de malonyl-CoA, issues de la voie des polymalonates. Cette dernière réaction, catalysée par la stilbène synthase (STS), aboutit à la formation du trans-resvératrol (Jeandet et al., 2010). La voie métabolique des stilbènes a été décrite dans Donnez et al., 2009 .
Le resvératrol est le premier maillon de la synthèse de tous les autres stilbènes . Certaines enzymes formant ces dérivés sont déjà connues, d’autres restent à caractériser. On peut citer la 3-glucosyl-O-transférase (3-O-GT), qui produit le trans-picéide par glycosylation et l’O-méthyl-transférase (OMT) qui synthétise le trans-ptérostilbène par méthylation. D’autres enzymes restant à caractériser, les peroxydases (PER), catalysent la formation des viniférines, oligomères du resvératrol (trans-İ-viniférine, trans-į-viniférine, αviniférine). Enfin, une hydroxylation donne le trans-picéatannol. Même si plusieurs de ces dérivés ont été mis en évidence chez la vigne, le resvératrol reste la forme majoritaire chez cette plante (Jeandet et al., 2010). Les proportions respectives des différents stilbènes peuvent varier selon la localisation dans la plante.
Liens entre pathogènes et synthèse des stilbènes
La voie de biosynthèse des stilbènes et les enzymes qu’elle met en jeu ont une importance de premier ordre pour la vigne puisque les composés qui en résultent assurent la défense de cette plante contre ses agresseurs. Des travaux ont montré que certaines molécules issues de pathogènes déclenchent une cascade de signaux de défense qui aboutit à la synthèse des stilbènes chez la vigne (Vandelle et al., 2006). Ce mécanisme passe par l’activation et l’expression des gènes de la PAδ et de la STS (Jeandet et al., 2010). D’autres études mettent en évidence, chez la vigne, un nombre particulièrement élevé de gènes codant pour la STS. 43 gènes ont ainsi été identifiés dont 20 au moins sont exprimés après infection par des pathogènes, ce qui tend à montrer que ces copies sont fonctionnelles (Jaillon et al., 2007). Ceci semble indiquer que les mécanismes d’induction de la synthèse du resvératrol sont très complexes et qu’en réduire l’examen à l’activation des gènes de la STS n’est pas réaliste.
On peut noter que la STS, qui joue un rôle capital dans la synthèse du resvératrol, est en compétition avec la chalcone synthase (CHS). En effet, cette dernière, dont la structure est très similaire, utilise exactement les mêmes substrats (Chong et al., 2009 ; Jeandet et al., 2010). Le produit de la réaction, la chalcone, est en revanche bien différent des stilbènes ; c’est un composé en C15 précurseur d’une autre classe de métabolites, les flavonoïdes. La STS est ainsi un pivot essentiel qui permet d’orienter le métabolisme secondaire des polyphénols vers l’une de ces deux voies (stilbènes vs. flavonoïdes). δe nombre élevé de gènes de la STS n’est pas la seule particularité de cette enzyme chez la vigne. L’expression des gènes semble aussi se produire en deux temps : les ARNm de la STS apparaissent d’abord 6 à 12 heures après la mise en présence de l’éliciteur, puis une deuxième accumulation se manifeste quelques heures après (Jeandet et al., 2010). Dans certaines conditions, le resvératrol, lui-aussi, s’accumule dans la plante en deux vagues successives (Wang et al., 2010). δ’élicitation des cellules de vigne en laboratoire montre que la première accumulation du métabolite ne survient qu’une dizaine d’heures après la mise en présence de l’éliciteur. Une synthèse aussi précoce ne peut être expliquée par la synthèse de novo de la STS. Celle-ci serait plutôt réalisée par l’enzyme déjà présente dans la plante auparavant. Le resvératrol serait donc produit chez la vigne en deux phases : d’abord par une faible quantité d’enzyme perpétuellement présente dans les tissus et activée par la détection de l’agresseur, puis une production beaucoup plus massive interviendrait grâce à la STS synthétisée par élicitation.
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Table des matières
Introduction générale
Partie 1 : Bibliographie
I. Etat des connaissances concernant le resvératrol
i. Présence dans le monde végétal
ii. Voie de biosynthèse
1. Description de la voie métabolique
2. Liens entre pathogènes et synthèse des stilbènes
iii. Le resvératrol : une molécule d’intérêt pour l’homme
1. Utilisations en cosmétique
2. Utilisations dans les compléments alimentaires
3. Propriétés biologiques
a. Activité contre l’athérosclérose
b. Activité contre le vieillissement cellulaire
c. Activité contre certains cancers
d. Activité contre les infections virales
e. Activité contre l’obésité et le diabète
f. Activité contre la dégénérescence des neurones
4. Molécule de défense végétale
a. Mécanismes de défense chez les plantes
b. Perspectives d’applications
iv. Dérivés du resvératrol et autres stilbènes présents chez les plantes
II. Production conventionnelle du resvératrol
i. Extraction végétale par solvant
ii. Synthèse chimique
iii. Utilisation des bactéries ou des levures génétiquement modifiées
III. Production alternative du resvératrol : biotechnologies végétales
i. Conditions de culture
ii. Avantages de l’emploi des cultures végétales in vitro
iii. Induction de la biosynthèse en suspensions cellulaires
iv. Induction de la biosynthèse dans des cultures de racines transformées
Partie 2 : Matériel et méthodes analytiques
I. Matériel végétal
II. Milieu de culture
III. Stérilisation du milieu et du matériel
IV. Incubation
V. Elicitation
VI. Mesure de la biomasse
VII. Extraction des stilbènes
VIII. Analyse par chromatographie sur couche mince
IX. Analyse des stilbènes
X. Mise en œuvre des cultures
i. Expérimentations en fioles
ii. Expérimentations en bioréacteur
Partie 3 : Etude en fioles d’Erlenmeyer de 300 mδ
I. Introduction
II. Description de la mise en culture
III. Premiers essais sur les souches 41B et Concord
i. Protocole expérimental
ii. Résultats obtenus sur la souche 41B
iii. Résultats obtenus sur la souche Concord
IV. Cinétique de croissance en fiole de la souche Concord
V. Etude de l’influence de différents paramètres
i. Détermination des intervalles de concentration adéquats pour la production de resvératrol
ii. Influence de la durée d’exposition au εeJA
iii. Influence du rapport [MeJA]/MF
iv. Interprétations
v. Influence de la présence de la méthyl-β-cyclodextrine
VI. Exploration d’une méthode d’extraction alternative des stilbènes par résines
VII. Conclusion et perspectives
Partie 4 : Etude en bioréacteur agité de 5 L
Publication : Bioproduction of resveratrol: optimisation of cell suspension culture from Vitis labrusca in bioreactor
Partie 5 : Discussion générale
I. Croissance cellulaire
II. Elicitation au méthyljasmonate (MeJA)
III. Etude de la localisation de la biosynthèse du resvératrol
i. Etude préliminaire par vidéomicroscopie
ii. Observation par microscopie confocale
Conclusion générale
Références