État de santé des migrants et accès aux soins
La prise en charge médicale des patients allophones , est source d’interrogations (2), à la fois pour lutter contre la barrière de la langue et améliorer l’efficience des soins.
La relation médecin-patient, cœur du soin
La relation médecin – patient est à la base de toute consultation. Elle ne peut être de qualité que si la compréhension mutuelle est assurée. Avec le temps, influencée par les exigences sociétales et recherchant une meilleure qualité de soins, la médecine paternaliste (décrite par PATERSON dans les années 1950) laisse place à un modèle relationnel horizontal, et non vertical, avec le concept de décision partagée (3). Ces évolutions sont inscrites dans la loi du 4 mars 2002 qui définit l’approche centrée sur le patient (4). Le patient dans ses dimensions bio-psycho-sociales est placé au centre du soin. La caractéristique de la maladie est d’être « un point d’intersection douloureux entre facteurs biologiques, psychologiques et sociaux, croisement entre nature et culture, où la manifestation biologique, en s’inscrivant dans un corps « vécu », et donc sujet d’histoire, devient elle-même historicisée et historicisable » (5). La barrière de la langue rend, par définition, la communication avec le patient plus difficile. Ceci est d’autant plus vrai en consultation de médecine générale car le médecin généraliste est un des premiers contacts dans la prise en charge médicale des patients. L’anamnèse représente l’obstacle linguistique le plus important dans une consultation médicale alors qu’elle inaugure généralement celle-ci. La capacité du médecin à faire une évaluation et une synthèse médicale de qualité est donc compromise .
La précarité en Pays de la Loire
La précarité est une notion complexe et multifactorielle qui est définie, par le Conseil Economique et Social dans le Journal Officiel en 1987 comme « l’absence d’une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté, quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle devient persistante, qu’elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir prévisible (7). » Différentes ressources deviennent, lorsqu’elles manquent, des facteurs de précarité : emploi, revenu, logement, relation avec les amis ou la famille, couverture maladie, régularité du séjour en France pour les étrangers . Selon l’enquête du CREDES réalisée en 2000, les étrangers cumulent un plus grand nombre de facteurs de précarité (9). En Pays de la Loire, les territoires les plus confrontés à la précarité sont plutôt répartis dans le sud de la Vendée, le nord de la Loire Atlantique ou l’est du Maine-et-Loire tandis que les grandes agglomérations (Nantes, Angers, Le Mans, Laval) sont composées de populations au niveau socioéconomique très hétérogène. La côte Atlantique accueille des populations plus aisées .
Les migrations
En France
En 2014, 66,1 millions de personnes vivent en France, dont 6 millions d’immigrés5 (9% de la population totale, incluant les Français « par acquisition ») et 4,2 millions d’étrangers (6,3%). 49,6% des immigrés sont des femmes et 26,4% ont moins de 25 ans. Particulièrement exposés aux facteurs de précarité sociale et administrative, les ressortissants de pays-tiers (hors union européenne, Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse) sont 4.1 millions (68% des immigrés en France). De 2006 à 2014, le nombre d’immigrés a augmenté avec un solde migratoire (différence entrées/sorties du territoire comprenant immigrés nés à l’étranger, français nés à l’étranger, personnes nées en France) de + 546 000 personnes (14). Les migrations ne sont pas seulement économiques mais aussi politiques (réfugiés6 ), religieuses, environnementales, … En 2017 en France, la demande d’asile7 globale (et protection subsidiaire) s’est établie à 100 412, soit une hausse de 17% par rapport à 2016 (18).
Dans les Pays de la Loire
Au 1er Janvier 2013, 124 669 immigrés habitent dans les Pays de la Loire. Ils représentent entre 6 % et 8 % des villes de Nantes, Saint-Herblain, Angers, Cholet, Le Mans et Laval et 3,4 % de la population régionale. Ce pourcentage est le troisième moins important de France.
Les femmes représentent 51,2% des immigrés. Les ressortissants des pays-tiers sont 89637 (72% des immigrés de la région) (19). Entre 2006 et 2011, le nombre d’immigrés dans les Pays de la Loire a augmenté de 4,5 % en moyenne chaque année, plaçant la région au 3ème rang en termes d’évolution de la population immigrée (16). Les Pays de la Loire font partie des trois régions accueillant la part la plus élevée d’immigrés arrivés récemment en France : deux immigrés sur dix de la région (18 %) sont arrivés depuis moins de cinq ans. Il y a pour l’instant une population relativement faible d’immigrés en Pays de la Loire mais en progression constante et rapide depuis quelques années.
État de santé des migrants et accès aux soins
La permanence d’accès aux soins et de santé (PASS) permet une prise en charge médicale et sociale des patients migrants tant qu’ils n’ont pas accès au droit commun (20). Une fois l’ouverture des droits réalisée, ils peuvent consulter en médecine générale ambulatoire (21). Les patients migrants allophones rencontrent de grandes difficultés face au refus de soin, du fait de la barrière de la langue, des problèmes parfois complexes, de la méconnaissance du réseau de soin, des retards de paiement, du temps de consultation allongé et de la différence culturelle (22). Selon un testing de Médecins du monde de 2006 auprès de 725 médecins généralistes dans dix villes de France, le refus de soin illicite envers les bénéficiaires de l’AME et de la CMU (population en situation de précarité, et en situation irrégulière pour les bénéficiaires de l’AME) est respectivement de 37% et 10% (23). Une revue de la littérature de 2012 met en évidence un meilleur état de santé des immigrés avec une espérance de vie supérieure à la population native avant les années 2000 (24). C’est l’hypothèse du Healthy Migrant Effect. Les personnes en meilleure santé sont plus « aptes à migrer » et les opportunités de travail dans le pays d’accueil sont plus élevées pour les travailleurs migrants en bonne santé. Ceci est conforme aux publications internationales. Les études françaises plus récentes, à partir des années 2000, suggèrent un moins bon état de santé de la population immigrée, en termes de santé perçue et de limitation d’activité. Après ajustement des caractéristiques démographiques et des conditions socio-économiques, les résultats montrent que l’état de santé des immigrés tend à se détériorer à mesure que leur durée de résidence s’accroît sur le territoire français. Les conditions socio-économiques des immigrés mais aussi l’acculturation au contact du pays d’accueil semblent être à l’origine d’une détérioration de l’état de santé. Cette détérioration est expliquée notamment par l’adoption de comportements plus délétères que ceux initialement adoptés dans le pays d’origine (26,27). On peut aussi mettre en lien cette détérioration avec le psycho traumatisme que crée le parcours migratoire, la complexité du parcours d’insertion avec l’incertitude permanente sur leur devenir (28). La diversité de l’état de santé des immigrés selon le pays d’origine peut être le résultat d’un effet à long terme des caractéristiques économiques du pays d’origine. Les migrations politiques (demandes d’asile, réfugiés…) deviennent de plus en plus fréquentes et les pays d’origine principaux ont des conditions socio-économiques très défavorables : Albanie, Afghanistan, Haïti, Soudan, Guinée, Syrie… (18). Les personnes en provenance des pays les plus pauvres seraient en plus mauvais état de santé que les personnes originaires des pays les plus riches (29). En France en 2016, parmi les personnes reçues la première fois dans les Centres d’Accueil, de Soins et d’Orientation , plus de 84% ne disposent d’aucune couverture maladie alors que la grande majorité pourrait théoriquement en bénéficier, 47 % présentent un retard de recours aux soins, 38 % nécessitent une prise en charge urgente ou assez urgente et 45,5 % des femmes enceintes présentent un retard de suivi de grossesse (30). La moindre connaissance du système et des filières de soins ou la moindre maîtrise de la langue représentent des obstacles à l’accès aux soins et contribuent à la détérioration de l’état de santé des immigrés.
Pourquoi la barrière linguistique est un problème fondamental ? Et comment
la contourner ?
« La jouissance des droits (…) doit être assurée sans distinction aucune fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’ascendance nationale ou l’origine sociale, la santé, l’appartenance à une minorité nationale, la naissance ou toute autre situation » selon la convention européenne des droits de l’Homme (31).
Les barrières linguistiques, culturelles ou religieuses, le degré d’éducation ou d’autres facteurs sociaux, sont des freins à l’acquisition de compétences en matière de santé par le patient allophone. Ces compétences sont définies d’après l’OMS comme des « aptitudes cognitives et sociales qui déterminent la motivation et la capacité des individus à obtenir, à comprendre et à utiliser des informations d’une façon qui favorise et maintienne une bonne santé » (32). Sarah BOWEN résume les données existantes : « Il a été démontré que les barrières linguistiques ont des effets négatifs sur l’accès aux soins de santé, sur la qualité des soins, sur le droit des patients, sur le degré de satisfaction des patients et des intervenants et, surtout, sur les résultats des traitements donnés aux patients » (33). Les patients avec des connaissances limitées de la langue du pays d’accueil montrent un niveau inférieur de compréhension du diagnostic, du pronostic, de la thérapie et des soins reçus par rapport à la population autochtone (34). Ils suivent moins les recommandations thérapeutiques et consultent moins souvent pour leur suivi (34,35). Ils bénéficient de moins de consultations de suivi après la sortie de l’hôpital (36). La relation soignant-soigné reflète souvent le modèle culturel de la relation d’autorité. Le soignant se comporte à l’égard du soigné de la façon que prévoit sa culture à cet égard. De l’autre côté, le soigné attend du soignant une attitude particulière répondant à ses critères socioculturels. Dans une étude américaine évaluant les opinions des patients sur le système de soins, les personnes d’origine afro-américaine, asiatique ou hispanique, ressentaient qu’ils bénéficieraient d’une meilleure qualité de soins s’ils étaient blancs. Ils se sentaient plus ou moins jugés négativement en fonction de leur origine ethnique ou de leur aptitude à s’exprimer en anglais (37). L’éducation pour la santé a été définie par l’OMS (1983) comme « tout ensemble d’activités d’information et d’éducation qui incitent les gens à vouloir être en bonne santé, à savoir comment y parvenir, à faire ce qu’ils peuvent individuellement et collectivement pour conserver la santé, à recourir à une aide en cas de besoin ». C’est une priorité dans la médecine actuelle, qui semble très difficilement accessible par les patients migrants et allophones. La Convention des Nations Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels de 1966 stipule que « Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit à toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre ». La Convention précise également les étapes à suivre pour un total accomplissement de ce droit : « la création de conditions propres à assurer à tous des services médicaux et une aide médicale en cas de maladie » (38).
L’interprétariat en France, situation actuelle
Contrairement au cadre législatif européen (31), aux « Civil Rights Act » aux Etats-Unis (40) ou en Suède (44) par exemple, l’interprétariat est absent du cadre légal français. C’est en Alsace qu’ont eu lieu les études pilotes de mise à disposition d’interprètes professionnels en médecine libérale, sous l’initiative de l’URMLA (Union Régionale des Médecins Libéraux d’Alsace) et du PRS (Projet Régional de Santé d’Alsace), en partenariat avec l’association Migration Santé Alsace. En 2010, une première étude (45), quantitative, mesurait le bénéfice apporté aux médecins et aux patients suite au recours à un interprète professionnel présent. Une autre étude (46), qualitative, s’est intéressée à l’impact des interprètes présentiels sur la pratique des médecins généralistes. Ces études ont démontré que l’interprétariat apportait une aide aux patients pour expliquer leur demande, pour mieux communiquer. Ceux-ci se sentaient plus reconnus. Une majorité des médecins et patients souhaitait un interprète professionnel pour la prochaine consultation.
En Pays de la Loire, un groupe de réflexion a été initié par Médecins du Monde (MdM) Pays de la Loire fin 2014, sur la problématique d’accès aux soins de premiers recours pour les personnes en situation de vulnérabilité. Dans un premier temps, MdM s’est rapproché de médecins concernés par l’accueil de patients allophones. Le groupe de réflexion s’est enrichi de la présence de la PASS, de l’ASAMLA, de l’APTIRA et du SAMU social. Après un rapprochement de l’URML des Pays de la Loire, une commission « Précarité » a été créée. Cette commission travaille sur la formation d’un réseau « Précarité », la réalisation d’un guide d’accompagnement des personnes en situation de précarité (annuaire), formation médicale initiale et continue, la médiation en santé et sur l’interprétariat professionnel (47). Pour deux axes (guide d’accompagnement et interprétariat), un projet a été déposé à l’ARS et après validation, a été financé pour une expérimentation jusqu’à décembre 2019. Les interprètes de l’ASAMLA, l’APTIRA et ISM Interprétariat, acteurs de cette expérimentation, signent une charte (42) qui régit notamment la déontologie du métier d’interprète médico-social. On repère dans cette charte plusieurs grands principes : la fidélité de la traduction, la confidentialité et le secret professionnel, l’impartialité, le respect de l’autonomie des personnes. Au sein des Hôpitaux publics comme à Angers ou Nantes, des conventions existent avec les associations locales (APTIRA et ASAMLA) pour permettre un service d’interprétariat présentiel (interprétariat physique) pour les patients consultants ou hospitalisés. Il existe aussi des partenariats entre les hôpitaux (pour les CHU de Nantes et de Angers par exemple) et des structures nationales telles qu’ISM Interprétariat qui proposent des services d’interprétariat téléphonique sans rendez-vous. En Octobre 2017, la Haute Autorité de Santé a publié un référentiel de bonnes pratiques sur l’interprétariat professionnel dans le domaine de la santé, insistant sur la nécessité d’une sensibilisation envers tous les professionnels du secteur, d’une reconnaissance et d’un financement adapté des dispositifs (48). L’interprétariat est implanté au sein des structures hospitalières mais très peu utilisé en médecine ambulatoire.
DISCUSSION
Cette étude a permis de montrer que les médecins généralistes ont été globalement satisfaits de l’interprétariat professionnel, la note étant supérieure à 8/10 dans 91% des cas et la moyenne globale à 9,4/10. La satisfaction n’était pas différente entre les deux types d’interprétariat. L’utilisation a été importante : on comptabilisait 289 demandes d’interprétariat téléphonique et 21 d’interprétariat physique pendant la durée de l’étude. La majorité des médecins ont prévu de réutiliser ce service lors d’une prochaine consultation avec le patient (96,7%). Ces données convergent avec le projet actuel de diffusion d’interprétariat professionnel en Alsace auprès des spécialités hospitalières, des médecins libéraux, des collectivités locales et des dispositifs d’accueil et d’hébergement : en 2016, les médecins généralistes étaient les premiers demandeurs en médecine libérale .
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Table des matières
INTRODUCTION
La relation médecin-patient, cœur du soin
La précarité en Pays de la Loire
Les migrations
En France
Dans les Pays de la Loire
État de santé des migrants et accès aux soins
Pourquoi la barrière linguistique est un problème fondamental ? Et comment la contourner?
L’interprétariat en France, situation actuelle
Objectif de l’étude
MÉTHODE
Type d’étude
Population étudiée et recrutement
Évaluation
Intervention
Méthodes statistiques
Répartition du travail entre les internes
RÉSULTATS
Description de la population des médecins
Réponses aux fiches d’adhésion
Description de la population des patients
Évaluation de l’interprétariat
DISCUSSION
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