Etat de l’art sur les contraintes résiduelles dans les pièces injectées
Le cycle d’injection
C’est l’un des procédés les plus utilisés pour la production en très grandes séries. Il permet de fabriquer des pièces de géométries complexes avec des temps de cycle très compétitifs.
Le procédé est le même qu’il s’agisse de polymères thermoplastiques amorphes ou semicristallins. Introduite sous forme de poudre ou de granulés dans une trémie, la matière est ensuite admise à l’entrée du fourreau dans laquelle elle va fondre sous l’effet combiné de la chaleur apportée par les résistances et par le cisaillement induit par la rotation de la vis: c’est la phase de plastification. La vis est ensuite utilisée comme un simple piston (grâce à un clapet qui interdit le reflux de matière) pour transférer la matière dans le moule, qui est refroidi par des canaux de circulation d’eau: c’est la phase d’injection. Une fois la cavité remplie, une pression est maintenue jusqu’au figeage de la matière dans le moule. Cela permet de compenser la variation de volume spécifique au cours du refroidissement par un apport supplémentaire de matière fondue: c’est la phase de compactage-maintien. Le refroidissement continue dans le moule, puis la pièce est éjectée et achève son refroidissement à l’air libre.
Déformations et contraintes résiduelles
La déformation des pièces en sortie de moule est un des problèmes les plus difficiles à résoudre pour les concepteurs d’outillage. Ces déformations sont liées aux contraintes résiduelles. Elles affectent les propriétés mécaniques et optiques des pièces moulées. Les contraintes résiduelles peuvent avoir deux origines: Les contraintes de cisaillement dues à l’écoulement pendant le remplissage et le compactage ne se relaxent pas complètement au moment de la solidification du fait du caractère viscoélastique du matériau (elles s’annuleraient à la fin de l’écoulement pour un comportement purement visqueux). Les contraintes normales, reliées à la pression, ne s’annulent pas à la fin de l’écoulement, en raison du confinement du polymère dans la cavité. On parle de contraintes figées induites par l’écoulement. Le retrait thermique associé au refroidissement hétérogène conduit aussi à des contraintes résiduelles appelées contraintes thermiques. On les retrouve dans bon nombre de procédés et de matériaux, comme le verre et les métaux.
Les principaux phénomènes physiques
Nous allons analyser, ici, dans le détail les principaux mécanismes qui conduisent à l’établissement de ces contraintes en considérant différents cas d’école. Pour chacun, une analyse simple semi-analytique, couche par couche, pour certaines étapes caractéristiques, est proposée.
Le retrait thermique
C’est le moteur des contraintes résiduelles d’origine thermique, c’est à dire des phénomènes de retrait.
Cas d’une trempe libre
Considérons d’abord les effets du retrait en trempe libre, c’est-à-dire sans considérer que des parois métalliques peuvent entraver ce retrait. Ces conditions sont plus proches en fait de ce que subit un polymère en sortie d’une filière d’extrusion, hors calibrage. Supposons qu’en dessous d’une température de solidification Ts, le polymère se comporte comme un solide élastique, avec un module E et un coefficient de Poisson ν, et au-dessus, comme un liquide, qui ne gêne pas le retrait. Durant le refroidissement, il y a d’abord progression d’un front de solidification, puis le polymère rejoint la température ambiante Tf sans changement de phase. Considérons une plaque plane initialement à la température T0. Une première couche se solidifie en surface, tout en étant donc libre d’effectuer son retrait thermique. La déformation associée est α(Ts – Tf), où α est le coefficient de dilatation linéaire. En revanche, les couches plus à l’intérieur qui vont se solidifier plus tard, seront soumises à la même déformation α(Ts – Tf), mais elles verront leur retrait bloqué par les couches externes. Elles se retrouveront donc en traction, et mettront les couches externes en compression.
Cas d’une pièce refroidissant dans un moule sans pression
Considérons maintenant la pièce dans le moule. En première approximation, nous supposons que le contact polymère-cavité est collant. Dans ces conditions, tant que la pièce est dans le moule, aucun retrait ne peut s’effectuer lorsque la température d’une couche descend en dessous de la température de solidification, et cette couche se retrouve par conséquent en traction. Trois cas de figures peuvent se présenter;
(i) Si le démoulage a lieu lorsque toute la pièce est revenue à température ambiante (cas d’école correspondant à un moule régulé à la température ambiante et à un temps de séjour avant éjection très long ), le retrait s’effectue de façon homogène juste après l’éjection, et la pièce ne sera le siège d’aucune contrainte.
(ii) Si le démoulage a lieu avant que la pièce ne soit revenue à température ambiante, mais alors qu’elle est solidifiée sur toute son épaisseur: juste avant éjection, les couches de peau sont en forte traction (elles ont subi un refroidissement important), et celles de cœur sont en traction plus légères (leur refroidissement est moindre). Au moment de l’éjection, lorsque les déplacements sont possibles, il y aura un retrait moyen, et donc des contraintes non nulles dans chaque couche. Par la suite, lorsque l’ensemble de la pièce rejoint la température ambiante, chaque couche va finalement effectuer le même retrait total α(Ts – Tf), et la pièce ne sera de nouveau le siège d’aucune contrainte.
(iii) Si le démoulage a lieu alors que le polymère n’est pas solidifié sur toute son épaisseur: juste avant éjection , les couches solides sont en traction. Juste après éjection (b), les couches solidifiées vont effectuer leurs retraits librement, et les contraintes présentes disparaissent. Lorsque les deux couches vont rejoindre la température ambiante, celle de peau va subir un retrait plus faible que celle de cœur, puisque le refroidissement aura été plus important vers la peau. On aboutit à un état de traction/compression analogue à celui du refroidissement libre.
Cette analyse est toutefois à tempérer compte tenu des éléments suivants: le polymère solide n’a pas un comportement purement élastique, mais viscoélastique. Comme les couches de polymère se solidifient à des instants différents, leur histoire est également différente, et la relaxation des contraintes intervient de façon hétérogène. L’hypothèse de contact collant pièce– moule est probablement réaliste tant qu’une forte pression de maintien plaque les couches solides contre le moule. Lorsque la pression diminue, il est possible qu’un glissement intervienne, si aucune aspérité géométrique (seuil, nervure, coins, par exemple) ne bloque les mouvements. Enfin, suivant les conditions de refroidissement et d’orientation, les propriétés élastiques du matériau ne sont pas constantes.
Calcul des déformations et contraintes résiduelles
Approches théoriques 2D
Les sources des contraintes résiduelles sont donc nombreuses. L’importance (en terme de valeur) de chacune d’entre elles est aujourd’hui plus claire. Cependant la manière dont elles interagissent les unes avec les autres reste encore floue. L’intérêt tardif que lui ont témoigné les acteurs de l’injection plastique s’explique pour deux raisons. D’abord, historiquement, la priorité a été donnée à la modélisation des phases de remplissage puis de compactage, qui ont servi dans un premier temps aux dessinateurs et concepteurs de moules pour réduire les coûts de fabrication. Ensuite, la modélisation des contraintes résiduelles nécessite, on l’aura compris, une carte précise et complète des températures et des pressions au sein de la pièce; elle est donc directement dépendante des modélisations antérieures des phases d’injection et de compactage. Il est encore à l’heure actuelle difficile de tenir compte de l’ensemble des phénomènes physiques pour calculer les contraintes et déformation résiduelles. Mais la quasimajorité des modèles actuels tiennent compte de la combinaison des effets du retrait thermique et de la pression figée.
Certaines auteurs utilisent une approche thermoélastique pour le solide [Mills, 83; Titomanlio et al., 87; Denizart et al., 95; Boitout et al., 95; Jansen et al., 96; Farhoudi et al., 99]. Parmi eux on peut noter l’approche Farhoudi et al. (99) qui tiennent compte de la cristallisation en résolvant l’équation décrivant la cinétique, et qui introduisent un module d’élasticité fonction du taux de cristallinité via une loi des mélanges.
L’introduction de la viscoélasticité a été une étape supplémentaire. Des modèles thermoviscoélastiques ont été développés et utilisés par Baaijens (91), Douven (91), Rezayat et al. (91), Boitout (93), Bushko et al. (96), Kabanemi et al. (98), Zheng et al. (99) ou encore Guo et al. (99). Les profils de contraintes obtenus sont souvent similaires à ceux obtenus avec une loi élastique mais avec des niveaux légèrement inférieurs, les contraintes se relaxant. Une loi linéaire (on reste dans l’hypothèse des petites déformations) de type Maxwell muti-mode, en supposant que le matériau est thermorhéologiquement simple (i.e. il suit une superposition temps-température simple) est celle qui est le plus couramment retenue.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 ETAT DE L’ART SUR LES CONTRAINTES RESIDUELLES DANS LES PIECES INJECTEES
1.1 LE CYCLE D’INJECTION
1.2 DEFORMATIONS ET CONTRAINTES RESIDUELLES
1.2.1 Introduction
1.2.2 Les principaux phénomènes physiques
1.2.2.1 Le retrait thermique
1.2.2.1.1 Cas d’une trempe libre
1.2.2.1.2 Cas d’une pièce refroidissant dans un moule sans pression
1.2.2.2 Les contraintes figées
1.2.2.3 Combinaison du retrait thermique et de la pression figée
1.2.3 Autres phénomènes physiques
1.2.3.1 Caractéristiques du matériau
Le comportement viscoélastique
La transition liquide – solide
La cristallisation
Hétérogénéité et anisotropie structurelle
1.2.3.2 Interface pièce-moule
Contact mécanique pièce-moule
Contact thermique
1.2.3.3 La déformation du moule
1.2.3.4 Les effets 3D
1.2.3.5 Cas du refroidissement dissymétrique
1.2.3.5.1 Refroidissement dissymétrique libre
1.2.3.5.2 Refroidissement dissymétrique d’une pièce dans le moule
1.3 DETERMINATION EXPERIMENTALE DES CONTRAINTES RESIDUELLES
1.3.1.1 Les méthodes de détermination des contraintes résiduelles
1.3.1.1.1 La méthode du trou
1.3.1.1.2 La méthode de relaxation
1.3.1.1.3 La photoélasticimétrie
1.3.1.1.4 La diffraction des rayons X
1.3.1.1.5 La technique d’enlèvement de couches
La détermination des contraintes dans le cas d’un matériau hétérogène dans l’épaisseur
Les perturbations engendrées lors de l’enlèvement des couches
1.3.1.2 Les contraintes résiduelles mesurées dans les pièces injectées
1.4 CALCUL DES DEFORMATIONS ET CONTRAINTES RESIDUELLES
1.4.1 Approches théoriques 2D
Les principales hypothèses
Les principales conditions aux limites
1.4.2 Approche semi-empirique Moldflow
1.4.2.1 Motivations
1.4.2.2 L’approche semi-analytique Moldflow
1.4.3 Les approches 3D
1.5 CONCLUSION DU CHAPITRE 1
CHAPITRE 2 DETERMINATION EXPERIMENTALE DES DEFORMATIONS ET CONTRAINTES RESIDUELLES
2.1 INTRODUCTION
2.2 LES MOULES ET LES MATIERES UTILISES
2.2.1.1 Matières
Le Polypropylène (PP)
L’acrylonitrile butadiène-styrène (ABS)
Le polyarylamide (PAA)
2.2.1.2 Moules et conditions d’injection
2.2.1.2.1 Le moule plaque
Le moule et son instrumentation
Conditions d’injection
Position des échantillons pour l’analyse des contraintes
2.2.1.2.2 Le moule coins
Géométrie du moule
Conditions d’injection
2.3 MESURE DES DEFORMEES RESIDUELLES
2.4 MESURE DES CONTRAINTES RESIDUELLES
2.4.1 L’approche de Treuting et Read
2.4.1.1 Principe
2.4.1.2 Hypothèses associées à la relation de Treuting & Read
2.4.2 L’approche des moments de flexion
2.4.2.1 Principe et équations
Relation contrainte-moment
Relation moment – force
2.4.2.2 Dispositif expérimental
2.4.2.3 Analyse et méthodologie
Organigramme
Traitement des données
2.4.2.4 Détermination des propriétés mécaniques par analyse inverse
Mise en équation du problème
Résolution
2.4.3 Validation de l’approche des moments de flexion
2.4.3.1 Etude de l’ABS
2.4.3.2 Etude du PP
Résultats de profils de contraintes résiduelles
Détermination du module dans l’épaisseur par analyse inverse pour le PP
2.4.4 Discussion sur la technique d’enlèvement de couche
2.4.4.1 Introduction
2.4.4.2 Mesure expérimentale de l’échauffement pendant l’usinage
2.4.4.2.1 Influence de la profondeur de passe
2.4.4.2.2 Détermination de la zone de perturbation
2.4.4.2.3 Conclusions
2.4.4.3 Influence de l’usinage sur les profils de contraintes résiduelles
2.4.4.3.1 Influence de la vitesse d’avance
Cas du PP
Cas du PAA 50
2.4.4.3.2 Influence du diamètre de la fraise
2.4.4.3.3 Influence de la profondeur de passe
Analyse du PP
Analyse du PAA 50
2.4.4.3.4 Influence de la vitesse de rotation
2.4.4.3.5 Comparatif avec d’autres techniques d’enlèvement de couche
L’ablation laser
Le polissage
2.4.4.4 Conclusions
2.5 RESULTATS ET DISCUSSION
2.5.1 Protocole de mesure des contraintes résiduelles
CHAPITRE 3 CALCUL DES CONTRAINTES RESIDUELLES ET CONFRONTATION AUX MESURES
3.1 SIMULATION DES CONTRAINTES RESIDUELLES PAR LE LOGICIEL MOLDFLOW
3.1.1 Simulation du remplissage – compactage
3.1.1.1 Ecoulement
3.1.1.1.1 Enoncé du problème
3.1.1.1.2 L’écoulement dans la cavité
3.1.1.1.3 La transition de phase liquide – solide
3.1.1.2 Equation d’état
3.1.2 Description des propriétés mécaniques et thermiques
3.1.2.1 Cas d’un matériau anisotrope
3.1.2.1.1 Première étape: description des propriétés du composite unidirectionnel
3.1.2.1.2 Deuxième étape: procédure de pondération à l’aide de l’orientation calculée
3.1.2.2 Cas d’un matériau isotrope
3.1.3 Loi de comportement thermo – viscoélastique anisotrope
3.1.3.1 Modèle thermo – viscoélastique anisotrope
3.1.3.2 Hypothèses et conditions aux limites
3.1.4 Formulation numérique
3.1.4.1 Phases de remplissage et de compactage
3.1.4.2 Calcul des contraintes résiduelles
3.1.5 Procédure de calcul
3.1.6 Calcul des déformations résiduelles
3.2 DEROULEMENT DU CALCUL
3.2.1 Protocole de simulation
3.2.1.1 Les pièces étudiées
3.2.1.2 Les paramètres d’injection
3.2.1.3 Le profil de pression de compactage
3.2.2 Caractéristiques utilisées pour la simulation de l’injection du PP
3.2.2.1 Les caractéristiques mécaniques
3.2.2.2 Les caractéristiques thermiques
3.2.2.3 Les données pVT
3.2.2.4 Les données rhéologiques
Dépendance de la viscosité avec le taux de cisaillement et la température
Données viscoélastiques linéaires
3.3 MESURE DU COMPORTEMENT VISCOELASTIQUE
3.3.1 Détermination expérimentale de la rhéologie du polymère
Mesure expérimentale
Présentation du logiciel Rheometrics® RHIOS
Présentation du logiciel Rheometrics® RHECALC
La préparation des échantillons de PP
Etude de la reproductibilité
3.3.2 Résultats et discussion
3.3.2.1 Détermination du domaine linéaire
3.3.2.2 Balayage en température
3.3.2.3 Balayages en fréquence- température
Vérification du comportement thermo-rhéologiquement simple
Construction de la courbe maîtresse
3.3.2.4 Résultats de reproductibilité
Reproductibilité de la mesure
Reproductibilité du mode opératoire
3.3.2.5 L’influence de la vitesse de refroidissement
3.3.2.6 Comparaison avec le comportement d’échantillons issus de pièces injectées
3.3.2.7 Détermination du spectre de relaxation discret
3.3.2.8 Influence de la modélisation du comportement viscoélastique sur les contraintes et déformations résiduelles
Couples de Maxwell utilisés
Influence sur le calcul de contraintes et déformations
3.3.2.9 Conclusions
3.4 RESULTATS ET DISCUSSION
CONCLUSION