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Système PEMFC et adaptations nécessaires pour une application au domaine aéronautique
Éléments d’un système PEMFC
De manière générale, une pile à combustible PEMFC est entourée d’un certain nombre d’auxiliaires pour optimiser son fonctionnement. Ceux-ci peuvent être classés en fonc-tions comme suit (Figure 1.10) :
– Gestion de l’air (humidificateur, compresseur, stockage)
– Gestion de l’hydrogène (humidificateur, détendeur, stockage éventuel, gestion des purges)
– Gestion thermique (échangeur, pompe)
– Gestion électrique (convertisseur, interface avec une hybridation éventuelle)
– Supervision et commande de l’ensemble, diagnostic.
L’ensemble formé par la pile à combustible et ses auxiliaires est nommé «système pile à combustible». Les rôles des auxiliaires sont multiples [25]. Le Tableau 1.2 permet de donner un exemple des rôles associés aux principaux auxiliaires que l’on peut rencontrer dans un système pile à combustible. Le rendement de l’ensemble du système, qui prend en compte le rendement de chacun des auxiliaires, se situe entre 40 et 55% (alors que le rendement du cœur de pile seul peut atteindre plus de 60%). Cela est dû principalement au compresseur d’air, qui représente à lui-seul environ 80% de la consommation élec-trique des auxiliaires [17]. Comme mentionné dans la section 1.1.4, ces auxiliaires doivent être judicieusement dimensionnés. Un optimum doit être trouvé entre contraintes d’in-tégration à bord d’un avion de ligne et bon fonctionnement de la pile à combustible.
Les différentes fonctions présentées ci-dessus interagissent avec la pile à combustible et engendrent des perturbations pour celles-ci. D’une part, les différents auxiliaires pos-sèdent tous une dynamique propre. Ils peuvent engendrer des retards de réponse dans la régulation des conditions d’entrée de la pile, surtout en cas de variations rapides de la consigne de courant spécifiques au domaine des transports. C’est le cas en particu-lier pour le compresseur et la pompe du circuit de refroidissement, car le changement de vitesse de rotation des moteurs n’est pas instantané. D’autre part, le système pile à combustible est un système hautement non linéaire, c’est-à-dire que la relation qui lie la tension de la pile au courant échangé n’est pas linéaire. Cela complexifie donc la régula-tion du système complet. Ces effets impliquent que les conditions locales du cœur de pile (température, pression, humidité relative, etc.) varient sans cesse et ne sont pas toujours idéales pour le fonctionnement de la pile.
Ainsi, de par le seul fait d’intégrer la pile dans le système et son environnement, on crée des conditions plus ou moins favorables pour le bon fonctionnement de celle-ci. Cela peut donc impacter la durabilité du système complet, ce qui sera détaillé dans la section 1.4.
Adaptations de l’utilisation du système PEMFC pour l’aéronautique
Avant tout, il convient ici d’insister sur le fait que la pile à combustible n’est pas consi-dérée dans cette étude comme une solution potentielle pour la propulsion d’un avion de ligne, mais bien comme un générateur pouvant fournir de l’électricité en vol et lors des phases au sol. En effet, les gammes de puissance demandées pour la propulsion concer-nant des vols commerciaux moyens et longs courrier (plus de 10 MW pour un Airbus A320) ne sont pas encore compatibles avec une propulsion électrique. Seuls des petits avions sans voyageurs font actuellement l’objet d’études sur la propulsion par ce biais (cf. section 1.3).
Pour qu’une pile à combustible de type PEMFC soit effectivement pertinente pour as-surer une alimentation en électricité dans un avion, la multifonctionnalité de celle-ci doit être exploitée au maximum [13, 17, 26]. En effet, les contraintes de poids et de volume liées au système entourant la pile à combustible pénalisent le gain en matière de rende-ment de la conversion en électricité pure. Néanmoins, l’amélioration du rendement total de la conversion peut se faire par la valorisation des sous-produits issus de la réaction chimique (chaleur, eau, mais aussi air appauvri en O2) [13]. Ces différents sous-produits peuvent permettre de remplir d’autres fonctions à bord de l’avion, augmentant la com-pétitivité de cette solution par rapport à d’autres choix technologiques :
– Valorisation de l’eau
Un système pile à combustible de 100 kW utilisé dans un avion de ligne a une capa-cité de production d’eau entre 40 et 50 L/h [17, 27]. Cette eau peut être utilisée di-rectement pour alimenter les sanitaires de l’avion. De plus, sous réserve d’un traite-ment préalable (ajout de sels minéraux et filtrage), cette eau pourrait être aussi utili-sée comme eau potable pour la consommation des voyageurs (bouilloires/machines à café). Ce traitement étant toutefois plus complexe à mettre en œuvre que pour une utilisation directe dans les sanitaires, il n’est en général pas considéré dans une vi-sion à court-terme. Dans tous les cas, la valorisation de l’eau permettrait ainsi de réduire la quantité d’eau embarquée sur un avion et la taille des réservoirs pour la stocker car l’eau produite à bord serait directement consommée au cours du vol. Cela engendrerait alors un gain sur le poids total transporté ainsi que sur la quantité de kérosène consommée [13, 21]. A titre d’illustration, certains vols longs-courrier embarquent actuellement des réserves d’eau allant jusqu’à 1700 L afin de couvrir les besoins des passagers pendant un aller et un retour car les normes d’hygiène pour l’eau dans les aéroports visités varient selon les pays [26]. L’eau produite par la pile pourrait donc éviter le transport de cette masse supplémentaire.
– Valorisation de la chaleur
La valorisation de la chaleur produite peut quant à elle être obtenue en l’utilisant pour le préchauffage des fours ou de l’eau chaude (bouilloires/machines à café). Une autre valorisation de la chaleur pourrait consister à utiliser cette énergie ther-mique pour le dégivrage des ailes de l’avion.
– Valorisation de l’air appauvri en O2
L’air appauvri en O2 récupéré en sortie de pile (cathode) peut être utilisé pour réa-liser l’inertage du carburant de l’avion. L’inertage est un procédé qui permet d’aug-menter le seuil d’inflammabilité du Jet-A pour des raisons de sécurité. A l’heure ac-tuelle cet inertage est effectué par l’ajout d’un gaz supplémentaire (azote) dans le réservoir de kérosène. Utiliser l’air appauvri en O2 en sortie de la pile permettrait de diminuer la masse d’azote embarquée à bord de l’avion ainsi que celle du système de stockage de l’azote [27].
Qu’il y ait valorisation ou non des sous-produits de la pile à combustible, l’utilisation d’une telle technologie permettrait également de réduire considérablement le bruit lié aux avions lors de leurs déplacements au sol. En effet, l’utilisation de l’APU au sol (mode taxi) génère un bruit important, alors que celui généré par la pile est négligeable. Rempla-cer l’APU par un système pile à combustible pour assurer sa fonction au sol représenterait donc un gain au niveau du bruit émis.
Après avoir passé en revue le contexte aéronautique et présenté plus en détail la pile à combustible PEMFC, la partie suivante permet de dresser un état de l’art des systèmes PEMFC embarqués pour une application aéronautique.
État de l’art des systèmes de PEMFC embarqués pour une application aéronautique
L’utilisation de piles à combustible embarquées pour une application aéronautique est relativement récente. Cela est en partie dû au contexte de réduction des émissions de gaz à effets de serre mais également aux progrès de la recherche dans le domaine des piles. Cette section passe en revue les principaux exemples de systèmes de pile à combus-tible embarqués, d’abord brièvement pour la propulsion puis pour une utilisation à bord d’avions de ligne.
Utilisations des systèmes de PEMFC pour la propulsion d’engins aéronautiques
Comme mentionné précédemment, la propulsion d’un avion de ligne par un système pile à combustible est pour le moment inenvisageable du fait des gammes de puissance requises. Quelques projets ont cependant vu le jour sur la propulsion d’engins aéronau-tiques de faible puissance, où l’électricité générée par la pile à combustible est parfois couplée à des panneaux solaires.
Le premier type d’engin dans cette catégorie correspond aux drones et plus généra-lement tout engin volant non destiné à transporter des personnes. Ces objets sont es-sentiellement destinés à la surveillance en altitude. Les principaux projets ayant émergé actuellement sont répertoriés dans le Tableau 1.3.
Parallèlement aux applications liées aux drones, d’autres projets visant à propulser des avions monoplace ou biplace ont été développés récemment. Parmi ceux-ci, les exemples listés dans le Tableau 1.4 peuvent être cités.
Utilisations des systèmes de PEMFC à bord d’avions de ligne
Il convient premièrement de rappeler que tout équipement embarqué à bord d’un avion de ligne doit être qualifié, c’est-à-dire passer une série de tests pour être conforme aux normes aéronautiques DO (DO-160 par exemple : «Environmental Conditions and test Procedures for Airborne Equipment»). Le système PEMFC ne déroge pas à la règle et doit respecter un certain nombre de points (effets de variations de température et d’alti-tude, résistance aux vibrations et aux chocs, compatibilité électromagnétique, etc.).
Interrogations suscitées par l’application embarquée et influence du milieu
Comme nous l’avons vu précédemment, les auxiliaires font partie intégrante de la so-lution alternative incarnée par la pile à combustible, et doivent être dimensionnés judi-cieusement pour que le système soit le plus efficace possible pour une utilisation à bord d’un avion de ligne. L’architecture du système est fonction des choix techniques effectués lors de sa conception :
– Gestion de l’air :
Air entrant ou O2 pur stocké sous forme de bonbonnes embarquées [33] ?
– Gestion de l’hydrogène :
Stockage ou production embarquée d’H2 (reformeur) [27] ? Si stockage, sous quelle forme ?
– Gestion électrique :
Quelle architecture électrique pour connecter la tension délivrée par la pile au ré-seau électrique de l’avion [34] ? Où placer la pile à combustible dans l’avion ? Faut-il hybrider le système ? Quelle forme de stockage choisir dans ce cas [35–37] ?
– Supervision :
Comment répartir la puissance entre la pile à combustible et le dispositif de sto-ckage éventuel [38] ? Quelle dynamique pour le fonctionnement de la pile à com-bustible [13, 34, 39–41] ?
La gestion d’énergie doit être orientée vers l’optimisation de la durée de vie de la pile, ce qui constitue le point clé du travail mené dans ce manuscrit.
Outre le dimensionnement du système, quelques études se sont focalisées sur l’in-fluence que peut avoir l’environnement sur le système PEMFC (conditions de fonction-nement, milieu aéronautique).
Des travaux menés au FC-lab dans le cadre du projet européen CELINA se sont concen-trés sur l’influence des températures extrêmes rencontrées en altitude sur le fonctionne-ment de la pile, en régime nominal ainsi que pendant les phases d’arrêts/démarrages [42].
T. Hordé et al. [43] ont mené une autre étude concernant l’impact de l’altitude sur les performances de la pile à combustible. Pour cela, trois essais expérimentaux ont eu lieu : à 200 m, 1200 m et 2200 m. Les résultats montrent une perte de performance non négligeable entre 200 m et 2200 m, mais cette perte peut être diminuée en jouant sur la stœchiométrie de l’air à la cathode. Par exemple, un gain d’environ 10 % est obtenu sur les performances de la pile en passant d’une stœchiométrie de 1,75 à 2,5. Au-delà de 2,5, l’assèchement de la membrane devient trop important et la durée de vie est alors directement impactée.
Le German Aerospace Center en coopération avec le DLR et Airbus ont, dans le cadre d’un projet national nommé ELBASYS, confirmé les conclusions de [13] par une étude indépendante montrant l’intérêt de la valorisation de l’eau et de l’air appauvri en O2 en sortie de pile pour permettre à la solution de devenir compétitive [27]. Une autre équipe issue de cette même collaboration entre le DLR et Airbus s’est concentrée sur l’architec-ture du système pile à combustible complet et propose un dispositif optimisé pouvant être intégré dans un avion de ligne [26]. Enfin plus récemment, C. Werner et al. du Ger-man Aerospace Center ont développé une étude sur l’impact des conditions opératoires (température, pression, stœchiométrie de la cathode) sur la gestion de l’eau d’une pile à combustible placée à bord d’un avion de ligne [44]. Leur dimensionnement du système se base également sur le principe de valorisation des sous-produits de la pile à combus-tible. Une nouvelle architecture pour la gestion de l’air (humidificateur, compresseur) est présentée, permettant d’améliorer la gestion de l’eau au sein de la pile.
Exemples de projets de systèmes PEMFC embarqués pour une alimentation auxiliaire
Plusieurs projets ont vu le jour depuis 2008 concernant l’intégration de systèmes pile à combustible à bord d’avions de ligne. Les applications concernent principalement l’ali-mentation de dispositifs électroniques de la cabine. Certains projets visent également à remplacer totalement ou partiellement le groupe auxiliaire de puissance (APU), qui per-met d’assurer certaines fonctions lorsque l’avion est au sol, d’actionner les volets sur les ailes ou encore de piloter le circuit hydraulique de secours lors du vol.
Un projet liant les industriels Airbus, Michelin ainsi que le DLR en 2008 a permis de tester en vol un système pile à combustible de 20 kW placé dans la soute d’un Airbus A320 (Figure 1.11a). Le système a fonctionné durant une heure avec succès, alimentant les dif-férents dispositifs à la place de l’APU et produisant environ 10 litres d’eau [45]. Un autre projet associant Airbus et Parker Aerospace a débuté en 2011 et permet d’étudier l’usage d’un «système de pile à combustible multifonctionnel» de 100 kW pouvant alimenter da-vantage de dispositifs de cabine.
Boeing s’est associé à IHI Aerospace pour concevoir également un système pile à com-bustible (Figure 1.11b). Celui-ci a été intégré dans la soute d’un Boeing737 (737-800 eco-Demonstrator) qui a volé pendant 5 heures au-dessus de Seattle en 2012. A la différence du système proposé par Airbus, le système pouvait aussi récupérer un surplus d’énergie par l’intermédiaire d’un électrolyseur.
En février 2011, le DLR a fait part de ses travaux sur l’utilisation d’un système PEMFC pour alimenter un moteur électrique couplé au train avant de leur Airbus A320 ATRA. Le système permet ainsi de déplacer l’avion au sol sans l’aide des réacteurs (mode taxi). Un tel système permettrait :
– de réduire les émissions de CO2 au sol de 20 % ;
– d’économiser 200 à 400 litres de kérosène par jour ;
– de réduire de 1200 h/an le temps de fonctionnement des réacteurs (et donc de par-ticiper à prolonger leur durée de vie) ;
– de supprimer le bruit au sol.
En 2012, Zodiac Aerospace en partenariat avec les équipes du CEA LITEN, a mis au point un démonstrateur de système PEMFC de 35 kW dont les performances ont été va-lidées au sol (niveau de maturité du système TRL3 : preuve expérimentale de concept). Un projet européen nommé «Hycarus» (HYdrogenCells for AiRborne USage) a débuté en 2013 pour une durée de trois ans. Son objectif est de parvenir à faire voler un avion de ligne comportant un système de pile à combustible placé dans l’environnement cabine (niveau de maturité du système TRL6 : prototype et démonstration dans l’environnement réel). Les principaux partenaires du projet sont Zodiac Aerospace, le CEA, Dassault Avia-tion, Air Liquide, l’INTA et l’ARTTIC.
Hétérogénéités des conditions locales du cœur de pile
Origines des hétérogénéités rencontrées dans le cœur de pile
Dans une pile à combustible, les conditions du cœur de pile sont par nature non-homogènes du fait de la distribution des gaz réactifs, de l’évacuation des produits de ré-action, du refroidissement et de la collecte du courant.
Hétérogénéités des fractions molaires
Tout d’abord, les gaz réactifs (dihydrogène, dioxygène) sont consommés durant leurs parcours le long des canaux des plaques bipolaires. Un gradient de concentrations ap-paraît donc : les gaz réactifs ont une fraction molaire plus élevée à leur entrée qu’à leur sortie de la pile. Lorsque la pile est alimentée en air humide à la cathode, le mélange des gaz à cette électrode est composé des espèces O2, N2 et H2O. La proportion d’O2 n’étant que de 21 % dans l’air, les hétérogénéités de la fraction molaire du réactif le long des ca-naux sont particulièrement marquées à la cathode. A l’anode, ces hétérogénéités dues à la consommation des réactifs sont moins significatives mais la composition du mélange gazeux change entre l’entrée et la sortie, puisque l’azote qui traverse la membrane par perméation vient s’ajouter à la composition initiale (H2 / H2O). Cela influence également les répartitions de la fraction molaire. Comme le mélange en sortie d’anode est généra-lement encore riche en hydrogène, une boucle de recirculation peut être mise en place pour valoriser la quantité restante. Néanmoins, l’azote peut s’accumuler dans l’électrode, diminuant l’accessibilité de l’hydrogène aux sites réactifs. On parle de stratification de l’azote. Afin de diminuer les teneurs de ce gaz dans le mélange anodique, des purges peuvent être instaurées. Certaines stratégies de commande pour la gestion de l’hydro-gène consistent par exemple à délivrer la quantité d’hydrogène adéquate en entrée pour s’assurer que celui-ci soit entièrement consommé avant sa sortie de la pile (fonctionne-ment en « Dead-end »), afin d’éviter la gestion de la recirculation du gaz ou bien son éva-cuation du système (purge ou brûleur) [55, 56]. Dans tous les cas, les fractions molaires dépendent des coefficients stœchiométriques. Du fait de ce gradient de concentration, les demi-réactions d’oxydoréduction ne sont pas distribuées de manière homogène sur la surface de la cellule. Par conséquent, la densité de courant locale est directement im-pactée par la répartition des gaz réactifs sur la surface de l’AME et devient hétérogène. Il est important de souligner que la distribution de la densité de courant dépend également des conditions opératoires et du circuit de refroidissement.
Hétérogénéités de la répartition en eau
La distribution de la vapeur d’eau dans la pile est aussi hétérogène. En effet, comme la réaction électrochimique produit de l’eau et qu’elle n’a pas lieu de manière homogène, la fraction molaire de vapeur d’eau dans la pile n’est pas identique entre l’entrée et la sortie. Cette production d’eau s’ajoute à l’eau transportée par les gaz entrants préalable-ment humidifiés. Au fur et à mesure du parcours le long des canaux, le mélange gazeux se charge donc en vapeur d’eau, et la teneur en eau augmente. De plus, des échanges d’eau à travers la membrane entre les électrodes peuvent avoir lieu, jouant sur les distributions. Le transport de l’eau à travers la membrane est complexe et résulte de deux mécanismes physiques : l’électroosmose et la diffusion de l’eau (cf. Chapitre 1). La thermique a éga-lement son importance car elle modifie la répartition de la fraction molaire de vapeur d’eau (cf. paragraphe suivant). La distribution de l’humidité relative est donc hétérogène à l’anode et à la cathode, et cela a un impact sur la conductivité locale de la membrane ainsi que sur l’accessibilité des gaz aux sites catalytiques.
Hétérogénéités thermiques
Les hétérogénéités de la distribution de la densité de courant ont un impact direct sur la chaleur produite par les processus électrochimiques à la surface de l’AME et dans le stack. La température peut donc être localement plus élevée, conduisant à l’existence de points chauds et de zones plus froides.
La géométrie des plaques bipolaires a également un impact très fort sur ces hétéro-généités. D’une part, le fluide utilisé pour le refroidissement de chaque cellule circule à l’intérieur des plaques bipolaires et se réchauffe au fur et à mesure de son parcours. L’échange thermique est donc moins efficace en sortie du circuit de refroidissement qu’en entrée, car l’écart de température entre les deux sources est diminué. Ainsi, la tempéra-ture du cœur de pile présente un gradient entre l’entrée et la sortie du circuit de refroi-dissement, amplifiant les hétérogénéités. D’autre part, la forme des canaux d’alimenta-tion des gaz (canaux droits, en serpentins, ondulés, etc.) modifie l’hydrodynamique de l’écoulement des gaz réactifs et du fluide caloporteur, et par conséquent la distribution des températures à la surface des cellules du stack [57]. En d’autres termes, la répartition du fluide de refroidissement peut augmenter les hétérogénéités existantes liées à l’éva-cuation de la chaleur produite par les réactions. Les choix de conception des canaux de distribution des gaz réactifs (gaz alimentés en co-flux ou en contre-flux) ont aussi une influence directe sur ces hétérogénéités.
Enfin, une distribution de température non-homogène a un effet indirect sur la dis-tribution de courant, ces deux grandeurs étant intimement liées. En effet, un point chaud local peut diminuer la teneur en eau de la membrane et donc la conductivité protonique à travers celle-ci, conduisant à une densité de courant plus faible.
Toutes ces hétérogénéités des conditions locales présentées plus haut ont un impact sur la distribution de la densité de courant. Sa répartition est une image de leurs évolu-tions le long de la surface de la cellule. Ces hétérogénéités du cœur de pile vont avoir des répercussions sur le fonctionnement global de la pile comme décrit dans la sous-section suivante.
Impact des hétérogénéités sur le fonctionnement de la pile
Comme expliqué dans la sous-section précédente, le cœur de pile fonctionne de ma-nière hétérogène. Cela signifie que certaines zones sont sur-exploitées et que d’autres sont moins sollicitées.
Pour des conditions opératoires «normales», c’est-à-dire pour lesquelles les gaz entrent dans la cellule de la pile à combustible avec une humidité suffisante pour permettre à la membrane de remplir efficacement son rôle grâce à une conductivité protonique élevée, c’est la fraction molaire en dioxygène qui impose la répartition de la densité de courant [58]. Les densités de courant les plus élevées sont alors localisées près de l’entrée air, alors que la zone près de la sortie air est moins sollicitée. Or, une densité de courant locale im-portante peut induire un vieillissement accéléré de l’AME. Dans ces conditions, il est donc probable que la zone proche de l’entrée air se dégrade plus rapidement que la sortie air lors d’un fonctionnement prolongé [59].
Les hétérogénéités de température peuvent quant à elles provoquer l’apparition de points chauds locaux, dont l’amplitude peut s’élever jusqu’à 10 °C (pour un gradient de température entrée/sortie de 3 °C seulement). La présence d’un point chaud a pour prin-cipale conséquence une diminution locale de la teneur en eau de la membrane, ce qui diminue la densité de courant locale et modifie les répartitions à l’échelle de la cellule. La diminution de la teneur en eau fragilise en outre la membrane car les chaînes poly-mères se rétractent. Cela augmente les contraintes sur la membrane, pouvant rendre la zone préférentielle pour l’apparition d’une faiblesse mécanique au cours du temps voire de trous («pin-holes») [47, 60]. Des cycles répétés sur l’humidité relative des gaz, alternant un fonctionnement sec et humide, sont ainsi très dommageables pour la membrane car celle-ci gonfle et se rétracte à répétition [61–63]. Les températures locales élevées aug-mentent également la cinétique des réactions de dégradation (cf. Chapitre 3).
Outils permettant de mesurer la répartition des condi-tions locales
État de l’art sur les techniques de mesures locales
Comme évoqué en introduction de ce chapitre, il est délicat d’accéder expérimenta-lement à la répartition des conditions locales dans le cœur de pile. De plus le dispositif doit être aussi non-intrusif que possible et ne pas perturber le fonctionnement de la pile à combustible.
Cellule segmentée
La méthode de mesure la plus répandue dans la littérature est l’utilisation d’une cel-lule segmentée [64]. Ce dispositif consiste le plus souvent en une modification d’une plaque bipolaire pour y inclure des capteurs à sa surface selon un maillage prédéfini. Une cellule segmentée peut également être obtenue en remplaçant une des deux plaques mo-nopolaires par une plaque instrumentée où sont gravés les canaux de distribution des gaz. Deux familles de capteurs sont le plus souvent utilisées :
– Réseau de résistances
La mesure du potentiel aux bornes de chaque maille permet, connaissant les va-leurs des résistances, de retrouver la densité de courant pour chacune de ces mailles. On obtient alors une cartographie 2D de la production de courant pour la cellule étudiée.
– Réseau de sondes à effet Hall
Chaque maille du réseau est composée de bobines couplées. La mesure de la ten-sion induite dans une de ces bobines dépend du champ magnétique local, qui dé-pend lui-même de la densité de courant de la maille à mesurer (cf. section 2.2.2).
Si la technique de la cellule segmentée est invasive, son influence sur le fonctionne-ment de la pile demeure faible. Cependant, celle-ci n’est pas aisément implémentable sur un stack existant car cela nécessite une modification d’un de ses éléments. Cleghorn et al. [65], en 1998, semblent être les premiers à avoir utilisé cette technique de mesure. Dans leur test, c’est la plaque monopolaire anodique qui est instrumentée. Celle-ci, jouant le rôle de collecteur de courant, possède sept canaux à sa surface avec une résolution de 18 mailles de 4,4 cm2 chacune. Malgré cette résolution spatiale réduite, les auteurs par-viennent à observer l’impact du débit d’air entrant et de l’humidité relative sur la distribu-tion de performances par segment. Mennola et al. [66] ont adopté une approche similaire, utilisant une plaque monopolaire cathodique instrumentée mais avec une meilleure ré-solution spatiale (48 segments). Brett et al. [67] ont procédé à des cartographies de résis-tances et densités de courant locales en se servant d’une plaque monopolaire cathodique parcourue d’un seul canal. Les auteurs ont obtenu une bonne correspondance entre ces mesures et les résultats d’un modèle numérique développé en parallèle. Maranzana et al. [68] ont utilisé une cellule segmentée de 20 segments successifs et isolés les uns des autres, permettant ainsi aux auteurs de mesurer les densités de courant et températures locales le long des canaux. En particulier, les résultats de l’étude montrent la forte corré-lation qui existe entre la température et la densité de courant, qui dépendent tous deux fortement de la gestion de l’eau dans la pile. Hwnag et al. [69] ont équipé leur plaque bi-polaire cathodique de sondes à effet Hall, réparties en 16 segments (4×4). En particulier, les auteurs appliquent ce dispositif pour comparer l’effet de plusieurs niveaux de solli-citation sur la répartition du courant, montrant que plus le courant demandé est fort et plus les hétérogénéités locales sont marquées. Alaefour et al. [70] ont utilisé l’associa-tion d’une plaque bipolaire segmentée et d’une plaque collectrice de courant segmentée, avec une résolution spatiale de 16 segments. En particulier, les auteurs se sont servis de ce montage pour évaluer expérimentalement l’effet de l’orientation de l’alimentation des gaz (co-flux, contre-flux et flux croisés) sur la répartition de la densité de courant. Une analyse de l’effet des conditions opératoires sur cette distribution a également été menée. Plus récemment, Reshetenko et al. [71] ont poursuivi les travaux entamés par Cleghorn et al. en reprenant la même technologie de cellule segmentée. Deux essais ont été réalisés au cours de leur étude pour statuer sur l’effet du nombre de canaux (6 ou 10 canaux, de-sign serpentins) sur la distribution des conditions locales. Les auteurs concluent que la solution à 10 canaux permet d’obtenir les meilleures performances, notamment grâce à une meilleure homogénéité surfacique. Le DLR a développé depuis 2007 un dispositif de cellule segmentée [72] qui a été utilisé dans plusieurs études, permettant notamment de quantifier l’influence de la température ou de la charge sur la répartition de la densité de courant locale [73], ainsi que d’aider à optimiser des stratégies de démarrages rapides à froid de la pile à combustible [74].
Magnéto-tomographie
Une autre technique pouvant être utilisée pour mesurer les conditions locales du cœur de pile s’appelle la «magnéto-tomographie». Celle-ci consiste à placer des capteurs ma-gnétiques autour du stack en fonctionnement et à mesurer le champ magnétique créé par la pile à combustible. Par l’intermédiaire de la loi de Biot et Savart, on peut donc en dé-duire la densité de courant à l’intérieur de la pile. Cette technique offre l’avantage d’une mesure parfaitement non-invasive. Néanmoins, son utilisation requiert un large espace autour du stack pour le positionnement des capteurs. De plus, déduire la densité de cou-rant à partir de la mesure du champ magnétique implique la résolution d’un problème in-verse, ce qui peut demander un temps de calcul considérable. Hauer et al. [75] semblent avoir été les premiers à mettre au point une mesure utilisant ce dispositif, en 2005. Les auteurs ont mené une étude complète pour élaborer la technique puis l’ont appliqué avec succès pour mesurer la distribution de densité de courant pour une seule cellule. Ils ont également analysé l’influence d’une augmentation du débit d’air sur la répartition de la densité de courant et comparé un fonctionnement en air avec un fonctionnement en oxygène pur. Récemment, Le Ny et al. [76] ont surpassé les travaux de Hauer et al. en développant un banc de mesure nécessitant beaucoup moins de capteurs magnétiques pour remonter à la densité de courant locale sur un stack. Les auteurs ont comparé leurs mesures par magnéto-tomographie avec des mesures in-situ (carte S++©, cf. paragraphe suivant), montrant une bonne adéquation entre les deux techniques. Parallèlement à ces études, le CEA a développé une technique de mesure du champ magnétique existant à l’intérieur du stack et non pas à l’extérieur comme pour les travaux ci-dessus, basée sur l’utilisation de composants AMR («Anisotropic Magneto Resistivity») [25, 77, 78]. Un banc de test et des composants dédiés rendent possible l’introduction de sondes de mesure de champ magnétique dans le stack bi-cellules, permettant ainsi d’en déduire la distribution locale de la densité de courant. Un champ de compensation est ajouté pour prendre en compte l’effet de la température sur la mesure.
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Table des matières
Remerciements
Glossaire
Introduction générale
1 La pile à combustible dans le domaine aéronautique : défis et enjeux
1.1 Consommation et génération d’énergie dans le contexte aéronautique
1.2 La pile à combustible PEMFC, une solution énergétique embarquée alternative
1.3 État de l’art des systèmes de PEMFC embarqués pour une application aéronautique
1.4 Durabilité d’un système PEMFC pour l’aéronautique
1.5 Conclusions
2 Exploration du cœur de pile : accès aux conditions locales
2.1 Hétérogénéités des conditions locales du cœur de pile
2.2 Outils permettant de mesurer la répartition des conditions locales
2.3 Modélisation de la répartition des conditions locales
2.4 Validation du modèle développé et exploitation pour améliorer la compréhension des mécanismes locaux
2.5 Conclusions
3 Étude du vieillissement de la pile à combustible
3.1 Mécanismes de dégradation dans une pile à combustible PEMFC
3.2 Mesures des dégradations : tests expérimentaux réalisés
3.3 Prise en compte du vieillissement dans le modèle de pile développé
3.4 Comparaison des deux approches numériques développées et résultats
3.5 Conclusions
4 Exploitation du modèle développé et prédiction de la durabilité d’un système PEMFC en conditions aéronautiques
4.1 Cahier des charges du système développé par Zodiac Aerospace
4.2 Simulation du cycle de Zodiac Aerospace avec la géométrie serpentins
4.3 Influence d’un défaut initial d’un AME sur le fonctionnement de la pile
4.4 Simulation du cycle de Zodiac Aerospace avec une nouvelle géométrie
4.5 Conclusions
A Annexes I
A.1 Informations complémentaires relatives à la carte S++© : capteurs à effet Hall et traitement des données
A.2 Équations constitutives du modèle PS++
A.3 Démonstration de la loi de Bulter-Volmer
A.4 Valeurs des paramètres utilisés dans le modèle PS++
A.5 Arbre d’inter-dépendances entre mécanismes de dégradations
A.6 Outils expérimentaux utilisés pour quantifier le vieillissement
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