État de la question sur les conséquences de l’accident de la circulation routière
Nécessité de la mise en place d’une étude de cohorte en France
Malgré une bonne disponibilité des études sur les conséquences de l’accident de la route, le manque d’approche globale limite notre point de vue sur le devenir des victimes. Peu d’études ont exploité ce côté complexe du devenir des victimes d’un accident de la route, la plupart ayant uniquement étudiée la qualité de vie [4, 47, 66, 80, 175-177]. Les victimes ayant des conséquences importantes à long terme peuvent avoir une qualité de vie moins bonne que les autres. Cependant, la qualité de vie, rapportée aux victimes, inclut plusieurs aspects de conséquences, non seulement liées à l’accident, mais probablement liées à d’autres événements intercurrents. Une étude prenant en compte le maximum possible d’informations est idéale pour mieux comprendre le rôle des différentes caractéristiques des victimes intervenant sur leur devenir ; cela permettrait d’éviter les biais dus aux corrélations entre différentes conséquences étudier [4, 47, 66, 80, 175, 176]. Cependant, les études disponibles à ce jour ont souvent étudié une seule dimension du devenir des victimes.
La plupart des victimes de traumatismes majeurs causés par les accidents de la route ont maintenant une bonne chance de survie. Certaines études réalisées en France se sont déjà intéressées à ce sujet [81-85]. Cependant, une nouvelle contribution est nécessaire pour compléter ces connaissances partielles.
Le Registre du Rhône a permis la mise en place de différentes études qui ont contribué à une meilleure connaissance sanitaire et sociale de la victime et à une meilleure compréhension de l’apparente augmentation de la gravité des accidents de la route [1, 10, 38-42]. Cependant, les informations sur la répercussion sur les victimes après l’accident n’étant pas disponibles à partir de ces dernières, aucun suivi après l’accident n’a été réalisé avant l’étude ESPARR.
Depuis 2002, la sécurité routière a fait partie de l’un des trois programmes gouvernementaux les plus importants en France. Même si une baisse du nombre de personnes tuées est constatée, et ce, par l’intermédiaire de mesures de police telles que le renforcement du contrôle de l’alcool et de la vitesse, la diminution du nombre de victimes graves n’est pas aussi marquée. La réduction de la prévalence et de l’impact des traumatismes majeurs est donc devenue un des enjeux majeurs de la sécurité routière [39]. Afin de mieux mesurer l’ampleur et l’évolution des conséquences des accidents de la circulation routière, la mise en place d’une étude de cohorte est évidemment très utile.
Nécessité d’un outil prédictif standard pour prédire les conséquences d’un accident
Plusieurs facteurs ont été identifiés par des modèles statistiques comme facteurs pronostiques de conséquences après un traumatisme. Les interactions entre ces facteurs sont difficiles à prendre en compte. Il n’est donc pas facile pour les professionnels de santé de déterminer, à partir de ces facteurs, qu’elle sera l’évolution de l’état de santé pour une victime donnée ; en effet, ces facteurs ont été déterminés à partir de calculs complexes ou manquent d’estimation quantitative fiable. Un outil prédictif standard (score, échelle, …), qui serait simple et facile à utiliser, serait plus approprié aux professionnels de santé pour identifier les patients qui garderont des séquelles d’un traumatisme afin d’assurer une prise en charge plus personnalisée. La nécessité de disposer de ces outils est évoquée depuis longtemps. Des outils d’évaluation sont déjà disponibles, mais sachant que notre travail de thèse concerne seulement les victimes ayant un traumatisme causé par un accident de la route, nous nous intéressons plutôt aux outils qui ont déjà été utilisés dans ce type population. À ce jour, les outils d’évaluation des conséquences d’un traumatisme peuvent être distingués en trois types :
❖ Premièrement, ce sont les outils d’évaluation clinique utilisables après un traumatisme pour évaluer l’état médical et/ou fonctionnel des patients à un moment donné [45, 178-189]. Dans certains cas, ces outils peuvent servir à prédire la probabilité de mortalité après un traumatisme [45, 180-193]. Certains sont très utiles en médecine de réadaptation fonctionnelle pour suivre l’évolution de la récupération fonctionnelle des sujets.
❖ Deuxièmement, ce sont les outils d’évaluation de la qualité de vie ou de santé [121, 194-213], qui pour la plupart d’entre eux, permettent d’évaluer la qualité de vie ou de santé d’un patient à un moment donné à partir de ses réponses à un questionnaire . Ces outils (scores, échelles, questionnaires, …) sont souvent standardisés. Par ailleurs, pour obtenir les informations supplémentaires concernant les conséquences familiales, sociales ou professionnelles, et si elles ne sont pas comprises dans les échelles générales utilisées pour mesurer la qualité de vie, des auto-questionnaires complémentaires sont utilisés. Par exemple, dans l’étude de Read et son équipe [66], les informations concernant le retour au travail, le coût associé à la réhabilitation sont demandés aux victimes. Les effets de l’accident sur le financement, le travail et les difficultés dans les activités quotidiennes ou sociales ont été demandés à trois mois et un an après l’accident dans une étude de Mayou et Bryant [61, 64].
Nous nous sommes intéressés plutôt à l’IIS qu’au FCI parce qu’il existe en version française et qu’il est utilisé en routine par le Registre d’accidents de la circulation du Rhône, ce qui facilite l’application de ce score pour notre étude – une population française d’accidentés. Dans le cadre de notre travail, une des questions qui se posent est la qualité de prédiction de l’IIS, outil prédictif élaboré à la suite d’un consensus d’experts, (c’est-à-dire les niveaux de séquelles prédits lors de l’accident, à partir de la connaissance des lésions, sont-ils bien observés en réalité à un an ?). Cette évaluation repose donc sur une confrontation entre le niveau d’incapacité prédit au moment de l’accident et celui réellement observé dans le décours de cet accident chez des personnes réelles. Depuis son apparition en 1990 [44], l’IIS a été validé par plusieurs équipes de recherche [242-245] : les résultats sont variés et difficiles à comparer; aucun de ces résultats ne permet de confirmer un bon niveau de prédiction de l’IIS. La discussion sur les différentes méthodes utilisées dans ces études a déjà été faite par Mackenzie [246]. En effet, les méthodes d’évaluation de l’IIS utilisées peuvent être remises en question puisque lors des études précédentes, les auteurs n’ont pas utilisé des données un an après l’accident pour valider l’IIS ou n’ont pas travaillé sur des populations ayant les mêmes critères que ceux ayant servi à construire l’IIS (jeunes adultes en bonne santé). Par ailleurs, l’IIS a été appliqué à de nombreuses reprises pour prédire le niveau de déficience à un an chez les traumatisés d’un accident de la route [1, 241, 247-249]. Une autre question se pose cependant vis-à-vis de l’utilisation de l’IIS en accidentologie routière. Il s’avère qu’un blessé d’un accident de la route est la plupart du temps un polytraumatisé. Or, l’IIS ne donne un score que lésion par lésion. Par analogie avec l’AIS, les séquelles probables à un an sont considérées comme étant dues à la lésion prédisant la séquelle maximale (c’est-à-dire l’IIS le plus élevé que l’on peut appeler MIIS). Parmi les études qui ont utilisé le MIIS [244, 249, 250], aucune n’a validé cette généralisation en partant de l’observation des séquelles des sujets un an après l’accident. De ce fait, une nouvelle évaluation de l’IIS sur des données réelles respectant au mieux ces critères parait nécessaire pour s’assurer du niveau de prédiction de l’IIS pour des blessés tout venant. La question est alors de savoir quel outil d’observation peut être utilisé pour servir de « standard ».
ESPARR
ESPARR (Étude et Suivi d’une Population d’Accidentés de la Route dans le Rhône) est une étude de cohorte épidémiologique de type prospectif, qui s’appuie sur les données du Registre des accidents de la circulation du Rhône. Elle est mise en place depuis 2004 pour l’acquisition de connaissances en sécurité routière, notamment sur le devenir des victimes d’accidents de la route post-accident. Ce travail permettra une meilleure prise en charge et surtout de mettre en place des mesures d’accompagnement adaptées à chaque victime d’accident de la route.
Elle concerne toute personne habitant le département du Rhône, consultant ou hospitalisée dans un service hospitalier public ou privé, survivante d’un accident de la circulation ayant eu lieu dans le département du Rhône. Compte tenu de la très forte proportion de blessés légers dans le Registre (environ 90%), les victimes sont recrutées dans ESPARR suivant la distribution du niveau de gravité, afin de pouvoir disposer d’un échantillon de blessés graves suffisamment important pour pouvoir analyser cette population particulière. Lors de la mise en place de l’étude, 1 sur 10 blessés légers ou modérés (ayant un MAIS égal à 1 ou 2) du 1er octobre 2004 au 31 décembre 2005 et 1 sur 2 accidentés avec blessures graves (ayant un MAIS compris entre 3 et 5) du 1er octobre 2004 au 31 juillet 2006 ont été recrutés. Au total, la cohorte ESPARR regroupe 1372 victimes d’accidents de la route survenus dans le département du Rhône entre Octobre 2004 et Juillet 2006 .
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Table des matières
INTRODUCTION
1. AVANT-PROPOS
1.1. Connaissances actuelles sur l’insécurité routière
1.1.1. Données chiffrées
1.1.2. Études exploitant le côté complexe du devenir des victimes d’un accident
1.1.3. Facteurs associés aux conséquences de l’accident
1.2. État de la question sur les conséquences de l’accident de la circulation routière
1.2.1. Nécessité de la mise en place d’une étude de cohorte en France
1.2.2. Nécessité d’un outil prédictif standard pour prédire les conséquences d’un accident
1.3. Objectifs du travail de thèse
2. MATÉRIELS ET MÉTHODES
2.1. ESPARR
2.2. Population d’étude de la thèse
2.3. Données utilisées à partir des informations recueillies dans la cohorte ESPARR
2.3.1. Données recueillies au moment de l’accident
2.3.1.1. Données recueillies à l’aide d’un questionnaire
2.3.1.2. Codages lésionnels
2.3.1.3. Variable représentant la fragilité socioéconomique
2.3.2. Données recueillies au suivi à un an
2.3.2.1. Méthode de recueil des données à un an
2.3.2.2. Variables calculées à partir des informations recueillies à un an
2.3.3.3. Mesure de l’Indépendance Fonctionnelle (MIF)
2.4. Analyses statistiques
2.4.1. Pondération pour tenir compte de l’échantillonnage et des non réponses
2.4.2. Prise en compte des données manquantes
2.4.2.1. Non-réponse partielle
2.4.2.2. Non-réponse totale
2.4.3. Quelques aspects méthodologiques spécifiques de la technique de datamining
2.4.3.1. Intérêt de l’utilisation de la technique de datamining
2.4.3.2. Traitement des données pour effectuer une classification
2.4.3.3. Règle d’interprétation des résultats dans la représentation graphique de l’ACM
2.4.3.4. Détermination du nombre de groupes homogènes
3. RÉSULTATS
3.1. Caractérisation des conséquences à un an sur la population ESPARR: 1er objectif
3.1.1. Portrait de la population d’étude : les adultes répondants à un an
3.1.1.1. Représentativité de la population d’étude par rapport à la population d’accidentés du Rhône
3.1.1.2. Comparaison entre les sujets adultes répondants et non répondants au suivi à un an de la cohorte ESAPRR
3.1.1.3. Caractéristiques des répondants du suivi à un an
3.1.2. Séquelles prévisibles à un an estimées par l’IIS
3.1.3. Conséquences observées à un an
3.1.4. Qualité de vie des sujets mesurée par le WHOQol-Bref
3.1.5. Facteurs prédictifs d’une mauvaise récupération de l’état de santé à un an chez les blessés graves
3.2. Caractérisation de groupes de blessés homogènes pour leurs conséquences à un an et recherche des facteurs prédictifs d’appartenance à l’un des groupes : 2ème objectif
3.2.1. Article en cours
3.2.2. Résultats complémentaires
3.2.2.1. Résultat de l’ACM et de la CAH
3.2.2.2. Caractéristiques de la population d’étude
3.3. Validation de l’IIS : 3ème objectif
3.3.1. Article publié en premier auteur dans »Traffic Injury Prevention »
3.3.2. Résultats complémentaires
3.3.2.1. Caractérisation des groupes de conséquences à un an par les variables calculées à partir de l’IIS
3.3.2.2. Comparaison entre les conséquences observées et les différentes variables calculées à partir de l’IIS
3.3.2.3. Corrélation entre différentes variables calculées à partir de l’IIS et les scores du WHOQol-Bref
4. DISCUSSION
4.1. Rappel du contexte de la thèse
4.2. Synthèse des résultats
4.3. Avantages et limites de notre étude
4.4. Application des résultats obtenus
CONCLUSION
ANNEXE