Selon la définition officielle de l’association internationale pour l’étude de la douleur (IASP), « la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ou décrite dans ces termes ». [1] La douleur apparaît ainsi comme une expérience subjective. Il convient alors de distinguer 3 composantes. La composante sensori-discriminative correspond aux mécanismes neurophysiologiques de la nociception. La composante affective exprime la connotation désagréable, pénible, rattachée à la perception douloureuse. La composante cognitive correspond à l’ensemble de processus mentaux qui accompagnent et donnent du sens à une perception.
La grossesse est une période de la vie impliquant de grandes modifications physiologiques anatomiques, hormonales, psychologiques pour la femme enceinte. Le déroulement de la grossesse peut être notamment perturbé par la survenue de douleurs sacro-iliaques de la symphyse pubienne et par des lombalgies due à une adaptation du corps.
Les douleurs pelviennes sont fréquentes au cours de la grossesse et, selon les études, il semble qu’entre 40 et 90 % des patientes les ressentent à un moment ou à un autre de leur grossesse [2]. La prévalence augmente avec l’âge de la grossesse. Dans une étude prospective de 200 grossesse, Kristiansson et al. ont mis en évidence un pic de prévalence à 36 semaines d’aménorrhée (49 % des patientes). Le fait que dans plus de 80 % des cas ces douleurs soient apparues au cours de la grossesse chez une patiente n’ayant aucun antécédent douloureux pelvien confirme qu’il ne s’agit pas d’une simple exacerbation gravidique de phénomènes mécaniques mais bien d’une pathologie spécifique de la grossesse.
Il faut toutefois vraisemblablement distinguer, au sein de cette symptomatologie douloureuse pelvienne particulièrement riche et fréquente au cours de la grossesse, deux types de phénomènes algiques : les douleurs dorsolombaires ou lombaires basses et les douleurs du cadre osseux pelvien appelées « pelvic girdle pain » antérieures (pubis) ou postérieures (sacro-iliaques), en rapport avec un relâchement ligamentaire ou une traction sur les points d’attache osseux de ces ligaments [4] La lombalgie est définie comme une douleur située au niveau des vertèbres lombaires, c’est-à-dire située en dessous de la dernière vertèbre qui porte une côte (les vertèbres concernées vont de D12 à S1). Ostgaard et al dans leur étude portant sur la prévalence des douleurs lombaires estime que les lombalgies basses de la femme enceinte sont très fréquentes, 24 à 56% en souffrent pendant leur grossesse. [2]. Elles sont généralement médianes, et augmentées par les efforts et les mouvements du rachis. Elles sont invalidantes dans 30 % des cas [2]. Le mécanisme de ces lombalgies n’est pas totalement clair.
Les douleurs du cadre osseux pelviens se définissent en postérieur par les douleurs sacro-iliaques qui se manifestent en regard de l’articulation et dans la fesse, irradient à la face postérieure des cuisses parfois jusqu’aux genoux, sans radiculalgie vraie. Elles sont associées en antérieur par des douleurs et des sensations de pesanteurs pelviennes localisées en regard de la symphyse pubienne et de la région sus pubienne où s’insèrent les muscles grands droits et pyramidaux. Les douleurs sont souvent liées à un mouvement, apparaissant à la marche ou en décubitus lorsque les patientes se retournent dans leur lit, ou lorsqu’elles se penchent en avant. [5] Les douleurs sont généralement continues ce qui les différencient des contractions utérines intermittentes. Leur intensité varie d’une simple gêne à la marche à une impotence fonctionnelle sévère.
Analyse et Discussion
Ce travail présente des limites et biais. Il convient de les identifier et de préciser leurs significations et impacts sur les résultats
L’utilisation du support papier n’a pas permis une large diffusion des questionnaires dans toutes les maternités. De plus, la limitation aux sages-femmes du secteur hospitalier n’a pas permis de rendre compte des prises en charges effectuées dans le secteur libéral ce qui est une limite à l’étude. Le faible effectif empêche d’avoir des résultats généralisables à la population française de sage-femme. De même, la proportion de réponse dans les maternités de niveau IIa, et IIb est plus importante par rapport aux autres types de structures. La notion de pratique manuelle, bien qu’elle soit illustrée par des exemples concrets dans le questionnaire, peut constituer un biais de confusion. De même la distinction entre douleurs musculaire, ligamentaire et osseuse constitue un biais de confusion car les limites anatomo-physiologiques de ces douleurs sont complexes. Dans le critère de prise en compte « récurrence de la douleur », il n’a pas été correctement définie ce que « douleur occasionnelles » représente comme fréquence, créant un biais d’information mais l’impact est négligeable sur les résultats. 47,3 % des sages-femmes interrogées ont entre 25 et 35 ans, ce qui signifie que la population de cette étude est plus jeune que la moyenne nationale qui se situe autour des 42 ans.
La faible quantité de réponse peut interroger quant à l’intérêt des sages-femmes pour le sujet proposé. En revanche, toutes les sages-femmes de l’étude sans exception ont déjà été confronté à une patiente ayant des douleurs lombaires et sacro-iliaques d’où la pertinence de la question de recherche. Cela est d’autant plus vrai que la littérature va dans ce sens, avec une vraie reconnaissance de ces douleurs pendant la grossesse et le post-partum .
Reconnu comme un droit fondamental de toute personne, par la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé du 4 mars 2002, le soulagement de la douleur s’inscrit parmi les objectifs de tour établissement de santé.
Il n’y pas de distinction notable entre la prise en compte des douleurs dorsales ou pelviennes par les sages-femmes, d’où une confusion étiologique ou sémiologique dans leur identification. Il existe pourtant de nombreux tests faciles à mettre en place permettant d’identifier si la douleur est lombaire ou pelvienne postérieure. Le test de provocation de la douleur postérieure ou le test de Patrick en sont des exemples [Annexe 2]. Il est important de noter que les tests de provocation de la douleur ont une faible sensibilité s’ils sont effectués isolément. Ils doivent être en effet couplé à une anamnèse complète, un examen clinique, et si possible d’autres test pour pouvoir effectuer un diagnostic [8].
59,09 % des sages-femmes prennent en compte la douleur quand la patiente l’évalue supérieure ou égal à 4 par l’EN, et 46,81 % quand la douleur survient à la mobilisation. Ces critères correspondent du point de vue sémiologique à des douleurs lombaires ou de la ceinture pelvienne [2] [4]. Le Handicap engendré par la douleur est un critère fortement pris en compte par les sages-femmes d’autant que la patiente est fortement mobilisée par les besoins du nouveau-né.
La pose d’une analgésie péridurale est aussi prise en compte car elle est un facteur de future douleurs lombaires surtout les premiers jours suivant l’accouchement [9]. Une patiente sous l’effet d’une analgésie péridurale peut ne pas ressentir une douleur causée par une mauvaise position durant son accouchement, et donc et les ressentir après son accouchement. Le point de ponction de péridurale peut expliquer ces douleurs pour 3 raisons. La première est un « traumatisme » lors du passage de l’aiguille de Tuohy. L’aiguille traverse les différents plans cutanés, les ligaments sus et inter épineux de la colonne et le ligament jaune. Cette effraction peut provoquer une inflammation et donc induire une douleur. La deuxième est une crispation des muscles lors de la ponction, en raison du stress de la patiente lors de la pose, pouvant provoquer une douleur dans les suites de couche La troisième s’explique par les changement anatomique liés à la grossesse qui peuvent rendre la pose de l’analgésie péridurale plus difficile, et augmente donc le risque d’effectuer plusieurs ponctions.
Enfin, il semble que les sages-femmes l’extraction instrumentale comme responsable des douleurs lombo-sacrées. Il n’y a pas d’étude démontrant que l’utilisation d’instrument lors de l’accouchement augmente le risque d’avoir des douleurs lombaires et sacroiliaques. En revanche il semble intéressant de rapporter l’étude de Mukkanavar et al portant sur l’impact du mode d’accouchement sur les douleurs de la ceinture pelvienne comprenant 284 femmes, qui a démontré une plus grande incidence de ces douleurs après un accouchement par césarienne (33%) par rapport à un accouchement par voie vaginale (8,1%). Il n’était pas spécifié dans cette étude si l’accouchement par voie vaginale comprenait les extractions instrumentales [10]. L’existence des douleurs lombaires et sacro-iliaques pendant la grossesse semble être fortement prises en compte [Tableau 2], car celles-ci persistent dans le post partum. Il est montré que les lombalgies deviennent plus fréquentes et plus douloureuses que les douleurs sacro-iliaques après un accouchement [6]. Dans la grande majorité des cas, l’évolution de ces douleurs lombo-sacrées est favorable, dans les six mois suivant l’accouchement [11]. Au-delà, des douleurs sont mentionnées dans 10 à 23 % des cas, associées à une incapacité pour les activités ménagères, la marche, les activités physiques de loisir [12]. Cependant, il est rarement spécifié dans les dossiers la présence ou non de ces douleurs pendant la grossesse à moins qu’elles ne soient vraiment pathologiques. Il est donc important pour la sage-femme de rechercher l’existence de ces douleurs pendant la grossesse afin de pouvoir en évaluer le pronostic à moyen et long terme.
Malgré la palette de prise en charge possible, on constate une l’utilisation massive de paracétamol en 1ere intention, paradoxalement jugée peu efficace par les sages-femmes [Graphique 1.1] [Graphique 3.1]. Saragiotto et al, dans leur étude à propos de l’efficacité du paracétamol sur les douleurs lombaires constatent que le paracétamol à la même efficacité qu’un placebo et concluent que cette médication n’a aucune efficacité sur ces douleurs [13]. Les sages-femmes utilisent en majorité un AINS seul en 2e intention pour traiter ces douleurs [Graphique 1.2]. L’AINS utilisé en maternité est le kétoprofène. Elles jugent plutôt efficace l’utilisation du couple Paracétamol/AINS qu’elles envisagent aussi en 1ère intention pour prendre en charge ces douleurs [Graphique 1.1]. Enthoven et al, dans leur revue de littérature portant sur l’efficacité des AINS pour traiter les douleurs lombo-sacrées chroniques, met en évidences une faible efficacité : en fonction des études, la diminution de la douleur va de -5,33 à -1.27 point sur la « Visual analog scale » (VAS) par rapport à un placebo [14]. Les thérapeutiques antalgiques en post-natal sont limitées en raison de l’allaitement maternel, ce qui ne permet pas une prise en charge optimale de la douleur .
Dans toutes les maternités étudiées, il n’existe aucun protocole spécifique pour prendre en charge les douleurs lombaires et sacro-iliaques. En revanche, les sages-femmes ont une certaine connaissance des différentes prises en charge existante sans pour autant savoir les pratiquer car elles sont capables, comme en témoigne l’étude, d’évaluer l’efficacité de chacune d’elle .
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Table des matières
Introduction à l’étude
Matériels et Méthode
Résultats
Analyses et Discussions
Conclusion
Bibliographie
Annexes